La question de l'aide au développement nous tient à coeur depuis longtemps. Notre commission a ainsi participé au document-cadre de coopération et de développement et s'est plus récemment intéressée au contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD (agence française de développement).
Nous espérons qu'un jour, il nous sera possible de débattre d'une loi de programmation sur le développement définissant ses grandes orientations et son cadrage budgétaire, comme c'est le cas en Grande-Bretagne ou en Espagne. Car, si cette politique a longtemps été le monopole de l'exécutif, elle doit désormais être davantage discutée au Parlement.
Cette réunion que j'ai voulu ouverte au public et retransmise sur Public Sénat, nous donnera l'occasion d'entendre outre nos invités, les questions de Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon, rapporteurs de notre commission sur le budget de l'aide publique au développement (APD), devenus des experts du sujet. Leur travail commun, conforme à l'esprit de la commission, illustre à quel point la question du développement dépasse les clivages traditionnels.
L'organisation de cette table ronde part du constat, chaque jour confirmé, que le développement harmonieux et durable est inscrit au coeur des enjeux internationaux. Sur la rive sud de l'Europe, l'issue des printemps arabes dépendra en grande partie du développement de l'emploi dans les pays du Maghreb. Plus au sud, comment ne pas voir que le sous-développement du Sahel est à l'origine de ses déboires ? Enfin, c'est dans les pays émergents que va se jouer, non seulement une grande partie de la lutte contre le réchauffement climatique mais aussi l'avenir du modèle social européen.
Dans un monde interdépendant, la question sociale - comme l'on disait au XIXe siècle -, les enjeux environnementaux et les risques sanitaires ont pris une dimension planétaire.
Notre politique de coopération et de développement y prend un sens nouveau. Elle doit s'adapter à un monde changeant, voire mutant car le cadre dans lequel elle avait été pensée après la décolonisation a volé en éclats. La notion même de pays en développement recouvre des réalités extrêmement différentes selon que l'on est à Bamako, à Shanghaï, à Nouakchott ou à Brasilia. Les pays émergents changent la donne, mais même en Afrique, l'extrême pauvreté côtoie une classe moyenne en plein développement. Le concept de développement est luis aussi en train de changer avec la prise en compte croissante des biens publics mondiaux.
Dans ce contexte, la politique de coopération au développement fait l'objet de nombreuses interrogations dans les enceintes internationales comme dans notre pays. Face à la crise de nos finances publiques, certains de nos concitoyens considèrent que, n'ayant plus les moyens de cette solidarité, nous devrions nous concentrer sur le territoire national en difficulté. «La Corrèze avant le Zambèze», ce n'est pas nouveau.
D'autres y voient un instrument utile, et finalement bon marché, de sécurisation de notre environnement international. Il vaut mieux prévenir que guérir ou que d'être contraint d'intervenir militairement.
On peut aussi y voir un outil d'influence et de rayonnement de la France, puissance moyenne certes, mais à vocation planétaire. En effet, l'honneur de notre pays fut souvent de prendre la tête de la lutte contre le sous-développement et d'agir sans relâche pour l'égalité d'accès aux droits fondamentaux, à la vie, à la santé ou à l'éducation, que l'on soit né à Paris, à Sidi Bouzid ou à Mopti.
Certains pensent enfin qu'il faut jeter les bases de politiques publiques à l'échelle mondiale si l'on veut maîtriser les effets de la mondialisation dans le domaine de la santé, de la biodiversité et de l'environnement.
Indépendamment de ses objectifs, les moyens de notre politique ont fait l'objet d'évaluations sévères de la part de la Cour des comptes comme du cabinet Ernst and Young. Elles nous décrivent une politique marquée par des effets d'annonce et des promesses sans lendemain, un éclatement administratif et un système d'évaluation incertain.
Cette situation empêche le déploiement d'une stratégie cohérente de long terme, réalisant la synergie de nos ambitions et des moyens grâce à une structure de pilotage adaptée.
Tout n'est pas noir et nous pouvons être fiers de ce que nous faisons. Mais, avec les moyens financiers qui sont les nôtres, nous pouvons sans doute faire mieux ! Puissions-nous donc, au-delà des bilans, tracer les perspectives d'une politique de coopération rénovée et adaptée à l'agenda international du développement.
Cette politique doit s'inscrire dans le monde d'aujourd'hui tout en dessinant celui de demain. Je vous propose d'y réfléchir ensemble en trois temps : tout d'abord avec les évaluateurs Jean-Pierre Bayle et Arnauld Bertrand, puis avec trois grands témoins, Jean-Michel Severino, Jean-Louis Vielajus et Dominique de Crombrugghe. Enfin, Pascal Canfin nous fera partager l'expérience de ses premiers mois comme ministre délégué chargé du développement et nous présentera les orientations qu'il entend donner à cette politique.
M. Jean-Pierre Bayle, ancien sénateur, président de la 4ème chambre de la Cour des comptes. - Retrouvant le Sénat avec plaisir et émotion, il me plaît de souligner l'intensification des liens entre la Cour des comptes et les assemblées parlementaires.
La politique de coopération et de développement constitue une politique publique importante. Elle est l'un des axes majeurs de la politique étrangère de notre pays et l'occasion pour les Français de témoigner régulièrement de leur conception de la solidarité internationale. Mais en période de difficultés budgétaires, elle redevient aussi un objet de suspicions et de critiques.
Bien évidemment, c'est aux autorités politiques que revient le soin de fixer les orientations politiques et je n'interviendrai pas sur ce point même si, comme le disait Tocqueville, « si le passé n'éclaire plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres ». Je concentrerai mon propos sur le rapport public thématique sur la politique française d'aide au développement publié par la Cour en juin dernier après une enquête importante menée pendant près de dix-huit mois. Précisons toutefois qu'il ne s'agit pas d'une évaluation à proprement parler, qui aurait nécessité une mesure exhaustive des effets de cette politique, et la prise en compte des points de vue de l'ensemble des parties prenantes.
Ce rapport est plutôt une analyse revenant sur les cinq facteurs de la réussite de notre coopération : ses objectifs, son pilotage, ses instruments, sa gestion et les choix qui peuvent en découler en période de restriction budgétaire.
