Intervention de Vincent Delahaye

Réunion du 3 octobre 2012 à 22h00
Débat sur le fonctionnement la méthodologie et la crédibilité des agences de notation

Photo de Vincent DelahayeVincent Delahaye :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, sans faire preuve d’une grande originalité, car beaucoup a déjà été dit, je vous présenterai ce que sont, à mes yeux, les enjeux liés au problème des agences de notation.

D’abord, je suis très heureux que cette mission commune d’information ait pu voir le jour, à la suite de l’adoption d’une proposition déposée par le groupe de l’Union centriste et républicaine. En effet, la question des agences de notation est importante dans l’état actuel de nos finances et des marchés financiers mondiaux.

Pendant des années, on a ignoré jusqu’à l’existence de ces agences. Que l’on vive à crédit ne posait problème à personne, pas même aux agences de notation. C’était l’insouciance : les déficits s’accumulaient, les dettes aussi, et les notes restaient bonnes, voire excellentes. L’idée qu’un État puisse faire faillite n’effleurait personne.

Pourtant, dans les années trente, la moitié des États américains s’étaient retrouvés en défaut de paiement ; mais on a parfois la mémoire courte.

Évaluer le risque de défaut de paiement des États comme des entreprises ou des établissements bancaires est aujourd’hui devenu un enjeu majeur.

Il faut bien reconnaître que les trois agences qui détiennent le quasi-monopole du marché de la notation n’ont pas brillé par la qualité de leurs prédictions… Les exemples d’erreurs de diagnostic sont légion, d’Enron à Lehman Brothers.

Et quand le mal est avéré, on voit les mêmes agences dégrader brutalement leurs notes, contribuant ainsi à déstabiliser davantage les marchés et, au bout du compte, à aggraver les crises. C’est ainsi que l’emballement de la dette grecque a été le produit de la hausse des taux d’intérêt due à la défiance des investisseurs après 2009.

De même, la dégradation d’une note souveraine conduit à la dégradation en cascade des notes des collectivités territoriales, des banques, des entreprises, bref, de tous les agents financiers liés de près ou de loin à l’État en question, et cela sans analyse des fondamentaux réels de ces institutions.

Les carences des agences de notations actuelles, sur le plan à la fois de l’anticipation et de la mesure, justifient tout à fait que l’on s’empare de cette question.

Les États-Unis, d’ailleurs, l’ont déjà fait : la Securities and Exchange Commission a publié un rapport sur le sujet en 2008 et le Sénat américain s’est également penché sur le problème en 2011.

Il ne s’agit pas de souhaiter la disparition des agences de notation. Elles n’étaient pas parfaites avant la crise, elles n’ont pas aujourd’hui tous les défauts de la terre ; il serait déraisonnable de se priver de leurs avis. Ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on guérit le malade !

Ce qui est en jeu, c’est la manière de garantir la qualité des avis émis et de réduire la position de quasi-monopole des trois grandes agences de notation.

Il est légitime d’agir, mais, à mon avis, il convient d’éviter trois écueils.

D’abord, il faut écarter toute suggestion coûteuse comme celle visant à mettre en place une agence publique de notation avec de l’argent public que l’on n’a pas.

De quelle crédibilité, d’ailleurs, une telle agence pourrait-elle bien se prévaloir ? D’entrée de jeu, elle serait en situation de conflit d’intérêts ! Imagine-t-on une agence de notation européenne dégrader la France ou l’Allemagne ?

Ensuite, il convient de ne pas renforcer excessivement l’appareillage juridique, s’agissant notamment de la responsabilité civile.

Chacun sait, en effet, que notre code civil est déjà bien fourni. Sans compter que le recours au contentieux serait souvent sans effet, car les préjudices, dans ce domaine, sont difficiles à évaluer. Privilégier cette voie serait donc faire fausse route.

Enfin, il faut éviter de passer d’un excès à l’autre, ce qui est souvent un défaut français. Je ne crois pas qu’il faille passer de l’absence totale de contrôle à un contrôle absolu et sans défaut. Nous connaissons tous la belle formule : qui trop embrasse mal étreint !

