Intervention de David Assouline

Réunion du 2 octobre 2012 à 21h30
Débat sur l'application de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision

Photo de David AssoulineDavid Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois :

… dans la mesure où elle faisait partie de ces programmes rares qui réussissaient à concilier ces deux exigences.

Dans le domaine de l’information politique, reconnaissons, en revanche, l’engagement pertinent et réussi de France Télévisions en faveur d’un renforcement de l’offre de programmes. À l’époque, rappelez-vous, il n’y avait plus d’émissions politiques. Certes, la campagne électorale y a peut-être été pour quelque chose, mais force est de constater que, dans le paysage audiovisuel, c’est France Télévisions qui a assumé cette tâche. Je ne souhaite pas juger les émissions ni me constituer en énième programmateur de France Télévisions – tel n’est pas mon rôle ; je suis là pour légiférer –, mais je considère, au vu des rapports relatifs à l’exécution des contrats d’objectifs et de moyens depuis 2011, que, globalement, France Télévisions n’a pas changé fondamentalement de couleur, alors que la réforme l’envisageait avec enthousiasme.

À cet égard, on doit se poser la question de la capacité du législateur à influencer réellement la programmation culturelle et celle de sa légitimité pour le faire.

Le rôle de la commission que j’ai l’honneur de présider est aussi, parfois, de souligner les limites de l’action du législateur. Dans le cas de la programmation télévisuelle, les interrogations peuvent être fortes.

De ce point de vue, la question de l’heure de début des programmes est tout à fait symbolique.

France Télévisions n’a pas respecté la règle de vingt heures trente-cinq fixée par le cahier des charges et invoquée de manière incantatoire par l’ancienne majorité pour justifier la réforme. Les programmes commenceraient plus tôt, disait-on, de sorte qu’il y aurait désormais deux tranches de programmes, alors que, dans les grilles des autres chaînes, les programmes du soir commençaient à vingt et une heures.

Le groupe a enfreint cette règle en conscience, parce qu’il a considéré que, non pertinente pour le téléspectateur, elle était en outre contre-productive pour son audience. Il assume pleinement ce choix cette année en ne respectant même plus le décret.

Indépendamment du jugement que l’on peut porter sur le fait que France Télévisions ait pris cette liberté, la question se pose : jusqu’à quel point peut-on lui imposer ce type de règles par la loi ?

Le rôle du législateur n’est-il pas plutôt de fixer les grands principes et de s’en remettre à des personnes responsables pour leur mise en œuvre ?

Ne vaut-il pas mieux prévoir un mode de nomination efficace – j’y reviendrai –, qui permette de désigner des personnalités compétentes, lesquelles seront jugées sur pièces, sur la réussite de leur action ? C’est cela qui est nécessaire.

Mais revenons à la suppression de la publicité. Ce n’est pas qu’elle ait été sans effet ; elle a bien eu des conséquences, mais très dommageables.

D’abord, elle a changé le modèle économique de France Télévisions. D’un diptyque composé de la redevance et de la publicité, qui garantissait l’indépendance du groupe à l’égard du commerce comme de l’État, ce modèle est devenu un triptyque formé d’une dotation publique, de la publicité et d’une dotation budgétaire. Or ce nouveau modèle de financement s’est révélé beaucoup plus fragile.

En effet, la dotation budgétaire a été chaque année diminuée en exécution. Le fameux contrat d’objectifs et de moyens n’a pas joué son effet bouclier et la dotation promise pour 2012 a déjà été largement rabotée. Cette situation n’est bonne ni pour l’indépendance de France Télévisions ni pour son équilibre économique.

Lors du débat sur la loi du 5 mars 2009, j’ai dit dans cet hémicycle, avec beaucoup d’autres, que si France Télévisions dépendait entièrement de la dotation publique, lorsque l’État aurait moins de moyens, le problème se poserait de la réduction de cette dotation et, par conséquent, de la fragilisation du groupe. Peut-être même nous proposerait-on, en pareille situation, de réduire le périmètre de France Télévisions ? Cela, nous nous refusions tous à l’envisager.

Nous y sommes aujourd’hui. Sans anticiper le débat que nous aurons bientôt lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2013, je veux dire que France Télévisions est dans une situation d’asphyxie et que l’État, compte tenu de ses propres problèmes, ne pourra pas, sans de grandes difficultés, justifier le maintien de sa dotation au même niveau.

La suppression de la publicité a produit un deuxième effet, qui concerne les caisses de l’État.

Le financement de la réforme par la mise en place de nouvelles taxes a été un échec. Alors qu’on attendait 450 millions d’euros de recettes, on a levé seulement 270 millions d’euros.

La suppression de la publicité représente donc un coût net de 180 millions d’euros par an, alors même que la publicité a finalement été maintenue en journée, contrairement à ce qui était prévu !

En quatre ans, la réforme a eu un coût de 628 millions d’euros pour l’État. Cette somme, auparavant fournie par la publicité, aurait à mon sens été mieux employée au profit de nombreux programmes culturels qui en auraient bien eu besoin – je ne voudrais pas qu’elle ait servi à autre chose.

Pis : la taxe télécoms, qui est la plus rentable pour l’État puisqu’elle rapporte environ 350 millions d’euros par an, est contestée à Bruxelles. Le verdict tombera au cours du premier semestre de l’année prochaine.

