Intervention de Joël Guerriau

Réunion du 3 octobre 2012 à 14h30
Débat sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de france et ses incidences fiscales

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’évasion fiscale est vécue par nos concitoyens comme une injustice.

Pour les sportifs, il s’agit, nous ont dit certains d’entre eux, de trouver les moyens d’optimiser leurs gains financiers sur une période trop courte à leurs yeux. Pour les entreprises, la concurrence fiscale internationale est la racine de l’évasion fiscale. Elle est la conséquence d’investissements à l’étranger qui bénéficient des failles soit de nos législations, soit des conventions internationales que le France a signées, soit encore des législations étrangères.

Ce phénomène évolue vite. Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales met en évidence les nouveaux territoires d’évasion fiscale : l’Asie, l’Amérique latine ou encore les territoires du numérique.

Il y a un décalage permanent entre notre législation, nos outils de contrôle et les formes que prend l’évasion fiscale. Ce décalage ne doit pas nous conduire au fatalisme.

L’évasion fiscale est un acte intentionnel que la loi condamne lorsqu’il s’agit d’une fraude, mais qui devient légale dès lors qu’elle est considérée comme de l’optimisation. C’est là, me semble-t-il, que réside finalement le cœur du problème : la différence fondamentale entre fraude et optimisation, c’est, en fin de compte, l’action que nous menons, nous, législateur, pour corriger ou bien limiter les risques d’évasion. Se pose alors la question de notre propre responsabilité.

En 1972, déjà, le Sénat soulignait dans une résolution la complexité du système fiscal français : quarante ans plus tard, le constat est toujours le même.

Il est donc essentiel que nous menions une réflexion en profondeur, eu égard à l’évasion fiscale induite par notre propre législation. Comme l’a dit tout à l’heure le président Philippe Dominati, je crois que nous avons encore du pain sur la planche ! Et il est intéressant que nous puissions, ensemble, poursuivre les travaux très riches engagés par la commission d’enquête.

Ainsi, plusieurs personnes auditionnées ont dénoncé la manière dont le crédit impôt recherche est utilisé afin d’obtenir un avantage considérable sans qu’il y ait de contrepartie en termes d’emploi. Selon ces personnes, il aurait contribué, entre 2008 et 2012, à un alourdissement de l’évasion fiscale d’environ 3 milliards d’euros.

Dans le même temps, d’autres personnes auditionnées ont présenté le crédit d’impôt recherche comme un facteur important du développement des petites et moyennes entreprises. À les entendre, il serait, avec la qualité de notre service public, de nos savoir-faire, de notre enseignement, un élément d’attractivité pour investir en France.

Qui doit-on croire ? Je crois que les uns et les autres énoncent une part de la vérité. Ces témoignages contradictoires montrent, en tout cas, qu’il convient de creuser ce sujet du crédit d’impôt recherche, afin d’en garder le meilleur et d’en rejeter le pire.

De manière récurrente, les auditions ont montré que nous étions confrontés à l’internationalisation des systèmes. Je pense que nos deux priorités sont, d’une part, d’affiner la législation fiscale française tout en la simplifiant et, d’autre part, de se doter d’une stratégie volontariste de coopération fiscale entre les États de la zone euro. Nous avons été un certain nombre à le dire dans nos interventions.

Nous devons, en particulier, lutter contre l’abus de droit qui ouvre la porte à l’évasion fiscale légale. Lorsqu’une entreprise réalise son activité à partir de la France et qu’elle doit y être imposée, alors même qu’elle justifie d’un regroupement dans un autre État, il appartient au juge de démontrer que la motivation de l’entreprise à se déclarer en territoire étranger est « exclusivement » d’ordre fiscal. Bien sûr, les entreprises trouvent toujours une bonne raison, un élément propre à démontrer qu’elles ont aussi un autre intérêt à être à l’étranger. Et ce mot « exclusivement » nous prive finalement de toute possibilité d’action ! Il suffirait donc que nous, législateur, retirions le mot « exclusivement » de la loi pour que les juges aient une marge de manœuvre plus importante.

Sur le plan interne, il y a probablement des pistes à explorer pour limiter l’évasion fiscale. Faut-il, par exemple, prévoir l’échelonnement de l’impôt pour les sportifs de haut niveau ? Faut-il envisager un impôt qui prenne en compte la nationalité ? En tout cas, nous aurons beau appeler au patriotisme fiscal en situation de crise, reconnaissons-le, il se trouvera toujours des concitoyens qui échapperont à une taxation.

La moralité a sa place, mais le droit en a une autre. Et le droit, c’est quand même au législateur de le définir.

II convient donc de mettre en place un cadre fiscal et juridique propre à libérer toutes les énergies au service de la croissance française. C’est une évidence, les États dont les impôts ont des assiettes larges avec des taux bas sont moins sujets que la France à l’évasion fiscale. En cette matière, comme dans bien d’autres, je pense que le pragmatisme vaut mieux que la stigmatisation, qui est de nature à diviser les Français.

Une certitude se dégage d’ailleurs à la lecture de ce rapport : un impôt à 75 %, cela nous a été dit au cours des auditions, ne ramènera en aucune manière sur notre territoire ceux qui le fuient pour des raisons fiscales et se contentent d’aller à une heure de Paris ! §

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