Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer, à mon tour, l’excellent travail mené tant par le rapporteur que la présidente de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation. Ce travail a permis, à la faveur d’un large consensus politique, l’adoption à l’unanimité d’un rapport. Je me félicite également de ce que nous puissions aujourd’hui avoir ce débat en séance publique : cela atteste de l’intérêt que le Sénat porte à cette question d’autant plus essentielle que les États entretiennent avec les agences de notation des relations à la fois complexes et ambiguës.
Depuis la crise des subprimes, les limites des agences ont été pointées du doigt. La question du conflit d’intérêts est réapparue. Les agences manqueraient d’objectivité, car les émetteurs qu’elles notent les rémunèrent. Elles sont souvent apparues comme favorisant l’instabilité des marchés, voire jouant parfois un rôle d’accélérateur de la crise. Le cas de la Grèce a été assez révélateur : les investisseurs anticipent de nouvelles dégradations de la part des agences de notation et contribuent à une augmentation des taux ; les agences en tiennent compte et baissent d’autant la note du pays. La gouvernance des agences demeure ainsi sujette à caution, notamment dans le cadre de l’évaluation de la dette publique.
Or, malgré ces limites, nous demeurons excessivement dépendants des agences, lesquelles, compte tenu de la faiblesse des banques, tiennent un rôle prééminent lorsqu’il faut évaluer l’état de santé de l’économie mondialisée. Rappelons-nous comment chaque annonce d’une agence au sujet des dettes souveraines d’un État membre, par exemple, fait trembler le gouvernement du pays concerné et influe immédiatement sur la stabilité de toute la zone euro.
Que nous le voulions ou non, nous assistons à une modification du modèle de financement de l’économie, comme cela a été rappelé tout à l’heure par la présidente de la mission commune d’information. On passe d’un financement par les banques à un financement par les marchés. Le marché obligataire étant totalement mondialisé – en France, 65 % des obligations d’État sont détenues par des non-résidents –, l’influence des agences de notation en est mécaniquement renforcée.
Pour preuve, les pouvoirs publics ont fait des agences de notation des standards d’évaluation des risques, et donc de quasi-régulateurs. On ne peut être que stupéfait de le constater, sur les 2 000 milliards d’euros déposés auprès de la Banque centrale européenne, 75 % sont admis sur la base d’une notation d’agence.
De fait, les notes ne sont plus de « simples opinions » ; elles ont des implications considérables tant sur le taux des emprunts que sur la crédibilité de l’émetteur, et la « mission de service public » accordée aux trois principales agences a été réalisée sans vrai cahier des charges ! La transparence des méthodes d’analyse ainsi que la facilité d’examen des données n’ont jamais été encadrées ni exigées.
À ce titre, le rapport de la mission commune a le grand mérite de formaliser diverses propositions de nature à renforcer la transparence et la professionnalisation, à limiter les conflits d’intérêts et à préciser le cadre juridique des agences.
Je me permettrai de citer simplement les propositions qui me semblent particulièrement appropriées pour améliorer la situation actuelle.
La première d’entre elles consiste en l’instauration d’un système de certification professionnelle des agences, qui permettrait ainsi de renforcer la qualification, l’expérience et la formation continue des analystes.
Ensuite, les missions des agences doivent être organisées pour éviter diverses difficultés que nous constatons trop fréquemment, à savoir l’application des seules lois du marché, l’existence de conflits d’intérêts dans les rapports entre les banques et les agences sur les produits structurés, l’intrusion des agences dans le domaine de la prénotation pour les opérations de fusion-acquisition, l’émission de contrats de droit anglo-saxon dans une tentative de « délocalisation par le droit », pour reprendre les termes utilisés tout à l’heure par M. le rapporteur.
Enfin, obliger les agences à souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle et à disposer d’un capital minimal est une proposition de nature à véritablement encadrer leur engagement et à leur faire assumer réellement leur responsabilité.