Si cette taxe était déclarée incompatible avec le droit de l’Union européenne, nous aurions besoin de trouver 350 millions d’euros supplémentaires chaque année. De plus, il faudrait rembourser environ 1 milliard d’euros aux opérateurs, s’ils en faisaient la demande. Terrible perspective !

En pareille hypothèse, le bilan de la loi, que j’ai jugé tout à l’heure mitigé pour accepter une expression commune avec M. Legendre, deviendrait franchement catastrophique !

Ainsi, la loi qui ambitionnait de révolutionner le modèle culturel et le modèle financier de France Télévisions a profondément miné le second sans améliorer le premier.

J’en viens à la question de l’entreprise unique, dont la création était l’autre grande ambition de la loi du 5 mars 2009.

Sur ce point, il me semble que le bilan doit être relativisé au vu de la lourdeur de la mission. Le problème de cette réforme est que le traitement n’a pas encore eu d’effets positifs mais que les effets secondaires, en revanche, ont été rapides et assez visibles.

Parmi les effets secondaires figurent les multiples changements d’organigrammes que le projet d’entreprise unique a provoqués et qui ont désorganisé le groupe pendant quatre ans. Les questions relatives à la rédaction de France Télévisions sont aujourd’hui une conséquence directe de cette désorganisation.

Par ailleurs, la remise en cause des accords collectifs a eu pour conséquence de focaliser l’ensemble des débats sur le dialogue social, au détriment des enjeux culturels qui étaient pourtant au cœur de la réforme.

On pourrait dresser exactement le même constat pour l’audiovisuel extérieur de la France, qui se trouve dans une situation très compliquée que nous connaissons tous.

À cet égard la publication très tardive du cahier des charges de la société AEF n’a pas franchement facilité un projet déjà très mal engagé. Sans parler du contrat d’objectifs et de moyens, obligatoire selon la loi et qui n’est jamais sorti…

Reconnaissons néanmoins quelques effets positifs au projet d’entreprise unique.

D’abord, si les synergies n’ont pas encore été complètement réalisées, la Cour des comptes estime qu’elles produiront inévitablement des effets dans les prochaines années. Qui sait ? Nous ferons un nouveau bilan le moment venu.

Ensuite, les inquiétudes sur la question dite du guichet unique ont été levées ; c’est toujours un progrès, qu’il faut mettre à l’actif de l’actuelle direction.

En outre, le média global a été lancé. On ne sait pas si c’est la conséquence de la mise en place de l’entreprise unique ou d’une prise de conscience du groupe, mais c’est un fait et cela fonctionne. Malheureusement, les moyens manquent – nous savons pourquoi.

Enfin, la création d’un conseil d’administration unique, dont je ne juge pas l’action quotidienne, a amélioré la gouvernance de l’entreprise et l’a rendue plus rationnelle.

S’agissant de la gouvernance, nous avons aussi souhaité évoquer la question du mode de nomination des présidents de l’audiovisuel public, dont le changement était inscrit dans la loi.

Il faut bien constater que le mode de nomination de ces présidents, quels que soient leur professionnalisme et leur indépendance, a handicapé leur action, parce qu’il a fait naître un soupçon, une suspicion, un doute, sur chacun de leurs faits et gestes importants.

La mise sous surveillance du pouvoir politique par l’opinion publique a été le seul frein à un interventionnisme qui, s’il avait eu libre cours, aurait pu être de grande ampleur. Mais le mal était fait et la crédibilité du groupe entamée.

Mes chers collègues, les mois et les années à venir seront très difficiles pour France Télévisions, en grande partie à cause de sa fragilisation par une réforme complexe et coûteuse.

L’impasse budgétaire dans laquelle se trouve le groupe justifie qu’on s’attache à définir des solutions de court et de moyen terme.

Au-delà du maintien nécessaire de la publicité en journée, dont je proposerai d’inscrire le principe dans la loi, le rétablissement de la publicité en soirée sera forcément à l’ordre du jour si l’Europe nous condamne et qu’il nous faut trouver les 350 millions d’euros dont j’ai parlé. Je n’en dis pas plus pour le moment ; ce débat est devant nous.

Il reste que le marché publicitaire n’est pas le même aujourd’hui qu’en 2009 et que l’introduction inopportune de six nouvelles chaînes sur la télévision numérique terrestre à partir du mois de décembre ne favorisera pas le dynamisme des recettes publicitaires.

C’est d’autant plus vrai que même les groupes privés, comme TF1 ou M6, sont aujourd’hui en grande difficulté. La manne publicitaire ne peut pas se démultiplier, ce poste étant assez fixe dans les budgets des entreprises.

J’ai parlé tout à l’heure des deux jambes sur lesquelles repose le financement de France Télévisions : la publicité et la contribution à l’audiovisuel public. C’est évidemment sur cette seconde recette qu’il faut jouer.

La contribution à l’audiovisuel public est déjà indexée sur l’inflation. Le Gouvernement a apporté pour l’année 2013 une réponse qui, à mon avis, va dans le bon sens : il a proposé une hausse de 2 euros de cette contribution.

La décision d’augmenter la contribution à l’audiovisuel public est courageuse et le Sénat l’a toujours souhaitée : j’espère que la commission des affaires culturelles, gauche et droite confondues, continuera de juger cette mesure positive.

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