Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition conjointe de MM. Bernard Sevez, président directeur-général du Crédit immobilier de France (CIF), Thierry Bert, délégué général de l'Union sociale pour l'habitat (USH), Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, Manuel Flam, directeur du cabinet de la ministre de l'égalité des territoires et du logement, Rémy Rioux, directeur de cabinet du ministre de l'économie et des finances, Cyril Roux, premier secrétaire général adjoint de l'Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP), et Stéphane Massa, contrôleur spécifique de CIF Euromortgage, sur le Crédit immobilier de France (CIF).
Présidence de M. Philippe Marini, président
De cette audition très attendue, le Sénat a été la seule assemblée à prendre l'initiative. Nous allons nous intéresser à la situation critique que connaît le Crédit immobilier de France (CIF) depuis la décision prise par une agence de notation de dégrader les conditions d'émission de sa dette et l'annonce par le Gouvernement d'octroyer au CIF sa garantie à hauteur de plus de 20 milliards d'euros, seul moyen, apparemment, d'éviter sa liquidation immédiate. Cette audition vise à comprendre l'ensemble des circonstances ayant conduit à cette situation, et les raisons qui ont présidé à leur enchaînement, à rassembler les analyses faites ces derniers mois, ainsi qu'à envisager les scenarii et solutions exploitables.
Par la presse, vous savez tous que le CIF a recherché un adossement. Il s'agira aujourd'hui de savoir pourquoi celui-ci ne s'est jamais concrétisé, et quels débats ont pu avoir lieu autour de cette idée. La Banque postale avait été pressentie ; cependant cette solution ne serait pas possible, de sorte qu'à présent les choses sont, pour un temps limité, comme suspendues. L'Etat, pour sa part, semblait avoir posé à la fin de l'été un certain nombre de conditions à l'annonce de l'octroi de sa garantie : d'après un document remis au conseil d'administration du CIF, il exige notamment la cessation de toute activité nouvelle de prêt aux particuliers et l'extinction ou, plutôt, la limitation de cette activité à la gestion des prêts déjà consentis.
Nous ne connaissons pas la durée de cette situation. Le premier problème qu'elle pose, et dont les dirigeants nationaux et locaux du CIF se sont émus, concerne les personnels - dont un représentant est d'ailleurs présent dans le public. En outre, la politique du logement est concernée, compte tenu de la part de marché que détient le CIF dans l'accession sociale à la propriété. Dans une conjoncture difficile, voilà une cause complémentaire de dépression de l'activité dans le secteur de la construction et de la rénovation immobilière.
Je souhaite que cette audition aborde les enjeux financiers, économiques et sociaux de la situation du CIF, l'une des trois grandes sociétés de crédit foncier (SCF) émettrices d'obligations foncières, ces obligations sécurisées à la française, que le Sénat avait contribué à créer en 1998. C'est à l'ensemble de ces enjeux que nous serons attentifs lorsque notre commission procèdera à l'examen du projet de loi de finances pour 2013, en particulier son article 66, qui tend à octroyer la garantie de l'Etat pour 28 milliards d'euros.
Président directeur général du CIF depuis le 31 août 2012, je préside depuis trente ans la société anonyme coopérative d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété (SACICAP) de Savoie, comme avant moi mon père et mon grand-père, ainsi que le conseil d'administration de la Financière Rhône-Alpes-Auvergne. Enfin, je siège depuis dix ans au conseil d'administration de Crédit immobilier de France Développement (CIFD), la holding du groupe. Cette table ronde me donne une excellente occasion d'expliquer la situation du groupe, et les conséquences de la solution décidée par l'Etat.
Le CIF est un établissement de tradition mutualiste, qui joue un rôle essentiel dans l'accession à la propriété des Français aux revenus modestes. Si ses fondamentaux sont sains, sa dégradation par Moody's l'a placé dans une situation semblable à celle d'une bonne voiture sans essence. Les chiffres montrent sa rentabilité et sa solidité. Son résultat net a été de 78 millions d'euros en 2011 et de 37 millions au premier semestre 2012. Sa rentabilité est constante. Ses fonds propres atteignent 2,4 milliards d'euros. Son bilan est simple et transparent : le CIF ne propose que des prêts immobiliers, ne spécule pas sur les marchés financiers, ne détient pas d'actifs toxiques. Son taux de perte finale est équivalent à celui des autres banques.
La spécificité du CIF réside dans le fait qu'il est, avec le Crédit foncier, le seul établissement français à aider les Français modestes à devenir propriétaires de leur logement. Son encours représente aujourd'hui 200 000 emprunteurs qui n'auraient pas pu trouver de financement auprès des banques traditionnelles, depuis que les standards du marché exigent 20 % d'apport personnel pour une durée moyenne de prêt de 16 ans.
Dès lors, le CIF dispose d'un savoir-faire rare, unique, assuré par des collaborateurs expérimentés et spécialisés, maîtrisant les prêts règlementés et l'optimisation des aides financières octroyées par les allocations familiales.
Il est, de plus, doté d'un système de refinancement spécifique : ne recevant pas de dépôts, il se refinance exclusivement sur les marchés financiers. Bien que les agences de notation n'aient pas dans un premier temps mis en cause le bien-fondé de ce système, le conseil d'administration a toujours été attentif à immuniser l'établissement contre la dépendance aux marchés, notamment par la recherche d'un adossement.
En 2001, un premier projet en ce sens a été anéanti par le gouvernement de l'époque. En 2006, alors qu'un nouveau projet était en passe d'aboutir, le Gouvernement a lancé une réforme visant à capter nos fonds propres. En 2007, le conseil d'administration du groupe relançait le processus avec le conseil de la banque Oddo Corporate, avant de buter sur l'absence de projet industriel crédible. Depuis 2008, la crise a rendu impossible toute reprise du dossier. Nous nous sommes concentrés sur la défense de notre notation tout en restant vigilants à toute opportunité - nous avons discuté jusqu'à l'an dernier avec le Crédit agricole. La notation se maintenait : en février encore, le groupe a levé en senior secured le montant record d'un milliard d'euros.
La suite, vous la connaissez. Il faut être rigoureux sur les dates. En février 2012, l'agence Moody's a annoncé une perspective de dégradation de 114 banques européennes, dont le CIF, parfois jusqu'à 4 crans. Nous avons immédiatement informé la Banque de France, la Direction générale du Trésor (DGT), et l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) des risques induits. Bien que nous ayons immédiatement demandé à l'Etat la garantie nécessaire, seule la solution de l'adossement a été retenue. En mars, la banque HSBC était mandatée pour rechercher un candidat à l'adossement. Le 28 août, après l'échec de la solution de la Banque postale préconisée par l'Etat, Moody's dégradait la note du CIF. Le 1er septembre, l'Etat est contraint d'octroyer sa garantie en contrepartie d'une résolution ordonnée, sous réserve de validation du dispositif par le Parlement et la Commission européenne. Deux conditions en particulier devaient être réunies : la liquidation du CIF et l'appropriation par l'Etat de ses résultats, dont ses 2,4 milliards de fonds propres, plus l'éventuel boni de liquidation. Cela serait inéluctable en raison des règles européennes. J'en doute sérieusement.
