Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 10 octobre 2012 à 14h30
Traité sur la stabilité la coordination et la gouvernance au sein de l'union économique et monétaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Bernard Cazeneuve  :

Il s'agit-là d'un nouveau combat, que nous mènerons. C'est la condition pour que le budget de l'Union européenne puisse demain créer de la croissance.

Pour ce qui est de la politique industrielle à l'échelle de l'Union européenne, le juste échange doit conduire notre pays à n'ouvrir ses marchés publics aux industriels des autres pays que selon un principe de réciprocité. La Commission européenne élabore actuellement un règlement sur ce point, auquel nous contribuons activement.

Il s'agit aussi, sur le plan national, pour accompagner nos filières d'excellence, de prendre les mesures fiscales qui conviennent. Je pense au crédit d'impôt recherche, à la réforme de l'impôt sur les sociétés favorisant l'investissement dans les PME et PMI innovantes. Je pense également à la mise en place de la Banque publique d'investissement. Je pense encore à ce que nous souhaitons faire en matière de compétitivité, et ce, je le répète, dans le respect rigoureux du dialogue social.

Voilà pour ce qui concerne l'équilibre et le cadre dans lequel s'inscrit notre politique.

Le traité dont vous allez autoriser la ratification aujourd'hui n'est rien d'autre qu'un héritage, dont nous aurions pu nous passer et dont l'Europe n'aurait jamais demandé la mise sur le métier si la France et d'autres n'avaient pas, notamment au milieu des années 2000, demandé à la Commission de revoir les critères auxquels nous avions décidé de nous conformer. Cette révision a accompagné le déséquilibre des comptes publics et conduit un certain nombre d'institutions européennes à nous demander des comptes qu'on ne nous aurait pas demandé de rendre si nous avions respecté les engagements que nous avions pris.

J'évoquerai maintenant le contenu de ce traité. Ne nous empêche-t-il pas de mener la politique que nous souhaitons ? C'est là une question importante, qui a été posée sur de nombreuses travées, plus sur celles de la gauche que sur celles de la droite. Les communistes l'ont abordé à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Elle mérite une réponse précise.

Tout d'abord, allons-nous passer de 3 % de déficit maastrichtien des comptes publics à 0, 5 % de déficit ? La réponse est non. Les 3 % de déficit des comptes publics maastrichtiens demeurent. Quant au taux de 0, 5 %, il ne s'agit pas de 0, 5 % de déficit des comptes publics, mais de 0, 5 % de déficit structurel. La différence entre les 3 % de déficit des comptes publics maastrichtiens et les 0, 5 de déficit structurel, c'est que les 0, 5 de déficit structurel prennent en compte les moyens mobilisés par les États pour faire face aux chocs conjoncturels. Cela signifie qu'il est possible d'utiliser ce traité, dès lors qu'on en fait une lecture keynésienne, pour mener des politiques contracycliques. Telle est l'approche qu'il faut donc avoir de ce traité et de ce que doivent être les politiques de l'Union européenne.

Par conséquent, un débat devra avoir lieu sur le contenu de cette notion avec la Commission et nos partenaires de l'Union européenne. La question est de savoir si l'on peut utiliser ces 0, 5 % non pas pour échapper à la discipline budgétaire, mais pour créer de nouvelles initiatives de croissance, dans le cadre des grands investissements structurants dont l'Europe a besoin, pour allier à la fois discipline budgétaire et croissance.

Ce traité pose ensuite une autre question : un effet récessif, cumulatif pourrait-il résulter de la juxtaposition dans une même séquence de la réduction de la dette et de celle des déficits ? Cette question mérite effectivement d'être posée et d'être examinée de près.

Si la part de la dette supérieure à 60 %, dont il faut réduire le volume d'un vingtième par an, doit être réduite dans le même temps qu'on doit se conformer aux 0, 5 % de déficit structurel, il y a incontestablement un effet cumulatif de la réduction du déficit et de la réduction de la dette. On aurait alors raison de s'interroger sur les conséquences récessives d'un tel effet cumulatif. Or il n'y a pas d'effet cumulatif.

Le traité est très précis sur ce point : il prévoit que la réduction d'un vingtième par an de la part de la dette supérieure à 60 % intervient dans les trois ans qui suivent la sortie du pays de la période de déficit excessif. Il s'écoule donc trois ans entre le moment où la réduction de la dette intervient par vingtième par an et le moment où la période de déficit excessif a cessé, ce qui signifie qu'il n'y a pas d'effet cumulatif.

