Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 2 octobre 2012 à 9h30
Débat sur l'application de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre, rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, mes chers collègues, vous ne serez guère surpris que je ne partage pas bon nombre des analyses de mon collègue et corapporteur David Assouline.

Sur bien des mesures, il fait un constat en demi-teinte ; considérant pour ma part le verre à moitié plein, je considère que le bilan de la loi du 5 mars 2009 est positif.

À titre liminaire, je souhaite apporter deux précisions méthodologiques qui me paraissent essentielles.

D'une part, l'analyse exhaustive d'une loi nous conduit et conduira l'ensemble de nos collègues de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois à mettre en relief un bilan incomplet.

La première raison en est que, dans l'enthousiasme des débats, on place toujours beaucoup d'espoirs dans l'adoption de mesures qui, sur le terrain, se heurtent forcément à des difficultés.

La deuxième raison est que, comme on parle davantage des trains qui arrivent en retard que de ceux qui arrivent à l'heure, les dispositions qui peinent à être mises en œuvre, systématiquement mentionnées dans les auditions ou les commentaires, sont naturellement celles que l'on met en relief.

D'autre part, cet effet structurel s'est, selon moi, fortement renforcé d'un biais conjoncturel dans la rédaction de ce rapport.

En effet, il se trouve que les deux rapporteurs du bilan d'application de la loi du 5 mars 2009 ont été deux des principaux acteurs de sa discussion parlementaire.

Il a donc forcément été difficile, tant pour l'un que pour l'autre, de prendre le recul nécessaire pour analyser de manière apaisée et sereine l'application d'une loi que l'un a férocement contestée et l'autre pleinement soutenue…

Néanmoins, et en dépit de ces difficultés méthodologiques, nous avons essayé de dresser un bilan objectif et exhaustif de l'application de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

J'espère qu'à travers des lectures contrastées, voire contradictoires, d'un même bilan, l'ensemble de nos collègues pourront se faire une opinion étayée par des analyses et des faits précis ; c'est du moins la raison d'être de ce débat.

J'estime, tout d'abord, que l'application de la loi au sens strict doit être appréciée de manière positive.

Aujourd'hui, en effet, douze décrets ont été pris sur les treize requis. Le précédent gouvernement a donc fait un réel effort d'application dans des délais très raisonnables.

S'agissant du seul décret qui n'a pas été pris, relatif au comité de suivi de la loi, le précédent gouvernement a apporté des réponses précises et argumentées sur son choix assumé de ne pas le publier : la conformité de certaines dispositions de la loi au droit de l'Union européenne était selon lui à ce prix.

En outre, je considère que le travail que nous avons mené, David Assouline et moi-même, est la meilleure réponse à l'absence de comité de suivi. Libre enfin à l'actuel Gouvernement de le mettre en place – il n'est pas trop tard ! –quand vous estimerez, et je le comprendrai tout à fait, qu'il est opportun de le faire.

Les trois ordonnances prévues ont également été adoptées dans l'année suivant l'adoption de la loi. Enfin, la quasi-intégralité des rapports demandés ont également été rendus. On permettra à la représentation nationale d'y être évidemment sensible.

Bref, le service « après-loi » a été rapide et efficace. Après tout, on ne peut pas toujours en dire autant ; il est donc bon de le souligner.

Je commenterai ensuite à la fois l'application de la réforme de l'audiovisuel public, qui faisait l'objet de la première partie de la loi, et les dispositions sur l'évolution du paysage audiovisuel français.

S'agissant de la suppression de la publicité, mes commentaires seront beaucoup plus modérés que ceux de mon collègue. Je note, en effet, que son impact sur le visage éditorial de France Télévisions n'a pas été majeur. Admettons-le, la suppression de la publicité n'a pas suffisamment permis jusqu'ici de relativiser la contrainte d'audience et de modifier la programmation en profondeur. Force est de penser que la culture de l'audimat imprègne si fortement les esprits des dirigeants de l'audiovisuel public que la suppression de la contrainte publicitaire ne suffit pas à infléchir ce tropisme.

Est-ce pour autant qu'il fallait y renoncer ? Nous sommes nombreux sur ces travées, j'en suis sûr, à dire que le « qualimat » nous paraît beaucoup plus important que l'audimat ! Voilà bien ce que nous attendons des dirigeants de nos chaînes de télévision.

Je tire cependant de la situation actuelle les conclusions suivantes.

Certes, les programmes ne débutent pas à vingt heures trente-cinq, mais, grâce à la loi, ils commencent bien plus tôt que sur les chaînes privées. Selon moi, il s'agit d'un atout majeur et il ne faut pas revenir en arrière.