Les conséquences sur l'emploi et l'accession sociale à la propriété de la disparition du CIF seraient majeures : près de 2 500 salariés licenciés, dont 1 600 immédiatement, auxquels il faut ajouter 35 000 emplois menacés dans le secteur du bâtiment et chez les agents immobiliers. Nous ne croyons guère que l'activité de financement de l'accession sociale à la propriété soit reprise durablement par d'autres. L'efficacité de la politique du logement en sera affectée, et les files d'attente s'allongeront dans le parc locatif social. Enfin, la moitié de nos actionnaires disparaîtraient, ainsi que nos missions sociales. De nombreuses associations et de nombreux élus locaux se sont alarmés de la situation. Le CIF, ce sont en effet 772 conventions signées avec les collectivités territoriales et les acteurs du logement social et solidaire, 15 000 logements en accession à la propriété en zone ANRU en quatre ans et 250 millions d'euros d'opérations rendues possibles grâce aux missions sociales des SACICAP.
Nous attendons des pouvoirs publics une réponse durable. Nous pensons que le retrait des banques est structurel. Seule la constitution d'un outil public garantira la continuité de financement de l'accession sociale de manière pérenne et dans des conditions optimales de sécurité. Un service économique d'intérêt général serait compatible avec les traités européens. Le CIF, avec son savoir-faire, ses équipes et sa structure financière, pourrait en être une composante immédiatement opérationnelle.
Le directeur général du Trésor partage-t-il cette analyse des faits ? Pourquoi Moody's a-t-elle attendu début 2012, pour signaler l'absence de dépôts comme une source de préoccupation et de défiance envers le CIF ? Est-il exact que l'adossement à la Banque postale avait été préconisé par l'Etat ? Pouvez-vous nous dire comment le dialogue s'est noué et autour de quels arguments ? Enfin, dites-nous en un mot vos préconisations pour l'avenir, et notamment si vous partagez les conclusions de Bernard Sevez.
Je tiens en effet à vous donner un éclairage complémentaire, dont je vous laisserai tirer toutes les conclusions.
On ne peut comprendre les enjeux sans avoir à l'esprit le modèle économique particulier du CIF. Celui-ci est une banque spécialisée dans l'octroi de crédits, essentiellement hypothécaires, aux particuliers. C'est une banque atypique, dans la mesure où il ne collecte pas de dépôts, et où le refinancement de ses crédits, qui vont jusqu'à 40 ans, est assuré exclusivement sur les marchés par des obligations foncières. Ces ressources sont à la fois courtes (10 ans en moyenne) et volatiles, puisqu'elles dépendent des fluctuations des marchés.
Ce modèle, bien qu'ayant persisté jusqu'à ce jour, est fragile. Du reste, les autres établissements spécialisés se sont tous adossés à des groupes bancaires. Les pouvoirs publics en avaient pleinement conscience. En 2006, le législateur a entendu permettre cet adossement : il s'agissait alors de banaliser le statut du CIF. Les tentatives n'ont pas abouti, pour des raisons nombreuses dont il faudrait demander le détail aux établissements alors candidats. La fragilité du CIF est devenue rédhibitoire avec la crise financière. D'une part, les investisseurs ont jugé que le modèle n'était plus viable ; à cet égard les communiqués de Moody's reflètent le sentiment général du marché et n'ont joué qu'un rôle de révélateur. D'autre part, les régulateurs jugent dangereux un modèle, qui était aussi celui de banques étrangères en difficultés : les normes prudentielles exigent désormais l'adossement des actifs à des ressources suffisamment stables. Dès lors, l'absence d'adossement à une grande banque devient un problème structurel.
Si Bernard Sevez indique que les résultats sont positifs, d'autres soulignent que la rentabilité n'est pas élevée et que le résultat n'est positif qu'avec un refinancement à bas coût, sur des durées très courtes, ce qui expose à tout moment le CIF à une remontée des taux. De plus, son bilan est plus risqué, parce qu'il propose à une partie de sa clientèle des crédits à taux variables, pas toujours plafonnés, ou à maturité révisable.
Il reste que la dégradation de la note du CIF a précipité le calendrier. Le 28 août en effet, la décision de Moody's plaçait mécaniquement le CIF en situation de défaut de paiement le lundi suivant, nécessitant l'intervention de l'Etat. Lors de la mise sous perspective négative en février 2012, le Trésor a été saisi, comme l'ACP et la Banque de France, afin, selon le CIF, de gagner des délais supplémentaires et, si possible, de trouver des solutions pérennes. Le Trésor a demandé au CIF de rechercher un adossement pour une raison simple : une intervention publique immédiate aurait nécessité l'approbation préalable de la Commission européenne au titre des aides d'Etat, et enserré cette sortie de crise dans un délai de six mois. A contrario, un adossement dans des conditions concurrentielles aurait pu être présenté à la Commission comme n'impliquant aucune aide, ne justifiant aucune mesure compensatrice rédhibitoire. J'ai donc indiqué au CIF dans un courrier daté du 22 mars, que je tiens à votre disposition, que la voie de la garantie publique n'était alors ni envisageable ni souhaitable, et qu'un adossement en dehors de toute intervention publique apparaissait préférable. L'Etat, qui était prêt à faire tous ses efforts pour aider le CIF dans cette recherche, n'excluait aucune hypothèse : « l'Etat examine actuellement toutes les options envisageables sans en écarter aucune à ce stade ».
Par la suite, nous avons toujours voulu donner du temps au CIF pour procéder à l'adossement nécessaire avec les meilleures chances de succès : lorsqu'elle a dégradé la note intrinsèque du CIF mi-mai, Moody's indiquait dans son communiqué que le CIF bénéficiait d'une forte présomption du soutien de l'Etat, ce qui permettait de maintenir la notation.
Il a pourtant fallu attendre juin, soit trois mois, pour qu'une data room soit mise en place à l'intention des repreneurs potentiels. La recherche d'un adossement s'est déroulée de début juin à fin août. Un seul candidat a étudié le dossier, la Banque postale. Le projet avait un sens industriel, pour la Banque postale qui souhaitait se développer sur le marché du crédit immobilier et qui disposait d'une bonne situation de liquidité. Malgré les encouragements de l'Etat, la Banque postale n'a pas souhaité réaliser l'opération, ce qui a condamné l'hypothèse de l'adossement.
Les raisons de cet échec sont multiples. Elles tiennent aux risques qui ont pesé sur la liquidité de la Banque postale, à la faible rentabilité du portefeuille de crédits détenu par le CIF, à son niveau de risque plus élevé que la moyenne, étranger aux normes de distribution de crédits en vigueur à la Banque postale, et qui l'obligerait à importer une chronique de pertes dans un environnement moins favorable. Enfin, l'absence de gains en fonds propres, voire le risque de diminution de ses propres ratios de solvabilité ont sans doute joué un rôle dans le renoncement de la Banque postale, qui n'a dû voir dans l'opération ni intérêt stratégique ni intérêt social.
