Séance en hémicycle du 3 octobre 2012 à 22h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • d’intérêt
  • notation
  • note
  • souveraine

La séance

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La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

L’ordre du jour appelle le débat sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation, organisé à la demande de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation.

La parole est à Mme la présidente de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Madame la présidente, monsieur le ministre de l’économie et des finances, mes chers collègues, permettez-moi d’exprimer ma satisfaction de voir se tenir au Sénat, en séance publique et en présence du Gouvernement, un débat sur les agences de notation directement issu des travaux pluralistes de la mission parlementaire que j’ai eu l’honneur et le plaisir de présider. Dans ce lien entre les travaux de contrôle et la séance publique, il y a là une exemplarité, un enchaînement vertueux dont nos concitoyens peuvent se féliciter.

Quelle a été la démarche de notre mission d’information sénatoriale ? Au-delà des passions et des indignations, souvent légitimes, que soulève le sujet des agences de notation, nous avons essayé de poser le bon diagnostic pour apporter des réponses adaptées.

Nous avons ainsi travaillé de manière collégiale en conduisant vingt et une auditions, avec des administrations, des entreprises, des collectivités locales, des économistes, en organisant des déplacements aux États-Unis, à Londres, à Bruxelles, en faisant réaliser une étude comparative sur le marché et la réglementation des agences de notation dans les pays émergents ou les pays de l’OCDE, en obtenant l’accès aux 30 000 pages communiquées par Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch pour leur enregistrement auprès des autorités européennes et, enfin, en mesurant, par sondage, la confiance des investisseurs vis-à-vis de ces agences.

C’est au terme de quatre mois de travail que nous avons ainsi pu poser notre diagnostic, dans un rapport adopté à l’unanimité des groupes politiques.

J’en conviens, ce diagnostic est dérangeant. Nous avons constaté que les agences de notation sont devenues incontournables, sans retour en arrière possible à court terme. L’explication est la suivante : plus le financement par les marchés obligataires croît, plus ces marchés sont mondialisés, plus l’influence des agences de notation se renforce.

Le financement de l’économie passe insensiblement d’un modèle de financement par les banques à un financement par les marchés. C’est le cas depuis longtemps pour l’État qui se finance à 100 % sur les marchés internationaux. Or 65, 4 % des obligations de l’État sont détenues par des non-résidents, dont la moitié environ hors zone euro. Les entreprises se financent elles aussi de plus en plus souvent sur les marchés. Au final, près d’un tiers de la dette obligataire mondiale serait émis en direction de non-résidents.

Quel rôle joue la notation dans ce cadre ? Elle est devenue un « standard » international, harmonisé sur un marché de capitaux qui met en relation plus de 10 000 émetteurs, un million d’obligations, des produits structurés particulièrement complexes, avec des milliers d’investisseurs disséminés partout dans le monde. En France, moins de 10 % des émissions obligataires et seulement trois entreprises du CAC 40 ne sont pas notées. La notation « non sollicitée » de l’État se fait néanmoins avec la participation active de ses services.

Le rôle majeur des agences de notation n’est pas seulement dicté par les marchés financiers. Il a aussi été conforté par les autorités publiques. Ce sont elles qui ont érigé les agences en point de passage obligé pour la communauté financière.

En réaction aux différentes crises du capitalisme, les autorités publiques ont fait appel directement ou indirectement aux notations pour s’assurer de la solidité des actifs des banques et des sociétés d’assurance ainsi que de la réalité des risques pris. On peut citer à titre d’exemple les règles de Bâle ou de Solvabilité II. Ces règles publiques ont érigé les agences de notation en quasi-régulateurs. On relevait par exemple en 1999 aux États-Unis plus de 1 000 références aux notations dans la réglementation relative aux marchés de titres et près de 400 pour les banques.

Les banques centrales ont une responsabilité particulière. Elles font en effet massivement appel aux notations pour apprécier la qualité des actifs que les banques leur apportent en garantie. À la fin de 2011, 75 % des garanties déposés auprès de la Banque centrale européenne étaient admises sur la base d’une notation émise par l’une des trois grandes agences.

Dans ce contexte, se désintoxiquer des agences de notation est un objectif nécessaire, mais cela prendra du temps. Aux États-Unis, nous avons constaté que les initiatives de « désintoxication » sont d’ordre sémantique, tant le recours aux notations est ancré dans leur « culture d’investissement » comme il l’est, désormais, dans celle de l’Europe.

Les solutions alternatives aux notations, par exemple le développement d’une évaluation interne des risques, sont encore peu opérantes. Si l’on a peu confiance dans les agences de notation pour évaluer les risques, on n’a pas davantage confiance dans les modèles internes des banques. La réintégration au sein des régulateurs – dans notre pays, il s’agit pour l’essentiel de la Banque de France – des fonctions qu’ils ont déléguées aux agences de notation sera une œuvre de longue haleine. Ainsi la Banque de France nous a-t-elle indiqué qu’il faudrait des investissements considérables pour disposer d’une capacité d’analyse crédit équivalente à celles des agences de notation, sur l’ensemble des actifs.

Que faire, alors, à court terme ?

Il faut agir pour contrôler l’activité des agences et donc adopter un règlement européen ambitieux. Monsieur le ministre, nous savons que des négociations sont en cours à Bruxelles, mais nous ne voyons pas d’accord se finaliser. Il existe aujourd’hui trois textes européens : un de la Commission, un du Parlement et un du Conseil. Il nous semble que le Gouvernement français peut s’appuyer utilement sur nos propositions et nos priorités pour faire progresser les négociations européennes. D’une manière générale, nous pensons, au Sénat, que le gouvernement français a tout à gagner dans les négociations européennes lorsqu’il s’appuie sur les positions de son Parlement.

Quelles sont nos priorités ? J’en vois deux principales, mais je sais que notre rapporteur, Aymeri de Montesquiou, exposera d’autres pistes développées dans le rapport.

La première priorité est fondamentale. Il s’agit de réduire l’interaction entre les notations de dettes souveraines et le débat démocratique.

Du travail reste à faire du côté des États, bien sûr, pour améliorer la gestion des finances publiques et la transparence de leurs comptes. C’est un chantier bien engagé par le Gouvernement au vu des mesures justes et fortes que contiennent le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale ou de l’annonce par le Président de la République d’une expérimentation de la certification des comptes locaux.

Il faut tout autant fixer une règle de bon comportement aux agences de notation. On ne peut plus tolérer que ces dernières interviennent dans les débats démocratiques, au cœur parfois des échéances électorales, sans crier gare et sans qu’aucune urgence appelle les dégradations qu’elles prononcent ou simplement leurs commentaires. Nos amis grecs, espagnols, italiens ont pâti, non seulement des dégradations de leurs notes respectives, mais aussi des calendriers retenus par les agences pour prendre leurs décisions. Certains observateurs les ont même suspectées d’avoir un agenda caché. Qui plus est, l’écart entre justification de la note par les agences et préconisations d’ordre politique est souvent ténu.

Nous préconisons une mesure très simple, que les agences auraient dû spontanément adopter : sauf bouleversement économique, il faut qu’elles publient à l’avance leur calendrier de notation et s’y tiennent. Il ne s’agit pas pour la puissance publique d’imposer un calendrier et des dates. Il faut simplement que les agences fassent preuve de transparence et annoncent leurs échéances à l’avance.

Qui sait aujourd’hui quand Moody’s ou Standard & Poor’s publieront un nouveau communiqué sur la France ? Personne. Est-ce normal ? Non. Tout le monde, la sphère publique comme les marchés, déteste les surprises des agences de notation. Leur calendrier doit être connu, de manière à éviter une communication « à chaud », au plus mauvais moment. Tous les instituts de conjoncture fonctionnent ainsi, de même que les banques centrales.

Ma seconde priorité est de mettre fin à une situation aberrante. On a délégué aux agences de notation, en leur conférant ce rôle de quasi-régulateur, une mission de service public, mais sans cahier des charges, sans contrôle et sans exigence de résultat. Que dirait-on d’un élu local s’il n’imposait pas de cahier des charges à une entreprise de transport en commun, ne contrôlait pas le service rendu et ne fixait aucune exigence de qualité ? C’est pourtant bien ce qui s’est passé avec les agences de notation.

La réglementation européenne doit être plus exigeante sur la qualité des notations. Nous devons, en particulier, agir sur trois facteurs.

Le premier est la méthodologie. Cette question a longtemps été éludée tant par les législateurs que par les superviseurs ; elle n’a été soulevée que très récemment. Certes, les publications des trois principales agences de notation sont devenues abondantes, mais l’objectif de proposer des explications claires et compréhensibles, fixé par la Commission européenne, est loin d’être atteint. Pour 58 % des investisseurs, la transparence des méthodes est un critère qui qualifie mal les agences de notation. La majorité de ces mêmes investisseurs estiment que les documents publiés sont trop complexes pour être exploitables.

Le sens de l’histoire est d’avancer vers un label de l’Autorité européenne des marchés financiers sur les méthodes des agences. Nous pouvons remarquer que les modèles internes d’évaluation des risques développés par les banques ont tous été validés par les autorités nationales et européennes. On voit mal comment l’évaluation externe du risque effectuée par les agences pourrait durablement échapper à un contrôle des méthodes.

Deuxième facteur : les ressources humaines. Il n’y a pas de bonne notation sans ressources humaines en nombre et en qualité suffisants. Pourtant, la gestion des ressources humaines des agences de notation reste une zone d’ombre. Nous avons constaté, pièces à l’appui, que l’examen du nombre de dossiers par analyste, des qualifications, de la formation continue, de l’ancienneté des analystes n’a pas constitué une priorité au moment de l’enregistrement de Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch en Europe.

Pourtant, les données internes des agences ne sont pas rassurantes. Ainsi, 62 % des analystes affectés à la notation des entreprises avaient moins de cinq années d’ancienneté en 2009-2010 ; ce chiffre s’élève à 71 % chez Fitch. Pour la dette souveraine, 78 % des analystes de Moody’s avaient moins de cinq ans d’ancienneté, dont 30 % qui avaient moins de deux ans d’ancienneté. En ce qui concerne la notation des produits structurés, le pourcentage d’analystes ayant moins de cinq ans d’ancienneté s’élève à 70 % en moyenne. Chez Fitch, 81 % des analystes de produits structurés ont moins de cinq années d’ancienneté.

La politique de formation continue des agences est à leur entière discrétion, sans garantie réelle. Chez Fitch, selon un document de 2009, seulement 14 % des analystes disposaient de la certification externe de Chartered Financial Analyst. Il n’est donc pas étonnant que les banques françaises nous aient écrit que « le nombre croissant d’instruments et d’entreprises à noter par analyste, […] et la multiplication d’erreurs de calcul ou d’interprétations erronées qui en résultent, ont entraîné une dégradation importante de la qualité d’analyse ». Ce sont les banques qui l’écrivent !

Le troisième facteur qui découle de ce constat, c’est la nécessité d’un contrôle renforcé de l’Autorité européenne des marchés financiers. Par rapport au vide constaté jusqu’en 2011, la procédure d’enregistrement des agences de notation constitue un progrès. Des améliorations ont pu être demandées aux trois grandes agences, malgré les lacunes du contrôle opéré sur les ressources humaines.

Cependant, l’Autorité européenne s’est montrée peu exigeante. En effet, elle a enregistré pas moins de dix-sept agences, dont une agence bulgare, qui fait peu d’ombre à Standard & Poor’s…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Par ailleurs, les mécanismes de sanction sont lents : deux ans pour une éventuelle sanction dans le cas de l’erreur de Standard & Poor’s vis-à-vis de la France à l’automne 2011 ! En outre, les sanctions sont faiblement dissuasives.

Nous encourageons vivement l’Autorité européenne des marchés financiers à se saisir de toutes ses prérogatives ; je crois qu’il y a désormais une vraie volonté d’investigation au sein de ses services. Il faut donc que le règlement européen prévoie un arsenal répressif à la hauteur du rôle que jouent désormais les agences de notation sur les marchés financiers.

C’est dans cet esprit que nous avons intitulé notre rapport « Agences de notation : pour une profession réglementée ». Qu’on le veuille ou non, les notations ne sont plus de simples opinions puisqu’elles ont des effets considérables sur les économies et les démocraties. Il faut donc en tirer les conséquences logiques dans une réglementation juste et ambitieuse. §

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour me féliciter de la tenue de ce débat, qui souligne la nécessité d’un dialogue entre le Gouvernement et le Parlement lorsque celui-ci s’est saisi d’un travail de contrôle et d’évaluation aussi important, et même indispensable. Je suis convaincu que ce dialogue nous permettra de formuler des propositions.

