Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Réunion du 10 octobre 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • classe
  • enquête
  • enseignant
  • populaire
  • pédagogique

La réunion

Source

La commission auditionne Mme Séverine Kakpo sur le thème des devoirs à la maison.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Chers collègues, je vous propose d'entamer les travaux de cette commission. Hier, les quatre ateliers qui ont travaillé dans le cadre du projet « Refondons l'école » ont développé des pistes et suggestions dont certaines ont dégagé un consensus. Parmi les pistes évoquées figurent les rythmes scolaires qui doivent libérer du temps pour, entre autre, l'éducation culturelle, scientifique et artistique et/ou l'aide aux devoirs, thème qui est l'objet de notre réunion.

Debut de section - Permalien
Séverine Kakpo

Je suis enseignant-chercheur à Paris 8 en Sciences de l'éducation et j'appartiens au laboratoire Éducation et Scolarisation (Escol).

Dans le cadre de différentes recherches conduites au sein du laboratoire Escol dans la perspective de mieux comprendre ce qui se joue dans l'externalisation du travail personnel des élèves en termes d'inégalités sociales et de réussite scolaire, j'ai été amenée à observer des élèves d'école primaire et de collège en train de faire leurs devoirs dans différents contextes (maison, études municipales mais aussi plus récemment un internat d'excellence). J'ai conduit également des entretiens auprès des diverses catégories d'acteurs qui encadrent les devoirs scolaires (parents et enseignants intervenant à l'étude, principalement). Je focaliserai ici mon propos sur les pratiques d'accompagnement du travail scolaire en milieux populaires.

Je développerai cinq points : un rappel sur l'histoire des devoirs, la mobilisation intense des parents dans les familles populaires et leur attachement viscéral aux devoirs, la tâche d'accompagnement qui est soumise à forte tension, la pratique de suivi des parents qui sont tramés de malentendus et, enfin, les prescriptions de travail supplémentaire. En conclusion, j'évoquerai les dispositifs d'accompagnement.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

J'aimerais que vous précisiez votre parcours, êtes-vous enseignante ?

Debut de section - Permalien
Séverine Kakpo

Je suis enseignante. J'ai exercé quatre ans en Seine-Saint-Denis dans différents collèges. Et je viens d'être recrutée comme enseignant-chercheur.

En guise d'introduction, je souhaiterais rappeler que des répartitions différentes du temps scolaire des élèves ont existé et que le modèle que nous connaissons aujourd'hui (celui de l'externalisation) est relativement récent. En effet, jusqu'aux années 60, le travail personnel des élèves a été placé non pas en périphérie mais au coeur du système éducatif, avec deux traditions bien différentes pour chacun des deux ordres d'enseignement.

L'enseignement secondaire est l'héritier d'un modèle scolaire (les « humanités ») au sein duquel l'organisation du temps scolaire est pensée en fonction d'une étroite association de l'enseignement et du travail personnel. Dans ce système, la « classe » a lieu deux fois par jour et dure en moyenne deux heures. Avant la classe du matin, entre les deux classes de la journée et après la classe du soir, les élèves, qui sont internes, travaillent à l'étude. Ils y sont surveillés et aidés, et leur travail est vérifié par des « répétiteurs ». C'est une organisation qui a perduré tout le long de l'Ancien régime et du XIXe siècle, période à laquelle les internes passent les deux tiers de leur temps de travail à l'étude, soit environ 40 heures par semaine contre 20 heures de classe.

Ce modèle séculaire a disparu, en quelques décennies, sous l'effet de trois évolutions : une évolution pédagogique qui fait reculer les défenseurs des « humanités classiques », le déclin progressif de l'internat, qui a privé les « répétiteurs » d'une de leur principale raison d'être, la surveillance des internats, et, l'explosion démographique associée à la crise de recrutement des années 50-60, qui a imposé d'employer les instituteurs à faire classe exclusivement. Les répétiteurs ont été remplacés par des personnels dont la fonction relevait exclusivement de la surveillance et non plus du domaine pédagogique.