La politique de coopération doit tout d'abord restreindre et hiérarchiser ses objectifs. Une des particularités de la politique française au cours de la dernière décennie a en effet été de cumuler les objectifs. A ceux, classiques, définis par les Nations unies dans le cadre des objectifs du millénaire sont venus s'ajouter la volonté d'accompagner le développement des pays émergents, l'ambition de contribuer à la protection des biens publics mondiaux, la recherche de l'influence nationale et la défense de l'intérêt de nos entreprises. Si aucun de ces objectifs n'est illégitime en soi, leur accumulation qui tranche avec la pratique de nos partenaires tels que le Royaume-Uni, a brouillé les cartes. Il faudra, à l'avenir, mieux les hiérarchiser et en abandonner peut-être certains dés lors les moyens suffisants ne peuvent être mobilisés.
Le pilotage de politique de coopération par les autorités manque de continuité. Si le Parlement s'est jusqu'ici peu impliqué dans son élaboration, à la différence de ses homologues britannique ou allemand qui ont voté des lois spécifiques, le gouvernement dispose du comité interministériel de la coopération internationale pour le développement (CICID), présidé par le Premier ministre. Celui-ci n'est toutefois pas parvenu à se réunir régulièrement -c'est un euphémisme- alors qu'il est pourtant le seul à pouvoir rendre des arbitrages tant sur les objectifs que sur les moyens. Sa dernière réunion remonte à juin 2009. Quelles que soient les orientations retenues, il sera d'autant plus nécessaire de restaurer ce moyen de pilotage que les acteurs étatiques chargés de sa mise en oeuvre sont pluriels.
La politique de coopération doit aussi adapter ses instruments à ses ambitions. Selon ses déclarations à l'OCDE, la France consacre plus de 9 milliards d'euros par an à la politique d'aide dont 7 milliards d'euros de crédits budgétaires. Ce montant ne permet cependant pas d'atteindre l'objectif de 0,7 % du revenu national brut en 2015. Au cours de la décennie passée, notre pays a privilégié des instruments, tels que le prêt modérément bonifié, qui ne correspondaient pas aux objectifs recherchés, cette situation s'expliquant en partie par la qualité du travail de l'agence française de développement (AFD), qui est en soi un grand atout de notre politique. Notons toutefois que le partage des rôles entre l'État et l'AFD, conforme aux objectifs de la politique d'aide, a commencé à être entrepris avec le contrat d'objectifs et de moyens et le document cadre publié en 2011.
La politique de coopération doit évidemment contenir son coût de gestion. Or celui-ci dépasse 700 millions d'euros par an - si l'on tient compte des différents réseaux publics concernés : les ambassades, les services du Trésor et l'AFD -, soit un niveau proportionnellement plus élevé que chez nos partenaires. Ce coût doit donc être réduit, en tirant partie des réformes engagées dans les différents services du ministère des affaires étrangères et du Trésor et en prenant davantage appui sur le réseau des agences de l'AFD.
Enfin, il convient de mieux concilier actions bilatérales et multilatérales. Si l'opposition entre ces deux principaux vecteurs de l'aide a presque pris un tour théologique dans notre pays, la Cour n'est pas en mesure de préconiser l'une plutôt que l'autre. En revanche il ressort de son analyse que l'articulation entre les deux catégories d'instruments est insuffisante notamment faute d'une vision claire de ce que représente l'aide pilotable, c'est-à-dire celle susceptible d'être orientée sur le plan national. Cela tient également à l'absence, chez nos représentants, à Washington, à Bruxelles ou a Ouagadougou, d'un jeu en réseau permettant d'optimiser nos actions et nos financements. Deux options sont donc envisageables. La première consiste à privilégier l'aide multilatérale en s'impliquant davantage dans les organisations, en créant ce jeu de réseaux entre nos acteurs et les institutions internationales et en réservant nos financements bilatéraux à des projets clairement définis. La seconde accorde au contraire une préférence à l'aide bilatérale, à condition d'en adapter la gouvernance, d'adapter sa gouvernance aux moyens disponibles et d'être plus attentifs aux résultats des actions conduites.
A l'heure des ambitions nouvelles et des contraintes renforcées, rappelons que la politique d'aide au développement a ceci de particulier que ses bénéficiaires ne sont pas en mesure de s'exprimer directement sur ses résultats. C'est une raison majeure pour lui prêter une attention plus soutenue. C'est en tout cas dans cet esprit que la Cour sera attentive au suivi de ses recommandations.
Je vous présenterai les conclusions provisoires de l'évaluation de la politique de développement de la France depuis dix ans qui nous a été commandée, à la demande du Parlement, par les ministères des affaires étrangères et des finances. Une remarque préalable : les moyens de l'État étant limités, tout le monde gagnerait à espacer les évaluations confiées à la Cour des comptes et à des consultants extérieurs.
Nous sommes face à une politique extrêmement complexe, avec des périmètres, des acteurs et des instruments très divers. L'aide publique au développement apportée par la France, mesurée par le comité d'aide au développement (CAD), s'élève à 10 milliards d'euros, ce qui la place au quatrième rang des pays donateurs, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Elle fournit ainsi près de 10 % de l'aide publique au développement mondial (APD), soit 0,46 % de son revenu national brut, l'objectif étant d'atteindre rapidement 0,7 %.
Le périmètre de cette politique est très large et dépasse le budget de la mission budgétaire APD. Les programmes 110, 209 et 301 ne regroupent en effet qu'un tiers des crédits d'aide au développement, ce qui pose un problème en termes d'examen et donc de contrôle de la part du Parlement. Les deux tiers restants sont regroupés au sein de seize autres programmes budgétaires, la dispersion de cette présentation budgétaire reflétant en partie celle des acteurs. Si la responsabilité de la politique de coopération est aujourd'hui partagée entre le président de la République, le Premier ministre, le ministre délégué au développement, qui est parmi nous aujourd'hui, le ministre des affaires étrangères et le ministre des finances, d'autres administrations, dont l'aide n'est pas une des missions principales, sont également concernées : la recherche, les affaires sociales ou l'éducation nationale. L'AFD s'est, quant à elle, progressivement imposée comme l'acteur pivot de la politique de développement sur le terrain, concentrant près de 80 % aujourd'hui de l'aide bilatérale française. Son dispositif local s'appuie en outre sur une multiplicité d'acteurs : ambassades, SCAC (services de coopération et d'action culturelle), établissements culturels, alliances françaises, centres de recherche et autres services économiques, dont la coordination est pour le moins variable selon les pays. Outre leurs objectifs communs, ces acteurs ont également des objectifs propres. La politique de coopération française est donc en réalité un ensemble de politiques.