Abstraction faite des fantasmes que peut faire naître la passion qui entoure les agences de notation, il apparaît que la situation de ces entreprises n’est pas saine. Pourquoi ? Les agences de notation ne veulent toujours pas admettre que leur statut de simple donneur d’avis a changé. L’impact de leurs décisions sur les marchés est pourtant énorme. Et leurs erreurs, lorsqu’elles se produisent, ont des conséquences considérables.

Malheureusement, la liste de ces erreurs tend à s’allonger. Un des fiascos les plus retentissants en matière de notation a résidé dans l’incapacité des agences à prévoir la faillite de Lehman Brothers. Rappelons-nous que, quelques jours avant sa faillite, le 15 septembre 2008, Lehman Brothers, cinquième banque d’affaires américaine, était notée en catégorie « investissement » par les trois grandes agences de notation. Souvenons-nous également des subprimes, d'abord cotées unanimement triple A avant d’être considérées comme des junk bonds quelques mois plus tard, et entraînant alors une catastrophe économique et sociale aux États-Unis ainsi qu’un très fort traumatisme dans les banques de très nombreux pays.

N’oublions pas non plus l’incapacité des agences à détecter les fraudes chez Enron ou Parmalat. Standard & Poor’s a d’ailleurs été condamnée en Italie pour ses erreurs dans l’affaire Parmalat.

De semblables dysfonctionnements ont été constatés pour les notations des dettes souveraines. S'agissant de la Grèce, par exemple, les agences ont péché par excès d’optimisme, et même par aveuglement, pendant les années 2000, ce qui les a contraintes, une fois la crise déclarée, à dégrader brutalement leurs notations, avec pour conséquence une nouvelle aggravation des difficultés du pays.

Enfin, le scandale des emprunts structurés, avec de fortes collusions entre les agences de notation et les banques qui confectionnaient et proposaient ces produits, a souligné la nécessité d’une forte évolution de la réglementation publique.

Dès lors que les notes ne sont plus de simples opinions, qu’elles révèlent le pouvoir majeur des agences de notation sur le marché, que leurs erreurs sont lourdes de conséquences, un vrai régime de responsabilité civile s’avère nécessaire. Pas de pouvoir sans responsabilité !

Comment expliquer que, l’affaire Parmalat mise à part, aucun procès en responsabilité intenté aux agences de notation n’ait abouti à des condamnations, alors même que des fautes étaient avérées ? Tout simplement parce que le droit ne le permet pas. Nous avons une amorce de responsabilité en France, mais certaines agences de notation – je pense à Moody’s – s’efforcent d’imposer aux émetteurs français, notamment aux collectivités locales, de recourir à des contrats de droit anglais dans une tentative de « délocalisation par le droit ».

Le règlement européen en cours de discussion doit donc absolument conduire à une harmonisation européenne autour d’un vrai régime de responsabilité. C’est un point central, sur lequel nous alertons le Gouvernement. Les principes de ce régime de responsabilité seraient simples. Comme les clauses exonératoires, les clauses limitant le montant des dommages et intérêts doivent être interdites. Et quand un investisseur présente des éléments laissant présumer qu’une agence a commis une faute, il doit revenir à l’agence d’apporter la preuve contraire. C’est ce que l’on appelle l’inversion de la charge de la preuve.

Pourquoi inverser la charge de la preuve, monsieur le ministre ? Tout simplement parce que, désormais, grâce à un suivi systématique de leur processus de notation imposé par la régulation européenne, les agences de notation devraient être en mesure de justifier de la qualité de leur travail, alors que les émetteurs ou investisseurs lésés n’ont, par définition, pas accès aux données internes des agences.

Ce système supposerait que les agences de notation puissent faire face à d’éventuels contentieux, compte tenu du risque de condamnation. Un capital réglementaire minimal devrait donc être fixé par les autorités européennes, avec la souscription d’une assurance « responsabilité civile professionnelle » obligatoire.

La relation entre les émetteurs – ceux qui sont notés – et les agences de notation n’est pas saine non plus. Entreprises et collectivités locales se plaignent de la position dominante des agences. Par exemple, au début de l’année 2012, douze des plus grandes entreprises allemandes ont adressé un courrier à Standard & Poor’s, dans lequel elles critiquaient le doublement des tarifs par rapport aux années précédentes.

Les entreprises françaises dénoncent, quant à elles, des distorsions de notation par rapport à leurs concurrentes, notamment américaines, avec en particulier un biais favorable aux normes comptables US GAAP. C’est ainsi qu’EADS a dû faire appel à un conseil en notation pour rétablir sa note, injustement fixée à BBB+, alors que Boeing bénéficiait d’un A+.

Pour assainir la relation entre émetteurs et agences, il faut imposer la transparence des frais payés et autoriser un « droit de réponse » des émetteurs sur leur note.

Les conflits d’intérêts posent également problème. Bien sûr, les conflits d’intérêts liés à la collusion entre banques et agences en matière de produits structurés sont désormais mieux surveillés, mais, dans ce domaine, rien ne changera vraiment si l’on ne change pas le modèle économique lui-même. Pour les produits structurés, nous devons passer à un modèle investisseur-payeur.

Enfin, la situation du marché de la notation est profondément aberrante. Le duopole constitué au niveau mondial par Standard & Poor’s et Moody’s est à l’origine d’une importante rente de situation. Elle permet à ces entreprises d’imposer aux émetteurs des tarifs extrêmement élevés si on les rapporte au nombre d’heures de travail effectives accomplies par les analystes pour chaque notation. Les barrières à l’entrée du marché de la notation sont difficiles à franchir. Or 64 % des investisseurs que nous avons interrogés demandent plus de concurrence, 25 % déclarant même en souhaiter « beaucoup plus ». Notre rapport suggère que les autorités nationales et européennes de la concurrence aient à vérifier que les trois grandes agences n’abusent pas de leur position dominante.

Nous appelons donc les autorités européennes à construire une stratégie pour faire face au quasi-duopole de Standard & Poor’s et Moody’s. Cependant, gardons-nous d’idées inopérantes car inefficaces. Ainsi, la stratégie actuelle des autorités européennes, qui consiste à privilégier la concurrence par de « petites agences », n’est pas convaincante dans la mesure où elle repose sur le mythe du renforcement mécanique de la concurrence.

Mme la présidente l’a rappelé, les autorités européennes ont enregistré des « petites agences » en nombre mais, comme il est peu vraisemblable que les émetteurs fassent spontanément appel à ces « petites agences » manquant d’expérience et de personnel qualifié, la Commission européenne propose désormais une mesure qui serait de nature à leur faciliter l’accès au marché : la rotation des agences, sur le modèle de ce qui existe pour les commissaires aux comptes. Cependant, le marché de la notation n’est pas celui du commissariat aux comptes, sur lequel cette pratique, ainsi que celle du co-commissariat, ont été introduites avec succès. En réalité, il y a peu à attendre de ce type de mesure : l’efficacité de la rotation de deux ou trois agences serait illusoire car dérisoire.

De la même manière, la création d’une agence publique européenne est une piste peu susceptible de prospérer dans le contexte actuel. Il est vrai que, sur le plan théorique, dès lors que l’on considère que la notation présente les caractéristiques d’un « bien public », la création d’une agence publique européenne est pleinement justifiée. Moody’s a également soutenu la validité de cette idée. On pourrait imaginer le financement d’une agence publique par une taxe affectée, et opter pour une forme juridique appropriée – celle de la fondation – afin d’éviter les conflits d’intérêts.

Cependant, dans le contexte actuel, marqué par la crise de la dette souveraine, la création par les États de ce qui serait considéré comme « leur agence », exprimant donc « leur voix », susciterait un fort soupçon de la part des marchés. En outre, pour jouer un rôle mondial, cette agence devrait obtenir l’accréditation de la SEC, la Securities and Exchange Commission américaine.

C’est pourquoi nous proposons dans notre rapport d’autres pistes que la création d’une agence publique.

D’abord, il faut présenter des alternatives aux notations des agences. Certaines banques centrales, à commencer par la Banque de France, mais aussi les banques centrales d’Allemagne, d’Autriche et d’Espagne, ont développé leur propre cotation des entreprises. La Banque de France est devenue une réelle agence de notation, car elle note environ 260 000 entreprises françaises. La Banque centrale européenne note les États. Malgré les réticences des banques centrales, il nous semble que la publication de ces notes devrait être envisagée, notamment si, à terme, des PME n’ayant pas nécessairement les moyens de payer leur notation devaient se tourner vers le marché obligataire.

Pourquoi ne pas envisager également que les banques commerciales, qui évaluent elles aussi le risque de crédit de leurs clients, en utilisant des modèles internes, communiquent leurs notes à un organisme public européen, qui serait chargé de les agréger afin de publier un indicateur synthétique ?

Par ailleurs, il n’est pas admissible que l’Europe, première puissance économique du monde, ne puisse faire entendre sa voix singulière et laisse l’univers de la notation aux seules agences américaines.

Nous devons prendre en compte l’impact politique que peuvent avoir des décisions de nature économique. Il est donc indispensable de faire émerger un grand acteur de la notation. Cela permettrait aux émetteurs européens d’être notés par une agence partageant avec eux les mêmes codes et d’éviter ainsi les biais susceptibles d’exister chez les agences d’origine anglo-saxonne.

Nous proposons donc que la Commission européenne lance un appel à projets pour encourager une ou plusieurs initiatives privées tendant à la création d’une nouvelle agence européenne de taille mondiale, comme elle le fait fréquemment dans le domaine de la recherche et du développement.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Au terme de cet appel à projets, le ou les opérateurs privés européens retenus pourraient bénéficier du label de la Commission et d’un financement dédié au développement d’innovations en matière de méthodologie. Cette proposition est de nature à faire émerger le grand acteur européen de la notation qui nous manque. Notre mission commune d’information le souhaite, car il traduirait une volonté d’intégration économique et financière plus forte.

Monsieur le ministre, ayons à l’esprit cette affirmation de Talleyrand : « Les financiers ne font bien leurs affaires que lorsque l’État les fait mal. »

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je formulerai tout d’abord quelques observations formelles sur le rapport de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation.

En tout état de cause, il serait injuste de ne pas reconnaître qu’un travail très important a été accompli dans le cadre de cette mission. Il a abouti à la mise en avant de propositions tout à fait intéressantes.

Évidemment, nous ne pouvons que partager le regret formulé par la mission : le temps passant, les agences de notation ont pris une importance et joué un rôle sans commune mesure avec leurs moyens et leur raison d’être.

Je me permettrai cependant de souligner en cet instant à quel point, dans le monde actuel, l’information économique nécessite autre chose que les approximations produites par des organismes qui ne disposent pas toujours des compétences, de la profondeur de vue et de champ, ni de la légitimité leur permettant d’être considérés comme parfaitement fiables.

Permettez-moi de rappeler, mes chers collègues, quelques éléments relatifs à la réalité de l’action de ces agences de notation.

Trois entités principales existent aujourd’hui dans le petit monde de la finance occidentale, à savoir Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s. Même si Fitch est considérée comme une agence française depuis que Marc Ladreit de Lacharrière en a pris le contrôle, il n’en demeure pas moins que les trois entités ont des intérêts convergents : outre le fait qu’elles disposent parfois d’actionnaires communs, elles sont bien souvent juges et parties sur les marchés financiers.

Pour présenter le rôle des agences de notation, je ferai une comparaison avec le monde du sport. En réalité, c’est un peu comme si l’un des participants à une compétition sportive s’arrogeait le droit de qualifier le jeu de ses compétiteurs et adversaires sans en référer à l’arbitre !

Cette caractéristique constitue, de fait, l’une des limites objectives de l’indépendance et de la qualité du travail des agences de notation financière. J’observe d’ailleurs que leur travail n’a jamais été autant évoqué que depuis l’été 2008, au moment où les tensions observées sur le segment des subprimes nord-américaines ont entraîné la sérieuse crise de confiance systémique du secteur bancaire, dont nous constatons encore aujourd’hui les effets dévastateurs.

Je note à ce propos l’imagination pour le moins limitée des gouvernements européens en réponse à la crise obligataire créée par l’expansion de titres d’État destinés à rétablir la « confiance » dans le fonctionnement du secteur bancaire. Ils ont développé des politiques d’austérité dont l’inefficacité est chaque jour plus probante.

Les politiques menées sont surtout dangereuses pour les équilibres sociaux, les potentiels productifs, la croissance et la transformation positive d’économies, par trop fondées sur le gaspillage des ressources en sociétés où la satisfaction des besoins collectifs irait de pair avec une intelligence nouvelle dans les rapports que nous entretenons avec l’environnement et sur ce que nous risquons de laisser à ceux qui vivront après nous sur notre bonne vieille Terre !