Les devoirs ont été placés sous la responsabilité des familles.

Dans l'école primaire publique, un tout autre mode d'organisation pédagogique s'est imposé puisque les élèves qu'elle scolarisait étaient très majoritairement issus des milieux populaires et tous externes. Dans ce modèle, le temps de travail des élèves était intégralement pris en charge dans le temps de classe. C'était le maître qui faisait faire des séries d'exercices et vérifiait sur place les productions des élèves. Il faisait également répéter les leçons jusqu'à ce qu'elles soient sues. Il était donc le seul garant de la réalisation du travail scolaire et de son évaluation.

Mais, ce modèle d'organisation a rapidement évolué au cours des premières décennies du XXe siècle. Les raisons de ce bouleversement sont à chercher du côté de l'évolution du mode d'encadrement du temps périscolaire. Au départ, il existait bien des études mais uniquement à des fins d'encadrement social. Elles ne proposaient pas d'encadrement pédagogique. Mais, à mesure que les enseignants s'y sont investis pour compléter leurs revenus, elles deviennent progressivement des lieux où les enfants travaillent et font des devoirs.

A partir des années 50, l'éducation nationale tente de réguler ce phénomène, qu'elle juge néfaste. C'est en novembre 1956, qu'est promulgué le premier arrêté interdisant les devoirs à la maison et exigeant qu'ils soient réintégrés dans la classe. Mais cet arrêté - le premier d'une longue liste - ne parvient pas à endiguer le processus d'externalisation parce qu'il intervient au moment où s'amorce un projet d'unification des parcours scolaires. Or, en amont, collèges et lycées, les enseignants ont massivement recours à l'externalisation du travail personnel des élèves. En aval, la pratique des devoirs maison ne peut donc que s'en trouver renforcée.

Le processus d'externalisation aboutit à son terme extrême lorsque, au tournant des années 60-70, sous l'influence des mouvements de Jeunesse et d'éducation populaires, les enseignants se retirent progressivement des études, remplacés par des personnels communaux formés à l'animation socioculturelle. Progressivement, les devoirs sont donc placés sous la seule responsabilité des familles.

Le grand paradoxe de l'histoire est que l'on a mis fin à l'encadrement institutionnel des devoirs, à tous les niveaux du système éducatif, au moment même où leur encadrement aurait sans doute grandement facilité l'intégration des élèves issus de la massification et peu de temps avant que l'école ne commence à imposer et externaliser des tâches qui deviennent de plus en plus exigeantes et donc qui relèvent de moins en moins de l'évidence pour tous.

L'enquête ethnographique que j'ai conduite auprès de vingt familles populaires, présentant la particularité d'être encore relativement préservées de la précarisation de l'emploi et des conditions de vie, montre que l'accompagnement des devoirs est au coeur de l'intense préoccupation scolaire de ces familles qui, loin d'être démissionnaires, aspirent au contraire à voir leurs enfants réussir à l'école et s'affranchir des tâches d'exécution. Ces résultats convergent avec ceux déjà mis en évidence par l'Insee et qui montrent que l'aide parentale aux devoirs est un phénomène de grande ampleur (qui occupe, pour un écolier, par exemple, 95 % des mères, toutes catégories sociales confondues), et qui s'intensifie, de surcroît, alors même que l'offre d'aides concurrentes a explosé au cours de ces dernières décennies.

L'enquête met aussi en évidence l'attachement viscéral que les familles populaires portent aux devoirs, qu'ils envisagent comme consubstantiels à la scolarisation. Tous ont foi en l'efficacité des devoirs et n'hésitent pas à engager des démarches auprès des enseignants pour « rétablir le flux » quand ils jugent que l'école ne joue plus pleinement son rôle de « prescriptrice ». Il faut comprendre que les devoirs sont aussi, pour les parents, une « fenêtre ouverte » sur la classe, un moyen de contrôle du travail de l'enfant mais aussi un regard porté sur l'institution, ainsi qu'un levier d'action, une manière de communiquer avec les enseignants (en leur renvoyant l'image de parents « partenaires »). Ils sont enfin un moyen de structurer le temps extrascolaire de leurs enfants et de légitimer l'ordre moral familial, etc. Ce très large consensus relève donc de logiques hétérogènes mais qui toutes convergent pour rendre indispensable, à leurs yeux, le transit du travail scolaire par la maison.

