Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 3 octobre 2012 à 22h00
Débat sur le fonctionnement la méthodologie et la crédibilité des agences de notation

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je formulerai tout d’abord quelques observations formelles sur le rapport de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation.

En tout état de cause, il serait injuste de ne pas reconnaître qu’un travail très important a été accompli dans le cadre de cette mission. Il a abouti à la mise en avant de propositions tout à fait intéressantes.

Évidemment, nous ne pouvons que partager le regret formulé par la mission : le temps passant, les agences de notation ont pris une importance et joué un rôle sans commune mesure avec leurs moyens et leur raison d’être.

Je me permettrai cependant de souligner en cet instant à quel point, dans le monde actuel, l’information économique nécessite autre chose que les approximations produites par des organismes qui ne disposent pas toujours des compétences, de la profondeur de vue et de champ, ni de la légitimité leur permettant d’être considérés comme parfaitement fiables.

Permettez-moi de rappeler, mes chers collègues, quelques éléments relatifs à la réalité de l’action de ces agences de notation.

Trois entités principales existent aujourd’hui dans le petit monde de la finance occidentale, à savoir Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s. Même si Fitch est considérée comme une agence française depuis que Marc Ladreit de Lacharrière en a pris le contrôle, il n’en demeure pas moins que les trois entités ont des intérêts convergents : outre le fait qu’elles disposent parfois d’actionnaires communs, elles sont bien souvent juges et parties sur les marchés financiers.

Pour présenter le rôle des agences de notation, je ferai une comparaison avec le monde du sport. En réalité, c’est un peu comme si l’un des participants à une compétition sportive s’arrogeait le droit de qualifier le jeu de ses compétiteurs et adversaires sans en référer à l’arbitre !

Cette caractéristique constitue, de fait, l’une des limites objectives de l’indépendance et de la qualité du travail des agences de notation financière. J’observe d’ailleurs que leur travail n’a jamais été autant évoqué que depuis l’été 2008, au moment où les tensions observées sur le segment des subprimes nord-américaines ont entraîné la sérieuse crise de confiance systémique du secteur bancaire, dont nous constatons encore aujourd’hui les effets dévastateurs.

Je note à ce propos l’imagination pour le moins limitée des gouvernements européens en réponse à la crise obligataire créée par l’expansion de titres d’État destinés à rétablir la « confiance » dans le fonctionnement du secteur bancaire. Ils ont développé des politiques d’austérité dont l’inefficacité est chaque jour plus probante.

Les politiques menées sont surtout dangereuses pour les équilibres sociaux, les potentiels productifs, la croissance et la transformation positive d’économies, par trop fondées sur le gaspillage des ressources en sociétés où la satisfaction des besoins collectifs irait de pair avec une intelligence nouvelle dans les rapports que nous entretenons avec l’environnement et sur ce que nous risquons de laisser à ceux qui vivront après nous sur notre bonne vieille Terre !

On le sait, dans les années trente, notamment, les agences de notation ont provoqué des tensions particulières dans certains pays – singulièrement en Grèce –, conduisant des nations à connaître des épisodes historiques douloureux, allant très au-delà de l’appréciation négative portée sur telle ou telle dette dite « souveraine ».

Force est de constater qu’aucune de ces observatrices attentives de la situation des marchés financiers n’a été en mesure, en 2008, de nous aviser de ce qui se tramait au travers de la tension du secteur des prêts immobiliers américains, qui touchait l’ensemble du secteur bancaire, notamment parce que, au cours des dernières décennies, l’ingénierie financière a inventé des véhicules toujours plus sophistiqués, dont les échanges obéissent à des algorithmes de plus en plus précis composés de valeurs associées à des supports fort divers. Cela a eu pour conséquence, entre autres, de « contaminer », par simple dissémination systémique, nombre de transactions financières et de créer une méfiance mutuelle entre les banques.

Les agences de notation ont échoué : elles n’ont vu ni la fragilisation de Lehman Brothers ni le degré de la contamination qui risquait d’affecter l’ensemble des acteurs.

C’est pourtant à ce moment-là que nous avons commencé à entendre parler d’elles, ce qui est tout de même pour le moins stupéfiant. Les Français ont ainsi été abreuvés de « triple A » à satiété, comme si cette notation devenait soudain l’alpha et l’oméga de toute politique économique et budgétaire digne de ce nom.

Nous nous posons par conséquent deux questions.

Premièrement, de quels moyens effectifs les agences de notation disposent-elles pour apporter leur « expertise » sur la situation de tel ou tel pays émetteur de dette publique – remarquons qu’il n’existe guère de pays qui n’ait, par-devers lui, une part de dette publique – ou de telle ou telle entreprise, d’importance d’ailleurs fort variable ?

Deuxièmement, la notation d’un pays par une agence de notation donnée a-t-elle la moindre conséquence sur la réalité de la dette publique, singulièrement sur son amortissement, les conditions de financement, les taux d’intérêt ?

Sur le premier point, force est de constater que nous ne pouvons décemment contester aux experts d’avoir fréquenté les meilleurs établissements et écoles de formation économique. Loin de nous l’idée de mettre en cause la qualité de leur formation initiale.

Mais un problème apparaît. De manière générale, les agences de notation confient à deux analystes la mission de donner une valeur objective à la situation d’un pays ; pour ce faire, ils doivent disposer des moyens, des éléments et des informations nécessaires. À qui va-t-on faire croire que l’on peut confier la tâche d’émettre un avis autorisé sur la situation d’un pays à une équipe composée d’un contrôleur senior et d’un contrôleur junior ? On n’accepterait certainement pas une telle situation pour ce qui concerne la gestion d’une entreprise privée de quelque importance !

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