On le sait, dans les années trente, notamment, les agences de notation ont provoqué des tensions particulières dans certains pays – singulièrement en Grèce –, conduisant des nations à connaître des épisodes historiques douloureux, allant très au-delà de l’appréciation négative portée sur telle ou telle dette dite « souveraine ».

Force est de constater qu’aucune de ces observatrices attentives de la situation des marchés financiers n’a été en mesure, en 2008, de nous aviser de ce qui se tramait au travers de la tension du secteur des prêts immobiliers américains, qui touchait l’ensemble du secteur bancaire, notamment parce que, au cours des dernières décennies, l’ingénierie financière a inventé des véhicules toujours plus sophistiqués, dont les échanges obéissent à des algorithmes de plus en plus précis composés de valeurs associées à des supports fort divers. Cela a eu pour conséquence, entre autres, de « contaminer », par simple dissémination systémique, nombre de transactions financières et de créer une méfiance mutuelle entre les banques.

Les agences de notation ont échoué : elles n’ont vu ni la fragilisation de Lehman Brothers ni le degré de la contamination qui risquait d’affecter l’ensemble des acteurs.

C’est pourtant à ce moment-là que nous avons commencé à entendre parler d’elles, ce qui est tout de même pour le moins stupéfiant. Les Français ont ainsi été abreuvés de « triple A » à satiété, comme si cette notation devenait soudain l’alpha et l’oméga de toute politique économique et budgétaire digne de ce nom.

Nous nous posons par conséquent deux questions.

Premièrement, de quels moyens effectifs les agences de notation disposent-elles pour apporter leur « expertise » sur la situation de tel ou tel pays émetteur de dette publique – remarquons qu’il n’existe guère de pays qui n’ait, par-devers lui, une part de dette publique – ou de telle ou telle entreprise, d’importance d’ailleurs fort variable ?

Deuxièmement, la notation d’un pays par une agence de notation donnée a-t-elle la moindre conséquence sur la réalité de la dette publique, singulièrement sur son amortissement, les conditions de financement, les taux d’intérêt ?

Sur le premier point, force est de constater que nous ne pouvons décemment contester aux experts d’avoir fréquenté les meilleurs établissements et écoles de formation économique. Loin de nous l’idée de mettre en cause la qualité de leur formation initiale.

Mais un problème apparaît. De manière générale, les agences de notation confient à deux analystes la mission de donner une valeur objective à la situation d’un pays ; pour ce faire, ils doivent disposer des moyens, des éléments et des informations nécessaires. À qui va-t-on faire croire que l’on peut confier la tâche d’émettre un avis autorisé sur la situation d’un pays à une équipe composée d’un contrôleur senior et d’un contrôleur junior ? On n’accepterait certainement pas une telle situation pour ce qui concerne la gestion d’une entreprise privée de quelque importance !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

J’en viens à la question de la valeur accordée à la notation des agences par rapport à la situation de tel ou tel pays. À ce propos, souvenons-nous que le maintien du triple A était apparu à la France comme un objectif prioritaire de sa politique budgétaire. Nous pourrions le comprendre, puisque notre pays émet près de 200 milliards d’euros de titres de dette publique par an. Mais nous pouvons aisément rétorquer que certains pays, dont la notation est moins bonne ou dont la dette publique, rapportée au produit intérieur brut, est plus élevée qu’en France, ont une dette publique moins coûteuse, ne serait-ce que parce les taux d’intérêt qui grèvent les émissions obligataires sont moins élevés.

D’ailleurs, la France a fait une expérience intéressante : la notation de la dette publique a perdu le triple A – l’agence Fitch s’est cependant refusée à le retirer à notre pays – au moment même où les plus récentes émissions étaient grevées de taux d’intérêt plus faibles. Mes chers collègues, nous en sommes même arrivés à constater que nous pouvions émettre aujourd’hui des bons du Trésor de court terme assortis d’un taux d’intérêt négatif. Ainsi, le 20 septembre dernier, l’Agence France Trésor a émis des bons à deux ans assortis d’un taux d’intérêt de 0, 75 %, après que des bons sur formules ont été émis au mois de juillet à un taux négatif.

Une telle situation a une origine fort simple. La dette publique française est particulièrement bien jugée sur la planète finance et certains investisseurs préfèrent souscrire et sur-souscrire les titres de cette dette pour être certains d’en tirer au moins un petit rendement. Ainsi, cet été, un grand établissement suisse est intervenu pour tirer vers le bas le taux d’intérêt de la dette publique française de court terme.

Pour autant, comme chacun sait, dans un contexte global de dépression et de déflation, un taux d’intérêt, même faiblement positif, est un taux réel encore élevé. Si nos taux d’intérêt sont aujourd’hui moins élevés, c’est parce que certains opérateurs et investisseurs, nonobstant l’avis des agences de notation, se positionnent en fonction des risques présumés encourus à placer leur argent dans tel ou tel pays.

Ces observations ne règlent qu’en partie les questions posées par l’activité des agences de notation. Nous devons désormais consacrer quelques instants à nous demander si nous ne pourrions pas faire tout simplement autrement.

La mission commune d’information a formulé un certain nombre de propositions, celle de confier une bonne part du contrôle de l’activité des agences de notation à la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers n’étant pas la moindre.

Selon nous, il ne serait aucunement malvenu, si tant est que la notation des émissions obligataires des États, des entreprises, des collectivités locales ou des organismes sociaux ait un sens et une utilité, de réfléchir à un outil de notation plus directement indépendant des acteurs des marchés financiers.

De ce point de vue, on ne peut oublier que la France est dotée d’un tel outil, puisque la Banque de France dispose, avec sa division « cotations », d’un ensemble d’outils d’évaluation parfaitement éprouvé, dont l’indépendance est tout simplement garantie. Elle évalue aujourd'hui 250 000 entreprises.

Ce fait a deux raisons fort simples : d’une part, la loi de 1993 relative au statut de la Banque de France et à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, que nous n’avions pas approuvée à l’époque, a indéniablement établi cette caractéristique fondamentale de notre banque centrale, situation très différente de celle des agences de notation, toutes rattachées par des liens capitalistiques à des groupes ou sociétés cotés ; d’autre part, aux termes de leurs statuts, les agents de la Banque de France voient leur indépendance garantie par leur mode de recrutement.

Par conséquent, notre banque centrale, comme probablement celles d’autres pays européens, dispose des hommes, des femmes et des outils les plus adéquats pour mener à bien une démarche neutre et objective de notation des émissions publiques comme privées.

Au moment même où le gouverneur de la Banque de France entend mettre en œuvre un plan de restructuration des activités de son institution conduisant à la disparition de 2 500 postes de travail, cette situation doit nous interpeller et nous amener à exiger qu’une orientation nouvelle et différente soit imprimée à notre institution bancaire centrale. Pour peu que les critères de notation soient nettement moins sujets aux aléas d’une conjoncture boursière et spéculative particulièrement changeante, les conditions générales de financement de l’économie et donc de la croissance et de l’emploi pourraient probablement être différentes.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, telles sont les observations dont nous voulions vous faire part. §

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule de mon exposé, je souhaite féliciter chaleureusement nos collègues Frédérique Espagnac et Aymeri de Montesquiou du travail qu’ils ont effectué au sein de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation.

Alors que les agences de notation existaient depuis un siècle, ce n’est qu’en 2008, avec la crise des subprimes, que l’on a pris conscience de leur réalité. On doit cependant aujourd'hui se demander si elles sont utiles. À cette question, je réponds « oui ! »

Imaginons que je sois un chef d’entreprise ayant besoin d’emprunter. Si je m’adresse au Crédit agricole, je vais forcément trouver un fondé de pouvoir capable d’analyser la santé de ma société, pour savoir si je pourrai rembourser mon emprunt.

En revanche, si je me tourne vers le marché obligataire, ce qui est aussi une possibilité, dont les bailleurs de fonds viennent des États-Unis, du Japon, des pays du Golfe ou de Suisse, les agences de notation sont bien évidemment utiles. Mais sont-elles crédibles ? Je réponds « Non » de façon catégorique, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, leurs analystes font preuve d’un assez grand amateurisme. Ils reconnaissent commettre beaucoup d’erreurs et se laissent même aller à des errements. D'ailleurs, ceux que j’ai pu rencontrer, en tant que membre de la mission, étaient généralement cravatés comme des notaires de province, toujours au garde-à-vous devant leurs chefs. En définitive, ils me faisaient penser à ces plantes de serre, qui ont un très bel aspect, comme chacun sait, mais ne résistent pas à la gelée. Or, en l’occurrence, on aurait plutôt besoin de chênes de plein vent capables de résister aux tempêtes !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Ensuite, il existe trois agences – je passerai bien entendu sous silence une fantomatique agence bulgare –, qui sont toutes américaines. On peut quelque peu douter de leur objectivité !

Je souscris à la proposition visant à créer une agence européenne. Encore faudra-t-il s’assurer, monsieur le ministre, que celle-ci n’est pas rachetée au bout de quelques mois par une agence américaine.

Même si je présente à cette heure le problème d’une manière quelque peu détachée, j’ai envie de pousser un gros coup de gueule, en citant un cas précis. Car je suis scandalisé, au sens profond du terme : j’ai appris cette après-midi que le Crédit immobilier de France allait disparaître, …

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

… alors que cet établissement a tellement fait pour ceux qui voulaient accéder à la propriété et ne pouvaient obtenir un prêt de la part d’une autre banque.

Cet organisme possède des fonds propres à hauteur de 2, 4 milliards d'euros, somme, qui, vous en conviendrez, mes chers collègues, ne se trouve pas sous le pas d’un cheval.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Tout à fait, mon cher collègue ! Ses bénéfices ont atteint plus de 70 millions d'euros en 2011 et 37 millions d’euros pour le premier trimestre de 2012. Or, sous prétexte que l’agence américaine Moody’s l’a dégradé, il sera amené à disparaître !

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Il faut sévèrement sanctionner ces gens pour les errements qu’ils commettent, car, malheureusement, s’ils font partie d’une économie virtuelle, leurs décisions ont des conséquences profondes sur l’économie réelle et la vie des populations.

Monsieur le ministre, sachez que je n’ai rien d’un boutefeu.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la crise financière et la récession induite que traverse le monde depuis l’effondrement des subprimes sur le marché américain, intervenu en juillet 2007, ne cesse de défrayer l’actualité économique et sociale, tandis qu’une rémission ne se dessine toujours pas à l’horizon.

Ce contexte, d’une gravité exceptionnelle, a mis en lumière auprès du grand public le rôle des agences de notation, suscitant une psychose collective liée à la perte du fameux « triple A ». Ces institutions privées, dont la mission principale consiste à évaluer le risque de crédit, c'est-à-dire le risque de défaut d’un émetteur sur ses dettes financières, apparaissent comme des acteurs incontournables, à défaut d’être légitimes.

On estime aujourd’hui qu’il existe environ 130 agences de notation financière dans le monde, mais nous avons affaire en vérité à un secteur très largement oligopolistique. Pour preuve, Standard & Poor’s et Moody’s contrôlent à elles seules environ 80 % du marché ; Fitch en possède, quant à elle, 15 %. L’agence chinoise Dagong est encore bien trop faible pour les concurrencer.

Ces organismes privés sont tous situés aux États-Unis, à New York. Par conséquent, ils portent une conception occidentale, et plus encore anglo-saxonne, de l’économie.

L’Europe continentale, dont l’histoire économique s’est davantage illustrée par un développement manufacturier que par l’essor d’une industrie financière, ne possède, à ce stade, aucun acteur équivalent. Les projets du français Coface ou de l’allemand Roland Berger n’ont pas abouti, tendant à souligner l’existence de réels blocages et à accentuer un sentiment « d’entre soi », fort commode pour les bénéficiaires.

D’où la question de la légitimité de ces agences, eu égard aux responsabilités qu’elles font peser sur le monde et aux conséquences directes et souvent dramatiques qu’elles ont sur l’économie réelle.

Cette omnipotence reste un défi majeur, surtout lorsque la méthodologie adoptée pose problème. Plus grave encore, le fonctionnement de ces agences est loin de faire l’unanimité. Néanmoins, c’est surtout pour ce qui concerne leur crédibilité qu’il nous faut bâtir un contrôle démocratique.

J’évoquerai donc, tout d'abord, la méthodologie des agences. Les grilles de notation de ces dernières, par exemple, font très largement débat. En effet, si les États-Unis, le Japon et la France ont perdu le triple A, ces États continuent à emprunter à des taux relativement bas sur les marchés. De même, l’Allemagne, meilleur élève économique de la zone euro, est placée sous surveillance.