A cette multitude d'acteurs, s'ajoute une diversité des instruments. En 2010, l'aide publique française au développement est encore bilatérale pour 60 %, les financements par l'Europe et internationaux représentant chacun 20 % de notre APD, soit un total de 40 % contre seulement 20 % en 1990.
Enfin notre APD se caractérise par la prédominance des dons, le poids important des allégements de dettes, et une hausse considérable du recours aux prêts qui représentent plus d'un quart des financements en 2010 contre 10 % en 2005, ce qui conduit à s'interroger sur la stratégie de la France.
Pour autant, cette complexité n'est pas nécessairement synonyme d'inefficacité. La diversité peut constituer une force, à condition de mettre en place un pilotage stratégique et efficace permettant de guider, de coordonner et d'évaluer l'ensemble des moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés.
Cet engagement large de la France sur l'ensemble des champs est globalement assumé. Néanmoins ce pilotage nécessite une stratégie partagée et opérationnelle, des instances de concertation opérante et un processus de capitalisation qui font défaut.
En termes de stratégie, la France a élaboré en 2011 un document cadre de politique de coopération afin de mieux encadrer l'ensemble des activités. Sous la coordination de la direction générale à la mondialisation, une large concertation a associé tous les acteurs : collectivités locales, associations, secteur privé et partenaires sociaux. Néanmoins, ce document ne marque aucune avancée en matière de pilotage. Il ne clarifie pas les ciblages géographiques prioritaires, l'ambigüité demeurant avec la liste des 17 pays pauvres et des 54 pays de la zone de solidarité prioritaire. Il ne se prononce pas non plus sur l'équilibre global souhaité entre dons, prêts très concessionnels ou prêts peu concessionnels. Il ne précise pas la clef de répartition ex ante entre l'aide bilatérale, l'aide communautaire et l'aide multilatérale. Enfin il ne clarifie pas non plus la place de l'APD dans la politique extérieure de la France, sa politique d'influence ou sa politique commerciale. Nous disposons donc d'une stratégie globale, pertinente et cohérente avec celle des grands bailleurs internationaux, mais encore insuffisamment opérationnelle et hiérarchisée.
Pour atténuer les effets de la multiplicité des centres de décision, des efforts de coordination ont été engagés par la création du CICID, de la conférence d'orientation stratégique et de programmation (la COSP) ou encore du conseil d'orientation stratégique de l'AFD. Toutefois, ces instances, nombreuses, ne parviennent pas à jouer pleinement leur rôle tant leur utilisation est irrégulière, la COSP ne s'étant par exemple pas réuni depuis 2007. L'on peut alors songer à l'opportunité d'afficher un rattachement explicite de cette politique au domaine réservé du président de la République, de disposer d'un ministre de plein exercice, de voter une loi de programmation, mais surtout d'offrir un cadre budgétaire permettant de véritables arbitrages et un pilotage renforcé.
La capacité de suivi et d'évaluation de cette politique est insuffisante. La France n'est que très peu en mesure de rendre compte des impacts d'une aide au développement qui représente pourtant 10 milliards d'euros. Si la plupart des bailleurs rencontrent des difficultés méthodologiques, la France ne s'est pas dotée d'objectifs et d'indicateurs nécessaires pour mesurer ces impacts. Par rapport aux autres pays du CAD, notre pays ne consacre que des moyens très limités à l'évaluation. Ceux-ci représentent seulement 0,06 % de l'APD et sont dispersés entre le ministère des affaires étrangères, le Trésor et l'AFD, ce qui plaide pour la mise en place d'un programme d'évaluation pluriannuel et concerté.
Ces dysfonctionnements de pilotage stratégique ont des conséquences nombreuses et parfois néfastes sur la politique de coopération. De nombreux arbitrages du Président de la République ou du Premier ministre sont nécessaires, ce qui explique le rallongement des délais de décision. En outre, en l'absence d'un pilotage basé sur une stratégie claire et hiérarchisée, la France semble piloter son aide par les agrégats et notamment l'objectif des 0,7 %, qui présente à la fois l'inconvénient d'être inatteignable et de traduire une approche par les moyens plutôt que par les résultats.
Ce défaut de pilotage a également touché l'AFD. L'absence de tutelle unique et l'expertise accumulée ces dernières années par l'agence lui permettent de peser sur les orientations de la politique qu'elle est chargée d'appliquer. Toutefois, le processus de définitions stratégiques de l'AFD est aujourd'hui plus simple et mieux maîtrisé via un contrat d'objectifs et de moyens unique signé avec l'État en 2011 après une concertation approfondie.
Au final, l'absence de stratégie précise de déclinaison par zone ou par type de pays, comme l'absence de dispositif de pilotage, a un triple impact. Tout d'abord, l'efficacité de la politique de développement de la France n'est pas optimisée car elle est toujours soumise au risque d'interventions contradictoires et que l'absence de suivi et d'évaluation ne permettent pas une amélioration progressive des interventions. Le deuxième impact est une défaillance de la communication. Faute de stratégie précise, on constate en effet une absence de communication vers le grand public, ce qui ne favorise pas l'adhésion des citoyens à l'effort de la France en faveur du développement hors de ses frontières, qui fait peu débat. C'est comme si cette politique n'était pas assumée auprès des Français, pourtant en général très généreux dans leurs dons. Même absence de communication envers les organisations internationales et les fonctionnaires français placés auprès de ces instances. .
Enfin, on constate que la fragmentation du dispositif nuit à la lisibilité de l'action de la France auprès des pays bénéficiaires. Un certain nombre de pays, tout en notant une forte présence française, éprouvent des difficultés à comprendre le partage des responsabilités et le rôle de chacun au sein du dispositif français, l'APD à proprement parler ne constituant qu'un des éléments de la politique d'influence et de la diplomatie de notre pays.