L'enquête montre aussi que les familles des catégories populaires, dès lors qu'elles ne sont pas complètement démunies pour aider et qu'elles disposent d'un minimum de temps disponible, n'entretiennent pas un rapport simple avec les dispositifs d'aide aux devoirs et ne se résolvent pas facilement à faire sous-traiter, à leur tour, l'encadrement du travail personnel de leurs enfants. Certaines des familles de mon enquête ont rapatrié les devoirs à la maison après une courte période d'essai, considérant qu'elles y perdaient plus qu'elles n'y gagnaient.

« Accompagner les devoirs » ne relève pas de l'évidence pour bon nombre de parents de notre enquête, tout particulièrement pour ceux dont les enfants rentrent régulièrement à la maison sans avoir pu s'approprier, en amont, au sein de la classe, les savoirs en jeu ou encore sans avoir pu s'initier préalablement à des opérations de transfert de la notion.

Pour la plupart des parents, il est clair que le rôle qui leur incombe est d'aider leurs enfants à retourner en classe avec des devoirs corrigés. Les parents ne se contentent pas de prodiguer un encadrement moral ou matériel des devoirs, ils mettent littéralement « la main à la pâte des apprentissages », empiétant sur les territoires traditionnellement dévolus aux enseignants. Faut-il en conclure que les parents se méprennent sur les attentes des enseignants, qui sont souvent enclins à dire qu'ils n'attendent pas ce genre d'aide des parents ? Ou faut-il en conclure que les parents répondent en fait aux attentes implicites mais bien réelles de l'école ? Je penche davantage pour la seconde hypothèse. Le récent développement de tous les dispositifs qui se proposent d'aider les élèves à faire leurs devoirs n'accrédite-t-il pas l'idée qu'une grande partie de la réussite se joue en dehors de la classe et qu'il ne faut pas laisser les devoirs revenir en classe « à l'état naturel » ?

Être garant de la conformité et de la qualité du travail scolaire produit à la maison est donc une tâche particulièrement lourde pour bon nombre de parents. Les devoirs sont souvent décrits comme chronophages. Par ailleurs, la concurrence fait parfois rage parmi les membres de la fratrie pour avoir accès à l'aide parentale. Les devoirs sont aussi une source de tension, voire de conflit, entre parents et enfants. On sait que l'école est de loin la première source de conflits avec les enfants, cités par les parents des catégories populaires. Les devoirs sont donc tout à la fois une source et un catalyseur de ces conflits.

Enfin, le suivi des devoirs confronte nécessairement les parents, à un moment donné ou à un autre de la scolarité de leurs enfants, aux limites du stock des ressources dont ils disposent pour aider. S'ils sont nombreux à avoir pu suivre leur scolarité primaire sans trop de difficultés majeures et récurrentes, s'amorce généralement avec l'entrée au collège un progressif et inexorable processus de décrochage parental. L'externalisation de ces tâches que les parents n'ont pas les moyens de traiter les expose au risque d'une multi disqualification. Elle peut, à un premier niveau, donner aux parents le sentiment qu'ils sont dans l'incapacité intellectuelle de maîtriser les contenus d'apprentissage en jeu et impuissants à aider leurs enfants. Elle risque à un second niveau de les disqualifier, aux yeux de leurs enfants, dans leur rôle d'éducateur. A un troisième niveau, c'est aussi tout le « fond de commerce » des discours éducatifs familiaux qui s'en trouve menacé. A un quatrième niveau, elle fait encourir aux parents le risque de déchoir, aux yeux des enseignants, du statut valorisant de « partenaires » à celui de parents « défaillants ».

Pour garder la face, certains parents n'hésitent pas à reconfigurer les tâches prescrites, en transformant volontairement, par exemple, une tâche mettant en jeu de la compréhension en une tâche ne mettant plus qu'en jeu un simple talent de mémorisation.