Il apparaît donc qu’une vision anglo-saxonne de la finance est trop privilégiée par des acteurs dont la légitimité est assez discutable.

Dans cette perspective, le développement des CDS, les contrats d’assurance sur les titres souverains, a accentué le rôle trouble et néfaste joué par le système de notation.

Le CDS est un produit financier dérivé qui n’est soumis à aucun contrôle public. Inventé en pleine période de dérégulation, il doit permettre au détenteur d’une créance de se faire indemniser par le vendeur de CDS au cas où l’émetteur d’une obligation, c'est-à-dire l’emprunteur, fait défaut, qu’il s’agisse d’un pouvoir public ou d’une institution privée. On comprend dès lors que la dégradation des notes, qui mine la dette souveraine des États, joue en faveur des spéculateurs.

Enfin, l’indépendance des agences est fortement compromise par le système dit « émetteur-payeur ».

Initialement, les personnes souhaitant obtenir la notation d’un investissement étaient généralement celles qui payaient cette dernière. On parlait alors d’un modèle « investisseur-payeur ». En 2011, seulement 10 % du chiffre d’affaires des agences de notation provenait des détenteurs de fonds qui voulaient connaître la validité, le risque et la rentabilité potentielle de tel ou tel investissement, placement ou avance de fonds. Progressivement, les agences de notation ont commencé à facturer les émetteurs pour l’obtention de leur propre notation, d’où des risques très forts de conflits d’intérêts.

On se souvient que le groupe Vivendi Universal a fait faillite deux semaines après avoir été estampillé « AAA ». En 2008, la banque d’investissement Lehman Brothers bénéficiait encore de cette même notation à la veille de son effondrement. Un tel fonctionnement ne peut être accepté si l’on veut refonder sur des bases durables une économie saine, qui aura à cœur de replacer l’homme au centre de sa raison d’être.

J’en viens maintenant au fonctionnement des établissements. L’opacité relative de ces derniers est loin de faire l’unanimité parmi les acteurs économiques. Les politiques tarifaires pratiquées illustrent ce phénomène.

Ainsi, au mois d’août 2012, la fédération allemande du secteur bancaire a envoyé une missive à la plus grande agence, Standard & Poor’s, pour lui faire connaître son désaccord sur le sujet. Ce geste intervenait quelques mois seulement après la grogne de grandes entreprises d’outre-Rhin, comme Lufthansa, Volkswagen et Siemens. « Dans beaucoup de cas, les nouvelles factures des services de notation de Standard & Poor’s sont en considérable augmentation par rapport aux années précédentes », incrimine cette lettre. Les banques allemandes concernées n’ont pas pu constater que ces hausses de prix étaient le résultat de services de meilleure qualité.

L’organisation, qui rassemble les fédérations des banques publiques, privées, mutualistes et des caisses d’épargne, veut plus de transparence sur les prix. Elle a également alerté le superviseur européen du secteur bancaire, chargé aussi des agences de notation : « Ces critiques ne visent pas que Standard & Poor’s mais aussi les autres grandes agences de notation financière qui sont en situation d’oligopole. » Cet exemple illustre parfaitement les graves défaillances du système actuel, dont nous ne sommes pas en mesure de maîtriser la dynamique infernale et incontrôlable.

Enfin, j’en viens à la crédibilité de ces organismes privés, qui, je vous le rappelle, mes chers collègues, alors même qu’ils ne disposent d’aucun contre-pouvoir, se prononcent sur des pans entiers de l’économie, publics ou privés.

Il faut bien comprendre que la perte d’un ou de plusieurs crans de la notation a potentiellement des conséquences désastreuses sur l’emploi. En somme, un petit nombre d’« experts » mus par la cupidité dispose, indirectement, de la vie de millions de travailleurs, sans réel contrôle démocratique.

Cette situation reste dangereuse, dans la mesure où l’on veut éviter de susciter une nouvelle crise systémique à l’échelle planétaire. Il faut donc que l’Europe se dote de ses propres instruments de contrôle, efficaces, crédibles et légitimes.

À ce titre, il faut renforcer les trois nouvelles autorités de supervision européennes instaurées pour constituer le Système européen de surveillance financière : l’Autorité européenne des marchés financiers ; l’Autorité bancaire européenne ; l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles.

La mise en place d’outils réellement légitimes et transparents à l’échelle du continent est encouragée par les écologistes, dans la mesure où ces instruments mènent à un approfondissement de l’intégration européenne.

Pour conclure, monsieur le ministre, nous disons oui au contrôle démocratique, oui à l’Europe, oui au TSCG !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en tant que vice-présidente de la mission, j’ai activement participé à ses travaux d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation. Je me suis même passionnée pour ces sujets.

Je veux d'ailleurs de nouveau féliciter la présidente et le rapporteur de l’important et agréable travail collégial qui a été réalisé pendant quatre mois et a abouti à un rapport très consensuel, adopté à l’unanimité des membres de la mission. À ce stade, je veux le dire, je souscris au diagnostic et aux propositions formulées, et cela sans aucune réserve.

Je me félicite d’avoir œuvré plus particulièrement en faveur de l’adoption de deux propositions : tout d’abord, l’obligation pour les agences de respecter un calendrier de publication des notes souveraines à date fixe, afin d’éviter la volatilité des notations et les interactions à chaud avec les marchés et d’atténuer les interfaces des notes avec les échéances démocratiques des États ; ensuite, l’obligation de souscrire une assurance civile professionnelle pour permettre aux agences de faire face à leurs responsabilités.

Cela étant rappelé, je voudrais vous faire part d’une analyse plus personnelle de ce dossier et vous faire partager mes convictions, en examinant successivement l’influence des agences, que je qualifierai de démesurée, leur responsabilité, notamment dans la crise, et les moyens de les recadrer, pour qu’elles occupent la place qui doit être la leur.

J’évoquerai donc, tout d'abord, l’influence démesurée des agences et leur responsabilité, en particulier dans la crise.

Tout le monde le sait, avec la mondialisation de la finance, le poids et les profits des agences se sont accrus de façon spectaculaire. En quarante ans, nous avons assisté à des bouleversements importants dans la sphère financière, notamment la libéralisation des mouvements de capitaux, l’accroissement rapide des besoins de financement des États et le développement de la titrisation.

La notation financière s’est imposée comme une réalité incontournable dans l’évaluation du risque crédit et dans le fonctionnement même des marchés financiers, avec, je le répète après d’autres, une situation oligopolistique de trois agences. Celles-ci, toutes de philosophie anglo-saxonne, concentrent plus de 90 % des parts de marché, avec un modèle économique fondé sur le principe de l’émetteur-payeur, qui leur donne un rôle de quasi-régulateur. Car c’est là, me semble-t-il, le fond du problème.

La mission que nous avons conduite a mis en lumière les faiblesses de ces agences, et donc les limites de la notation financière, pointant l’opacité des méthodologies et des processus de notation, leur manque d’anticipation, leurs insuffisances en matière de réactivité, leur légèreté parfois, leurs erreurs, je dirais même leur aveuglement, voire leur incompétence.

Je ne pense pas que les agences de notation soient responsables de la crise financière. Toutefois, celle-ci a incontestablement révélé les insuffisances de leurs méthodes et de leurs objectifs. On peut même dire que leur rôle a souvent amplifié et légitimé les crises spéculatives, car, disons-le, elles ont favorisé la spéculation.

Depuis le début de la crise de l’endettement public, on peut tout particulièrement observer les effets amplificateurs des décisions qu’elles ont prises. On parle même de « procyclicité ». Chaque fois qu’une agence signifie un risque d’insolvabilité, elle justifie a posteriori une position spéculative. Or, nous le savons, en économie, les prophéties auto-réalisatrices caractérisent les marchés financiers.

Les agences considèrent, quant à elles, qu’elles ne font qu’émettre une simple opinion, qui n’est assimilable ni à une recommandation d’investissement, ni à un conseil, ni à un audit, ni encore à une certification.

Toutefois, leur influence est considérable, car la puissance publique elle-même leur a conféré un statut d’auxiliaire du service public. Les notations qu’elles distribuent servent de référence à toutes les institutions internationales. Les normes de Bâle III et la directive Solvabilité II y font notamment référence.

Avec les trois lettres A, B et C, les agences font trembler la planète finance tout entière. Or une erreur d’appréciation peut contribuer à déstabiliser l’économie d’une région du monde. Les intérêts supérieurs d’une nation peuvent être mis en jeu et le pouvoir politique ne peut donc, selon moi, se désintéresser de cette question. Il doit tout entreprendre pour sauvegarder les intérêts fondamentaux du pays.

C’est la raison pour laquelle il faut recadrer la notation financière et la remettre à la place qui doit être la sienne, en redonnant aux agences leur véritable caractère de prestataire de services et non pas d’organisme habilité à certifier les notes.

Comment y parvenir ?

Le pouvoir actuel des agences de notation n’est pas sain – j’avais écrit ce terme dans mon discours avant même que le rapporteur ne le prononce à la tribune !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Cher collègue François Fortassin, je partage votre coup de colère, bien ciblé. Vos propos sur la notation des établissements bancaires se rapportent à la dette souveraine et non à la dette privée, car il existe véritablement une corrélation dans la manière de noter les États et les établissements bancaires. Pourtant, on ne peut pas tout mettre dans le même panier ! Il n’est pas possible de noter de la même façon les produits structurés, le corporate, les entreprises et le souverain.

Il faut donc que les agences retrouvent leur véritable caractère de prestataire de services. Pour ce faire, il convient de mettre fin au principe de l’émetteur-payeur, qui a brisé tout le système, et revenir à celui de l’investisseur-payeur. Si vous êtes dans une relation de conseil à l’investisseur, vous agissez en tant que prestataire de services, ce qui évite toute ambiguïté. Du reste, cela aura des conséquences positives sur la question complexe du régime de responsabilité des agences, car on déplore malheureusement aujourd'hui une absence de relations contractuelles entre ces dernières et les investisseurs.

Il faut d’ailleurs noter, comme l’a d’ailleurs fait M. le rapporteur, que le modèle de l’investisseur abonné payeur existe ; mais il n’est le fait que des très petites agences de notation. Il est très clair que le paiement de la notation par les entités notées est une source potentielle de conflits d’intérêts entre émetteurs et agences de notation. Ce n’est pas raisonnable ! Et que l’on ne me dise pas que c’est une histoire de photocopieuses ! Les agences de notation savaient parfaitement ce qu’elles faisaient en passant du système de l’investisseur-payeur à celui de l’émetteur-payeur.

Quant à la question de la légitimité des agences de notation de noter la dette souveraine, à mes yeux primordiale, elle ne se pose que depuis 2009. La place croissante des facteurs politiques dans l’analyse des agences est tout simplement insupportable. On ne peut pas laisser faire cela !

La notation de la dette souveraine doit obéir à des critères qui diffèrent, pour partie, de ceux qui sont retenus pour la notation de la dette privée. En effet, les États ont la possibilité de lever l’impôt et d’émettre de la monnaie, ce qui fait d’eux, a priori, des débiteurs beaucoup plus sûrs que les débiteurs privés. Toutefois, il faut aussi reconnaître que les créanciers ont peu de voies de recours si un État décide de ne plus rembourser sa dette.

La notation doit donc prendre en compte non seulement la capacité financière d’un État à rembourser ses dettes, mais aussi sa détermination à le faire, notamment dans l’hypothèse où un contexte de crise économique rendrait le service de la dette plus difficile à assumer.

La notation doit tenir compte de critères économiques et financiers – tout le monde le comprend –, mais aussi – et c’est là où c’est grave ! – de données politiques et institutionnelles. La croissance stable et régulière, l’évolution des déficits publics et de la dette publique, tout comme la politique monétaire ou la balance des paiements, sont également des données essentielles qu’il faut prendre en considération.

De par la complexité de ces données, leur spécificité, la nécessité de disposer non seulement d’une analyse quantitative, mais aussi d’une appréciation très largement qualitative avant de pouvoir attribuer une note, la méthodologie des agences pour la notation de la dette souveraine ne peut se satisfaire de la grille de notation retenue pour les produits structurés ou le corporate.

Je rappelle que, dans la quasi-totalité des cas, les grands États, dont la France, ne demandent pas la notation. Il s’agit donc de notations non sollicitées.

J’ajoute que le défaut d’un État est très rare et ambigu, car, disons-le clairement, un État n’a pas à rembourser ses dettes ; il les renouvelle dans le temps, ce qui est complètement différent.

La soutenabilité intrinsèque de la dette s’évalue sur un horizon à très long terme et dépend de caractéristiques entièrement politiques. La méthode de validation statistique appliquée aujourd'hui aux notations des entreprises est ici inutilisable.