Ayant dirigé l'AFD pendant une décennie, je ne peux, à la différence des évaluateurs que nous avons entendus, revendiquer une quelconque neutralité. Ces deux évaluations nous disent beaucoup de choses vraies sur l'état de cette politique de coopération, confrontée à un problème de discours, un problème de gouvernance et à un problème d'allocation de ses ressources.
Problème de discours car, dans la période que nous traversons, l'APD n'a plus aucun sens concret. Dans la réalité du monde actuel, la France est confrontée à de grands enjeux de politique globale relatifs à la gestion de la planète ou à ses relations avec des acteurs de pays pauvres. Pour les aborder, notre pays a besoin d'instruments, tels que les traités et les conventions internationales, le dialogue politique ou les financements d'actions structurelles, eux-mêmes très divers. Le concept d'APD, né dans les années 1960 dans la foulée des indépendances, ne reflète plus cette réalité du monde contemporain ni dans ses objectifs ni dans la structuration de ses indicateurs de suivi. Aussi, depuis la dernière décennie, la France se bat pour essayer de faire rentrer dans la chaussure de l'APD un pied beaucoup trop grand ! Comme elle n'y parvient pas, elle se réfugie dans des indicateurs et des discours inopérants tout en continuant à s'accrocher à un indicateur non pertinent et incompréhensible.
Aussi étonnant que cela puisse vous paraître, en tant que directeur général de l'AFD, je n'ai jamais compris la nature des chiffres communiqués à l'OCDE, tant ils avaient subi les transformations, les structurations et les triturations destinées à rendre notre discours présentable. Ni indicateur d'objectifs, ni indicateur de mesure, ni indicateur d'efficacité, notre indicateur d'APD ne semble servir qu'à nous tromper sur la communication et à nous sentir coupables.
Il nous faut changer de discours et parler des intérêts de la France dans le monde. Après les avoir définis, reste à choisir les partenariats permettant de les atteindre, leur allouer des ressources et ensuite mesurer l'efficacité de notre action, non pas à l'aune d'un critère quantitatif mais à partir de notre propre appréciation de la façon dont nous aurons ou non atteint nos objectifs.
Si certains de ces objectifs, tels que le réchauffement climatique, sont de nature globale, la France a aussi des voisins et, parmi les grandes questions mondiales, certains sujets l'intéressent plus que d'autres. L'importance relative du Maghreb et de l'Amérique centrale n'est pas la même selon qu'on l'apprécie de Paris ou de la Banque mondiale à Washington.
Comme tous les pays, la France a vocation à concentrer ses moyens sur les actions lui permettant d'atteindre ses objectifs. Il ne saurait donc y avoir querelle théologique entre aide bilatérale et aide multilatérale. En revanche, il faut définir une tactique d'utilisation raisonnée de l'ensemble des instruments à notre disposition.
Tout ce qui a été dit sur la gouvernance est vrai et c'est encore pire dans la réalité. A l'extrême diversité des instruments, s'ajoute l'absence d'une instance capable de mettre en cohérence l'ensemble du dispositif. Après des expériences dans les organisations multilatérales et dix années passées dans le système français, je suis très pessimiste et très sceptique quant à notre capacité d'y remédier en créant l'équivalent du DFID (Departement for international development) britannique ou du JICA (Japanese international cooperation agency), japonais. Certes, ces instances ne dispensent pas ces pays des traditionnels conflits entre ministères des finances et des affaires étrangères mais elles constituent une sorte d'entonnoir qui oblige in fine les différents acteurs à s'entendre.
Notons toutefois que la concentration de l'essentiel des moyens de l'aide bilatérale entre les mains de l'AFD a été une très bonne chose pour notre pays car, pendant que les tutelles ne parviennent pas à s'entendre, l'agence agit sur le terrain. Si elle n'avait pas, au cours de la dernière décennie, proposé aux autorités des objectifs et un nouveau mode d'action, rien ne se serait passé ! Car, quelle que soit la bonne volonté de hauts fonctionnaires qui peuplent les ministères, le système français est autobloquant puisqu'il interdit toute initiative stratégique à l'un ou l'autre des acteurs. Le président de la République a la capacité de faire évoluer le système par le haut mais cette capacité n'a malheureusement été le plus souvent utilisée que pour interventions très ponctuelles et non pour la promotion d'une vision d'ensemble.
De plus, la France étant dépourvue d'une fonction rationnelle d'allocation des ressources, cette dernière n'est que la résultante des rapports de force entre les différents acteurs. Or, si nous disposions d'une telle fonction, nous pourrions par exemple fixer la place que nous voulions occuper dans le financement des organismes multilatéraux.
J'ai toujours été très frappé par le fait que nos dirigeants semblaient avoir honte de notre politique de coopération : honte de voler de l'argent aux Français pour le dépenser à l'extérieur, honte de présenter des chiffres qui n'étaient pas conformes à la réalité ou encore honte de songer à nos intérêts alors qu'il doit s'agir d'une politique de solidarité. Ces contorsions mentales m'ont toujours paru inexplicables ! Une des conséquences en est l'absence de communication sur cette politique.
Aujourd'hui, il faudrait que les autorités politiques procèdent à une réévaluation de l'intérêt relatif de cette politique afin de définir clairement ce qu'elles en attendent.
Enfin, notre politique est sous-évaluée, alors que l'éloignement des bénéficiaires justifierait au contraire une surévaluation, propre à internaliser la complexité du sujet comme les points de vue des bénéficiaires et de nos partenaires. Nous apprendrions beaucoup, ce qui nous permettrait non seulement d'améliorer la mise en oeuvre de notre politique, mais aussi de nous rassurer sur l'efficacité de nos actions sur le terrain.
Les deux évaluations de la politique française tombent à point nommé. Les ONG de Coordination Sud approuvent, pour l'essentiel, leurs conclusions - difficultés de pilotage, problèmes opérationnels,... J'ajouterai que la multiplication des effets d'annonce au cours de ces dernières années a nuit à la prévisibilité et à lisibilité de notre aide publique au développement.