A la fin du mois d'août, l'intervention publique visait à éviter un risque de marché et à rechercher les solutions pour un reclassement des salariés, dans un contexte où le CIF pouvait faire défaut quarante-huit heures plus tard. Les conditions d'intervention de l'Etat ont été présentées au conseil d'administration du CIF le 31 août au soir, avant qu'il ne demande l'octroi de la garantie. Elles comprenaient notamment l'arrêt de la production, l'extinction progressive de l'activité du CIF, le renoncement des actionnaires à leurs dividendes et à tout boni de liquidation. L'Etat a, en outre, acté le départ à la retraite du président Claude Sadoun, en indiquant qu'il s'attendait à ce que ce dernier renonce aux indemnités de départ accordées en juin 2012. C'est au vu de ces conditions que le conseil d'administration a demandé la garantie de l'Etat. Un document officiel est ensuite venu lever toute ambigüité sur l'octroi de la garantie de l'Etat.
La procédure a ainsi anticipé les demandes de la Commission européenne en matière de sauvetage d'entreprise. Celle-ci a précisé dans une communication de 2004 que l'Etat qui formule une telle demande doit présenter dans les six mois soit un plan de restructuration, prévoyant un retour à la viabilité sans aide à court terme, soit un plan de liquidation ordonnée. Un plan de restructuration était exclu dans le cas du CIF, qui n'était plus viable sans un adossement impossible à réaliser : sa mise en extinction progressive était inévitable. Toute production étant financée par des émissions garanties, elle contreviendrait à une autre communication de la Commission européenne datant de 2008, selon laquelle l'activité des établissements bénéficiant d'une aide d'urgence doit être réduite dès l'octroi de celle-ci.
Quant aux dividendes et au boni de liquidation, les actionnaires et certains créanciers doivent être exclus de toute aide. Le versement d'un dividende ou d'un boni de liquidation supposerait que la garantie de l'Etat soit accordée dans des conditions tarifaires telles que l'institution ne bénéficie d'aucune aide. J'ajoute que, contrairement à ce qu'on lit ici ou là, l'Etat n'a pas mis la main sur les fonds propres du CIF, puisque ceux-ci vont devoir couvrir les risques des établissements pendant une durée longue, probablement plus de 15 ans.
Enfin, je tiens à souligner que la question sociale est la raison principale de l'intervention de l'Etat. Dans les pays voisins, d'autres choix ont été faits, avec un impact sur les salariés d'une autre ampleur.
Ramon Fernandez estime dangereux le modèle économique du CIF. Cyril Roux partage-il cette appréciation, et a-t-il eu l'occasion de le dire ?
La Banque postale considérait que l'intégration du CIF dans son groupe dégraderait ses ratios de solvabilité, et qu'elle aurait besoin de fonds propres supplémentaires. En êtes-vous d'accord ? Si oui, pouvez-vous nous fournir un ordre de grandeur ?
Les autorités de contrôle ont effectué un suivi rapproché du CIF, sans disposer des instruments juridiques qui auraient évité à l'Etat d'intervenir aujourd'hui. Je vous précise d'emblée qu'étant tenu au secret professionnel en vertu de l'article L. 612-17 du code monétaire et financier, je ne pourrai pas aborder certaines questions au cours de cette audition publique.
Le CIF est un intervenant marginal dans le domaine du crédit à l'habitat, qui a pourtant connu une croissance spectaculaire. Le crédit immobilier a progressé de 6 % par an en France depuis 2007, contre 2 % en moyenne dans la zone euro ; il représente désormais 42 % du PNB français, contre 24 % il y a dix ans. Dans ces conditions, l'ACP comme la Banque de France doivent assurer une surveillance étroite des crédits. Le CIF détient 4 % des crédits à l'habitat, au lieu de 6 % il y a dix ans, en raison de la banalisation des aides à l'achat immobilier par des ménages modestes : les banques, notamment le groupe BPCE avec le Crédit foncier de France, distribuent désormais le prêt à taux zéro, le prêt d'accession sociale ainsi que le prêt social de location accession. Cela a amené le CIF à élargir son offre aux investisseurs personnes morales : l'affaire Apollonia en est l'illustration. Même si le CIF prête à beaucoup de ménages modestes, ce n'est pas l'institution qui accorde en moyenne, ni les prêts les plus longs, ni avec l'apport personnel le plus faible, ni avec le seuil d'endettement le plus élevé : un autre établissement est devant le CIF sur chacun de ces critères.
Sa structure de financement est atypique, puisqu'il se finance intégralement sur les marchés, sans adossement à un puissant acteur financier. Il emprunte sur le marché en émettant des obligations foncières par le biais de CIF Euromortgage, et pour que ses titres soient bien notés, il titrise ses crédits en distinguant des parts de première perte, conservées par le groupe, et des parts senior apportées à CIF Euromortgage. Le besoin complémentaire de financement est couvert par des émissions en blanc de la 3CIF, la centrale de trésorerie du groupe.
Ce modèle est fragile, le financement des nouvelles productions n'étant jamais assuré. L'adossement entre actifs et passifs est imparfait, puisque les passifs sont de moins longue durée que les actifs, même en tenant compte des remboursements anticipés de crédits. Cette structure est unique en France. Le seul établissement comparable est le Crédit foncier de France qui, lui, est adossé à BPCE - il faut se féliciter rétrospectivement qu'il ait été repris par les Caisses d'épargne et non par le CIF.
Que le CIF ait failli faire défaut ne remet pas en cause le modèle français des obligations foncières et à l'habitat, même si des aménagements techniques sont souhaitables. Il a fallu rassurer les marchés sur la solidité de ces obligations, alors que les hypothèques sont souvent mal comprises par les investisseurs étrangers. L'intervention de l'Etat est nécessaire pour éviter une crise sur un marché qui représente des encours de plus de 300 milliards d'euros et 40 % du financement long des banques, crise qui eût été d'autant plus regrettable que nous travaillons à ce que les obligations sécurisées soient prises en compte parmi les actifs liquides au titre des ratios de liquidité LCR (Liquidity Coverage Ratio).
J'insiste également sur ce point : il faut éviter de jeter la suspicion sur l'ensemble des obligations foncières, qui jouent un rôle clé pour tout le secteur bancaire.
Des courriers en témoignent, la Commission bancaire, puis l'ACP avaient conscience, dès 2006, des difficultés du CIF, qui se trouve pourtant placé aujourd'hui en gestion extinctive d'activité. Pourquoi ? Au regard des risques spécifiques présentés par une activité, nous avons le droit d'imposer un niveau de fonds propres plus élevé que le niveau réglementaire. Nous l'avons fait en 2009, mais le CIF a obtenu l'annulation de cette décision par le Conseil d'Etat le 5 mars 2012. C'est pourtant ce qui permet de penser que la gestion extinctive, si elle est bien conduite - c'est-à-dire si les productions cessent rapidement et que les activités du groupe soient redimensionnées - ne sera pas in fine perdante.
