Cher collègue François Fortassin, je partage votre coup de colère, bien ciblé. Vos propos sur la notation des établissements bancaires se rapportent à la dette souveraine et non à la dette privée, car il existe véritablement une corrélation dans la manière de noter les États et les établissements bancaires. Pourtant, on ne peut pas tout mettre dans le même panier ! Il n’est pas possible de noter de la même façon les produits structurés, le corporate, les entreprises et le souverain.
Il faut donc que les agences retrouvent leur véritable caractère de prestataire de services. Pour ce faire, il convient de mettre fin au principe de l’émetteur-payeur, qui a brisé tout le système, et revenir à celui de l’investisseur-payeur. Si vous êtes dans une relation de conseil à l’investisseur, vous agissez en tant que prestataire de services, ce qui évite toute ambiguïté. Du reste, cela aura des conséquences positives sur la question complexe du régime de responsabilité des agences, car on déplore malheureusement aujourd'hui une absence de relations contractuelles entre ces dernières et les investisseurs.
Il faut d’ailleurs noter, comme l’a d’ailleurs fait M. le rapporteur, que le modèle de l’investisseur abonné payeur existe ; mais il n’est le fait que des très petites agences de notation. Il est très clair que le paiement de la notation par les entités notées est une source potentielle de conflits d’intérêts entre émetteurs et agences de notation. Ce n’est pas raisonnable ! Et que l’on ne me dise pas que c’est une histoire de photocopieuses ! Les agences de notation savaient parfaitement ce qu’elles faisaient en passant du système de l’investisseur-payeur à celui de l’émetteur-payeur.
Quant à la question de la légitimité des agences de notation de noter la dette souveraine, à mes yeux primordiale, elle ne se pose que depuis 2009. La place croissante des facteurs politiques dans l’analyse des agences est tout simplement insupportable. On ne peut pas laisser faire cela !
La notation de la dette souveraine doit obéir à des critères qui diffèrent, pour partie, de ceux qui sont retenus pour la notation de la dette privée. En effet, les États ont la possibilité de lever l’impôt et d’émettre de la monnaie, ce qui fait d’eux, a priori, des débiteurs beaucoup plus sûrs que les débiteurs privés. Toutefois, il faut aussi reconnaître que les créanciers ont peu de voies de recours si un État décide de ne plus rembourser sa dette.
La notation doit donc prendre en compte non seulement la capacité financière d’un État à rembourser ses dettes, mais aussi sa détermination à le faire, notamment dans l’hypothèse où un contexte de crise économique rendrait le service de la dette plus difficile à assumer.
La notation doit tenir compte de critères économiques et financiers – tout le monde le comprend –, mais aussi – et c’est là où c’est grave ! – de données politiques et institutionnelles. La croissance stable et régulière, l’évolution des déficits publics et de la dette publique, tout comme la politique monétaire ou la balance des paiements, sont également des données essentielles qu’il faut prendre en considération.
De par la complexité de ces données, leur spécificité, la nécessité de disposer non seulement d’une analyse quantitative, mais aussi d’une appréciation très largement qualitative avant de pouvoir attribuer une note, la méthodologie des agences pour la notation de la dette souveraine ne peut se satisfaire de la grille de notation retenue pour les produits structurés ou le corporate.
Je rappelle que, dans la quasi-totalité des cas, les grands États, dont la France, ne demandent pas la notation. Il s’agit donc de notations non sollicitées.
J’ajoute que le défaut d’un État est très rare et ambigu, car, disons-le clairement, un État n’a pas à rembourser ses dettes ; il les renouvelle dans le temps, ce qui est complètement différent.
La soutenabilité intrinsèque de la dette s’évalue sur un horizon à très long terme et dépend de caractéristiques entièrement politiques. La méthode de validation statistique appliquée aujourd'hui aux notations des entreprises est ici inutilisable.
Les agences se contentent donc de définir des critères subjectifs et hétéroclites, qui ont peu évolué face à la crise de liquidité que nous connaissons. La notation souveraine devient un processus entièrement procyclique et autoréalisateur. Le même phénomène se produit pour les banques, puisque les agences relient étroitement la notation bancaire à la notation souveraine. À cet égard, les propos tenus par mon collègue François Fortassin à propos du Crédit immobilier de France sont tout à fait importants.
Pour ma part, je le répète, je considère que les agences n’ont aucune légitimité scientifique dans la notation souveraine. Eu égard à la charge de travail que cela implique, elles n’ont pas davantage les moyens suffisants pour aller dans ce sens. On sait comment cela se passe ! Deux personnes ne peuvent pas décider, dans un aéroport, par conférence téléphonique, de la note de la France. C’est absolument inacceptable !