Si les familles de mon enquête offrent, du point de vue de leur implication, tous les gages de conformité aux attentes de l'école, il apparaît que - sur le plan des apprentissages - de nombreuses dissonances s'opèrent entre logiques familiales et logiques scolaires. Une partie non négligeable de ces dissonances est à mettre sur le compte de la désorientation curriculaire dont font l'expérience les parents et de la désappropriation de l'univers de référence qu'ils mobilisent pour appréhender le curriculum contemporain. Alors que les réquisits de l'école ont profondément évolué depuis la fin des années 1970, c'est principalement, à partir du cadre de référence des pédagogies « traditionnelles », que les parents interprètent le travail intellectuel sollicité par l'école. Viscéralement attachés à des codes pédagogiques qui ont marqué leur expérience scolaire et qui entrent fortement en résonance avec leur ethos de classe, l'enquête montre que les parents interrogés peinent à s'orienter dans les méandres du curriculum contemporain, qui fait désormais moins appel aux capacités de restitution que de réflexion des élèves. Les parents sont profondément déstabilisés par les nouveaux schémas d'apprentissage de la lecture, par les modes d'enseignement de la grammaire, de l'histoire, par la place qu'occupe la littérature jeunesse, etc.

Le trouble des parents est accentué par le fait qu'ils ne se confrontent pas qu'à du nouveau, étant donné que les nouvelles pédagogies, au cours de leur progressive diffusion dans l'école, se sont plus agrégées et mêlées aux pédagogies déjà existantes qu'elles ne les ont systématiquement remplacées. La confrontation avec ces pédagogies « retrouvées » les conforte dans l'idée que les enjeux d'apprentissage sont restés inchangés depuis le temps de leur propre scolarité (la mémorisation/restitution) et que l'école ne délivre plus les moyens d'y accéder (les longues leçons explicites qui donnent à voir le savoir).

Les parents s'efforcent de donner un sens et une cohérence à ces évolutions, en développant des analyses en termes de « démission » ou de « mission diabolique » de l'institution.

Même si la désorientation des parents s'enracine d'abord, et avant tout, dans l'expérience du quotidien des devoirs, elle n'en est pas pour autant réductible au seul huis clos familial. Elle se nourrit de tous les débats qui agitent la sphère pédagogique et la société en général. L'enquête met en évidence le profond conservatisme scolaire des familles populaires.

L'enquête montre, enfin, que le foyer des parents n'est pas seulement un espace de sous-traitance pédagogique mais qu'il est aussi une institution pédagogique autonome, puisque les parents sont bien souvent prescripteurs de travail « en plus ». L'enquête donne à voir le fort degré d'élaboration et de rationalité des pratiques qu'ils développent en la matière. Le terme générique de « travail en plus » recouvre des réalités tout aÌ fait distinctes en fonction des différentes missions que s'assignent les familles. A partir des observations et des entretiens que j'ai réalisés, j'ai élaboré une typologie qui distingue trois formes de travail « en plus ».

Le travail supplémentaire est prescrit par les parents - non pas dans la perspective de remédier aÌ des difficultés - mais plutôt dans celle de consolider et de faire augmenter les résultats scolaires de leurs enfants. Par définition, il est donc presque toujours destineì aÌ des enfants qui présentent, dans la discipline concernée, un niveau correct ou satisfaisant.

Le travail complémentaire vise aÌ remédier aÌ des difficultés d'apprentissage ou aÌ combler des lacunes imputables aÌ l'enfant ou aÌ son milieu d'origine mais pas aÌ l'institution scolaire elle-même.