Dénonçant toutes ces difficultés à chaque loi de finances depuis sept ans, nous venons d'éditer une nouvelle version de notre document L'APD pour les nuls.
Alternance démocratique, volonté politique clairement exprimée par la création d'un ministère du développement et mobilisation parlementaire : le moment est bien choisi pour évoquer l'avenir. D'autant que selon le dernier sondage commandé par l'AFD et publié en 2011, 63 % des Français sont favorables à l'aide publique au développement et 55 % considèrent qu'elle est efficace pour lutter contrer la pauvreté et le réchauffement climatique. J'ignore de quels éléments ils disposent pour fonder leur jugement...
N'oublions pas non plus les avancées de 2010, dans le document cadre global de la politique de coopération au développement, qui croise pour la première fois des informations sur la pauvreté et sur les biens publics mondiaux ainsi que des données géographiques. Dommage que le document n'ait pas été complété par une programmation financière et une hiérarchisation des priorités. Sans considérations de droit, de régulation, de politiques publiques internationales, sans référence aux droits humains, la stratégie perd en puissance et ne saurait être une vraie stratégie de coopération et développement.
Nous serons appelés à dépasser l'exercice du document de 2010 pour définir véritablement le cadre d'une politique de coopération pour les années à venir. Ainsi 2015 est une date clef pour les objectifs du millénaire pour le développement durable, un peu perdus de vue à Rio. Ils seront rediscutés pour répondre aux besoins du temps : toujours la pauvreté.
Mais si la pauvreté diminue dans un certain nombre de pays émergents, les inégalités explosent dans presque tous les pays du monde et constituent la plaie des temps qui viennent. La réduction des inégalités est un enjeu autant moral ou social qu'économique, un élément essentiel dans la conception des politiques qui viennent.
Quatre points me tiennent à coeur. D'abord, j'appelle de mes voeux la concrétisation de l'engagement présidentiel d'une loi d'orientation et de programmation pluriannuelle. Deuxièmement, les ONG doivent se préoccuper prioritairement des pays pauvres et en crise. Elles doivent intervenir non seulement dans les situations d'urgence humanitaire, mais aussi ensuite, car la crise, généralement, persiste. La question du lien entre crise, urgence et développement doit être prise en compte pour mieux définir nos interventions.
Troisièmement, instillons plus de cohérence dans les politiques française et européennes en matière de développement. Inutile de dépenser beaucoup si les politiques se contredisent. Un exemple classique est l'agriculture européenne : d'un côté les crédits en faveur du développement soutiennent l'agriculture familiale, tandis que la politique agricole commune se déploie aux dépens de cette agriculture familiale. Une rationalisation dégagerait des crédits pour d'autres actions en faveur du développement.
Enfin, d'un point de vue financier, on constate avec inquiétude une baisse de 200 millions d'euros des crédits de la mission APD. M. le Ministre a annoncé son intention d'augmenter la part des dons dans l'aide et nous le soutenons. Quelle sera la part de la taxe sur les transactions financières affectée au développement : 10 % ou 3,75 % ? Nous avons quelque inquiétude.
Nous ne progresserons que si tous les acteurs de la solidarité travaillent ensemble. C'est le sens des Assises du développement et de la coopération internationale lancées par le ministère. Les grands dossiers y seront évoqués. C'est une très bonne nouvelle.
C'est un honneur de m'exprimer devant votre commission. J'exposerai un cas concret tout d'abord : la coopération belge a subi un traumatisme dans les années quatre-vingt dix lorsque la presse a révélé un scandale de collusion et de corruption, lié à la réalisation de certains investissements dans les pays en développement, dits « les éléphants blancs ». Le parlement a constitué alors une commission spéciale, dont les conclusions ont été déterminantes pour l'avenir de la politique de coopération belge. En 1999, la Belgique a voté une loi sur la coopération, en cours de révision. Les crédits consacrés au développement étant moins importants qu'en France, il est important de les concentrer, la loi a le mérite de contraindre les ministres à cet effort... La loi définit un cadre, des pays, des secteurs et des thèmes transversaux prioritaires. Le défaut de cette loi est de ne concerner que la coopération gouvernementale, sans prendre en compte la coopération multilatérale, ni le rôle des acteurs non gouvernementaux. Elle a été conçue à une époque où la coopération était encore conçue comme un exercice national.
Une agence de coopération et de développement a été créée. A la différence de l'AFD, il ne s'agit pas d'une banque mais d'une agence d'exécution de la politique gouvernementale conçue par le gouvernement.
En outre, un service d'évaluation indépendant a été créé, doté d'une compétence générale pour évaluer l'ensemble de l'APD, quel que soit l'acteur exécutant. Il rédige chaque année un rapport pour le parlement, dont je présente les conclusions devant les commissions compétentes. Un ministre de la coopération de plein exercice, au sein du ministère des affaires étrangères, est chargé de gérer les crédits - qui tous ont été regroupés dans un seul chapitre budgétaire, d'où une grande lisibilité.
En Belgique en outre nous n'avons jamais distingué comme en France la politique d'influence, menée par le ministère des affaires étrangères, et la politique de solidarité, menée par le ministère de la coopération.
Lorsque la commission européenne, la France, le Danemark, le Luxembourg et la Belgique ont évalué ensemble leur politique de développement au Niger, une « note de contexte » a été commandée à un cabinet franco-nigérien. Les Nigériens ont évoqué le besoin éthique de coopération des pays occidentaux. « Nous savons que vous nous enverrez toujours de l'aide, quelle que soit la situation, car vous en avez structurellement besoin » disent-ils. « Nous avons surtout besoin du flux d'aide et moins de coopération », ajoutent-ils. Les conditions d'affectation les dérangent, ils préfèreraient disposer librement de ce qui serait une forme d'aide budgétaire. Selon eux, le meilleur projet est le développement du téléphone mobile satellitaire - une personne ayant besoin d'argent peut joindre son fils au loin, à Abidjan par exemple. Ce n'est pas un projet d'aide au développement et pourtant c'est utile. Enfin, les Nigériens ne comprenaient pas l'intérêt des Belges à aider le Niger, faute d'intérêts sur place.