On peut même aller plus loin. Dès lors qu'on est sorti de la période de déficit excessif, même pendant la période où le déficit se réduit pour que l'on sorte de la période de déficit excessif, il y a mécaniquement un effet de réduction de la dette résultant du fait que l'on rembourse plus que ce que l'on emprunte par l'effet de la réduction du déficit, qui facilite au bout de trois ans la réduction d'un vingtième de la part de la dette supérieure à 60 %. Ce point est important. Il est un peu technique et rébarbatif. Il n'est pas très facilement accessible au grand public. Toutefois, il me paraissait important de vous apporter cette réponse à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui examinez les textes de près.

Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne est-elle compétente pour s'ériger en juge des comptes des États ? La Cour interviendra, lorsque le traité entrera en vigueur, non pas en tant que juge des comptes publics des États, mais comme juge de la transposition en droit interne du traité. Cela signifie que si le traité n'est pas transposé en droit interne, la Cour de justice de l'Union européenne, éventuellement saisie par un certain nombre d'États membres, pourra engager une procédure rendant obligatoire cette transposition. Ce dispositif est finalement assez peu exorbitant du droit commun communautaire. Il n'est pas dérogatoire. C'est le dispositif qui prévaut pour l'ensemble des transpositions en droit interne des mesures européennes.

Enfin, j'insisterai sur la question de la souveraineté et sur ce que serait la situation en droit interne français si le traité n'était pas ratifié.

Je rappelle d'abord, et je souhaiterais vous en convaincre, qu'une grande partie des dispositions du traité s'appliqueraient même si celui-ci n'était pas adopté. Ce traité reprend en effet en grande partie des dispositions déjà existantes, dont il fait la synthèse. Certains critiquent le traité au motif qu'il porte atteinte à la souveraineté budgétaire des parlements, qu'il établit un dialogue entre la Commission et les parlements, obligeant les États et les parlements, qui votent les budgets, à rendre compte à la Commission des conditions dans lesquelles ces budgets sont élaborés, et qu'il autorise la Commission à pointer devant les parlements un éventuel décalage entre la trajectoire budgétaire que les États se sont engagés à respecter et la réalité de ladite trajectoire. Ce phénomène existe incontestablement. C'est ce qu'on appelle « le semestre européen ».

Le semestre européen est un ensemble de textes de nature budgétaire, auquel le traité fait référence, dont il fait la synthèse, mais qui s'appliquerait même si vous ne votiez pas le traité, puisque ces textes sont déjà en vigueur depuis le mois de novembre 2011.

Ce que le traité ajoute à ce dispositif, ce sont les modalités d'intervention précises de la Cour de justice de l'Union européenne et l'obligation de transparence de la règle d'équilibre budgétaire. Seules ces deux dispositions ne figuraient pas dans les textes précédents.

Ensuite, ces règles empêchent-elles la mise en œuvre de politiques keynésiennes ? J'ai déjà abordé cette question tout à l'heure en évoquant les 0, 5 % de déficit structurel, mais j'aimerais l'approfondir. Les États sont-ils liés par la discipline budgétaire quel que soit le contexte économique qui prévaut ?

Sur cette dernière question, je vous renvoie tout d'abord à l'alinéa 3 de l'article 3 du traité, qui prévoit que, en cas de choc conjoncturel extrêmement grave, les États peuvent décider de se délier des obligations du traité. Il est donc des circonstances particulières qui peuvent conduire les États, s'il estime que cela se justifie, à se délier des obligations du traité, en raison de l'appréciation qu'ils portent sur la situation économique et financière à laquelle ils sont confrontés.

Ensuite, le traité prévoit que les États membres doivent ramener leur déficit structurel à 0, 5 % du PIB « à moyen terme ». Il y a le temps de l'ajustement. Cette règle ne s'appliquera donc pas tel un couperet.

Enfin, le traité précise que les 0, 5 %, je le répète, c'est du déficit structurel. Est donc incluse dans le déficit structurel la notion de moyens mobilisés par les États pour faire face à des chocs conjoncturels. En réalité, ce que le traité dit, si on en fait une lecture keynésienne, c'est que le rétablissement des comptes doit être la règle lorsque la croissance est là, et lorsqu'elle n'est pas là, il est possible d'utiliser la notion de déficit structurel pour introduire de la souplesse.

Il est en fait possible de faire une lecture keynésienne de ce traité. Le keynésianisme ne prévoit pas le déficit quelles que soient les circonstances. Keynes nous a enseigné que le déficit est nécessaire lorsque la conjoncture est récessive, mais que, lorsque la croissance est là, il faut faire preuve de rigueur et rétablir les comptes publics. C'est cette différenciation des politiques budgétaires selon le contexte qui leur donne une dimension contracyclique aux politiques budgétaires et qui permet de faire de ce traité une lecture différente de celle qu'en font certains conservateurs européens.

Ce traité, nous ne l'aurions pas écrit comme cela, nous ne l'aurions pas signé en l'état, mais nous pouvons le lire autrement que ceux qui l'ont écrit s'apprêtaient à le lire.

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