Président directeur général du CIF depuis le 31 août 2012, je préside depuis trente ans la société anonyme coopérative d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété (SACICAP) de Savoie, comme avant moi mon père et mon grand-père, ainsi que le conseil d'administration de la Financière Rhône-Alpes-Auvergne. Enfin, je siège depuis dix ans au conseil d'administration de Crédit immobilier de France Développement (CIFD), la holding du groupe. Cette table ronde me donne une excellente occasion d'expliquer la situation du groupe, et les conséquences de la solution décidée par l'Etat.
Le CIF est un établissement de tradition mutualiste, qui joue un rôle essentiel dans l'accession à la propriété des Français aux revenus modestes. Si ses fondamentaux sont sains, sa dégradation par Moody's l'a placé dans une situation semblable à celle d'une bonne voiture sans essence. Les chiffres montrent sa rentabilité et sa solidité. Son résultat net a été de 78 millions d'euros en 2011 et de 37 millions au premier semestre 2012. Sa rentabilité est constante. Ses fonds propres atteignent 2,4 milliards d'euros. Son bilan est simple et transparent : le CIF ne propose que des prêts immobiliers, ne spécule pas sur les marchés financiers, ne détient pas d'actifs toxiques. Son taux de perte finale est équivalent à celui des autres banques.
La spécificité du CIF réside dans le fait qu'il est, avec le Crédit foncier, le seul établissement français à aider les Français modestes à devenir propriétaires de leur logement. Son encours représente aujourd'hui 200 000 emprunteurs qui n'auraient pas pu trouver de financement auprès des banques traditionnelles, depuis que les standards du marché exigent 20 % d'apport personnel pour une durée moyenne de prêt de 16 ans.
Dès lors, le CIF dispose d'un savoir-faire rare, unique, assuré par des collaborateurs expérimentés et spécialisés, maîtrisant les prêts règlementés et l'optimisation des aides financières octroyées par les allocations familiales.
Il est, de plus, doté d'un système de refinancement spécifique : ne recevant pas de dépôts, il se refinance exclusivement sur les marchés financiers. Bien que les agences de notation n'aient pas dans un premier temps mis en cause le bien-fondé de ce système, le conseil d'administration a toujours été attentif à immuniser l'établissement contre la dépendance aux marchés, notamment par la recherche d'un adossement.
En 2001, un premier projet en ce sens a été anéanti par le gouvernement de l'époque. En 2006, alors qu'un nouveau projet était en passe d'aboutir, le Gouvernement a lancé une réforme visant à capter nos fonds propres. En 2007, le conseil d'administration du groupe relançait le processus avec le conseil de la banque Oddo Corporate, avant de buter sur l'absence de projet industriel crédible. Depuis 2008, la crise a rendu impossible toute reprise du dossier. Nous nous sommes concentrés sur la défense de notre notation tout en restant vigilants à toute opportunité - nous avons discuté jusqu'à l'an dernier avec le Crédit agricole. La notation se maintenait : en février encore, le groupe a levé en senior secured le montant record d'un milliard d'euros.
La suite, vous la connaissez. Il faut être rigoureux sur les dates. En février 2012, l'agence Moody's a annoncé une perspective de dégradation de 114 banques européennes, dont le CIF, parfois jusqu'à 4 crans. Nous avons immédiatement informé la Banque de France, la Direction générale du Trésor (DGT), et l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) des risques induits. Bien que nous ayons immédiatement demandé à l'Etat la garantie nécessaire, seule la solution de l'adossement a été retenue. En mars, la banque HSBC était mandatée pour rechercher un candidat à l'adossement. Le 28 août, après l'échec de la solution de la Banque postale préconisée par l'Etat, Moody's dégradait la note du CIF. Le 1er septembre, l'Etat est contraint d'octroyer sa garantie en contrepartie d'une résolution ordonnée, sous réserve de validation du dispositif par le Parlement et la Commission européenne. Deux conditions en particulier devaient être réunies : la liquidation du CIF et l'appropriation par l'Etat de ses résultats, dont ses 2,4 milliards de fonds propres, plus l'éventuel boni de liquidation. Cela serait inéluctable en raison des règles européennes. J'en doute sérieusement.
Les conséquences sur l'emploi et l'accession sociale à la propriété de la disparition du CIF seraient majeures : près de 2 500 salariés licenciés, dont 1 600 immédiatement, auxquels il faut ajouter 35 000 emplois menacés dans le secteur du bâtiment et chez les agents immobiliers. Nous ne croyons guère que l'activité de financement de l'accession sociale à la propriété soit reprise durablement par d'autres. L'efficacité de la politique du logement en sera affectée, et les files d'attente s'allongeront dans le parc locatif social. Enfin, la moitié de nos actionnaires disparaîtraient, ainsi que nos missions sociales. De nombreuses associations et de nombreux élus locaux se sont alarmés de la situation. Le CIF, ce sont en effet 772 conventions signées avec les collectivités territoriales et les acteurs du logement social et solidaire, 15 000 logements en accession à la propriété en zone ANRU en quatre ans et 250 millions d'euros d'opérations rendues possibles grâce aux missions sociales des SACICAP.
Nous attendons des pouvoirs publics une réponse durable. Nous pensons que le retrait des banques est structurel. Seule la constitution d'un outil public garantira la continuité de financement de l'accession sociale de manière pérenne et dans des conditions optimales de sécurité. Un service économique d'intérêt général serait compatible avec les traités européens. Le CIF, avec son savoir-faire, ses équipes et sa structure financière, pourrait en être une composante immédiatement opérationnelle.