Le grand changement depuis les années quatre-vingt dix est que la coopération ne se conçoit plus comme une politique nationale, mais s'inscrit dans une politique multinationale de coopération, dont la France est un des acteurs.
Le développement ? Je ne sais pas définir le sens de ce mot : s'agit-il de prospérité matérielle des habitants des pays en développement, ou bien ce terme inclut-il d'autres dimensions ? Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, le développement n'est calculé qu'à l'aide de critères purement matériels, qui n'intègrent aucune dimension qualitative ou éthique.
Une anecdote enfin : le mot qui, dans telle langue d'Afrique de l'Ouest, désigne la coopération signifie, traduit littéralement, « le rêve de l'homme blanc ».
Votre rapport, celui de la Cour des Comptes, ou celui à venir de l'OCDE, interviennent en début de législature, tirent un bilan du passé et je ne me sens donc pas visé par les critiques. Mais il appartient désormais de se tourner vers l'avenir.
Je commencerai par la question du 0,7 % de RNB consacré au développement. On peut douter de la pertinence de cet indicateur dit structurant. Je suis surpris que les ONG réclament son respect tout en étant les premières à le critiquer comme une pure convention comptable. Il n'a pas grand sens. A titre d'anecdote, la facture de chauffage des centres de rétention a longtemps été comptabilisée - et peut-être l'est-elle encore ! - dans l'aide au développement. Qu'on pousse la température de quelques degrés et l'on se rapproche de l'objectif...
Avec Pierre Moscovici, je combats en faveur de la transparence des investissements. Si les grandes entreprises réalisent un reporting pays par pays, on saura ce qu'elles gagnent et ce qu'elles paient en impôts dans chaque pays. On luttera contre la corruption plus efficacement.
La directive sur la transparence a été votée au Parlement européen récemment, et revient désormais devant les États. Si la France s'empare politiquement de cette question, cela aura un impact financier important, alors même qu'il s'agit d'une action à coût nul pour la France, et utile.
Deuxième point : la politique de développement est une tuyauterie complexe. Or quels en sont les résultats concrets ? Certaines politiques d'aide publique au développement peuvent s'avérer contre-productives. Nous avons déjà amélioré le pilotage et depuis l'enquête menée par la Cour des comptes, il y a dix-huit mois, les choses ont bien changé.
Nous voulons changer cet état de fait. Les résultats ne dépendent pas des canaux de l'aide, mais des objectifs concrets retenus. Quoi choisir : ouvrir une centrale solaire, développer des infrastructures, soutenir l'agriculture exportatrice, ou l'agriculture paysanne ?
Le gouvernement actuel fait des choix, auxquels il associe l'AFD. Lors du prochain conseil d'administration de l'agence, il présentera un nouveau cadre sectoriel d'intervention en matière énergétique, d'un montant de 5 à 6 milliards d'euros pour les trois prochaines années. Il portera en priorité, s'il est adopté, sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique.
Dès lors que le choix politique est clair, quelles sont les modalités de pilotage ? Nous avons fait en sorte d'unifier la parole de l'État, entre le Quai d'Orsay et Bercy notamment, par l'instauration de discussions informelles entre les administrateurs des différents ministères à l'AFD. Dans la période récente, l'Etat ne parlait pas d'une seule voix. Le gouvernement veut désormais affirmer une politique claire, tandis que l'agence est chargée du management.
Les Assises du développement et de la solidarité internationale, engagement du Président de la République, se tiendront d'octobre à mars et constitueront un moment important d'échanges avec la société civile et avec tous les partenaires : ONG, élus locaux, entreprises, partenaires du Sud, etc.
Cinq thèmes seront abordés. Les objectifs du développement durable et les objectifs du millénaire, tout d'abord. Quel sera le mode de développement dans un monde aux ressources limitées ? C'était l'agenda Rio + 20. C'est aussi la question du climat ; j'étais à New York la semaine dernière pour participer à la négociation sur ce sujet. Quel espace carbone laisser pour le développement, dans un budget mondial contraint ?
Le deuxième thème est la transparence. Comme Jean-Michel Severino, j'ignore à quoi sert l'aide au développement, dans le détail : combien de kilomètres de routes, combien de malades du sida sauvés, combien de classes ouvertes ? Aucun document synthétique n'existe actuellement. En dépit des problèmes méthodologiques, il faut élaborer un document unique, à l'image de ce qu'ont fait les Britanniques. Profitons des Assises pour élaborer une méthodologie. Nous pourrons enfin dire à quoi servent les 9,5 milliards d'euros consacrés au développement. La direction de la mondialisation et l'AFD ont commencé cette réflexion. Il faut agréger notre action, le multilatéral, le bilatéral, l'action européenne,...
Quelle a été la contribution de l'aide française à la hausse du PIB du Burkina Faso ces cinq dernières années ? Nous sommes incapables de le dire, en raison des nombreux paramètres. En revanche, disposer d'indicateurs concrets - nombre de vaccins, de kilowatts-heure, etc. - nous fournira une évaluation plus tangible, au moins sur les éléments matériels.
Troisième thème aux Assises, l'innovation, technologique, organisationnelle,... Oui les réseaux de téléphones portables constituent un élément essentiel du développement, je songe au mobile banking au Kenya. Avec ma collègue Fleur Pellerin, nous réfléchissons aux moyens de promouvoir l'innovation numérique au service du développement.
Quatrième thème : comment intégrer la société civile ? Un Haut conseil de la coopération internationale avait été créé dans le passé. Adepte du pragmatisme, je suis plutôt partisan d'une concertation sur des thèmes particuliers avec les ONG compétentes. J'ai discuté avec les associations de lutte contre le sida avant la conférence de Washington, avec les acteurs concernés par le Sahel, avant un déplacement conjoint avec Laurent Fabius sur place.
Cinquième point : la cohérence entre les différentes politiques - politique de développement, politique agricole, politique d'innovation financière, etc. Le président Carrère a estimé que les propos de M. Vielajus sur la PAC étaient un peu...
