Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 3 octobre 2012 à 22h00
Débat sur le fonctionnement la méthodologie et la crédibilité des agences de notation

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

J’en viens à la question de la valeur accordée à la notation des agences par rapport à la situation de tel ou tel pays. À ce propos, souvenons-nous que le maintien du triple A était apparu à la France comme un objectif prioritaire de sa politique budgétaire. Nous pourrions le comprendre, puisque notre pays émet près de 200 milliards d’euros de titres de dette publique par an. Mais nous pouvons aisément rétorquer que certains pays, dont la notation est moins bonne ou dont la dette publique, rapportée au produit intérieur brut, est plus élevée qu’en France, ont une dette publique moins coûteuse, ne serait-ce que parce les taux d’intérêt qui grèvent les émissions obligataires sont moins élevés.

D’ailleurs, la France a fait une expérience intéressante : la notation de la dette publique a perdu le triple A – l’agence Fitch s’est cependant refusée à le retirer à notre pays – au moment même où les plus récentes émissions étaient grevées de taux d’intérêt plus faibles. Mes chers collègues, nous en sommes même arrivés à constater que nous pouvions émettre aujourd’hui des bons du Trésor de court terme assortis d’un taux d’intérêt négatif. Ainsi, le 20 septembre dernier, l’Agence France Trésor a émis des bons à deux ans assortis d’un taux d’intérêt de 0, 75 %, après que des bons sur formules ont été émis au mois de juillet à un taux négatif.

Une telle situation a une origine fort simple. La dette publique française est particulièrement bien jugée sur la planète finance et certains investisseurs préfèrent souscrire et sur-souscrire les titres de cette dette pour être certains d’en tirer au moins un petit rendement. Ainsi, cet été, un grand établissement suisse est intervenu pour tirer vers le bas le taux d’intérêt de la dette publique française de court terme.

Pour autant, comme chacun sait, dans un contexte global de dépression et de déflation, un taux d’intérêt, même faiblement positif, est un taux réel encore élevé. Si nos taux d’intérêt sont aujourd’hui moins élevés, c’est parce que certains opérateurs et investisseurs, nonobstant l’avis des agences de notation, se positionnent en fonction des risques présumés encourus à placer leur argent dans tel ou tel pays.

Ces observations ne règlent qu’en partie les questions posées par l’activité des agences de notation. Nous devons désormais consacrer quelques instants à nous demander si nous ne pourrions pas faire tout simplement autrement.

La mission commune d’information a formulé un certain nombre de propositions, celle de confier une bonne part du contrôle de l’activité des agences de notation à la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers n’étant pas la moindre.

Selon nous, il ne serait aucunement malvenu, si tant est que la notation des émissions obligataires des États, des entreprises, des collectivités locales ou des organismes sociaux ait un sens et une utilité, de réfléchir à un outil de notation plus directement indépendant des acteurs des marchés financiers.

De ce point de vue, on ne peut oublier que la France est dotée d’un tel outil, puisque la Banque de France dispose, avec sa division « cotations », d’un ensemble d’outils d’évaluation parfaitement éprouvé, dont l’indépendance est tout simplement garantie. Elle évalue aujourd'hui 250 000 entreprises.

Ce fait a deux raisons fort simples : d’une part, la loi de 1993 relative au statut de la Banque de France et à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, que nous n’avions pas approuvée à l’époque, a indéniablement établi cette caractéristique fondamentale de notre banque centrale, situation très différente de celle des agences de notation, toutes rattachées par des liens capitalistiques à des groupes ou sociétés cotés ; d’autre part, aux termes de leurs statuts, les agents de la Banque de France voient leur indépendance garantie par leur mode de recrutement.

Par conséquent, notre banque centrale, comme probablement celles d’autres pays européens, dispose des hommes, des femmes et des outils les plus adéquats pour mener à bien une démarche neutre et objective de notation des émissions publiques comme privées.

Au moment même où le gouverneur de la Banque de France entend mettre en œuvre un plan de restructuration des activités de son institution conduisant à la disparition de 2 500 postes de travail, cette situation doit nous interpeller et nous amener à exiger qu’une orientation nouvelle et différente soit imprimée à notre institution bancaire centrale. Pour peu que les critères de notation soient nettement moins sujets aux aléas d’une conjoncture boursière et spéculative particulièrement changeante, les conditions générales de financement de l’économie et donc de la croissance et de l’emploi pourraient probablement être différentes.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, telles sont les observations dont nous voulions vous faire part. §

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