Intervention de Arnauld Bertrand

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 octobre 2012 : 1ère réunion
Avenir de la politique de coopération française au développement — Table ronde

Arnauld Bertrand, responsable de la rédaction du Bilan évaluatif de la politique française de coopération chez Ernst & Young :

Je vous présenterai les conclusions provisoires de l'évaluation de la politique de développement de la France depuis dix ans qui nous a été commandée, à la demande du Parlement, par les ministères des affaires étrangères et des finances. Une remarque préalable : les moyens de l'État étant limités, tout le monde gagnerait à espacer les évaluations confiées à la Cour des comptes et à des consultants extérieurs.

Nous sommes face à une politique extrêmement complexe, avec des périmètres, des acteurs et des instruments très divers. L'aide publique au développement apportée par la France, mesurée par le comité d'aide au développement (CAD), s'élève à 10 milliards d'euros, ce qui la place au quatrième rang des pays donateurs, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Elle fournit ainsi près de 10 % de l'aide publique au développement mondial (APD), soit 0,46 % de son revenu national brut, l'objectif étant d'atteindre rapidement 0,7 %.

Le périmètre de cette politique est très large et dépasse le budget de la mission budgétaire APD. Les programmes 110, 209 et 301 ne regroupent en effet qu'un tiers des crédits d'aide au développement, ce qui pose un problème en termes d'examen et donc de contrôle de la part du Parlement. Les deux tiers restants sont regroupés au sein de seize autres programmes budgétaires, la dispersion de cette présentation budgétaire reflétant en partie celle des acteurs. Si la responsabilité de la politique de coopération est aujourd'hui partagée entre le président de la République, le Premier ministre, le ministre délégué au développement, qui est parmi nous aujourd'hui, le ministre des affaires étrangères et le ministre des finances, d'autres administrations, dont l'aide n'est pas une des missions principales, sont également concernées : la recherche, les affaires sociales ou l'éducation nationale. L'AFD s'est, quant à elle, progressivement imposée comme l'acteur pivot de la politique de développement sur le terrain, concentrant près de 80 % aujourd'hui de l'aide bilatérale française. Son dispositif local s'appuie en outre sur une multiplicité d'acteurs : ambassades, SCAC (services de coopération et d'action culturelle), établissements culturels, alliances françaises, centres de recherche et autres services économiques, dont la coordination est pour le moins variable selon les pays. Outre leurs objectifs communs, ces acteurs ont également des objectifs propres. La politique de coopération française est donc en réalité un ensemble de politiques.

A cette multitude d'acteurs, s'ajoute une diversité des instruments. En 2010, l'aide publique française au développement est encore bilatérale pour 60 %, les financements par l'Europe et internationaux représentant chacun 20 % de notre APD, soit un total de 40 % contre seulement 20 % en 1990.

Enfin notre APD se caractérise par la prédominance des dons, le poids important des allégements de dettes, et une hausse considérable du recours aux prêts qui représentent plus d'un quart des financements en 2010 contre 10 % en 2005, ce qui conduit à s'interroger sur la stratégie de la France.

Pour autant, cette complexité n'est pas nécessairement synonyme d'inefficacité. La diversité peut constituer une force, à condition de mettre en place un pilotage stratégique et efficace permettant de guider, de coordonner et d'évaluer l'ensemble des moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés.

Cet engagement large de la France sur l'ensemble des champs est globalement assumé. Néanmoins ce pilotage nécessite une stratégie partagée et opérationnelle, des instances de concertation opérante et un processus de capitalisation qui font défaut.

En termes de stratégie, la France a élaboré en 2011 un document cadre de politique de coopération afin de mieux encadrer l'ensemble des activités. Sous la coordination de la direction générale à la mondialisation, une large concertation a associé tous les acteurs : collectivités locales, associations, secteur privé et partenaires sociaux. Néanmoins, ce document ne marque aucune avancée en matière de pilotage. Il ne clarifie pas les ciblages géographiques prioritaires, l'ambigüité demeurant avec la liste des 17 pays pauvres et des 54 pays de la zone de solidarité prioritaire. Il ne se prononce pas non plus sur l'équilibre global souhaité entre dons, prêts très concessionnels ou prêts peu concessionnels. Il ne précise pas la clef de répartition ex ante entre l'aide bilatérale, l'aide communautaire et l'aide multilatérale. Enfin il ne clarifie pas non plus la place de l'APD dans la politique extérieure de la France, sa politique d'influence ou sa politique commerciale. Nous disposons donc d'une stratégie globale, pertinente et cohérente avec celle des grands bailleurs internationaux, mais encore insuffisamment opérationnelle et hiérarchisée.

