Je tiens en effet à vous donner un éclairage complémentaire, dont je vous laisserai tirer toutes les conclusions.
On ne peut comprendre les enjeux sans avoir à l'esprit le modèle économique particulier du CIF. Celui-ci est une banque spécialisée dans l'octroi de crédits, essentiellement hypothécaires, aux particuliers. C'est une banque atypique, dans la mesure où il ne collecte pas de dépôts, et où le refinancement de ses crédits, qui vont jusqu'à 40 ans, est assuré exclusivement sur les marchés par des obligations foncières. Ces ressources sont à la fois courtes (10 ans en moyenne) et volatiles, puisqu'elles dépendent des fluctuations des marchés.
Ce modèle, bien qu'ayant persisté jusqu'à ce jour, est fragile. Du reste, les autres établissements spécialisés se sont tous adossés à des groupes bancaires. Les pouvoirs publics en avaient pleinement conscience. En 2006, le législateur a entendu permettre cet adossement : il s'agissait alors de banaliser le statut du CIF. Les tentatives n'ont pas abouti, pour des raisons nombreuses dont il faudrait demander le détail aux établissements alors candidats. La fragilité du CIF est devenue rédhibitoire avec la crise financière. D'une part, les investisseurs ont jugé que le modèle n'était plus viable ; à cet égard les communiqués de Moody's reflètent le sentiment général du marché et n'ont joué qu'un rôle de révélateur. D'autre part, les régulateurs jugent dangereux un modèle, qui était aussi celui de banques étrangères en difficultés : les normes prudentielles exigent désormais l'adossement des actifs à des ressources suffisamment stables. Dès lors, l'absence d'adossement à une grande banque devient un problème structurel.
Si Bernard Sevez indique que les résultats sont positifs, d'autres soulignent que la rentabilité n'est pas élevée et que le résultat n'est positif qu'avec un refinancement à bas coût, sur des durées très courtes, ce qui expose à tout moment le CIF à une remontée des taux. De plus, son bilan est plus risqué, parce qu'il propose à une partie de sa clientèle des crédits à taux variables, pas toujours plafonnés, ou à maturité révisable.
Il reste que la dégradation de la note du CIF a précipité le calendrier. Le 28 août en effet, la décision de Moody's plaçait mécaniquement le CIF en situation de défaut de paiement le lundi suivant, nécessitant l'intervention de l'Etat. Lors de la mise sous perspective négative en février 2012, le Trésor a été saisi, comme l'ACP et la Banque de France, afin, selon le CIF, de gagner des délais supplémentaires et, si possible, de trouver des solutions pérennes. Le Trésor a demandé au CIF de rechercher un adossement pour une raison simple : une intervention publique immédiate aurait nécessité l'approbation préalable de la Commission européenne au titre des aides d'Etat, et enserré cette sortie de crise dans un délai de six mois. A contrario, un adossement dans des conditions concurrentielles aurait pu être présenté à la Commission comme n'impliquant aucune aide, ne justifiant aucune mesure compensatrice rédhibitoire. J'ai donc indiqué au CIF dans un courrier daté du 22 mars, que je tiens à votre disposition, que la voie de la garantie publique n'était alors ni envisageable ni souhaitable, et qu'un adossement en dehors de toute intervention publique apparaissait préférable. L'Etat, qui était prêt à faire tous ses efforts pour aider le CIF dans cette recherche, n'excluait aucune hypothèse : « l'Etat examine actuellement toutes les options envisageables sans en écarter aucune à ce stade ».
Par la suite, nous avons toujours voulu donner du temps au CIF pour procéder à l'adossement nécessaire avec les meilleures chances de succès : lorsqu'elle a dégradé la note intrinsèque du CIF mi-mai, Moody's indiquait dans son communiqué que le CIF bénéficiait d'une forte présomption du soutien de l'Etat, ce qui permettait de maintenir la notation.
Il a pourtant fallu attendre juin, soit trois mois, pour qu'une data room soit mise en place à l'intention des repreneurs potentiels. La recherche d'un adossement s'est déroulée de début juin à fin août. Un seul candidat a étudié le dossier, la Banque postale. Le projet avait un sens industriel, pour la Banque postale qui souhaitait se développer sur le marché du crédit immobilier et qui disposait d'une bonne situation de liquidité. Malgré les encouragements de l'Etat, la Banque postale n'a pas souhaité réaliser l'opération, ce qui a condamné l'hypothèse de l'adossement.
Les raisons de cet échec sont multiples. Elles tiennent aux risques qui ont pesé sur la liquidité de la Banque postale, à la faible rentabilité du portefeuille de crédits détenu par le CIF, à son niveau de risque plus élevé que la moyenne, étranger aux normes de distribution de crédits en vigueur à la Banque postale, et qui l'obligerait à importer une chronique de pertes dans un environnement moins favorable. Enfin, l'absence de gains en fonds propres, voire le risque de diminution de ses propres ratios de solvabilité ont sans doute joué un rôle dans le renoncement de la Banque postale, qui n'a dû voir dans l'opération ni intérêt stratégique ni intérêt social.
A la fin du mois d'août, l'intervention publique visait à éviter un risque de marché et à rechercher les solutions pour un reclassement des salariés, dans un contexte où le CIF pouvait faire défaut quarante-huit heures plus tard. Les conditions d'intervention de l'Etat ont été présentées au conseil d'administration du CIF le 31 août au soir, avant qu'il ne demande l'octroi de la garantie. Elles comprenaient notamment l'arrêt de la production, l'extinction progressive de l'activité du CIF, le renoncement des actionnaires à leurs dividendes et à tout boni de liquidation. L'Etat a, en outre, acté le départ à la retraite du président Claude Sadoun, en indiquant qu'il s'attendait à ce que ce dernier renonce aux indemnités de départ accordées en juin 2012. C'est au vu de ces conditions que le conseil d'administration a demandé la garantie de l'Etat. Un document officiel est ensuite venu lever toute ambigüité sur l'octroi de la garantie de l'Etat.
La procédure a ainsi anticipé les demandes de la Commission européenne en matière de sauvetage d'entreprise. Celle-ci a précisé dans une communication de 2004 que l'Etat qui formule une telle demande doit présenter dans les six mois soit un plan de restructuration, prévoyant un retour à la viabilité sans aide à court terme, soit un plan de liquidation ordonnée. Un plan de restructuration était exclu dans le cas du CIF, qui n'était plus viable sans un adossement impossible à réaliser : sa mise en extinction progressive était inévitable. Toute production étant financée par des émissions garanties, elle contreviendrait à une autre communication de la Commission européenne datant de 2008, selon laquelle l'activité des établissements bénéficiant d'une aide d'urgence doit être réduite dès l'octroi de celle-ci.
Quant aux dividendes et au boni de liquidation, les actionnaires et certains créanciers doivent être exclus de toute aide. Le versement d'un dividende ou d'un boni de liquidation supposerait que la garantie de l'Etat soit accordée dans des conditions tarifaires telles que l'institution ne bénéficie d'aucune aide. J'ajoute que, contrairement à ce qu'on lit ici ou là, l'Etat n'a pas mis la main sur les fonds propres du CIF, puisque ceux-ci vont devoir couvrir les risques des établissements pendant une durée longue, probablement plus de 15 ans.
Enfin, je tiens à souligner que la question sociale est la raison principale de l'intervention de l'Etat. Dans les pays voisins, d'autres choix ont été faits, avec un impact sur les salariés d'une autre ampleur.