Intervention de Jean-Louis Carrère

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 octobre 2012 : 1ère réunion
Avenir de la politique de coopération française au développement — Table ronde

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère, président :

La question de l'aide au développement nous tient à coeur depuis longtemps. Notre commission a ainsi participé au document-cadre de coopération et de développement et s'est plus récemment intéressée au contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD (agence française de développement).

Nous espérons qu'un jour, il nous sera possible de débattre d'une loi de programmation sur le développement définissant ses grandes orientations et son cadrage budgétaire, comme c'est le cas en Grande-Bretagne ou en Espagne. Car, si cette politique a longtemps été le monopole de l'exécutif, elle doit désormais être davantage discutée au Parlement.

Cette réunion que j'ai voulu ouverte au public et retransmise sur Public Sénat, nous donnera l'occasion d'entendre outre nos invités, les questions de Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon, rapporteurs de notre commission sur le budget de l'aide publique au développement (APD), devenus des experts du sujet. Leur travail commun, conforme à l'esprit de la commission, illustre à quel point la question du développement dépasse les clivages traditionnels.

L'organisation de cette table ronde part du constat, chaque jour confirmé, que le développement harmonieux et durable est inscrit au coeur des enjeux internationaux. Sur la rive sud de l'Europe, l'issue des printemps arabes dépendra en grande partie du développement de l'emploi dans les pays du Maghreb. Plus au sud, comment ne pas voir que le sous-développement du Sahel est à l'origine de ses déboires ? Enfin, c'est dans les pays émergents que va se jouer, non seulement une grande partie de la lutte contre le réchauffement climatique mais aussi l'avenir du modèle social européen.

Dans un monde interdépendant, la question sociale - comme l'on disait au XIXe siècle -, les enjeux environnementaux et les risques sanitaires ont pris une dimension planétaire.

Notre politique de coopération et de développement y prend un sens nouveau. Elle doit s'adapter à un monde changeant, voire mutant car le cadre dans lequel elle avait été pensée après la décolonisation a volé en éclats. La notion même de pays en développement recouvre des réalités extrêmement différentes selon que l'on est à Bamako, à Shanghaï, à Nouakchott ou à Brasilia. Les pays émergents changent la donne, mais même en Afrique, l'extrême pauvreté côtoie une classe moyenne en plein développement. Le concept de développement est luis aussi en train de changer avec la prise en compte croissante des biens publics mondiaux.

Dans ce contexte, la politique de coopération au développement fait l'objet de nombreuses interrogations dans les enceintes internationales comme dans notre pays. Face à la crise de nos finances publiques, certains de nos concitoyens considèrent que, n'ayant plus les moyens de cette solidarité, nous devrions nous concentrer sur le territoire national en difficulté. «La Corrèze avant le Zambèze», ce n'est pas nouveau.

D'autres y voient un instrument utile, et finalement bon marché, de sécurisation de notre environnement international. Il vaut mieux prévenir que guérir ou que d'être contraint d'intervenir militairement.

On peut aussi y voir un outil d'influence et de rayonnement de la France, puissance moyenne certes, mais à vocation planétaire. En effet, l'honneur de notre pays fut souvent de prendre la tête de la lutte contre le sous-développement et d'agir sans relâche pour l'égalité d'accès aux droits fondamentaux, à la vie, à la santé ou à l'éducation, que l'on soit né à Paris, à Sidi Bouzid ou à Mopti.

Certains pensent enfin qu'il faut jeter les bases de politiques publiques à l'échelle mondiale si l'on veut maîtriser les effets de la mondialisation dans le domaine de la santé, de la biodiversité et de l'environnement.

Indépendamment de ses objectifs, les moyens de notre politique ont fait l'objet d'évaluations sévères de la part de la Cour des comptes comme du cabinet Ernst and Young. Elles nous décrivent une politique marquée par des effets d'annonce et des promesses sans lendemain, un éclatement administratif et un système d'évaluation incertain.

Cette situation empêche le déploiement d'une stratégie cohérente de long terme, réalisant la synergie de nos ambitions et des moyens grâce à une structure de pilotage adaptée.

Tout n'est pas noir et nous pouvons être fiers de ce que nous faisons. Mais, avec les moyens financiers qui sont les nôtres, nous pouvons sans doute faire mieux ! Puissions-nous donc, au-delà des bilans, tracer les perspectives d'une politique de coopération rénovée et adaptée à l'agenda international du développement.

Cette politique doit s'inscrire dans le monde d'aujourd'hui tout en dessinant celui de demain. Je vous propose d'y réfléchir ensemble en trois temps : tout d'abord avec les évaluateurs Jean-Pierre Bayle et Arnauld Bertrand, puis avec trois grands témoins, Jean-Michel Severino, Jean-Louis Vielajus et Dominique de Crombrugghe. Enfin, Pascal Canfin nous fera partager l'expérience de ses premiers mois comme ministre délégué chargé du développement et nous présentera les orientations qu'il entend donner à cette politique.

M. Jean-Pierre Bayle, ancien sénateur, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes. - Retrouvant le Sénat avec plaisir et émotion, il me plaît de souligner l'intensification des liens entre la Cour des comptes et les assemblées parlementaires.

La politique de coopération et de développement constitue une politique publique importante. Elle est l'un des axes majeurs de la politique étrangère de notre pays et l'occasion pour les Français de témoigner régulièrement de leur conception de la solidarité internationale. Mais en période de difficultés budgétaires, elle redevient aussi un objet de suspicions et de critiques.