Pour ma part, si je me réfère aux propositions contenues dans le rapport, je considère qu’il faut nous concentrer uniquement sur certaines d’entre elles.

Le problème du marché de la notation tient à sa concentration et à sa position stratégique dans l’évolution des valeurs financières. C’est le cœur du problème, et c’est donc sur ce point qu’il faut agir.

Nous devons ramener la notation à sa juste place : celle d’un avis, d’une opinion, et pas d’une parole d’évangile ou d’une vérité révélée.

Pour nous désintoxiquer de notre addiction à la notation financière, concentrons-nous, mes chers collègues, sur quelques solutions de bon sens, réalistes et pragmatiques.

Nous pourrions nous inspirer utilement non seulement des propositions de l’excellent rapport de la mission commune d’information, mais aussi de celles qui ont été présentées dans le rapport publié en juillet 2012 par l’institut Montaigne, lequel comporte trois idées-clés.

D’abord, il convient de mettre fin à la situation de rente des trois grands acteurs et de favoriser la libre concurrence.

Ensuite, il faut réglementer l’activité des agences de notation en exigeant plus de transparence.

Enfin, il importe d’instaurer un véritable principe de responsabilité pour les principaux acteurs du marché, c’est-à-dire les agences, les investisseurs et les régulateurs.

Pour se désintoxiquer des agences de notation, demandons aux régulateurs de supprimer, chaque fois que cela est possible, l’obligation d’avoir recours à elles.

Obligeons l’Autorité européenne des marchés financiers à procéder, d’ici au 31 décembre 2013, au retrait des références aux notations dans les réglementations financières.

Pourquoi ne pas favoriser aussi une concurrence plus forte ? Je suis d’accord avec ceux qui souhaitent le lancement d’un appel à projets au niveau européen pour encourager la création d’une agence européenne de notation.

L’arrivée sur le marché de ce nouvel acteur permettrait notamment d’éviter le biais favorable aux normes comptables américaines, qui conduit aujourd’hui à une distorsion de concurrence injustifiée entre les entreprises françaises et leurs concurrentes d’outre-Atlantique.

Encourageons une réglementation européenne qui garantisse la transparence des méthodes employées et des moyens humains utilisés, tant en qualité qu’en quantité. Nous savons en effet qu’il y a souvent un sous-effectif chronique au sein des agences de notation.

La transparence doit concerner aussi l’actionnariat des agences, afin de prévenir tout conflit d’intérêts.

Comme le suggère l’institut Montaigne, les infractions relevées pour non-respect de ces règles pourraient faire l’objet d’une publicité large dans les organes de la presse économique de chaque pays où l’agence est présente, aux frais de celle-ci.

Comme il a été dit, pour rompre avec les collusions d’intérêts possibles, passer progressivement d’un modèle émetteur-payeur à un modèle investisseur-payeur semble constituer une très bonne piste.

Une autre piste consiste à « réinternaliser » l’évaluation des risques au sein des grands établissements de crédit et des compagnies d’assurance, avec des systèmes de scoring fondés sur des modèles robustes, indépendants et sérieux. Ces organismes devront se pencher sur les risques de crédit, bien sûr, mais aussi sur les liquidités, le change et les contreparties.

Encourageons des alternatives crédibles de notation au sein de ces établissements pour éviter un recours systématique et unique aux notes des agences.

Par ailleurs, il faudra instaurer une plateforme de notation. Au sein de l’Autorité européenne des marchés financiers, l’AEMF, on pourrait compiler, agréger, voire comparer les informations relatives aux émetteurs de dettes émises par les diverses agences. Cette plateforme offrirait aux émetteurs et aux investisseurs une vue d’ensemble des diverses actions engagées par les diverses agences enregistrées. On pourrait même comparer les notes des agences ainsi que leurs performances.

Enfin, exiger des agences qu’elles fixent à l’avance un calendrier des notations indépendant de la conjoncture paraît aussi une bonne mesure politique pour éviter les interférences avec les campagnes électorales et les moments-clés, comme ceux que nous avons connus récemment, de la vie d’un pays.

Ainsi, de façon pragmatique et réaliste, nous aurions fait un pas vers une réglementation saine d’un secteur dont nous ne pouvons malheureusement pas nous passer. §

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