Mais Stéphane Le Foll a accepté de participer à la discussion sur la cohérence des politiques menées. De même, la transparence financière est importante : l'argent qui sort des pays du sud et se perd dans les paradis fiscaux manque au développement.
Pour conclure, on a progressé en matière de pilotage de cette politique. L'existence d'un ministre du développement, certes délégué, mais à temps plein, et non plus « au développement et à la coopération », est un signe. Les liens étroits entre politique de développement et politique étrangère en Afrique, qu'évoquait le président Carrère, ont été clarifiés. Une cellule diplomatique, qui intègre la politique africaine, se trouve désormais au Quai d'Orsay. Il n'y a plus de cellule Afrique à l'Elysée. Il n'y a plus de ministère de la coopération. Ces éléments me semblent répondre, au moins partiellement, aux critiques justifiées de la Cour des comptes.
Avez-vous sur votre feuille de route le projet d'une loi de programmation ? Cela me paraît fondamental pour répondre à toutes les questions sur le financement, sur la clarification des buts. Elle donnerait lieu à une évaluation et un débat public transparents ; elle serait en outre conforme aux engagements du président de la République ; la gouvernance serait clarifiée.
Vous êtes certes parvenu à vous coordonner avec vos collègues ministres. Mais quelle débauche d'énergie ! Ne serait-il pas plus simple de regrouper toutes les administrations au sein d'un seul ministère ? Et si Bercy souhaite garder le contrôle, il suffirait de l'associer en amont aux décisions. Ainsi les sujets liés au réchauffement climatique concernent-ils à la fois les ministères de l'environnement, des affaires étrangères, des finances - et l'AFD, qui se proclame acteur-pivot pour l'environnement dans son plan d'orientation stratégique.
Autre question : la politique d'aide au développement doit-elle inclure les pays émergents ? La Chine a-t-elle besoin de nos prêts, elle qui détient en portefeuille l'essentiel de la dette américaine ? S'agit-il d'une politique d'influence ? De diversification ? Pour l'influence, c'est raté : l'Inspection générale des finances montre un taux de retour de seulement 1 % vers les entreprises françaises.
M. Peyronnet est rapporteur spécial et je suis rapporteur pour avis sur l'aide au développement. Notre souci est celui de la vérité des chiffres, d'autant que le ministre vient de le reconnaître, l'objectif de 0,7 % est illusoire et dépourvu de sens, puisqu'il regroupe des choux et des carottes... Il aurait plutôt pour effet de perturber la perception de cette politique par les autorités de contrôle, notamment parlementaires.
Depuis des années la France vit dans l'illusion d'être un élément moteur du développement en Afrique. Pourtant il y a loin de la cuillère à la bouche ! L'aide française au Mali ne représente pas la moitié de mon budget municipal - la ville comptant 15 000 habitants. On voit actuellement les conséquences de ce désintérêt poli. Nous avons laissé sur le bas-côté les 14 pays africains les plus pauvres. Revenons à la réalité, mesurons clairement et précisément notre action. Je souhaite au ministre de réussir dans cette démarche.
Egalement, il convient d'être plus efficace. C'est le vieux débat entre coopération multilatérale et bilatérale. Il ne s'agit pas de remettre en cause la coopération multilatérale, mais de vérifier comment celle-ci, et notamment, l'aide européenne, est mise en oeuvre. Or on constate sur le terrain la nécessité d'une meilleure coordination avec les acteurs locaux. De même nous pouvons nous interroger sur notre quote-part dans les institutions européennes. L'intervention de l'Union européenne est-elle gage d'efficacité ? Mme Ashton parle très peu de coopération européenne !
Il n'est pas de bonne politique qui ne puisse être soumise à l'évaluation. Certes le processus est complexe mais nous le devons à nos concitoyens. Les parlementaires vous appuieront dans cette démarche. Peut-être certains crédits pourront-ils être redéployés.
A titre de comparaison, je coordonne l'action de solidarité du plus grand syndicat de communes de France, qui est le plus grand donateur dans le domaine de l'eau, après l'État. Or je dispose de données précises et concrètes : grâce à l'aide fournie par 4,5 millions de Franciliens, 4,5 millions d'habitants d'autres pays boivent une eau potable et de qualité, ce qui réduit de 85 % les maladies hydriques dans l'année qui suit.
Deux tiers des dons passent par le canal de l'Union européenne. C'est un choix politique. Le drapeau européen est aussi le drapeau français. L'action de l'ONU, du HCR, du PAM est aussi financée par le contribuable français. C'est pourquoi je suis attentif dans mes déplacements à rencontrer les délégués de l'Union européenne, les ambassadeurs, les représentants de l'AFD, pour apprécier notre politique de coopération, son articulation avec celle de nos partenaires. Je m'efforce de combiner les approches bilatérale et multilatérale, sans les opposer, afin de mieux peser sur les instances multilatérales ; 19 % des crédits du fonds européen ne sont-ils pas d'origine française ?
A titre d'exemple, le montage financier autour d'un projet de centrale solaire au Burkina Faso, mêlant prêt de l'AFD et prêt de la BEI, est un exemple de la bonne articulation. L'Union européenne ajoute un don pour compenser le surcoût par rapport à des énergies plus polluantes.
Le Sénat a travaillé sur l'évasion fiscale. Le projet de loi de finances pour 2013 prévoit d'affecter 10 % du produit de la taxe sur les transactions financières au fonds de solidarité pour le développement géré par l'AFD. Où en sont les discussions pour généraliser la taxe dans l'Union européenne et au-delà ?
Par ailleurs, alors que les crédits de la mission seront maintenus sur la période 2013-2015, comment comptez-vous atteindre l'objectif de 0,7 % du PIB consacré au développement, contre 0,45 % actuellement ?
En outre, le projet de loi de finances pour 2013 prévoit une hausse de 9 millions des autorisations d'engagement pour les subventions aux ONG : quels seront les critères d'attribution ? Quels seront les bénéficiaires ? Vous avez annoncé vouloir mieux distinguer les subventions et les dons. La part des dons dans l'aide publique au développement va donc augmenter ?