Nous pouvons également, lorsque la solvabilité ou la liquidité d'un établissement est compromise, limiter ou interdire certaines opérations : arme redoutable, que l'on ne saurait employer qu'en cas de crise avérée. Nous l'avons employée ce printemps : constatant que le CIF ne parvenait plus à se financer sur les marchés, nous avons contingenté ses crédits afin que l'encours ne continue pas à augmenter.
Nous sommes en droit de suspendre des dirigeants et de nommer un administrateur provisoire, même si cela entraîne, dans le cadre juridique actuel, un remboursement anticipé et précipite ainsi le défaut au lieu d'assurer la continuité de l'activité.
Nous pouvions inciter le CIF à s'adosser à un groupe collecteur de dépôts, et nous l'avons fait régulièrement de la façon la plus formelle, sans succès.
Longtemps avant le premier avertissement de Moody's, au début de l'année ?
Le CIF, dans sa structure actuelle, date de la loi de 2006 portant engagement national pour le logement. A l'occasion de la rédaction de l'ordonnance, le gouverneur de la Banque de France avait écrit au ministre pour lui dire que « les autorités de contrôle veilleront à ce que le groupe dispose d'un niveau de fonds propre adéquat, qu'un adossement à un grand groupe bancaire serait par ailleurs de nature à conforter ». La banalisation du groupe CIF autorisait cet adossement. « Les autorités bancaires ne seraient pas opposées au maintien minoritaire des SACI si l'adosseur y avait convenance, sachant qu'en tout état de cause le groupe central disparaîtrait », concluait-il.
La question fut aussi soulevée au cours des débats parlementaires. On lit dans le compte rendu de la première séance du 6 décembre 2006 de l'Assemblée nationale : « les SACICAP n'ayant plus ce statut, elles ne seront plus incluses dans le futur réseau bancaire et il n'y aura plus d'imbrication. Cela ouvre la possibilité d'un rapprochement industriel entre le CIF et d'autres acteurs bancaires, qui se fera, comme Jean-Louis Borloo s'y était engagé, à l'initiative du CIF ».
Nous avons demandé en 2009 l'augmentation des fonds propres du CIF, insuffisants faute d'adossement, et s'il n'est pas permis de révéler la teneur des lettres de l'établissement, voici ce que le Conseil d'Etat écrivait dans sa décision : « la société anonyme Crédit immobilier de France Développement soutient, de façon argumentée, que le handicap qui résulterait de son absence d'adossement à un groupe bancaire n'est pas démontré ». Tels étaient donc les arguments que le CIF présentait aux juges.
Pouvez-vous conclure en évoquant l'impact d'un adossement sur le bilan de la Banque postale ?
Les dirigeants de l'établissement vous répondraient mieux que moi...
Il n'est pas sûr que l'opération aurait été rentable. Les résultats comptables du CIF, positifs, n'augurent pas de ses résultats futurs. Le CIF doit payer bien plus cher que par le passé pour se refinancer, parce que les obligations en blanc sont plus coûteuses, et que la part des obligations foncières est passée de 90 % à 70 % : les investisseurs exigent un taux de surcollatéralisation tel qu'il faut toujours davantage d'obligations en blanc, en jouant sur la courbe des taux. En outre, les comptes dépendent des provisions, et selon la manière dont celles-ci sont établies, on traduit plus ou moins vite les pertes futures dans les comptes : voyez l'affaire Apollonia. C'est ce qui explique les doutes de la Banque postale.
En outre, l'équilibre économique entre La Poste et la Banque postale fait que le coefficient d'exploitation de cette dernière est un enjeu très sensible. La reprise d'un portefeuille aussi important que celui du CIF (34 milliards d'euros d'encours), avec les structures de coût associées, aurait pesé fortement sur sa trajectoire.
Même en faisant abstraction des problèmes liés à l'intégration et au désintéressement des actionnaires, on comprend que la Banque postale ait considéré que l'adossement n'était pas dans son intérêt social.
Je réitère ma question : quel coût cette opération aurait-elle eu en fonds propres ? C'est un sujet souvent débattu, sur lequel la plus grande transparence serait souhaitable.
Je ne cherche pas à garder le secret. Seulement, l'affaire est très complexe : tout dépend si l'on considère les fonds propres en trajectoire, avec ou sans modèles internes...
Je constate que vous ne souhaitez pas répondre. Jean Arthuis voulait-il aborder le même sujet ?
En 2006, l'Etat a prélevé 500 millions d'euros dans les caisses du CIF, qu'il a ainsi fragilisé. Qu'en ont pensé les autorités bancaires ? N'est-il pas contradictoire d'imposer en même temps des règles prudentielles plus strictes ?
En 2006, Jean Arthuis et moi-même avions fait partie d'un « comité des sages » sur ce sujet, qui était sensible à l'époque.
Au congrès de l'Union sociale pour l'habitat, qui s'est tenu à Rennes il y a quelques jours, les 2 500 participants - la salle ne pouvait en accueillir davantage - ont adopté une résolution exprimant leur inquiétude et leur refus de voir disparaître le dernier acteur de l'accession sociale à la propriété. Le CIF, que l'on vient de présenter comme un acteur marginal du crédit à l'habitat, est un acteur de première importance de l'accession sociale et très sociale.
L'an dernier, il a consenti un prêt à 45 000 familles qui n'en auraient pas obtenu autrement.
L'Union sociale pour l'habitat est, par sa génétique même, un mouvement social. Nous sommes convaincus que les banques ne se chargeront pas de l'accession sociale stricto sensu, ou qu'elles s'en chargeront de moins en moins, en raison des critères qui leur sont imposés : 20 % d'apport personnel, un prêt échelonné sur 20 ans au plus, et un taux d'effort inférieur à 33 %. Le feront-elles si on le leur demande ? Non : les banques sont en concurrence, elles rendent compte à leurs actionnaires, et leur objectif est de financer l'économie de la façon la plus rentable possible, ce qui est bien normal - j'ai moi-même été banquier...
Or si 45 000 familles échouent à obtenir un prêt, elles s'ajouteront à la liste des demandeurs ou des occupants de logements sociaux, ce qui aggravera encore la viscosité du parc, alors même que j'incite les bailleurs HLM à favoriser la mobilité, par exemple en s'entendant dans une région d'habitat. Et je ne dis rien du secteur de la construction, où des emplois sont également en jeu.
Les dividendes sociaux, peuvent être tenus en eux-mêmes pour « marginaux », puisqu'ils ne représentent que 45 millions d'euros, dont un tiers provient des dividendes versés par le réseau Procivis et les deux autres tiers du dividende social du CIF. Ils jouent pourtant un rôle de catalyseur, puisqu'ils consistent en avances remboursables servant à préfinancer des travaux d'aménagement pris en charge par l'Anah sur présentation des factures. L'Anah, elle, ne sait pas faire de préfinancement. C'est aussi ce qui explique l'inquiétude des collectivités.
