Intervention de Yves Chastan

Réunion du 2 octobre 2012 à 9h30
Débat sur l'économie sociale et solidaire

Photo de Yves ChastanYves Chastan :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président du groupe de travail, madame la rapporteur, mes chers collègues, en parallèle aux auditions du groupe de travail sur l'économie sociale et solidaire, ou ESS, j'ai souhaité mener une étude de ce secteur dans le département de l'Ardèche, en procédant à une série d'entretiens avec les principaux acteurs sur le territoire, représentant d'ailleurs différentes formes d'activités. Mon intervention dans ce débat en rendra compte succinctement.

Je note tout d'abord qu'en Ardèche, département très touché par la crise, avec de nombreuses fermetures d'usines ou des compressions d'effectifs, dans l'industrie textile et les équipements automobiles, en particulier, l'ESS est un secteur en expansion ces dernières années : ses effectifs ont en effet augmenté quatre fois plus que ceux de l'ensemble de l'économie ardéchoise.

Ainsi, le poids de l'ESS est plus important en Ardèche qu'au niveau national et régional : elle représente 15 % des emplois salariés privés, soit 12 847 salariés, avec 1 400 établissements œuvrant principalement dans les domaines de la finance et des assurances, de l'enseignement, de l'action sociale, des arts et spectacles, mais aussi du sport et des loisirs, ou également dans la production artisanale ou industrielle. Par exemple, la SCOP Ardelaine, qui emploie 45 salariés dans une commune de moins de 500 habitants, traite et valorise la laine des moutons de 300 éleveurs d'Ardèche et de Haute-Loire et commercialise ses produits sur place, dans les foires, salons et magasins bio.

Cette étude m'a ensuite permis d'identifier les initiatives innovantes de ce territoire et de les porter à la connaissance du groupe de travail, comme expériences transposables à d'autres départements.

Lors des auditions réalisées, j'ai également pu relever des obstacles au développement de l'ESS en Ardèche : certains d'entre eux, notamment dans le domaine financier, figurent dans les conclusions du groupe de travail, d'autres viennent les compléter.

Plusieurs questions essentielles ont été posées au cours des différents entretiens. Tout d'abord, comment améliorer la professionnalisation des acteurs de l'ESS ?

En effet, la professionnalisation des acteurs associatifs, qui constituent une grande partie des structures de l'ESS, constitue un enjeu important. Les associations, ne disposant souvent pas de « culture économique et financière », ont tendance à écarter, par éthique, l'objectif de « bons résultats », qu'ils confondent avec les « profits » du secteur libéral et concurrentiel. Des évolutions me semblent souhaitables à cet égard dans les mentalités et les comportements, y compris au niveau des services de l'État, qui considèrent parfois négativement les soldes excédentaires des comptes des associations, alors que ces bons résultats leur permettent bien sûr de réinvestir et de développer leurs activités, sans objectif de rentabilité « capitalistique », et donc de maintenir et de créer des emplois.

Avec la complexification des actions des associations, la relation et le partage des tâches entre les bénévoles et les salariés tendent également à devenir problématiques. C'est pourquoi l'idée a été émise de constituer un statut pour les bénévoles, qui permettrait notamment de valoriser leur travail non salarié, de les pérenniser et d'articuler leur rôle avec celui des salariés.

Autre question posée : quelle politique d'encouragement de l'ESS faut-il mener et à quels acteurs la confier ?

Le rôle des élus, locaux et nationaux, et des institutions, pour donner le goût d'entreprendre, en l'occurrence « autrement », et inculquer les valeurs de l'ESS à un public élargi, est ici primordial. La suggestion de désigner un élu « référent économie sociale et solidaire » dans les échelons administratifs a notamment été formulée, tout comme l'insertion de clauses sociales dans les appels d'offres des marchés publics – même si cet outil doit être manié avec les précautions juridiques indispensables.

Outre des problèmes de cohérence entre les politiques menées à différents niveaux administratifs, on peut remarquer que trop peu d'élus sont sensibilisés à l'ESS, car ils en ont une image évoquant trop fortement l'aide sociale, sans avoir conscience du réel potentiel économique qu'elle représente aussi.

Les chambres consulaires, quant à elles, déconseillent trop souvent aux porteurs de projets de choisir les statuts coopératifs, malgré tout l'intérêt qu'ils comportent.

Ensuite, il existe trop peu de « lieux-ressources » capables de former et d'orienter les acteurs de l'ESS sur le territoire, et ceux qui existent sont mal répartis. Divers acteurs de l'ESS ont souligné le besoin de territorialisation de la chambre régionale de l'économie sociale et solidaire, la CRESS, ou encore de la présence de permanences des coopératives d'activité plus nombreuses sur tout le territoire.

Enfin, il apparaît nécessaire d'améliorer différents aspects juridiques. Les acteurs du secteur sont assez unanimes pour dire qu'un réel travail sur la définition même de l'ESS est indispensable, une simple énumération des statuts des établissements considérés comme relevant de l'ESS leur paraissant insuffisante.

Très brièvement, je me bornerai à évoquer quelques points. La société coopérative d'intérêt collectif, ou SCIC, est reconnue sur le terrain comme présentant de nombreux avantages, mais quelques inconvénients ont tout de même été soulignés, je n'en mentionnerai que deux. Tout d'abord, l'adhésion obligatoire à la Confédération générale des SCOP lors de la création d'une SCIC paraît relativement onéreuse pour les petites structures, même si le coût de l'adhésion est proportionnel au chiffre d'affaires et à la masse salariale. Ensuite, ce statut de création récente manque encore de reconnaissance, car, située entre l'entreprise et l'association, la SCIC n'est considéré ni comme l'une ni comme l'autre, ce qui constitue parfois un frein.

En ce qui concerne les SCOP, les entrepreneurs souhaitent la création d'un statut « d'entrepreneur-salarié », qui existe, de fait, pour le personnel, mais qui n'est pas sécurisé juridiquement.

Enfin, l'article 200 du code général des impôts ne permet pas aux associations œuvrant dans le domaine du développement local d'être reconnues comme « d'intérêt général ». S'il était possible d'y remédier, cela ouvrirait sans doute des champs d'initiative nouveaux.

En conclusion, j'espère que les obstacles que j'ai mis en évidence, et d'autres davantage explicités et illustrés dans mon rapport, seront susceptibles d'alimenter les réflexions qui se poursuivront, notamment au Sénat, et, avec quelque prétention peut-être, vos propres réflexions, monsieur le ministre.

Je ne doute pas cependant, monsieur le ministre, que vous ferez votre miel de l'ensemble des constatations et des suggestions qui ressortent du débat organisé ce jour au Sénat sur le thème de l'économie sociale et solidaire, secteur à part entière de l'économie à visage humain. §

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