Concernant l'échantillonnage, je souhaite vous préciser que c'est un travail ethnographique que j'ai effectué qui n'est donc pas forcément représentatif de la population. De même, j'utilise la notion de milieu populaire qui recouvre une population hétérogène. Ce travail a pour objectif de mettre en évidence des logiques significatives. Mes recherches ont été étayées par d'autres travaux dont ceux de l'Insee qui produit des enquêtes quantitatives. Les résultats convergent pour mettre en évidence cette forte mobilisation des parents. L'Insee a constaté que 95 % des mères passent en moyenne 19 heures par mois à aider leurs enfants scolarisés en primaire, toutes catégories sociales confondues. Il n'y a pas de clivage social dans ce domaine. Ce sont même les mères les moins diplômées qui passent le plus de temps à l'aide aux devoirs.
Certaines familles en grandes difficultés qui sont minées par la précarité et les questions sociales, ne peuvent pas développer des dispositions scolastiques. Mais c'est un phénomène marginal. La grande masse des familles des milieux populaires est mobilisée dès lors qu'elle le peut. Ces familles épargnées par les questions sociales ne disent pas forcément à l'école le travail qu'elles font en parallèle. Elles sont également consommatrices du marché parascolaire et des cours payants, les autres aspirant à avoir accès à ces cours payants.
Sur la question de l'utilité des devoirs, je pense qu'un temps personnel de travail des élèves est indispensable. La vraie question qui se pose est de savoir où ce travail doit se faire. Cela relève-t-il de la responsabilité de l'institution ? Doit-il être placé au coeur du système ou bien en dehors de la classe ? De quelle responsabilité doit-il relever ? Mon point de vue est que pour diminuer les inégalités scolaires amplifiées par les devoirs, l'école doit renouer avec l'idée d'encadrement du temps de travail personnel des élèves. Il y a là un enjeu fondamental.
Mais ce n'est pas parce que l'on va ré-internaliser les devoirs dans l'institution, que c'est la garantie d'une plus grande efficacité et d'une plus grande équité. Elle doit s'accompagner en outre d'une réflexion profonde sur le sens des devoirs et sur ce qui se passe en amont dans la classe.
Notre équipe a observé une classe où fonctionnait un dispositif municipal d'aide aux devoirs encadré par des enseignants. Ce sont donc les prescripteurs qui encadrent ces devoirs au sein de l'école. Or, nous avons pu constater qu'ils étaient parfois mis en difficulté par les devoirs de leurs collègues. On a travaillé sur la boucle pédagogique des devoirs, c'est-à-dire ce qui circule entre la classe et l'étude et ce qui revient en classe. On devrait apprendre en classe et cela devrait être consolidé en étude. On a pu mettre à jour de nombreux dysfonctionnements de cette boucle didactique du travail qui pèsent sur le fonctionnement de l'étude et qui participent à la rendre moins efficace. Ces dysfonctionnements sont de plusieurs ordres : une boucle éclatée, la profusion des supports, la complexité des modes de classement... De plus, la quantité de travail n'est pas toujours bien régulée. Trop souvent, les consignes renvoient à des principes non acquis.
Les devoirs sont comme une caisse de résonnance des difficultés qui n'ont pas été résolues en classe. Ré-internaliser les devoirs, oui mais il faut aussi se poser la question de savoir si les élèves ont le temps de s'approprier les notions pendant la classe.
Concernant les conditions matérielles de réalisation des devoirs, les familles que j'ai rencontrées sont attachées à donner, dans la mesure du possible, un espace personnel de travail à leurs enfants, même si dans la réalité, le travail s'effectue un peu partout dans la maison. On retrouve aussi parfois un phénomène de délégation en interne aux aînés quand ces derniers ont un rapport positif à la scolarité.
Enfin, familles et enseignants sont attachés aux devoirs en partie car cela maintient un lien entre l'espace scolaire et l'espace familial. Mais les devoirs ne doivent pas être considérés comme le seul élément de communication pour la famille car ils sont parfois source d'une certaine souffrance en son sein.