L'Union d'économie sociale pour l'accession à la propriété (UESAP), qui est l'organe de tête des SACICAP, elles-mêmes actionnaires du CIF et de Procivis, est membre de l'USH, il est donc normal que nous défendions ses intérêts. Les SACICAP, créées avant la première guerre mondiale, comptent d'ailleurs parmi nos membres les plus anciens ; la loi Borloo a transmis à l'UESAP l'ensemble des droits et obligations incombant anciennement à la chambre syndicale des crédits immobiliers, et un décret en Conseil d'Etat a déterminé très exactement son organisation.
Les SACICAP, maisons mères du CIF, ont pour actionnaires et pour filiales des sociétés et coopératives HLM. Par le jeu non tant de la valorisation des actions que des provisions, elles peuvent donc être très déstabilisées par la crise actuelle. Je ne veux pas entrer dans la technique bancaire.
Ce n'est pas mon rôle. Je représente les 56 SACICAP membres de l'Union. Je demande que l'on reconsidère le dispositif envisagé par le Gouvernement : est-il normal que l'argent accumulé pendant plus d'un siècle par les SACICAP, grâce à leur activité parfaitement légale de crédit immobilier, revienne entièrement à l'Etat ? Il faudrait le justifier.
En outre, une étude approfondie devrait être conduite sur la politique de l'accession sociale à la propriété. Si l'on considère que celle-ci doit se plier aux règles prudentielles imposées au marché, et que ceux qui ne satisfont pas les critères n'ont pas à devenir propriétaires, qu'on le dise !
Personne ne souhaite que le modèle actuel de financement du CIF, qui repose entièrement sur l'hypothèque, soit préservé à l'identique. Il ne faut pas moins trouver le moyen de financer l'accession sociale à la propriété, en y associant une entité publique ou privée et en définissant des règles spécifiques.
Voilà une excellente introduction aux interventions des représentants du Gouvernement. Comment encourager l'accession sociale à la propriété, et selon quelles règles ? Quels droits l'Etat détient-il sur les fonds propres accumulés par le CIF ?
J'ai souhaité participer à cette réunion afin de témoigner de la mobilisation du ministère de l'économie et des finances sur ce sujet, prioritaire pour l'ensemble du Gouvernement. Je ne reviens pas sur les explications techniques du directeur général du Trésor, nécessaires pour éclairer chacun. Au nom du ministre, je souhaitais délivrer un message plus politique. Depuis sa prise de fonctions, Pierre Moscovici s'implique personnellement dans ce dossier. Si l'Etat a dû annoncer qu'il apporterait sa garantie au CIF, sous réserve de l'approbation du Parlement et de la Commission européenne, c'est après plusieurs mois de recherche active d'un repreneur, et en ayant conscience qu'il faudrait justifier cette aide à Bruxelles.
Notre objectif principal est de réduire l'impact de cette crise sur l'emploi. En évitant la cessation de paiement, nous avons cherché à gagner du temps afin de trouver une solution ordonnée qui protège les salariés. Nous avons eu des échanges avec les représentants des principales banques, et le ministre doit encore rencontrer demain ceux de la Fédération bancaire française (FBF). J'ai reçu l'intersyndicale le 14 septembre, le cabinet du Premier ministre l'a fait également, et nous attendons de la direction de l'entreprise un plan de reclassement.
Sur l'accession sociale à la propriété et l'avenir des SACICAP, je laisse Manuel Flam vous présenter la position du Gouvernement.
Le ministère de l'égalité des territoires et du logement partage l'analyse économique de Bercy sur le modèle économique du CIF. Toutefois, il faut s'assurer que les missions exercées par celui-ci soient assurées à l'avenir, qu'il s'agisse de l'accession sociale à la propriété - la part de marché du CIF pour les ménages du premier décile est de 20 % - ou des prêts et avances pour l'amélioration de l'habitat consentis par les SACICAP au titre de leurs missions sociales. Nous avons plusieurs idées en ce sens. Pour que l'offre reste aussi sociale que celle du CIF, nous proposons de renforcer le PTZ + et d'améliorer la solvabilité des ménages grâce à l'optimisation des barèmes de l'aide personnalisée au logement (APL). La loi relative à la mobilisation du foncier public a autorisé une décote plus importante pour l'accession sociale. Quant aux missions sociales, pour lesquelles l'Anah ne peut se substituer au CIF, nous souhaitons qu'un groupe de travail réfléchisse à leur refondation. Un rapport serait également nécessaire sur la politique d'accession sociale à la propriété : ce chantier sera ouvert très rapidement. Il est enfin indispensable de créer un comité de liaison avec les salariés menacés du CIF, afin de favoriser leur reconversion.
Bernard Sevez a rappelé que le CIF disposait d'un savoir-faire original et éprouvé depuis des décennies, notamment en ce qui concerne l'accession sociale à la propriété : il faut y être attentif. On projette de créer une banque publique d'investissement parce que les banques ne financent plus les PME ; le problème se pose aussi pour les collectivités territoriales. Veillons à ce que la même situation ne se reproduise pas pour l'accession sociale à la propriété !
Les rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées ont été avertis le 31 août que l'Etat allait devoir intervenir après la dégradation de la note du CIF par l'agence Moody's. Le Gouvernement a agi comme il le devait, mais plusieurs questions restent pendantes : il y a 2 500 emplois en jeu.
On peut d'abord s'interroger sur la gestion des risques au sein du CIF. Ni le rapport annuel de 2011, ni le rapport semestriel de juin 2012 ne mentionnent une éventuelle dégradation ni le risque lié à son modèle de financement, sauf dans une note annexée. Au contraire, ils présentent un dispositif complet de prévision et de gestion des risques, grâce en particulier à des réserves de liquidité importantes au sein de la 3CIF, équivalentes à six mois de prêts. Le risque et les conséquences d'une dégradation ont-ils été correctement évalués ? Le dispositif décrit était-il adapté, notamment pour ce qui est du risque d'illiquidité ? Si les normes de Bâle III avaient été en vigueur, quel aurait été le ratio de liquidité LCR du CIF, et aurait-il fourni un signal utile ?
Les SACICAP et leurs actionnaires ont-elles été correctement informées en amont des difficultés du CIF ?
L'adossement à la Banque postale a échoué, et aucun autre candidat ne s'est fait connaître. Pourquoi ne pas adosser le CIF à une autre entité publique ou para-publique comme la Caisse des dépôts, quitte à le restructurer pour ne conserver que ses activités non concurrentielles ?
Nous avons le sentiment qu'elle a été écartée trop vite. La Caisse des dépôts possède déjà, sans que la Commission européenne y trouve à redire, des filiales de marché comme la Caisse nationale de prévoyance ou Icade, sans parler du précédent de Natixis.
Après le Crédit foncier de France et Dexia, c'est au tour du CIF de rencontrer des difficultés. Le modèle des sociétés de crédit foncier est-il définitivement condamné ?
La gestion extinctive, dit-on, est la seule solution envisageable. Pourtant, malgré la réglementation communautaire relative aux aides d'Etat, de très nombreuses banques européennes ont reçu ces dernières années des aides publiques qui n'ont pas été remises en cause. Aux yeux de la commission des finances, ni les textes, ni la pratique de la Commission européenne ne rendent la mise en extinction inéluctable.