Pour atténuer les effets de la multiplicité des centres de décision, des efforts de coordination ont été engagés par la création du CICID, de la conférence d'orientation stratégique et de programmation (la COSP) ou encore du conseil d'orientation stratégique de l'AFD. Toutefois, ces instances, nombreuses, ne parviennent pas à jouer pleinement leur rôle tant leur utilisation est irrégulière, la COSP ne s'étant par exemple pas réuni depuis 2007. L'on peut alors songer à l'opportunité d'afficher un rattachement explicite de cette politique au domaine réservé du président de la République, de disposer d'un ministre de plein exercice, de voter une loi de programmation, mais surtout d'offrir un cadre budgétaire permettant de véritables arbitrages et un pilotage renforcé.

La capacité de suivi et d'évaluation de cette politique est insuffisante. La France n'est que très peu en mesure de rendre compte des impacts d'une aide au développement qui représente pourtant 10 milliards d'euros. Si la plupart des bailleurs rencontrent des difficultés méthodologiques, la France ne s'est pas dotée d'objectifs et d'indicateurs nécessaires pour mesurer ces impacts. Par rapport aux autres pays du CAD, notre pays ne consacre que des moyens très limités à l'évaluation. Ceux-ci représentent seulement 0,06 % de l'APD et sont dispersés entre le ministère des affaires étrangères, le Trésor et l'AFD, ce qui plaide pour la mise en place d'un programme d'évaluation pluriannuel et concerté.

Ces dysfonctionnements de pilotage stratégique ont des conséquences nombreuses et parfois néfastes sur la politique de coopération. De nombreux arbitrages du Président de la République ou du Premier ministre sont nécessaires, ce qui explique le rallongement des délais de décision. En outre, en l'absence d'un pilotage basé sur une stratégie claire et hiérarchisée, la France semble piloter son aide par les agrégats et notamment l'objectif des 0,7 %, qui présente à la fois l'inconvénient d'être inatteignable et de traduire une approche par les moyens plutôt que par les résultats.

Ce défaut de pilotage a également touché l'AFD. L'absence de tutelle unique et l'expertise accumulée ces dernières années par l'agence lui permettent de peser sur les orientations de la politique qu'elle est chargée d'appliquer. Toutefois, le processus de définitions stratégiques de l'AFD est aujourd'hui plus simple et mieux maîtrisé via un contrat d'objectifs et de moyens unique signé avec l'État en 2011 après une concertation approfondie.

Au final, l'absence de stratégie précise de déclinaison par zone ou par type de pays, comme l'absence de dispositif de pilotage, a un triple impact. Tout d'abord, l'efficacité de la politique de développement de la France n'est pas optimisée car elle est toujours soumise au risque d'interventions contradictoires et que l'absence de suivi et d'évaluation ne permettent pas une amélioration progressive des interventions. Le deuxième impact est une défaillance de la communication. Faute de stratégie précise, on constate en effet une absence de communication vers le grand public, ce qui ne favorise pas l'adhésion des citoyens à l'effort de la France en faveur du développement hors de ses frontières, qui fait peu débat. C'est comme si cette politique n'était pas assumée auprès des Français, pourtant en général très généreux dans leurs dons. Même absence de communication envers les organisations internationales et les fonctionnaires français placés auprès de ces instances. .

Enfin, on constate que la fragmentation du dispositif nuit à la lisibilité de l'action de la France auprès des pays bénéficiaires. Un certain nombre de pays, tout en notant une forte présence française, éprouvent des difficultés à comprendre le partage des responsabilités et le rôle de chacun au sein du dispositif français, l'APD à proprement parler ne constituant qu'un des éléments de la politique d'influence et de la diplomatie de notre pays.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion