Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la crise financière et la récession induite que traverse le monde depuis l’effondrement des subprimes sur le marché américain, intervenu en juillet 2007, ne cesse de défrayer l’actualité économique et sociale, tandis qu’une rémission ne se dessine toujours pas à l’horizon.
Ce contexte, d’une gravité exceptionnelle, a mis en lumière auprès du grand public le rôle des agences de notation, suscitant une psychose collective liée à la perte du fameux « triple A ». Ces institutions privées, dont la mission principale consiste à évaluer le risque de crédit, c'est-à-dire le risque de défaut d’un émetteur sur ses dettes financières, apparaissent comme des acteurs incontournables, à défaut d’être légitimes.
On estime aujourd’hui qu’il existe environ 130 agences de notation financière dans le monde, mais nous avons affaire en vérité à un secteur très largement oligopolistique. Pour preuve, Standard & Poor’s et Moody’s contrôlent à elles seules environ 80 % du marché ; Fitch en possède, quant à elle, 15 %. L’agence chinoise Dagong est encore bien trop faible pour les concurrencer.
Ces organismes privés sont tous situés aux États-Unis, à New York. Par conséquent, ils portent une conception occidentale, et plus encore anglo-saxonne, de l’économie.
L’Europe continentale, dont l’histoire économique s’est davantage illustrée par un développement manufacturier que par l’essor d’une industrie financière, ne possède, à ce stade, aucun acteur équivalent. Les projets du français Coface ou de l’allemand Roland Berger n’ont pas abouti, tendant à souligner l’existence de réels blocages et à accentuer un sentiment « d’entre soi », fort commode pour les bénéficiaires.
D’où la question de la légitimité de ces agences, eu égard aux responsabilités qu’elles font peser sur le monde et aux conséquences directes et souvent dramatiques qu’elles ont sur l’économie réelle.
Cette omnipotence reste un défi majeur, surtout lorsque la méthodologie adoptée pose problème. Plus grave encore, le fonctionnement de ces agences est loin de faire l’unanimité. Néanmoins, c’est surtout pour ce qui concerne leur crédibilité qu’il nous faut bâtir un contrôle démocratique.
J’évoquerai donc, tout d'abord, la méthodologie des agences. Les grilles de notation de ces dernières, par exemple, font très largement débat. En effet, si les États-Unis, le Japon et la France ont perdu le triple A, ces États continuent à emprunter à des taux relativement bas sur les marchés. De même, l’Allemagne, meilleur élève économique de la zone euro, est placée sous surveillance.
Il apparaît donc qu’une vision anglo-saxonne de la finance est trop privilégiée par des acteurs dont la légitimité est assez discutable.
Dans cette perspective, le développement des CDS, les contrats d’assurance sur les titres souverains, a accentué le rôle trouble et néfaste joué par le système de notation.
Le CDS est un produit financier dérivé qui n’est soumis à aucun contrôle public. Inventé en pleine période de dérégulation, il doit permettre au détenteur d’une créance de se faire indemniser par le vendeur de CDS au cas où l’émetteur d’une obligation, c'est-à-dire l’emprunteur, fait défaut, qu’il s’agisse d’un pouvoir public ou d’une institution privée. On comprend dès lors que la dégradation des notes, qui mine la dette souveraine des États, joue en faveur des spéculateurs.
Enfin, l’indépendance des agences est fortement compromise par le système dit « émetteur-payeur ».
Initialement, les personnes souhaitant obtenir la notation d’un investissement étaient généralement celles qui payaient cette dernière. On parlait alors d’un modèle « investisseur-payeur ». En 2011, seulement 10 % du chiffre d’affaires des agences de notation provenait des détenteurs de fonds qui voulaient connaître la validité, le risque et la rentabilité potentielle de tel ou tel investissement, placement ou avance de fonds. Progressivement, les agences de notation ont commencé à facturer les émetteurs pour l’obtention de leur propre notation, d’où des risques très forts de conflits d’intérêts.
On se souvient que le groupe Vivendi Universal a fait faillite deux semaines après avoir été estampillé « AAA ». En 2008, la banque d’investissement Lehman Brothers bénéficiait encore de cette même notation à la veille de son effondrement. Un tel fonctionnement ne peut être accepté si l’on veut refonder sur des bases durables une économie saine, qui aura à cœur de replacer l’homme au centre de sa raison d’être.
J’en viens maintenant au fonctionnement des établissements. L’opacité relative de ces derniers est loin de faire l’unanimité parmi les acteurs économiques. Les politiques tarifaires pratiquées illustrent ce phénomène.
Ainsi, au mois d’août 2012, la fédération allemande du secteur bancaire a envoyé une missive à la plus grande agence, Standard & Poor’s, pour lui faire connaître son désaccord sur le sujet. Ce geste intervenait quelques mois seulement après la grogne de grandes entreprises d’outre-Rhin, comme Lufthansa, Volkswagen et Siemens. « Dans beaucoup de cas, les nouvelles factures des services de notation de Standard & Poor’s sont en considérable augmentation par rapport aux années précédentes », incrimine cette lettre. Les banques allemandes concernées n’ont pas pu constater que ces hausses de prix étaient le résultat de services de meilleure qualité.
L’organisation, qui rassemble les fédérations des banques publiques, privées, mutualistes et des caisses d’épargne, veut plus de transparence sur les prix. Elle a également alerté le superviseur européen du secteur bancaire, chargé aussi des agences de notation : « Ces critiques ne visent pas que Standard & Poor’s mais aussi les autres grandes agences de notation financière qui sont en situation d’oligopole. » Cet exemple illustre parfaitement les graves défaillances du système actuel, dont nous ne sommes pas en mesure de maîtriser la dynamique infernale et incontrôlable.
Enfin, j’en viens à la crédibilité de ces organismes privés, qui, je vous le rappelle, mes chers collègues, alors même qu’ils ne disposent d’aucun contre-pouvoir, se prononcent sur des pans entiers de l’économie, publics ou privés.
Il faut bien comprendre que la perte d’un ou de plusieurs crans de la notation a potentiellement des conséquences désastreuses sur l’emploi. En somme, un petit nombre d’« experts » mus par la cupidité dispose, indirectement, de la vie de millions de travailleurs, sans réel contrôle démocratique.
Cette situation reste dangereuse, dans la mesure où l’on veut éviter de susciter une nouvelle crise systémique à l’échelle planétaire. Il faut donc que l’Europe se dote de ses propres instruments de contrôle, efficaces, crédibles et légitimes.
À ce titre, il faut renforcer les trois nouvelles autorités de supervision européennes instaurées pour constituer le Système européen de surveillance financière : l’Autorité européenne des marchés financiers ; l’Autorité bancaire européenne ; l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles.
La mise en place d’outils réellement légitimes et transparents à l’échelle du continent est encouragée par les écologistes, dans la mesure où ces instruments mènent à un approfondissement de l’intégration européenne.
Pour conclure, monsieur le ministre, nous disons oui au contrôle démocratique, oui à l’Europe, oui au TSCG !