Les agences se contentent donc de définir des critères subjectifs et hétéroclites, qui ont peu évolué face à la crise de liquidité que nous connaissons. La notation souveraine devient un processus entièrement procyclique et autoréalisateur. Le même phénomène se produit pour les banques, puisque les agences relient étroitement la notation bancaire à la notation souveraine. À cet égard, les propos tenus par mon collègue François Fortassin à propos du Crédit immobilier de France sont tout à fait importants.

Pour ma part, je le répète, je considère que les agences n’ont aucune légitimité scientifique dans la notation souveraine. Eu égard à la charge de travail que cela implique, elles n’ont pas davantage les moyens suffisants pour aller dans ce sens. On sait comment cela se passe ! Deux personnes ne peuvent pas décider, dans un aéroport, par conférence téléphonique, de la note de la France. C’est absolument inacceptable !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Pour ma part, je me battrai constamment contre de tels procédés !

Si l’expertise des agences de notation est indéniable en matière de notation des entreprises – j’en conviens, même si, en fin de compte, tout se régule tout seul ! –, il en va autrement pour la notation souveraine, qui n’est en rien comparable.

La notation souveraine ne saurait relever d’une simple opinion : il faut plutôt procéder à une évaluation des finances publiques spécifique et adaptée, en considérant la structure d’un budget public, en distinguant les dépenses productives et improductives et en évaluant l’efficacité économique des différentes structures fiscales. Je le redis, ce travail ne relève pas du tout des compétences des agences de notation actuelles. La notation en direction des marchés peut être un sous-produit de la programmation à moyen terme des finances publiques. Une telle mission a un caractère public et ne peut être considérée comme une simple opinion parmi d’autres.

Pourtant, les trois grandes agences de notation de culture anglo-saxonne se sont arrogé le droit de juger les États, particulièrement les États européens. Mes chers collègues, soyons très vigilants. Ils notent les vingt-sept États membres de l’Union européenne, alors qu’ils ne délivrent qu’une seule note aux États-Unis ! Pourtant, nous connaissons parfaitement les difficultés que traverse la Californie. Soyons donc très attentifs, car nous sommes beaucoup plus fragiles que les autres sur ces questions. Cette affaire est très grave.

En outre, ne perdons pas de vue le fait qu’il y a évidemment derrière tout cela le financement de l’économie. Or le financement à long terme par les banques est de plus en plus difficile. Pour ma part, je le dis clairement, je souhaite une montée en puissance de la Banque centrale européenne.

Aussi suis-je tentée de vous poser, monsieur le ministre – n’y voyez là aucune malice de ma part !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Botrel

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un débat aussi opportun qu’important qui nous réunit aujourd’hui. On ne peut que saluer le travail de grande qualité réalisé par la mission commune d’information sur un sujet qui, pour le moins, fait désormais écho dans l’opinion publique.

La crise financière qui affecte le monde depuis plusieurs années déjà et n’en finit pas d’affaiblir l’économie, singulièrement aujourd’hui celle des pays de la zone euro, a mis à jour les failles de nos systèmes financiers et l’interdépendance de ceux-ci : c’est la rançon d’un monde rétréci en termes d’échanges de biens et de capitaux.

Au nombre des facteurs aggravants, il y a notre dépendance aux agences de notation, qui évaluent le risque de crédit des émetteurs et dont la fonction tient désormais lieu d’oracle des temps présents que nul, semble-t-il, n’a le pouvoir de contrecarrer.

Jusqu’à une époque récente, le grand public avait peu entendu parler – voire sans doute jamais ! – de ces agences aux noms plutôt sympathiques et gentiment anglo-saxons, comme ceux des marques de luxe.

C’est l’année dernière, singulièrement au moment où on a annoncé la dégradation de la note de la France par l’une d’entre elles – le désormais fameux triple A a été ramené à un double A – que les médias ont abordé la question du rôle des agences de notation et de leur influence sur la vie des entreprises et des pays.

D’abord, je veux souligner le rôle de ces agences : elles notent comme des superviseurs omnipotents non seulement les entreprises, mais aussi les collectivités, et rien de moins que les États eux-mêmes.

Dans une économie globale, mondialisée, où les États se financent de plus en plus comme les grandes entreprises, où le modèle de financement par les banques glisse de plus en plus vers un financement par les marchés, cela n’a au fond rien de surprenant.

Dans la zone euro, l’encours obligataire des entreprises a triplé depuis quatorze ans et la dette de l’État français est aujourd’hui exclusivement émise sur les marchés.

La mondialisation financière a donc conforté la position des agences de notation, qui donnent l’illusion de procéder à une analyse scientifique à partir d’un standard d’évaluation prétendument compris et accepté par tous.

Cela donne un pouvoir exorbitant à quelques agences, qui influent ainsi sur l’économie mondiale, avec tous les risques que cela comporte.

Il est par exemple frappant de constater que, lorsqu’une entreprise ou un État est mal noté, les difficultés s’enchaînent ; elles peuvent lui être fatales. La mauvaise note est non plus alors un simple avertissement de nature à inciter à la vigilance, mais le début d’un cercle vicieux, qui peut aggraver une situation passagèrement difficile. C’est là une responsabilité colossale, presque un pouvoir mortifère, d’autant qu’une agence n’est pas infaillible.

Le constat dressé est même accablant à plusieurs égards.

En tout premier lieu, si l’on se réfère à la période récente, l’efficacité des agences de notation ne paraît pas prouvée sur bien des sujets importants. Qu’on en juge par quelques exemples.

Aucune agence n’a lancé d’alerte sur les risques relatifs à la titrisation à outrance, qui a débouché sur la crise des subprimes et a déclenché une crise financière mondiale.

Plus près de nous, une erreur technique d’appréciation, en novembre 2011, de Standard & Poor’s a eu une répercussion instantanée sur le taux de base supporté par la France et a conduit à creuser, en notre défaveur, l’écart avec l’Allemagne.

De plus, aucune agence n’a détecté les dérives de la banque Lehman Brothers, alors que, a contrario, des entreprises ont pu voir leur notation dégradée sans raison véritablement sérieuse, ce qui a limité leur capacité d’emprunter et a donc eu de lourdes conséquences pour elles-mêmes et leurs salariés. Et tout cela sans que les agences de notation puissent véritablement être mises en cause, c’est-à-dire sans qu’elles courent aucun risque majeur en termes de responsabilité civile.

Mieux encore, selon le rapport de la mission commune d’information, Moody’s entend échapper à tout risque d’incrimination, en profitant du défaut d’harmonisation en Europe pour contractualiser avec ses clients selon le droit britannique, qui lui est plus favorable sur ce point.

Ensuite, on peut légitimement s’interroger sur l’indépendance des agences de notation en toutes circonstances : la composition du capital de Moody’s et de Standard & Poor’s n’étant pas, selon le rapport, « connue avec exactitude », qui peut garantir que les analyses échappent toujours à un éventuel conflit d’intérêts ?

La question se pose d’autant plus que ni les méthodes ni le contenu des notations de crédit, qui varient d’ailleurs d’une agence de notation à l’autre, ne sont précisément connus. Sans compter qu’un élément subjectif « non quantifiable », selon les termes du rapport, peut entraîner une dégradation de note. Convenons qu’en matière de transparence et de rigueur, il y a matière à progrès…

Ainsi, l’activité de notation échappe à tout contrôle sérieux, puisque les régulateurs publics n’ont volontairement pas de moyens d’ingérence pour examiner les méthodes utilisées.

Depuis le début de la crise financière, les États, obéissant en cela aux accords de Bâle, ont paradoxalement conforté la place des agences de notation en officialisant leur mission. Ils ont en effet accepté que les notes qu’elles attribuent soient imposées par la règlementation financière.

De la sorte, faute d’autres moyens disponibles, la référence aux agences se maintient et se renforce, en dépit parfois de la « faible valeur ajoutée des commentaires » qu’elles émettent, pour reprendre le jugement émis par l’Agence France Trésor s’agissant du cas particulier de notre pays.

C’est précisément de cette toute-puissance des agences de notation et de l’hégémonie de quelques-unes sur l’ensemble du marché qu’il faut parvenir à se défaire.

Le recours répété et quasi systématique à ces agences depuis la crise américaine de 1929 jusqu’à la crise actuelle de la zone euro les a transformées, elles qui auraient dû rester consultatives et remplir une fonction de prestataire de services, en véritables lieux de pouvoir exerçant une influence sur les marchés et la capacité d’emprunt des États.

On sait bien qu’il est très difficile de s’affranchir d’un système une fois qu’il est installé et, d’une certaine façon, institutionnalisé. Cependant, le rapport très intéressant et très complet de la mission commune d’information, qui constitue le point de départ de notre débat, démontre que des propositions sont possibles. Quelles sont donc les alternatives ?

Si, a priori, la voie d’une évaluation interne pouvait présenter l’avantage d’être plus précise et plus adaptée à chaque cas particulier, elle n’est pas sans poser elle aussi des problèmes de moyens et d’harmonisation.

Dans ces conditions, deux pistes de réflexion paraissent réalistes à court terme.

D’une part, il convient d’explorer les moyens pouvant conduire à mettre fin à l’hégémonie des trois agences de notation les plus puissantes : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, qui détiennent à elles seules 95 % des parts du marché mondial.

D’autre part, il importe de neutraliser les effets mécaniques des notations sur les décisions des régulateurs et des investisseurs.

Face à la domination des trois grandes agences américaines, l’Europe serait avisée de se doter rapidement de sa propre agence de notation financière. À bien des égards, elle reste encore trop dépendante, à la remorque des États-Unis.

Par ailleurs, une convergence réglementaire entre les deux continents, sous l’impulsion du G20, permettrait à l’Autorité européenne des marchés financiers de jouer pleinement son rôle.

J’ajoute que des régulateurs légitimes, comme, dans notre pays, la Banque de France, devraient pouvoir investir davantage leur fonction d’expertise.

Nous soutenons donc la position du Gouvernement, qui défend actuellement la création d’une agence publique européenne de notation de crédit. D’ailleurs, cette proposition a déjà été formulée par le Parlement européen dans sa résolution du 8 juin 2011.

La diversification des sources, donc des notes, limiterait les risques d’erreur et permettrait de dégager la note la plus juste.

En outre, supprimer le caractère systématiquement obligatoire du recours à une agence de notation laisserait aux agences leur statut d’organe consultatif et aux émetteurs leur libre arbitre.

Par ailleurs, la réglementation de la profession et son assainissement par l’amélioration de la transparence et la limitation des conflits d’intérêts entre agences et actionnaires constitue un objectif important.

Enfin, comme le préconise judicieusement le rapport de la mission commune d’information, un lien doit être tissé entre les agences de notation et les organes démocratiques comme les commissions des finances des assemblées parlementaires.

En effet, il est impensable que la dette souveraine d’un État soit appréciée uniquement par des organismes extérieurs tels que les agences de notation, sans que la représentation nationale ait son mot à dire.

Nous pourrions avantageusement tirer profit d’un autre rapport intéressant : celui de l’eurodéputé Leonardo Domenici, membre du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen.

Ce rapport a fait l’objet, la semaine dernière, d’un vote favorable de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, qui veut que des règles plus strictes soient désormais imposées aux agences de notation.

Pendant la réunion au cours de laquelle la commission des affaires économiques et monétaires a adopté son rapport, Leonardo Domenici a déclaré que « la crise de la dette de la zone euro a montré que les agences de notation avaient acquis trop d’influence sur les marchés financiers, au point d’être capables d’interférer avec l’agenda politique des pays », de sorte que « nous devons restaurer un équilibre en la matière. »

Il a rappelé que « les agences de notation doivent apporter un service d’information aux investisseurs et consommateurs » et que « nous ne leur demandons pas d’opinions politiques ».

Il a ajouté que, « dans cette optique, leur travail doit respecter des règles de qualité et de transparence et devrait aussi être soumis à un système de responsabilisation. » C’est bien le moins !

La commission ad hoc a renforcé, dans ses propositions, les dispositions restrictives concernant les notations des dettes souveraines et les conflits d’intérêts entre agences et entités notées.

La France doit bien entendu agir en complémentarité avec l’Europe et soutenir cette démarche. On doit donc se féliciter de ce que notre gouvernement soutienne la mise en place de l’agence publique dont j’ai parlé il y a un instant.

Mes chers collègues, nous devons approuver les préconisations contenues dans le rapport de la mission commune d’information.

Il est essentiel de diversifier et de responsabiliser les agences de notation, afin de permettre aux États de recouvrer une part de leur indépendance vis-à-vis de celles-ci.