Je trouve également très important et très sain d’instituer une consultation des commissions des finances des parlements nationaux pour mieux mesurer la dimension des dettes souveraines et assurer un « relais démocratique » des travaux des agences. Cela permettrait, sans nul doute, sur un dossier aussi complexe, qui nous éloigne de nos concitoyens, de mieux prendre en compte le travail parlementaire.
Par ailleurs, on ne peut éviter de s’interroger sur l’absence de réelle concurrence sur le marché de la notation. Le caractère oligopolistique de ce marché laisse apparaître une situation de position dominante au profit des trois principales agences. Parfois même, l’abus de position dominante n’est pas loin. Sur une question aussi délicate, sur laquelle l’Union européenne est particulièrement sourcilleuse – on l’a vu dans beaucoup d’autres domaines –, l’émergence de nouveaux intervenants pourrait présenter un intérêt.
À ce titre, je suis largement favorable à la création d’une agence de notation privée européenne de taille mondiale, avec, bien entendu, la mise en place des « clefs de sécurité » nécessaires pour assurer une plus grande responsabilité et un plus grand sérieux. La difficulté principale sera de faire émerger un acteur européen qui ne pourra pas être soupçonné de partialité et d’éviter que toute initiative européenne soit interprétée comme une volonté de limiter l’influence des agences de notation. Cela aurait en effet pour conséquence automatique de renforcer la défiance à l’égard de la zone euro.
Comme je l’avais évoqué devant aussi bien la mission commune d’information que la commission des affaires européennes, je me réjouis que le président Barroso ait été interpellé sur les propositions contenues dans ce rapport, en particulier sur la pertinence de la création d’une agence de notation européenne privée.
Cette procédure permise par le traité de Lisbonne est en tout point excellente. Je l’avais d’ailleurs utilisée, au nom de la commission des affaires européennes, en juillet 2011, à propos de l’aide alimentaire. Je note simplement que la réactivité du président de la Commission européenne n’est pas forcément celle que l’on pourrait souhaiter. J’avais déjà remarqué à l’époque, concernant précisément la problématique de l’aide alimentaire, que celui-ci n’avait pas jugé bon de répondre à la sollicitation du Sénat ; je le rappelle aujourd’hui.
J’ajouterai que le lien avec la Commission européenne me semble d’autant plus pertinent que la réflexion du Sénat serait de nature à compléter le projet européen de réglementation des agences de notation, dont le commissaire européen Michel Barnier avait pris l’initiative et qui est destiné à renforcer la supervision européenne des agences.
En prévision de la mise en œuvre d’une union politique devant parachever l’union monétaire et budgétaire, il me semble indispensable que nous puissions doter l’Union européenne d’une agence de notation de dimension mondiale s’intégrant dans un paysage aujourd’hui constitué par trois principales agences de notation anglo-saxonnes.
Si nous pouvons saluer la volonté du président Obama de moraliser et de réguler le secteur financier américain avec le vote du Dodd-Frank Act dès 2007, nous sommes loin, aujourd’hui, de sa mise en application rationalisée.
Pour sa part, au travers de la mobilisation du commissaire Barnier, l’Union européenne s’est à son tour engagée, dès 2009, dans la mise en œuvre d’une législation communautaire.
Il est désormais impératif que nous puissions ensuite harmoniser l’ensemble de ces règles dans le cadre d’une mondialisation de plus en plus présente sur les marchés ; c’est le rôle du G20. Enfin, ne l’oublions pas, si quatre pays de l’Union européenne – l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie – en font actuellement partie, seule l’Allemagne sera encore présente dans ce classement à cette échéance, selon les projections économiques à l’horizon 2050.
La régulation, la compétitivité, l’harmonisation des règles et la réciprocité dans les échanges sont autant de défis à relever aujourd’hui pour la France. Je fais donc mienne la question que notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx a posée au terme de son propos, tout en vous précisant, monsieur le ministre, et cela sans aucune animosité de ma part, que l’urgence, c’est maintenant ! §