Le confort de vision est largement amélioré. Le sondage réalisé à la demande de l'Assemblée nationale, abondamment cité dans le rapport, montre que les téléspectateurs sont, pour une grande majorité, pleinement satisfaits de cette suppression de la publicité en soirée. Pour faire court, la réforme a suscité l'adhésion du public, même si l'on a pu constater parfois des dérives avec un parrainage parfaitement ambigu.

Il s'agit, en outre, d'un élément très fort de différenciation avec l'offre télévisuelle privée, ce qui légitime à mes yeux pleinement la réforme. Regardez la télévision publique au Royaume-Uni ; vous constaterez que l'absence de publicité constitue un atout de programmation et de différenciation très puissant.

L'engagement de France Télévisions en faveur de la création, corollaire de la loi, à hauteur de 420 millions d'euros en 2012 est, enfin, un atout majeur de promotion de la culture française. L'ensemble des acteurs l'a reconnu et a insisté sur cet aspect. Je crois que l'on n'en parle pas assez, les engagements du groupe en faveur de la création n'ont jamais été si importants.

Les effets seront constatés à moyen terme, car créer une politique ambitieuse de fiction et de documentaire, c'est long ! Notre rapport arrive trop tôt pour qu'un jugement soit porté sur ce point. Mais donnons à France Télévisions le temps de la stabilité et de la confiance, et je suis certain que les résultats seront au rendez-vous.

À cet égard, la suppression de la contrainte publicitaire mettra du temps à marquer les esprits en dépit de la modification subséquente du cahier des charges. Mais je suis convaincu que des résultats positifs sont déjà à l'œuvre. Je suis d'autant plus optimiste que la suppression de la publicité ne peut que favoriser ce que nous attendons, à savoir de l'audace et de l'ambition.

En outre, fondamentalement, la qualité ne rime pas avec une baisse d'audience. La télévision populaire de qualité est donc un objectif à la mesure du groupe. Une émission – allez, je vais en citer une ! – comme Secrets d'histoire, présentée cet été, en était un bon exemple.

Enfin, je regrette que, pour des raisons économiques, le report de la suppression totale de la publicité ait été nécessaire. Mais je me félicite, en revanche, que ce report ait été rendu possible par la stratégie consistant à mettre en œuvre la suppression de la publicité en deux étapes. Cela a été une grande force de cette loi que de laisser la place à l'expérimentation et à la prudence. Après tout, on ne fait pas toujours appel à l'expérimentation dans les actions de réforme. Ici, au contraire, l'expérimentation est à l'ordre du jour. C'est une leçon qu'il faudra probablement retenir pour l'avenir.

Je ferai un constat un peu similaire sur le parrainage. Son maintien après vingt heures était une erreur, j'en suis convaincu, car je pense qu'il ne doit pas y avoir de publicité du tout en soirée sur France Télévisions, quelle que soit sa forme.

France Télévisions a entendu cette critique et a compris que l'esprit de la loi devait parfois prendre le pas sur sa lettre. Elle nous a donc proposé d'établir une charte sur le parrainage assez efficace, garantissant son utilisation raisonnée. J'espère qu'une suppression pourra advenir quand les temps seront meilleurs. On comprend bien que tout ne peut pas être fait en même temps.

Sur la question de l'entreprise unique, la loi était forcément brève. Il s'agissait surtout de la mettre en œuvre. Et, comme l'ont souligné les commissaires aux comptes de France Télévisions que nous avons auditionnés, cette œuvre est tout bonnement gigantesque. Une telle fusion est extrêmement rare dans le paysage industriel français, avec 11 000 salariés à réunir sous une bannière unique. Le constat qu'ils font est que la fusion poursuit sa route dans de bonnes conditions.

Je tiens au demeurant à souligner que sa légitimité n'a jamais été contestée, pas plus par l'opposition de l'époque que par la majorité d'aujourd'hui. Si la mission est de longue haleine, elle est donc à la fois utile et nécessaire. Je remarque à cet égard que cette fusion a été accompagnée financièrement de manière substantielle : les crédits dédiés à France Télévisions ont ainsi augmenté régulièrement depuis 2009 avec une hausse toujours supérieure à l'inflation. Le budget qui nous est proposé pour 2013 ne sera peut-être pas – attendons la discussion – à la hauteur de l'ambition que nous avons pour l'audiovisuel public.

David Assouline a mentionné à juste titre la question de la gouvernance du groupe.

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