Je suis très déçue par les orientations du budget pour 2013. L'affectation de 10 % des recettes de la taxe sur les transactions financières, créée en février dernier, c'est trop peu ! Il aurait été normal de porter cette affectation à 50 % au moment du doublement du montant de la taxe en juillet dernier. Le budget de l'AFD aurait ainsi été en sécurité.
Un objectif d'aide publique au développement exprimé en pourcentage de PNB, ce n'est pas parfait. Mais ce critère a le mérite d'exister !
Un mot sur les printemps arabes : les pays sont fragilisés et la France a des responsabilités particulières dans le Maghreb. Je l'ai senti lors d'un voyage en Tunisie, les attentes sont grandes à notre égard. Les populations ont besoin de se sentir soutenues, accompagnées sur des projets concrets, pour réamorcer l'activité économique. Peut-être pourrait-on améliorer le partenariat de Deauville ?
Trois programmes budgétaires sont consacrés à l'aide publique au développement, dix-sept autres y contribuent, sans parler des agences. Comment croiser les compétences et les outils pour être plus efficaces sur le terrain ? Comment organiser une coopération systématique entre les agences européennes et fédérer les approches sur l'agriculture, le climat, la santé ? C'est en travaillant sur tous ces sujets que la politique de développement sera solide sur le long terme.
Les Assises répondront aux questions sur l'efficacité. Concernant la taxe sur les transactions financières, je rappelle que la part affectée au financement de la politique d'aide au développement était nulle sous le gouvernement précédent...
Certes, mais il ne l'a pas affectée au développement ! L'engagement du président de la République portait sur la taxe européenne sur les transactions financières. Elle est en cours de création. Nous finalisons la coalition des pays susceptibles de la mettre en oeuvre sous forme de coopération renforcée.
Aucun engagement de campagne n'a été formulé en revanche sur la taxe française. Après discussion avec Laurent Fabius, nous avons décidé d'en affecter 10 % à l'aide au développement. Est-ce trop peu ? Evidemment ! Pouvions-nous aller plus loin ? Pas dans la conjoncture budgétaire actuelle. La taxe sur les transactions financières a été doublée. Elle rapportera environ 1,6 milliard d'euros, soit 160 millions pour le développement, qui seront alloués selon deux priorités, comme l'a annoncé le président de la République devant l'assemblée générale de Nations unies : d'une part, la santé, domaine dans laquelle la France confortera sa position de premier bailleur de fonds au monde si l'on rapporte cet effort au PIB par tête - je tiens à le souligner car si l'on peut envisager une génération sans sida, c'est en partie grâce à l'effort français ; d'autre part, la lutte contre le réchauffement climatique, dans le prolongement des engagements pris à Doha. Donc, sur un plan budgétaire, on est à peu près à l'équilibre, malgré l'effort budgétaire demandé aux ministères. Ne pas réduire l'aide internationale, ne pas faire passer « la Corrèze avant le Zambèze », comme on aurait dit jadis, est méritoire dans la période actuelle. Tous les pays ne tiennent pas cette ligne.
La part des dons dont bénéficieront les ONG sera doublée dès la loi de finances 2013. C'était un engagement du président de la République. Il sera tenu. Certes la France est en retard par rapport à d'autres pays. Certains pays sont à 5 %, la France passera de 1 à 2 %.
Dans le domaine du climat, une cellule a été mise en place entre les ministères de l'écologie et des affaires étrangères, composée de représentants des cabinets et des directions concernées pour élaborer un discours et une stratégie commune.
La loi de programmation pourrait figurer dans les propositions issues des Assises, à l'initiative peut-être des parlementaires ou des représentants d'ONG ?
L'aide à la Chine représente un coût budgétaire nul car elle n'est constituée que de prêts sans concessionnalité. Elle s'inscrit dans un mandat clair de soutien au développement durable : efficacité énergétique, villes durables, biodiversité, énergies renouvelables, etc. Nous n'aidons pas la Chine à proprement parler. En revanche, pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut faire des économies d'émissions de carbone : qu'on le fasse en France, en Chine ou au Burkina revient au même. Si les économies sont plus faciles à mettre en oeuvre en Chine en raison de la faible efficacité énergétique actuelle, pourquoi s'en priver ? Notre action internationale tend aussi à protéger les biens publics mondiaux.
En ce qui concerne l'octroi de débouchés pour les entreprises françaises, nous n'avons pas le droit, selon les règles de l'OCDE, de recourir aux aides liées. Rien n'interdit toutefois, que, dans le cadre d'une stratégie d'aide publique au développement, des entreprises françaises agissent comme prestataires de service pour les populations concernées. Sur ce sujet, il n'y a ni tabou, ni conditions. Je suis pragmatique. Avec Nicole Bricq en particulier, nous cherchons à développer une offre verte française, proposée non seulement par les grands groupes, mais par les ETI et grosses PME également, afin de constituer un vivier d'entreprises capables de répondre aux besoins en développement des pays du Sud. Je pourrais vanter leurs mérites lors de mes déplacements. Cette filière économique verte française pourrait également être mise en place dans le cadre des coopérations décentralisées.
Je souhaiterais savoir si les personnes à qui est destinée l'aide seront présentes aux Assises car il est important d'avoir leur point de vue.
Oui, j'ai demandé à ce que le ministère des affaires étrangères se dote d'une connexion Skype pour faciliter les échanges avec les pays du Sud pendant les Assises. J'ai demandé aux ambassadeurs dans les pays prioritaires de réunir des acteurs pour les associer, également via une connexion Skype, aux discussions. J'ai par ailleurs prévu des interventions lors des ateliers d'experts extérieurs à l'hexagone pour partager d'autres d'expériences notamment britanniques. J'ai également demandé aux représentants des PMA de bien vouloir participer.
Nous devons améliorer l'efficacité de cette politique. Est-ce qu'on ne pourrait pas avoir dans chaque ambassade, comme c'est le cas dans le domaine de l'action culturelle extérieure, un représentant unique qui serait chargé de coopération au développement ?
Lors de ces Assises, aura-t-on une réflexion sur la façon de vendre l'APD au Français ?
Je vous remercie. Ce sont des propositions intéressantes. Le ministre est malheureusement parti. Je vous propose de clore la réunion de la commission et poursuivre le débat avec la salle et nos invités.