Nous sommes particulièrement attentifs au sort très incertain des 2 500 salariés, ainsi qu'à l'avenir de la politique d'accession sociale à la propriété, qui répond à l'attente de nos concitoyens. Le sujet a été évoqué au congrès de Rennes : n'y a-t-il pas une pépite à préserver ?
Depuis début septembre, à la demande de l'ACP, nous avons adopté les critères standard d'octroi de prêt. Notre production ne représente que 15 % de notre chiffre d'affaires : l'accession sociale en fait - en faisait - 85 %. Nous avons le sentiment que l'Etat nous a mis dans un corner. On disait que l'adossement à une banque était la seule issue possible, et que c'était la Banque postale. Malheureusement, celle-ci l'a refusé, ce que l'on peut comprendre.
La Banque postale a ses raisons, mais elle a aussi un actionnaire... Nous nous étions placés dans la solution préconisée par l'Etat, avions ouvert une data room, la Banque postale nous avait adressé 667 questions, et nous avons appris son refus par voie de presse ! Moody's a dégradé notre note le 31 août, ces messieurs sont venus, et on présente aujourd'hui l'arrêt de nos activités comme inéluctable. Voilà la solution que l'Etat a mise en route si rien ne se passe en sortant d'ici. C'est très grave pour l'institution, pour ses salariés et pour l'accession sociale à la propriété.
Monsieur le directeur général du Trésor, la Banque postale a-t-elle un actionnaire ?
Je ne veux pas polémiquer. Bernard Sevez ne préside le CIF que depuis le 31 août ; il est de bonne foi quand il affirme que l'Etat a mis le CIF dans un corner : il n'a pas eu part à nos discussions avec son prédécesseur. Bien loin de l'y placer, l'Etat sort le CIF de son corner en lui apportant sa garantie et en évitant ainsi une liquidation immédiate ainsi que la casse sociale qui s'ensuivrait : c'est là notre principal objectif. Après des années d'avertissements, nous avons donné au CIF une chance de trouver repreneur, elle n'a pas été saisie, et je le regrette autant que vous, car nous y avons dépensé beaucoup d'énergie.
Peut-on échapper à la gestion extinctive ? Vous avez raison de poser cette question, et nous allons clarifier les possibilités avec la Commission européenne. Reste que la réglementation communautaire s'applique et que des banques ferment dans beaucoup de pays européens en contrepartie des mesures d'aide.
A ce sujet, les avis divergent, je l'ai dit. S'il est si rentable, pourquoi n'a-t-il pas trouvé repreneur ? La Banque postale est bien détenue par l'Etat, mais pas seulement, et le même problème se serait posé à toute autre entité publique comme la Caisse des dépôts. Si cette dernière était intervenue au lieu de l'Etat, les contreparties imposées par l'Union européenne auraient été les mêmes.
Je fais distribuer aux commissaires un document émanant des représentants du personnel, qu'il me semble utile de porter à leur connaissance.
Présidence Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente
Présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente
En ce qui concerne le contrôle des actionnaires, je parlerai au nom des SACICAP. L'Union sociale pour l'habitat désigne au conseil d'administration de l'UESAP un représentant qui est ensuite coopté. Les SACICAP reçoivent tous les rapports d'activité du CIF, et sont représentées au sein de ses sociétés régionales ; le conseil d'administration se réunit une fois par mois. Le contrôle est donc permanent, même s'il est légitime qu'une procédure écrite contradictoire détermine la chronologie.
Quant aux salariés, ne nous leurrons pas : si la Banque postale a refusé de reprendre le CIF, c'est parce qu'elle ne peut se permettre de dégrader son coefficient d'exploitation, qui est aujourd'hui de 83 %. Toutes les banques cherchent à réduire leurs charges d'exploitation, pour répondre aux demandes de leurs actionnaires, et même si l'on demande des engagements à la FBF, il est à craindre que les salariés du CIF restent sur la touche. Les banques s'étaient engagées à consentir des prêts d'accession à la propriété (PAP), ce qu'elles n'ont jamais fait. Elles avaient promis de financer les PME en contrepartie de la banalisation du livret A, et l'on crée aujourd'hui une Banque publique d'investissement. J'ai rédigé un rapport sur le micro-crédit, elles se sont opposées obstinément à ce que des statistiques soient fournies, malgré l'accord de la Banque de France et du Conseil national de l'information statistique...
Plutôt que d'épiloguer sur le passé, je souhaite qu'on se tourne vers l'avenir. On dit qu'il est impossible d'adosser le CIF à la Caisse des dépôts. Pourtant, son financement est assuré à 70 % par des obligations foncières tout à fait sûres, et si le taux a été ramené de 90 % à 70 %, c'est parce que l'on a exigé de plus en plus de collatéraux. Dans ces conditions, ne pourrait-on transférer une partie de cette activité sans grand risque, notamment de liquidité ?
Selon certains, accorder un prêt à des accédants trop pauvres conduit à la catastrophe : la durée de prêt est trop longue, le taux trop élevé et quelquefois variable, l'apport initial trop faible. Pourtant, un ménage incapable de se financer dans les conditions du marché ne va pas nécessairement dans le mur si on lui accorde un prêt. Etudions sereinement et sans préjugés toutes les solutions possibles ; je suis même disposé à parler technique s'il le faut...
On connaît le savoir-faire du CIF. Plutôt que de débattre des responsabilités de chacun dans les événements passés, réfléchissons à l'avenir des 2 500 salariés, 300 agences et 4 000 emplois induits : nous sommes confrontés à une affaire d'Etat !
Comment envisage-t-on l'avenir de ces salariés ? On ne sait même pas quelle part des activités du CIF on veut mettre en extinction !
Y a-t-il une alternative durable à l'offre de prêts du CIF ?
Comment assurer le financement des activités sociales des SACICAP, en particulier des conventions avec l'Etat pour la construction de 25 000 logements ?
J'entends les sachants dire qu'il n'y a pas d'autre issue que la gestion extinctive d'activité. Circulez, il n'y a rien à voir ! On connaît l'ACP, les ratios d'exploitation, l'adossement..., l'on sait aussi que les chiffres globaux ne correspondent pas toujours aux réalités régionales. Ne peut-on au moins réfléchir à d'autres solutions ? Voilà les questions que se posent le mouvement social et les élus, et c'est notre rôle de vous les soumettre.
Ma première remarque vise à souligner le paradoxe sidérant qui veut que Moody's ait abaissé la note d'un établissement qui a fait la preuve de sa bonne santé. Vous êtes en bonne santé ? Docteur Moody's vous annonce que vous risquez d'être malade demain.
Deuxième remarque : la crise du logement est un enjeu considérable. La loi votée récemment par le Sénat visait à répondre à cette préoccupation. Le public concerné est constitué de ménages aux revenus modestes, ainsi que des salariés du CIF, car 2 500 emplois, ça n'est pas rien. Le CIF a fait la preuve de son utilité sociale, dans l'aide au logement et l'accompagnement des publics en difficulté.