Il s’agit, en somme, de relativiser le rôle de ces agences et de limiter les conséquences de leurs avis, souvent excessives et parfois désastreuses dans la crise que nous traversons.

Sans exagérer nullement, il s’agit de restaurer la primauté de l’expression démocratique des peuples sur le pouvoir exorbitant qu’un petit nombre détient aujourd’hui sur l’économie et les gouvernements ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, sans faire preuve d’une grande originalité, car beaucoup a déjà été dit, je vous présenterai ce que sont, à mes yeux, les enjeux liés au problème des agences de notation.

D’abord, je suis très heureux que cette mission commune d’information ait pu voir le jour, à la suite de l’adoption d’une proposition déposée par le groupe de l’Union centriste et républicaine. En effet, la question des agences de notation est importante dans l’état actuel de nos finances et des marchés financiers mondiaux.

Pendant des années, on a ignoré jusqu’à l’existence de ces agences. Que l’on vive à crédit ne posait problème à personne, pas même aux agences de notation. C’était l’insouciance : les déficits s’accumulaient, les dettes aussi, et les notes restaient bonnes, voire excellentes. L’idée qu’un État puisse faire faillite n’effleurait personne.

Pourtant, dans les années trente, la moitié des États américains s’étaient retrouvés en défaut de paiement ; mais on a parfois la mémoire courte.

Évaluer le risque de défaut de paiement des États comme des entreprises ou des établissements bancaires est aujourd’hui devenu un enjeu majeur.

Il faut bien reconnaître que les trois agences qui détiennent le quasi-monopole du marché de la notation n’ont pas brillé par la qualité de leurs prédictions… Les exemples d’erreurs de diagnostic sont légion, d’Enron à Lehman Brothers.

Et quand le mal est avéré, on voit les mêmes agences dégrader brutalement leurs notes, contribuant ainsi à déstabiliser davantage les marchés et, au bout du compte, à aggraver les crises. C’est ainsi que l’emballement de la dette grecque a été le produit de la hausse des taux d’intérêt due à la défiance des investisseurs après 2009.

De même, la dégradation d’une note souveraine conduit à la dégradation en cascade des notes des collectivités territoriales, des banques, des entreprises, bref, de tous les agents financiers liés de près ou de loin à l’État en question, et cela sans analyse des fondamentaux réels de ces institutions.

Les carences des agences de notations actuelles, sur le plan à la fois de l’anticipation et de la mesure, justifient tout à fait que l’on s’empare de cette question.

Les États-Unis, d’ailleurs, l’ont déjà fait : la Securities and Exchange Commission a publié un rapport sur le sujet en 2008 et le Sénat américain s’est également penché sur le problème en 2011.

Il ne s’agit pas de souhaiter la disparition des agences de notation. Elles n’étaient pas parfaites avant la crise, elles n’ont pas aujourd’hui tous les défauts de la terre ; il serait déraisonnable de se priver de leurs avis. Ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on guérit le malade !

Ce qui est en jeu, c’est la manière de garantir la qualité des avis émis et de réduire la position de quasi-monopole des trois grandes agences de notation.

Il est légitime d’agir, mais, à mon avis, il convient d’éviter trois écueils.

D’abord, il faut écarter toute suggestion coûteuse comme celle visant à mettre en place une agence publique de notation avec de l’argent public que l’on n’a pas.

De quelle crédibilité, d’ailleurs, une telle agence pourrait-elle bien se prévaloir ? D’entrée de jeu, elle serait en situation de conflit d’intérêts ! Imagine-t-on une agence de notation européenne dégrader la France ou l’Allemagne ?

Ensuite, il convient de ne pas renforcer excessivement l’appareillage juridique, s’agissant notamment de la responsabilité civile.

Chacun sait, en effet, que notre code civil est déjà bien fourni. Sans compter que le recours au contentieux serait souvent sans effet, car les préjudices, dans ce domaine, sont difficiles à évaluer. Privilégier cette voie serait donc faire fausse route.

Enfin, il faut éviter de passer d’un excès à l’autre, ce qui est souvent un défaut français. Je ne crois pas qu’il faille passer de l’absence totale de contrôle à un contrôle absolu et sans défaut. Nous connaissons tous la belle formule : qui trop embrasse mal étreint !

Pour ma part, si je me réfère aux propositions contenues dans le rapport, je considère qu’il faut nous concentrer uniquement sur certaines d’entre elles.

Le problème du marché de la notation tient à sa concentration et à sa position stratégique dans l’évolution des valeurs financières. C’est le cœur du problème, et c’est donc sur ce point qu’il faut agir.

Nous devons ramener la notation à sa juste place : celle d’un avis, d’une opinion, et pas d’une parole d’évangile ou d’une vérité révélée.

Pour nous désintoxiquer de notre addiction à la notation financière, concentrons-nous, mes chers collègues, sur quelques solutions de bon sens, réalistes et pragmatiques.

Nous pourrions nous inspirer utilement non seulement des propositions de l’excellent rapport de la mission commune d’information, mais aussi de celles qui ont été présentées dans le rapport publié en juillet 2012 par l’institut Montaigne, lequel comporte trois idées-clés.

D’abord, il convient de mettre fin à la situation de rente des trois grands acteurs et de favoriser la libre concurrence.

Ensuite, il faut réglementer l’activité des agences de notation en exigeant plus de transparence.

Enfin, il importe d’instaurer un véritable principe de responsabilité pour les principaux acteurs du marché, c’est-à-dire les agences, les investisseurs et les régulateurs.

Pour se désintoxiquer des agences de notation, demandons aux régulateurs de supprimer, chaque fois que cela est possible, l’obligation d’avoir recours à elles.

Obligeons l’Autorité européenne des marchés financiers à procéder, d’ici au 31 décembre 2013, au retrait des références aux notations dans les réglementations financières.

Pourquoi ne pas favoriser aussi une concurrence plus forte ? Je suis d’accord avec ceux qui souhaitent le lancement d’un appel à projets au niveau européen pour encourager la création d’une agence européenne de notation.

L’arrivée sur le marché de ce nouvel acteur permettrait notamment d’éviter le biais favorable aux normes comptables américaines, qui conduit aujourd’hui à une distorsion de concurrence injustifiée entre les entreprises françaises et leurs concurrentes d’outre-Atlantique.

Encourageons une réglementation européenne qui garantisse la transparence des méthodes employées et des moyens humains utilisés, tant en qualité qu’en quantité. Nous savons en effet qu’il y a souvent un sous-effectif chronique au sein des agences de notation.

La transparence doit concerner aussi l’actionnariat des agences, afin de prévenir tout conflit d’intérêts.

Comme le suggère l’institut Montaigne, les infractions relevées pour non-respect de ces règles pourraient faire l’objet d’une publicité large dans les organes de la presse économique de chaque pays où l’agence est présente, aux frais de celle-ci.

Comme il a été dit, pour rompre avec les collusions d’intérêts possibles, passer progressivement d’un modèle émetteur-payeur à un modèle investisseur-payeur semble constituer une très bonne piste.

Une autre piste consiste à « réinternaliser » l’évaluation des risques au sein des grands établissements de crédit et des compagnies d’assurance, avec des systèmes de scoring fondés sur des modèles robustes, indépendants et sérieux. Ces organismes devront se pencher sur les risques de crédit, bien sûr, mais aussi sur les liquidités, le change et les contreparties.

Encourageons des alternatives crédibles de notation au sein de ces établissements pour éviter un recours systématique et unique aux notes des agences.

Par ailleurs, il faudra instaurer une plateforme de notation. Au sein de l’Autorité européenne des marchés financiers, l’AEMF, on pourrait compiler, agréger, voire comparer les informations relatives aux émetteurs de dettes émises par les diverses agences. Cette plateforme offrirait aux émetteurs et aux investisseurs une vue d’ensemble des diverses actions engagées par les diverses agences enregistrées. On pourrait même comparer les notes des agences ainsi que leurs performances.

Enfin, exiger des agences qu’elles fixent à l’avance un calendrier des notations indépendant de la conjoncture paraît aussi une bonne mesure politique pour éviter les interférences avec les campagnes électorales et les moments-clés, comme ceux que nous avons connus récemment, de la vie d’un pays.

Ainsi, de façon pragmatique et réaliste, nous aurions fait un pas vers une réglementation saine d’un secteur dont nous ne pouvons malheureusement pas nous passer. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer, à mon tour, l’excellent travail mené tant par le rapporteur que la présidente de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation. Ce travail a permis, à la faveur d’un large consensus politique, l’adoption à l’unanimité d’un rapport. Je me félicite également de ce que nous puissions aujourd’hui avoir ce débat en séance publique : cela atteste de l’intérêt que le Sénat porte à cette question d’autant plus essentielle que les États entretiennent avec les agences de notation des relations à la fois complexes et ambiguës.

Depuis la crise des subprimes, les limites des agences ont été pointées du doigt. La question du conflit d’intérêts est réapparue. Les agences manqueraient d’objectivité, car les émetteurs qu’elles notent les rémunèrent. Elles sont souvent apparues comme favorisant l’instabilité des marchés, voire jouant parfois un rôle d’accélérateur de la crise. Le cas de la Grèce a été assez révélateur : les investisseurs anticipent de nouvelles dégradations de la part des agences de notation et contribuent à une augmentation des taux ; les agences en tiennent compte et baissent d’autant la note du pays. La gouvernance des agences demeure ainsi sujette à caution, notamment dans le cadre de l’évaluation de la dette publique.

Or, malgré ces limites, nous demeurons excessivement dépendants des agences, lesquelles, compte tenu de la faiblesse des banques, tiennent un rôle prééminent lorsqu’il faut évaluer l’état de santé de l’économie mondialisée. Rappelons-nous comment chaque annonce d’une agence au sujet des dettes souveraines d’un État membre, par exemple, fait trembler le gouvernement du pays concerné et influe immédiatement sur la stabilité de toute la zone euro.

Que nous le voulions ou non, nous assistons à une modification du modèle de financement de l’économie, comme cela a été rappelé tout à l’heure par la présidente de la mission commune d’information. On passe d’un financement par les banques à un financement par les marchés. Le marché obligataire étant totalement mondialisé – en France, 65 % des obligations d’État sont détenues par des non-résidents –, l’influence des agences de notation en est mécaniquement renforcée.

Pour preuve, les pouvoirs publics ont fait des agences de notation des standards d’évaluation des risques, et donc de quasi-régulateurs. On ne peut être que stupéfait de le constater, sur les 2 000 milliards d’euros déposés auprès de la Banque centrale européenne, 75 % sont admis sur la base d’une notation d’agence.

De fait, les notes ne sont plus de « simples opinions » ; elles ont des implications considérables tant sur le taux des emprunts que sur la crédibilité de l’émetteur, et la « mission de service public » accordée aux trois principales agences a été réalisée sans vrai cahier des charges ! La transparence des méthodes d’analyse ainsi que la facilité d’examen des données n’ont jamais été encadrées ni exigées.

À ce titre, le rapport de la mission commune a le grand mérite de formaliser diverses propositions de nature à renforcer la transparence et la professionnalisation, à limiter les conflits d’intérêts et à préciser le cadre juridique des agences.

Je me permettrai de citer simplement les propositions qui me semblent particulièrement appropriées pour améliorer la situation actuelle.

La première d’entre elles consiste en l’instauration d’un système de certification professionnelle des agences, qui permettrait ainsi de renforcer la qualification, l’expérience et la formation continue des analystes.

Ensuite, les missions des agences doivent être organisées pour éviter diverses difficultés que nous constatons trop fréquemment, à savoir l’application des seules lois du marché, l’existence de conflits d’intérêts dans les rapports entre les banques et les agences sur les produits structurés, l’intrusion des agences dans le domaine de la prénotation pour les opérations de fusion-acquisition, l’émission de contrats de droit anglo-saxon dans une tentative de « délocalisation par le droit », pour reprendre les termes utilisés tout à l’heure par M. le rapporteur.

Enfin, obliger les agences à souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle et à disposer d’un capital minimal est une proposition de nature à véritablement encadrer leur engagement et à leur faire assumer réellement leur responsabilité.

Je trouve également très important et très sain d’instituer une consultation des commissions des finances des parlements nationaux pour mieux mesurer la dimension des dettes souveraines et assurer un « relais démocratique » des travaux des agences. Cela permettrait, sans nul doute, sur un dossier aussi complexe, qui nous éloigne de nos concitoyens, de mieux prendre en compte le travail parlementaire.

Par ailleurs, on ne peut éviter de s’interroger sur l’absence de réelle concurrence sur le marché de la notation. Le caractère oligopolistique de ce marché laisse apparaître une situation de position dominante au profit des trois principales agences. Parfois même, l’abus de position dominante n’est pas loin. Sur une question aussi délicate, sur laquelle l’Union européenne est particulièrement sourcilleuse – on l’a vu dans beaucoup d’autres domaines –, l’émergence de nouveaux intervenants pourrait présenter un intérêt.