Bien évidemment, c'est aux autorités politiques que revient le soin de fixer les orientations politiques et je n'interviendrai pas sur ce point même si, comme le disait Tocqueville, « si le passé n'éclaire plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres ». Je concentrerai mon propos sur le rapport public thématique sur la politique française d'aide au développement publié par la Cour en juin dernier après une enquête importante menée pendant près de dix-huit mois. Précisons toutefois qu'il ne s'agit pas d'une évaluation à proprement parler, qui aurait nécessité une mesure exhaustive des effets de cette politique, et la prise en compte des points de vue de l'ensemble des parties prenantes.

Ce rapport est plutôt une analyse revenant sur les cinq facteurs de la réussite de notre coopération : ses objectifs, son pilotage, ses instruments, sa gestion et les choix qui peuvent en découler en période de restriction budgétaire.

La politique de coopération doit tout d'abord restreindre et hiérarchiser ses objectifs. Une des particularités de la politique française au cours de la dernière décennie a en effet été de cumuler les objectifs. A ceux, classiques, définis par les Nations unies dans le cadre des objectifs du millénaire sont venus s'ajouter la volonté d'accompagner le développement des pays émergents, l'ambition de contribuer à la protection des biens publics mondiaux, la recherche de l'influence nationale et la défense de l'intérêt de nos entreprises. Si aucun de ces objectifs n'est illégitime en soi, leur accumulation qui tranche avec la pratique de nos partenaires tels que le Royaume-Uni, a brouillé les cartes. Il faudra, à l'avenir, mieux les hiérarchiser et en abandonner peut-être certains dés lors les moyens suffisants ne peuvent être mobilisés.

Le pilotage de politique de coopération par les autorités manque de continuité. Si le Parlement s'est jusqu'ici peu impliqué dans son élaboration, à la différence de ses homologues britannique ou allemand qui ont voté des lois spécifiques, le gouvernement dispose du comité interministériel de la coopération internationale pour le développement (CICID), présidé par le Premier ministre. Celui-ci n'est toutefois pas parvenu à se réunir régulièrement -c'est un euphémisme- alors qu'il est pourtant le seul à pouvoir rendre des arbitrages tant sur les objectifs que sur les moyens. Sa dernière réunion remonte à juin 2009. Quelles que soient les orientations retenues, il sera d'autant plus nécessaire de restaurer ce moyen de pilotage que les acteurs étatiques chargés de sa mise en oeuvre sont pluriels.

La politique de coopération doit aussi adapter ses instruments à ses ambitions. Selon ses déclarations à l'OCDE, la France consacre plus de 9 milliards d'euros par an à la politique d'aide dont 7 milliards d'euros de crédits budgétaires. Ce montant ne permet cependant pas d'atteindre l'objectif de 0,7 % du revenu national brut en 2015. Au cours de la décennie passée, notre pays a privilégié des instruments, tels que le prêt modérément bonifié, qui ne correspondaient pas aux objectifs recherchés, cette situation s'expliquant en partie par la qualité du travail de l'agence française de développement (AFD), qui est en soi un grand atout de notre politique. Notons toutefois que le partage des rôles entre l'État et l'AFD, conforme aux objectifs de la politique d'aide, a commencé à être entrepris avec le contrat d'objectifs et de moyens et le document cadre publié en 2011.

La politique de coopération doit évidemment contenir son coût de gestion. Or celui-ci dépasse 700 millions d'euros par an - si l'on tient compte des différents réseaux publics concernés : les ambassades, les services du Trésor et l'AFD -, soit un niveau proportionnellement plus élevé que chez nos partenaires. Ce coût doit donc être réduit, en tirant partie des réformes engagées dans les différents services du ministère des affaires étrangères et du Trésor et en prenant davantage appui sur le réseau des agences de l'AFD.

Enfin, il convient de mieux concilier actions bilatérales et multilatérales. Si l'opposition entre ces deux principaux vecteurs de l'aide a presque pris un tour théologique dans notre pays, la Cour n'est pas en mesure de préconiser l'une plutôt que l'autre. En revanche il ressort de son analyse que l'articulation entre les deux catégories d'instruments est insuffisante notamment faute d'une vision claire de ce que représente l'aide pilotable, c'est-à-dire celle susceptible d'être orientée sur le plan national. Cela tient également à l'absence, chez nos représentants, à Washington, à Bruxelles ou a Ouagadougou, d'un jeu en réseau permettant d'optimiser nos actions et nos financements. Deux options sont donc envisageables. La première consiste à privilégier l'aide multilatérale en s'impliquant davantage dans les organisations, en créant ce jeu de réseaux entre nos acteurs et les institutions internationales et en réservant nos financements bilatéraux à des projets clairement définis. La seconde accorde au contraire une préférence à l'aide bilatérale, à condition d'en adapter la gouvernance, d'adapter sa gouvernance aux moyens disponibles et d'être plus attentifs aux résultats des actions conduites.

A l'heure des ambitions nouvelles et des contraintes renforcées, rappelons que la politique d'aide au développement a ceci de particulier que ses bénéficiaires ne sont pas en mesure de s'exprimer directement sur ses résultats. C'est une raison majeure pour lui prêter une attention plus soutenue. C'est en tout cas dans cet esprit que la Cour sera attentive au suivi de ses recommandations.

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