Troisièmement, les contraintes qualitatives de l'ACP excluent les trois quarts des clients potentiels du CIF : on programme sa mort à petit feu.
Quatrièmement, il faut se ménager un temps de réflexion de l'ordre de 2 à 3 mois, et non pas de 2 ans. Créer un outil public est une piste intéressante ; je relaie ici le président Sevez pour souhaiter la constitution par le Parlement d'un groupe de travail avec tous les partenaires. Autre proposition : on pourrait imaginer une levée à titre conservatoire des restrictions imposées par l'ACP qui risquent de tuer le CIF plus vite que prévu.
Je m'associe aux propos de François Rebsamen. Je veux simplement rappeler la mobilisation des élus locaux. Le rôle du CIF dans l'accession sociale à la propriété est primordial. Dans l'agglomération que je préside, on a délivré 300 prêts immobiliers à taux zéro pour permettre à des ménages modestes de devenir propriétaires. Est-ce scandaleux ? Chacun fait là son travail, dans la logique qui est la sienne. Comment voulez-vous expliquer aux gens qu'on a mis des milliards pour renflouer de banques qui, Arte le rappelait hier, ont constitué aux Etats-Unis des cartels quasi mafieux et ruiné des gens ? En France, nos systèmes prudentiel, hypothécaire et d'obligations foncières sont meilleurs. Il ne nous revient pas de payer les pots cassés. Comment redresser la situation s'il est impossible d'obliger des banques à adosser une structure qui fait son travail et apporte la preuve d'une rentabilité, certes faible ?
Je pose à mon tour la question : qui demande l'extinction du CIF ? Quelqu'un ici peut-il dire clairement qu'il s'agit de la Commission européenne ? Si c'est nous qui le demandons, c'est un autre sujet, et je ne suis pas d'accord.
Je vais dans le même sens que les remarques précédentes. Je vous donne quelques illustrations dans mon territoire : la signature de 19 conventions de partenariat pour un engagement financier de 2 250 000 euros, la vente de HLM où le CIF est très présent, l'accession sociale en zone ANRU, la lutte contre la précarité énergétique, avec la signature dans chaque département du contrat local d'engagement avec le programme Habiter mieux, l'aide aux propriétaires occupants les plus modestes en matière de sortie d'insalubrité ou d'accompagnement du vieillissement... Tout ce travail, messieurs, aucune banque ne le fera, je vous le dis ! Ce n'est pas simplement un travail bancaire que le CIF conduit. Quand je mets en place un office public de l'habitat, le CIF est à mes côtés et accompagne les candidats pendant plusieurs mois. Et vous voudriez que moi, élu local, je laisse tomber tout ce service ? Ce serait viser les plus faibles car un banquier rirait si vous lui proposiez ces missions.
Je ne crois pas à la mort annoncée. Peut-être le système ne peut-il plus marcher de la même façon depuis les accords de Bâle III. Trouvons une solution, car ne pensez pas que le relais sera pris ! Le marché des réparations, l'industrie du bâtiment, tous ces secteurs ne sont-ils pas dans une situation suffisamment difficile ?
Nous sommes tous élus locaux, membres d'une assemblée politique, nous connaissons parfaitement la question de l'accession sociale à la propriété, car il s'agit des besoins des populations que nous administrons. Je m'exprime ici au nom des commissaires du groupe UMP et je rejoins pourtant sur ce sujet Martial Bourquin : nous avons besoin d'un interlocuteur comme le CIF, pour les opérations à caractère social, mais aussi pour promouvoir la mixité sociale. La fabrique de la mobilité évoquée par Thierry Bert, mon département s'y emploie en faisant en sorte que les occupants de logements sociaux accèdent à la propriété, grâce aux conventions que vous signez, ce qui donne les moyens aux offices HLM d'investir et à nous d'introduire une mixité sociale par le haut, tout en invitant les offices à participer à des opérations de centre-ville. C'est un instrument indispensable dans la gestion des villes.
Ce qui me choque profondément, c'est le clivage qui nous sépare des partisans de l'extinction du CIF, dont le savoir-faire va nous manquer et qu'on ne saura pas réinventer du jour au lendemain. L'adossement, on a compris que c'était très difficile. Je veux néanmoins dire à Ramon Fernandez que quand on ne peut se marier par amour, il faut trouver des mariages de raison. Il y a des possibilités, fût-ce pour deux ou trois ans, avec la Caisse des dépôts. Encourageant ceux qui se battent pour maintenir l'instrument, j'invite Manuel Flam à être moins défaitiste face à Bercy : il trouvera un soutien sur tous les bancs de cette assemblée.
Je déplore comme mes collègues qu'une partie de cette réunion ait été consacrée au renvoi de responsabilités entre le CIF et son « administration de tutelle », sans que des solutions soient envisagées.
La question fondamentale à régler pour sortir de l'impasse est celle-ci : y a-t-il aujourd'hui encore en France une place pour l'accession sociale à la propriété, à quelles conditions, et par qui ? Pour ma part, je considère cela comme une mission de service public. J'ai entendu Thierry Bert souligner sa spécificité, justifier les conditions à remplir pour en bénéficier et reconnaître le savoir-faire accumulé dans ce domaine. A l'inverse, l'administration semble croire qu'il s'agit d'une activité banalisée et concurrentielle, ce qui impliquerait, selon cette formule magnifique, la gestion extinctive du CIF. Notre rôle est, d'essayer de sauver les 2 500 emplois et de répondre à la question fondamentale sur la place à l'accession sociale à la propriété - j'ai compris que 85% de l'activité du CIF était actuellement interdite.
Je serais tenté de reprendre la proposition d'Eric Bocquet : ne sortons pas de cette réunion en pensant que nous n'y pouvons rien. Nous nous refusons à laisser disparaître le CIF. Nous ferions oeuvre utile en constituant un groupe de travail avec tous les acteurs réunis autour de cette table aujourd'hui, dans le but de trouver des solutions d'ici la fin de l'année, et non pas dans un an ou deux.
Je m'associe à l'ensemble des remarques qui ont été faites. Je crois qu'il faut savoir prendre des décisions politiques lorsque des sujets essentiels à la vie de nos administrés sont en jeu : un certain nombre d'habitants aux ressources fragiles comme les intérimaires n'auront jamais d'accompagnement bancaire pour accéder à la propriété.
Les contrôleurs spécifiques sont peu nombreux car il n'y a en France que neuf sociétés de crédit foncier. Notre cabinet en contrôle quatre. Nous faisons partie des contrôleurs externes, avec le régulateur et les commissaires aux comptes. Mais si ces derniers rendent comptent aux actionnaires, le contrôleur spécifique rend compte directement à l'ACP. Hier soir, j'avais d'ailleurs commencé par refuser de venir à cette table ronde, le secret professionnel ne m'autorisant à parler qu'à Cyril Roux.