À ce titre, je suis largement favorable à la création d’une agence de notation privée européenne de taille mondiale, avec, bien entendu, la mise en place des « clefs de sécurité » nécessaires pour assurer une plus grande responsabilité et un plus grand sérieux. La difficulté principale sera de faire émerger un acteur européen qui ne pourra pas être soupçonné de partialité et d’éviter que toute initiative européenne soit interprétée comme une volonté de limiter l’influence des agences de notation. Cela aurait en effet pour conséquence automatique de renforcer la défiance à l’égard de la zone euro.

Comme je l’avais évoqué devant aussi bien la mission commune d’information que la commission des affaires européennes, je me réjouis que le président Barroso ait été interpellé sur les propositions contenues dans ce rapport, en particulier sur la pertinence de la création d’une agence de notation européenne privée.

Cette procédure permise par le traité de Lisbonne est en tout point excellente. Je l’avais d’ailleurs utilisée, au nom de la commission des affaires européennes, en juillet 2011, à propos de l’aide alimentaire. Je note simplement que la réactivité du président de la Commission européenne n’est pas forcément celle que l’on pourrait souhaiter. J’avais déjà remarqué à l’époque, concernant précisément la problématique de l’aide alimentaire, que celui-ci n’avait pas jugé bon de répondre à la sollicitation du Sénat ; je le rappelle aujourd’hui.

J’ajouterai que le lien avec la Commission européenne me semble d’autant plus pertinent que la réflexion du Sénat serait de nature à compléter le projet européen de réglementation des agences de notation, dont le commissaire européen Michel Barnier avait pris l’initiative et qui est destiné à renforcer la supervision européenne des agences.

En prévision de la mise en œuvre d’une union politique devant parachever l’union monétaire et budgétaire, il me semble indispensable que nous puissions doter l’Union européenne d’une agence de notation de dimension mondiale s’intégrant dans un paysage aujourd’hui constitué par trois principales agences de notation anglo-saxonnes.

Si nous pouvons saluer la volonté du président Obama de moraliser et de réguler le secteur financier américain avec le vote du Dodd-Frank Act dès 2007, nous sommes loin, aujourd’hui, de sa mise en application rationalisée.

Pour sa part, au travers de la mobilisation du commissaire Barnier, l’Union européenne s’est à son tour engagée, dès 2009, dans la mise en œuvre d’une législation communautaire.

Il est désormais impératif que nous puissions ensuite harmoniser l’ensemble de ces règles dans le cadre d’une mondialisation de plus en plus présente sur les marchés ; c’est le rôle du G20. Enfin, ne l’oublions pas, si quatre pays de l’Union européenne – l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie – en font actuellement partie, seule l’Allemagne sera encore présente dans ce classement à cette échéance, selon les projections économiques à l’horizon 2050.

La régulation, la compétitivité, l’harmonisation des règles et la réciprocité dans les échanges sont autant de défis à relever aujourd’hui pour la France. Je fais donc mienne la question que notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx a posée au terme de son propos, tout en vous précisant, monsieur le ministre, et cela sans aucune animosité de ma part, que l’urgence, c’est maintenant ! §

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici

Madame la présidente, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord vous remercier de vos travaux. Ils sont de qualité et contribuent à enrichir la position du Gouvernement dans les négociations internationales et européennes sur la régulation des agences de notation auxquelles notre pays participe aujourd’hui.

Avant d’en venir au sujet qui nous occupe, j’aimerais, d’ailleurs vos travaux m’y invitent, élargir un peu la focale. Selon moi, l’idée qui est apparue en filigrane au cours du débat est plus large que le champ sur lequel la mission commune d’information s’est penchée. Elle concerne le contrôle du risque, la juste place de la finance, ses mécanismes potentiellement déstabilisateurs – vous avez tous, avec des accents différents et c’est logique, insisté sur ce point – et son emprise excessive sur l’économie.

La réflexion sur le rôle et l’encadrement des agences de notation doit s’insérer dans une stratégie plus complète de réponse aux déséquilibres financiers que nous constatons depuis 2008. J’y travaille avec le Président de la République et le Premier ministre. Nous aurons l’occasion d’y revenir d’ici à la fin de l’année. Les agences de notation constituent seulement une pièce du puzzle.

Permettez-moi de vous indiquer l’état d’esprit du Gouvernement en matière de régulation des agences de notation. Il se résume simplement : il faut aller plus loin dans l’encadrement. Quand vous êtes venus me rendre visite, c’est un peu le message que je vous ai passé. C’est la position que nous portons au G20 et à Bruxelles, où la France est l’un des États les plus volontaristes sur le sujet.

On me demandait – je crois que c’est vous, madame Des Esgaulx – si je comptais poursuivre les efforts du précédent gouvernement. Je vais vous dire la vérité : franchement, nous espérons faire mieux ! La volonté qui a déjà été affirmée doit maintenant se traduire en actes. Elle implique de rassembler nos partenaires autour d’un compromis exigeant, avec la volonté partagée d’avancer ensemble. C’est cet impératif qui guidera notre action et la guide déjà.

Des progrès ont été réalisés depuis 2009, aux niveaux international et communautaire.

Depuis 2011, les travaux du G20 et du Conseil de stabilité financière ou Financial Stability Board, le FSB, qui œuvre à améliorer la coopération dans le domaine de la supervision et de la surveillance des institutions financières, mettent l’accent sur la réduction de la dépendance mécanique des acteurs financiers aux notations, idée, me semble-t-il, qui inspire vos propres réflexions.

Le FSB présentera un rapport au G20 qui se réunira en novembre pour faire le point sur ce chantier qui, reconnaissons-le, progresse moins rapidement que nous le souhaiterions en raison des difficultés à trouver des mécanismes de rechange crédibles et efficaces aux notations souveraines. Notez enfin que, lors du G20 de juin 2012 à Los Cabos, le souhait d’augmenter la transparence et la concurrence dans le secteur des agences a également été émis.

Au sein de l’Union, un premier texte européen – un règlement sur les agences de notation –, adopté en 2009 à la suite de la crise des subprimes, a permis de sortir du no man’s land qui prévalait jusqu’alors en matière de régulation des agences. Vous l’avez souligné, il donne un large pouvoir de supervision directe à l’Autorité européenne des marchés financiers et a déjà permis des avancées fondamentales dans la régulation des agences.

Toutefois – ce sont vos conclusions et je les partage –, il faut encore approfondir le cadre de régulation des agences, en tirant pleinement profit des opportunités offertes par la renégociation en cours de ce texte au niveau européen.

La Commission européenne a proposé, à l’automne 2011, de réviser le règlement européen sur les agences de notation. Les États membres ont adopté leur position sur ce texte en mai dernier. En l’occurrence, ils se sont prononcés en faveur d’un renforcement de l’encadrement des notations souveraines, de la mise en place d’un règlement européen de responsabilité civile des agences, d’une réduction de la dépendance réglementaire aux notations, d’une transparence et d’une indépendance accrues des agences.

Le Parlement européen s’est ensuite déterminé en juin dernier. Dans l’ensemble, nous pouvons convenir que ses positions sont ambitieuses, notamment en matière d’encadrement des notations souveraines, de réduction de la dépendance aux notations, de développement de la concurrence et de responsabilité civile.

Nous sommes actuellement – pardonnez-moi ce jargon – dans la phase de « trilogue ». Ce terme désigne les négociations européennes au cours desquelles le Conseil et le Parlement cherchent à concilier leurs vues, l’objectif, auquel nous souscrivons, étant d’aboutir à un accord d’ici à la fin de 2012.

Le Gouvernement s’emploie à tenir ce calendrier – je veux vous rassurer à ce sujet, madame la présidente de la mission –, mais aussi à rassembler les États membres autour d’un compromis ambitieux. C’est un combat, je ne vous le cache pas, même en l’absence de corde ! §Certains progrès importants n’ont fait l’objet d’un accord parmi les États membres du Conseil qu’après un effort déterminé de persuasion de la France auprès de certains de ses partenaires, plus attentistes, plus conservateurs ou plus indifférents à ce thème.

Nombre des progrès acquis au Conseil convergent avec ceux que la mission appelle de ses vœux. Vous avez visé juste. Je veux les énumérer rapidement pour vous dire dans quelle direction nous nous orientons.

D’abord, au sein du Conseil, les États membres se sont accordés pour réduire la dépendance réglementaire aux notations en demandant aux acteurs financiers de conduire leur propre analyse du risque au lieu de se reposer uniquement sur les notations externes. Cela participe de ce que vous avez appelé dans vos travaux la « désintoxication ».

Ensuite, les États membres se sont également accordés pour mettre en place un régime européen de responsabilité civile pour faute intentionnelle ou négligence grave, excluant les clauses exonératoires de responsabilité. S’il voyait le jour, ce régime serait un peu moins ambitieux que celui que vous proposez, mais il resterait toutefois exigeant. Nous avons en effet obtenu de haute lutte, face à la vive opposition de certains de nos partenaires, que le texte européen reprenne le régime français adopté à l’automne 2010 dans la loi de régulation bancaire et financière.

Je développerai en quelques mots ce point, afin de vous répondre, monsieur le rapporteur.

Comme votre rapport le souligne, il existe un vrai risque d’arbitrage réglementaire entre pays européens en fonction de leur degré de sévérité quant à la responsabilité civile des agences. C’est pourquoi nous sommes convaincus, comme vous, qu’un régime européen de responsabilité civile est nécessaire. Déjà, nous avons obtenu au niveau européen un régime large, puisqu’il bénéficie à la fois aux investisseurs et aux émetteurs, et un régime strict, puisqu’il interdit les clauses exonératoires de responsabilité. Le Conseil n’a toutefois pas accepté le renversement de la charge de la preuve et n’est pas allé jusqu’à proscrire les clauses limitatives de responsabilité. Les autres États membres, déjà extrêmement rétifs au principe même d’un régime européen de responsabilité civile, n’acceptent pas une telle évolution et la refusent toujours dans le cadre du trilogue.

Enfin, l’encadrement des notations souveraines, et notamment des échéances de publication, a retenu l’attention des États membres, comme la vôtre. Au niveau européen, les discussions se sont concentrées sur les horaires de publication des notations, sur l’obligation et les délais de pré-notification à l’émetteur, ainsi que sur la publication d’informations plus complètes en accompagnement de la notation.

Vous m’avez interpellé, madame la présidente de la mission, sur les « surprises » des calendriers de notation.

Dans les fonctions que j’occupe, je crains les surprises, et celles que je rencontre parfois sont souvent de mauvaises surprises, qui tiennent non pas à la notation elle-même, mais au moment où celle-ci est rendue publique. J’y reviendrai tout à l’heure en évoquant un cas précis.

La recommandation que vous faites, partagée par le Parlement européen, vise un objectif légitime, mais suscite les réserves de certains États membres et de la Commission.

J’ai bon espoir que les échanges que nous menons en trilogue se concluent par un accord sur un calendrier préétabli, mais probablement en autorisant la publication de notations hors dates préétablies en cas d’événement majeur justifiant une modification rapide de notation. Somme toute, cela peut se concevoir. Ce compromis assez raisonnable permettrait la prévisibilité en général, mais aussi la surprise quand elle est nécessaire.

Les États membres veulent étendre le champ d’application du règlement européen pour qu’il couvre non seulement les agences de notation, mais aussi les perspectives de notation, qui ont également un impact sur les décisions d’investissement.

Un travail important a été fait sur l’indépendance des agences de notation et la prévention des conflits d’intérêts, par le biais de dispositions de transparence sur l’actionnariat des agences.

Les États membres souhaitent améliorer la transparence de l’organisation des agences, en matière de tarifs et d’allocation d’équipes notamment. Leurs propositions vont dans le sens de vos préconisations, me semble-t-il.

Je note vos inquiétudes, madame la présidente de la mission, concernant la qualité des équipes des agences et de leur formation. À l’évidence, il s’agit là d’un point majeur. Mais il n’est pas démontré que l’Autorité européenne des marchés financiers ne contrôle pas les ressources humaines de manière satisfaisante à l’heure actuelle. Il est vrai que le contraire n’est pas établi non plus !

Un accord a également été trouvé au Conseil pour renforcer la concurrence dans le secteur des agences de notation. Vos travaux font état de défaillances sur le marché des agences, marché dont vous avez souligné le caractère oligopolistique. La rotation, c'est-à-dire l’obligation pour les émetteurs de produits de « retitrisation » de changer d’agences tous les quatre ans, permettra de dynamiser utilement le secteur, la question étant de savoir comment l’européaniser.

Il est prévu que la Commission européenne évalue l’opportunité d’étendre cette obligation à d’autres produits. Je me permets d’insister sur ce point, car c’est une volonté forte de notre part de soutenir toutes les initiatives qui permettront de renforcer la concurrence dans le secteur et l’émergence, que vous avez appelée de vos vœux, de nouveaux acteurs qui ne soient pas tous américains.

M. de Montesquiou a mis en exergue, à cet égard, la proposition de la mission de publier les cotations réalisées par les banques centrales de la zone euro et les notations internes réalisées par les banques commerciales. Cette proposition légitime vise à augmenter la diversité des analyses disponibles pour les investisseurs. Elle nécessite toutefois, comme votre rapport le précise, d’être techniquement approfondie.

Enfin, la Commission européenne présentera d’ici à la fin de 2012 un rapport sur le modèle de financement des agences, pour en apprécier les forces, mais aussi les faiblesses. Celui-ci devrait particulièrement retenir votre attention, monsieur le rapporteur de la mission.

J’ai pris note de votre remarque sur le modèle investisseur-payeur, avec un passage obligatoire par une plateforme centralisant l’ensemble des informations, pour ce qui concerne les produits structurés. L’idée d’une plateforme rassemblant les informations relatives à ces derniers a été soutenue sans succès par la France à la fin de 2010 dans le cadre de la première révision du règlement communautaire sur les agences. Toutefois, la proposition européenne en cours d’examen répond à la préoccupation d’augmenter la transparence et la qualité des notations des produits structurés. Elle fait obligation aux émetteurs de ces produits de recueillir deux notations et de publier les informations qui les sous-tendent.

Ces propositions vont plutôt dans le bon sens et permettent d’augmenter la fiabilité des notations et de renforcer la capacité des investisseurs à les contre-expertiser.

Voilà la liste rapide et non exhaustive des progrès en matière de régulation et de supervision des agences, sur lesquels les États membres ont pu s’entendre au Conseil, sous l’impulsion de la France, notamment.

La négociation européenne est exigeante. Nous devons consentir des compromis, tout comme nos partenaires, qu’ils portent, ou ne portent pas, d’ailleurs, des propositions.

À ce stade, la perspective de la création d’une agence de notation européenne, que la France appuie avec le Parlement européen, ne rencontre ni l’adhésion de la Commission ni celle de l’écrasante majorité des États membres. Nous continuons à défendre cette proposition face aux hésitations et aux réticences de certains de nos partenaires, qui doutent de la crédibilité et de l’efficacité d’une agence qui résulterait d’une mobilisation politique, a fortiori si elle est financée sur fonds publics.

Je veux néanmoins souligner que, si les avancées obtenues par la France auprès de ses partenaires sont confirmées lors du trilogue, l’Union disposera d’une législation renforcée et d’un arsenal juridique enrichi pour assainir le secteur et les pratiques des agences de notation. Il reviendra alors à l’Autorité européenne des marchés financiers de se saisir pleinement de ces outils.

Ce propos liminaire visait à rappeler notre position et à vous informer, mesdames, messieurs les sénateurs, du déroulement de la négociation européenne.

J’en viens à présent aux questions plus précises qui m’ont été adressées par les différents intervenants.

M. Bocquet a souligné à juste titre qu'il fallait se préoccuper des moyens effectifs que les agences emploient pour évaluer la dette des États. Je peux vous indiquer que la France a défendu et obtenu que la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers ait, parmi ses missions, la charge de vérifier que les agences consacrent des moyens suffisants à l’établissement de leurs notations. C'est là une question essentielle de crédibilité. Alors que ces décisions peuvent, comme au temps des jeux du cirque, entraîner parfois la mort, il serait absurde que ces notations, qu’elles prennent la forme d’une appréciation ou d’une dégradation, soient faites sans que des moyens suffisants et de qualité y soient consacrés.

Monsieur Fortassin, vous avez cité un exemple particulièrement bien choisi, celui du Crédit immobilier de France. C’est la surprise à laquelle je faisais allusion tout à l’heure : la dégradation de sa situation n’était pas inattendue, mais le moment choisi pour son annonce a pu créer un choc. Malheureusement, si les agences n'ont pas joué dans ce dossier un rôle particulièrement utile ou positif, j'en conviens, hélas, le problème est ailleurs : le modèle économique et financier du Crédit immobilier de France était condamné. Sans dépôts, cette banque était incapable de faire face aux exigences de son refinancement et de sa liquidité. Même si elle est bien capitalisée, une banque ne peut pas, dans le monde d'aujourd'hui, dépendre uniquement des marchés financiers.

Le Gouvernement affronte ce dossier et, au-delà de ce débat sur les agences de notation, je puis vous assurer que je m'emploie quotidiennement à faire en sorte, d'une part, que les personnels trouvent une solution – nous disposons d'un peu de temps, puisque nous allons proposer une garantie d'État –, d'autre part, que l'activité, utile, des prêts d'accession à la propriété soit reprise par d'autres banques. C'est notamment dans cette perspective que je rencontrerai demain les représentants de la Fédération bancaire française.

Nous sommes un peu loin du sujet qui nous réunit aujourd'hui, mais vous comprendrez aisément que je ne peux pas évoquer cette question sans parler un peu du fond. Des hommes et des femmes sont touchés, comme le sont également de nombreuses collectivités, qui s’inquiètent de l’avenir d'une activité bancaire utile, voire indispensable.

Le Crédit immobilier de France ne pourra plus exercer cette activité, puisque celle-ci s'éteindra progressivement dès lors qu'une garantie d'État lui sera apportée, mais, pour autant, il ne s'agit pas de l'abandonner. Le Gouvernement et moi-même sommes particulièrement sensibles à cette question.

Mme Aïchi a souligné les défauts du mode de financement des agences. C'est une préoccupation légitime, que je partage. Pour autant, définir des alternatives en la matière n’est pas chose aisée et demande réflexion. Comme je l'ai indiqué, la Commission européenne y travaille et remettra un rapport sur cette question dans les prochains mois.

Je partage également le souci exprimé par Mme Aïchi d'une plus grande indépendance des agences. La prochaine directive comporte des règles qui vont, me semble-t-il, dans le bon sens. Par exemple, elle prévoit qu'un investisseur rende publique toute participation supérieure à 5 % dans une agence de notation. C'est un élément de transparence. J’ai d’ailleurs noté que ce mot était très présent dans le rapport de la mission commune d’information. C'est une préoccupation qu'il faut toujours avoir à l’esprit.

Madame Des Esgaulx, vous rappelez à juste titre que les agences de notation ont pris sans doute, après tant d'années de discrétion excessive, une place excessive dans nos délibérations. Aujourd’hui, il existe une trop grande dépendance réglementaire aux agences. La mission évoque une nécessaire « désintoxication ».

Comme je l'ai indiqué tout à l’heure, je respecte le jugement des agences. Vous comprendrez que le ministre des finances soit sensible à la qualité de la signature de la France. Dans quelques jours sera discuté dans cet hémicycle le projet de loi de finances pour 2013. Nous avons tenu, avec Jérôme Cahuzac, sous la responsabilité du Président de la République et du Premier ministre, à ce qu'il soit crédible.

Les marchés ont plutôt bien accueilli ce texte. Nous avons donc l’intention de ramener le déficit public sous la fameuse barre des 3 % du PIB, non par fétichisme de ce chiffre, mais pour une raison simple : nous ne voulons pas livrer notre pays aux marchés et subir les dérives que d’autres ont connues à la suite du laxisme dont ils ont fait preuve sur le plan budgétaire. Il n’est pas question que des taux d’intérêt trop importants nous soient appliqués dans le cadre du remboursement de la dette souveraine. Et je ne parle pas des taux appliqués aux entreprises, qui peuvent dériver !

Nous voulons une France non pas servile, mais souveraine ! Et pour qu’elle soit crédible, les agences de notation ont un rôle à jouer.

Toutefois, la désintoxication est une conception qu’il faut étudier de près, et le chantier est désormais lancé à l’échelle européenne. Cela prendra du temps, mais cette volonté est réellement partagée.

C’est la raison pour laquelle, je vous le redis, nous entendons non seulement reprendre les propositions du gouvernement précédent dans ce domaine, mais aussi faire mieux sur la question des agences de notation. J’ai compris que vos interrogations étaient plus larges et visaient l’avancée de l’intégration européenne. À cet égard, je salue le rôle de la Banque centrale européenne, qui favorisera une évolution positive en ce sens. Pour parvenir à de réelles améliorations, nous allons plaider à Bruxelles avec constance et en faisant preuve d’une plus grande force de conviction. Vos travaux sont précieux et nous aideront à atteindre notre objectif.

Monsieur Botrel, vous insistez à juste titre sur la question de la responsabilité des agences, évidemment essentielle. Quand on détient un tel pouvoir, il convient d’assumer toutes ses responsabilités. Comme je l’ai indiqué, la future directive européenne comportera des avancées significatives, largement inspirées du régime de responsabilité civile que nos prédécesseurs ont mis en place en France. C’est un progrès, et nous devons poursuivre nos efforts sans relâche jusqu’à ce qu’un consensus se dégage.

Vous préconisez également la création d’une agence européenne. C’est précisément ce que nous réclamons à Bruxelles, mais vous connaissez les difficultés et les réticences auxquelles nous sommes confrontés. Pour autant, nous ne baissons pas les bras.

Monsieur Delahaye, vous soulignez la nécessité d’accroître la concurrence entre les agences de notation. J’ai moi-même évoqué cet objectif, partagé par le Gouvernement. Nous soutiendrons, conformément à l’esprit qui a présidé à vos travaux, toutes les initiatives susceptibles de renforcer, dans ce secteur, la concurrence, condition de l’émergence de nouveaux acteurs et de la sortie d’un système trop oligopolistique et calqué sur le modèle anglo-saxon. La réussite passe non pas par une décision administrative ou politique, mais tout simplement par le jeu de la concurrence et de la transparence, qui constituent des incitations très positives.

Monsieur Bizet, vous mettez en avant une proposition de la mission commune d’information, en sollicitant la mise en place d’un système de certification professionnelle des analystes. Un tel objectif est évidemment légitime et se trouve déjà, vous le savez, au cœur du rôle de l’Autorité européenne des marchés financiers, qui exerce ce contrôle. Bien sûr, celui-ci peut être amélioré, et j’ai moi-même insisté sur la nécessité de renforcer les moyens pour l’exercer et la responsabilité liée à une telle mission.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer la qualité de vos travaux, qui m’avaient déjà vivement intéressé lorsque j’avais rencontré la mission à la fin de ses travaux. J’ai noté le caractère très fraternel de vos réunions, qui se sont déroulées dans un esprit convivial et constructif. Les résultats obtenus sont consensuels, et croyez qu’ils seront extrêmement utiles à la démarche du Gouvernement. Je vous remercie de votre soutien sur ce sujet certes technique, mais passionnant et stratégique, pour lequel vous avez utilement consacré beaucoup d’énergie. §

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Nous en avons terminé avec le débat sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation.

Debut de section - PermalienPhoto de Bariza Khiari

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 9 octobre 2012, à quatorze heures trente et le soir :

1. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A (27, 2011-2012) ;

Rapport de Mme Patricia Schillinger, fait au nom de la commission des affaires sociales (8, 2011-2012) ;

Texte de la commission (n° 9, 2011-2012).

2. Projet de loi autorisant la ratification de la convention du travail maritime de l’Organisation internationale du travail (376, 2011-2012) ;

Rapport de M. André Trillard, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (4, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 5, 2012-2013).

3. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation du protocole additionnel à l’accord de partenariat et de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil, relatif à la création d’un centre de coopération policière (3, 2011-2012) ;

Rapport de M. René Beaumont, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (694, 2011-2012) ;

Texte de la commission (n° 695, 2011-2012).

4. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria (352, 2011-2012) ;

Rapport de M. Jean-Paul Fournier, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (413, 2011-2012) ;

Texte de la commission (n° 414, 2011-2012).

5. Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure, de sécurité civile et d’administration (498, 2011-2012) ;

Rapport de M. René Beaumont, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (696, 2011-2012) ;

Texte de la commission (n° 697, 2011-2012).

6. Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Géorgie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (524, 2011-2012) ;

Rapport de M. Raymond Couderc, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (698, 2011-2012) ;

Texte de la commission (n° 699, 2011-2012).

7. Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

8. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant création des emplois d’avenir ;

Rapport de M. Claude Jeannerot, rapporteur de la commission mixte paritaire (1, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 2, 2012-2013).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le jeudi 4 octobre 2012, à zéro heure cinq.