Je veux néanmoins revenir sur la notion de société de crédit foncier. M. le rapporteur général, vous cherchiez tout à l'heure une pépite. Elle est ici : CIF Euromortgage. C'est la loi qui le dit, c'est Moody's. Si l'agence s'est sentie obligée de dégrader l'établissement d'un cran, il reste aujourd'hui noté comme l'Etat français. Il serait alors dommage de perdre une telle pépite. CIF Euromortgage respecte la loi et la réglementation prudentielle. Le ratio légal de couverture doit être supérieur à 102 %, et c'est le cas ; le montant des prêts cautionnés doit être inférieur à 35 % de son actif, et c'est le cas ; l'établissement peut détenir des billets hypothécaires pour une valeur inférieure à 10 % de son actif, et c'est le cas ; les valeurs de remplacement doivent être composées d'actifs sûrs et liquides inférieurs à 15 %, et c'est le cas.
Nous sélectionnons de manière aléatoire 400 dossiers de crédit par an. Les garanties sont-elles bien là : une hypothèque de premier rang, une garantie du type de société de caution du type Crédit logement ? Oui ! La règlementation applicable est respectée.
CIF Euromortgage restera une pépite jusqu'à la fin, sauf à modifier la loi.
Nous sommes tout à fait conscients de l'importance et de la difficulté de la situation actuelle du CIF. Loin de nous l'idée de penser que l'affaire est banale et sans conséquences. L'administration reste au service de qui voudra, dans les formations que vous déciderez, pour chercher des solutions, car notre métier ne consiste pas seulement à regarder dans le rétroviseur.
Je redis simplement ceci : le modèle économique actuel du CIF est mort, nous en sommes tous d'accord. Il nous faut donc trouver d'autres instruments, sur la base des compétences et des savoir-faire, pour répondre à un besoin qui perdure. Dans le même temps, il nous faut poursuivre la discussion avec la Commission européenne afin de respecter le cadre juridique des aides d'Etat.
Ne considérons pas que les acteurs bancaires, qui forment une communauté très large, ne puissent pas jouer un rôle majeur pour trouver des solutions. Nous poursuivons les discussions notamment avec la Banque postale, présente sur le marché de l'accession à la propriété et qui reste déterminée à monter en puissance. C'est notamment pour évoquer cette question que le ministre de l'économie reçoit demain les banquiers.
Nous avons beaucoup échangé avec le ministère des finances. Notre conclusion partagée, bien que ce ne soit pas de gaieté de coeur, est que le modèle économique du CIF est épuisé, que l'extinction était inévitable.
A mon tour, je souligne le rôle que doivent jouer les autres banques. Nous sommes aujourd'hui dans une situation où l'Etat est en situation de leur demander des comptes. Nous avons, au ministère du logement, engagé un travail important sur le renforcement du prêt à taux zéro, à partir duquel des propositions vous parviendront rapidement.
Il me paraît essentiel de saisir la proposition de Thierry Bert de constituer un groupe de travail sur l'accession sociale à la propriété. Seulement 5 % de l'accession sociale à la propriété provient du CIF. Il me semble donc souhaitable de disposer d'une vision globale et claire des moyens à notre disposition pour la renforcer.
Les solutions à construire sont devant nous. Les banques ont un rôle essentiel à jouer. Il est désormais de la responsabilité du ministère des finances de les solliciter.
Le Gouvernement entend fort et clair votre inquiétude. Cette séance, je l'espère, aura fait prendre conscience à chacun que le modèle économique actuel du CIF est parvenu à son terme. Il faut en revanche préserver les fonctions qu'il exerce. Les SACICAP doivent être pleinement associées aux discussions.
Soucieux de l'avenir des salariés du CIF, qui possèdent un savoir-faire incontestable, nous ne renonçons pas à exiger des autres établissements bancaires qu'ils fassent le maximum en leur faveur. Il n'y a aucune résignation : sans doute le taux d'emploi est-il stable ou en diminution dans le secteur, mais il y a des flux significatifs de recrutement. Il faut en outre réfléchir au sort du groupe CIF, voir précisément quelles activités poursuivre et lesquelles peuvent être reprises.
Quant aux activités sociales du CIF, nous convenons tous qu'il importe de les préserver. Nous verrons lesquelles peuvent être assumées par le marché, par la Banque postale... Pour le reste, nous suivrons les pistes que vous avez indiquées. Après l'urgence, nous entrons dans une phase active.
J'ai été extrêmement sensible au témoignage de nombreux sénateurs en faveur de l'activité sociale et locale du CIF. Tout le monde reconnaît le savoir-faire de nos salariés. Oui, le CIF doit changer de modèle. Je suis tout à fait d'accord pour intégrer avec notre actionnaire, l'UESAP, un groupe de travail créé à ce sujet. Cependant, nous sommes aujourd'hui à l'arrêt !
Si l'on tarde encore deux ou trois mois, le CIF sera mort. Il y a urgence !
On dit le modèle économique du CIF épuisé, c'est plutôt son modèle de financement, sans adossement à une banque. Encore une fois, je souhaite que l'on examine de près les aides apportées au CIF : l'Etat apporte sa garantie, celle-ci est rémunérée. Est-il normal que tous les fonds propres et le boni finissent dans la poche de l'Etat ?
Quant au modèle économique, il est viable s'il se fonde sur une part d'obligations très sécurisées et une part d'obligations moins sûres, qu'il faudra garantir. Ce que l'on n'a pas encore précisé, c'est, si l'on voulait conserver un instrument adapté à l'accession sociale à la propriété, qui s'en chargerait, pour quel public, avec quels instruments et selon quelles procédures. Les spécificités de la politique d'accession sociale doivent être maintenues, sans aller trop loin, au risque d'une nouvelle crise des subprimes. Le CIF peut apporter une aide précieuse, grâce à un scoring très précis et à un monitoring mois par mois, qui expliquent que malgré une clientèle très difficile, l'établissement ait un ratio de sinistralité assez faible.
Si les activités du CIF sont à l'arrêt, ce n'est pas à cause de l'Etat ni de la Commission européenne, mais faute d'investisseur. Les sociétés de crédit foncier sont-elles en cause ? Je ne le crois pas : elles restent notées comme l'Etat français. Fitch, qui les a mises sous revue à la mi-septembre, ne remet pas en question le modèle lui-même, mais pointe société par société telle ou telle fragilité. Le marché des obligations foncières françaises existe toujours : on peut y émettre et y échanger des titres. C'est un bien commun à préserver précieusement.
Dès les premiers jours de septembre, nous avions le sentiment qu'il serait utile d'éclairer tous nos collègues sur les événements qui se sont déroulés depuis ce printemps et les conditions de l'intervention de l'Etat : cette audition y a servi. Elle a eu une écoute attentive. A l'avenir, peut-être les discussions entre le Gouvernement et tel ou tel établissement financier ou bancaire feront-elles évoluer les choses. Nous sommes disponibles pour participer à la réflexion collective. Le Sénat devra se pencher sur ce sujet à l'occasion de la discussion budgétaire, puisqu'il est prévu que l'Etat apporte sa garantie au CIF.
Nous avons aujourd'hui éclairé les choses, répondu à des inquiétudes et entrevu des pistes nouvelles.
J'espère que le groupe de travail évoqué se mette en place très bientôt. Nous ne pouvons pas attendre la discussion budgétaire.