Le travail suppléant vise, quant à lui, à remédier à des difficultés d'apprentissage ou à combler des lacunes non pas imputables à l'enfant ou à son milieu d'origine mais à l'institution scolaire elle-même. On va prescrire des devoirs que l'institution manque de prescrire. On va compenser ce qui est perçu par les parents comme le retard lieì aÌ la nature du public accueilli par les établissements, ainsi que les défaillances pédagogiques de l'école. Pour certains parents que j'appelle les « missionnaires des pédagogies traditionnelles », c'est quasiment l'ensemble du curriculum scolaire qui doit faire l'objet d'une substitution par recours aÌ des formes d'enseignement aÌ la maison. Certains parents n'hésitent pas aÌ transformer durablement leur foyer en institution « refuge » et aÌ dispenser aÌ leurs enfants une scolarisation visant aÌ suppléer les manquements de l'institution scolaire.

En conclusion, si mes recherches contribuent à déconstruire le mythe de la « démission » des familles populaires, elle met aussi en question un second mythe, qui est pour ainsi dire l'envers du premier : celui d'une mobilisation parentale qui, au regard d'un contexte général souvent perçu par le sens commun comme profondément carencé et déficitaire, serait toujours nécessairement bénéfique à la scolarité des élèves. Une partie des parents de l'enquête prescrivent des modes de faire et mettent en oeuvre des représentations qui sont peu conformes aux attendus de l'école, quand ils ne s'inscrivent pas tout simplement dans une logique de « dissidence » pédagogique revendiquée.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Je voudrais évoquer avec vous deux sujets. D'une part, avez-vous constaté dans votre étude un effet de genre, l'attitude des familles est-elle différente selon s'il s'agit des filles ou des garçons ? D'autre part, je suis stupéfaite par l'engouement pour le marché de l'aide aux devoirs, 1/3 des clients de ces officines viennent de milieu très populaire et font de gros sacrifices pour des résultats incertains. Avez-vous remarqué ce phénomène dans votre enquête ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

J'ai une précision à vous demander concernant votre échantillonnage. Vous parlez de milieu populaire. Dans mon département, je ne constate pas cette démarche dans les couches très populaires (rmiste), leur préoccupation n'est pas de refaire l'école.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Il est urgent de refonder l'école. La pression scolaire génère ces pratiques de devoirs avec les dérives que vous avez pointées. Les élèves sont stressés par rapport à un bien-être que l'on pourrait viser à l'école. Les devoirs amplifient ce phénomène de stress. Les devoirs devraient aider à la réussite et non renforcer l'éloignement de l'enfant dans son désir d'apprendre. Trop d'école à la maison tue l'école. Je partage le constat de mon collègue Jean-Pierre Plancade sur les milieux très populaires qui n'ont pas la volonté ni le temps de réinvestir l'école. Il existe différents types de devoirs : ceux qui sont prescriptifs, ceux qui font appel à une pédagogie traditionnelle et ceux de recherche. C'est, par ailleurs, une source de conflit familial quel que soit le milieu. Je suis favorable à la suppression des devoirs faits à la maison.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Ce qui fait la différence des résultats entre les enfants, c'est souvent l'aide reçue à la maison. Il y a une tradition, une culture en France de faire ses devoirs à la maison. Il y a une mobilisation des familles par rapport aux devoirs dans les milieux plus favorisés. Mais dans certains milieux très défavorisés, les familles ne s'intéressent pas au déroulement de la scolarité. S'il serait idéal de supprimer les devoirs pour mettre tous les enfants au même niveau, il sera difficile d'inverser la tendance. Il faudra changer de mentalité. Je partage le point de vue de Mme Françoise Cartron sur le stress des enfants. Je suis favorable à une relation avec l'école plus sereine. Enfin, j'ai constaté ce paradoxe en France, la journée scolaire y est plus longue et c'est là où il y a le plus de devoirs.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Je voudrais compléter la réflexion de mon collègue Jean-Pierre Plancade sur l'échantillonnage (académie, établissements, réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, les rased, ...) et vous interpeller sur le plan informatique à l'école à la fois dans l'équipement et dans la pédagogie. Que donnent les espaces numériques de travail ? Peut-on aborder les devoirs à travers les nouvelles technologies ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Domeizel

Je ne vous ai pas entendu parler des conditions matérielles de réalisation des devoirs ni du fait que les devoirs sont un lien entre les familles et l'école. Aujourd'hui, je suis frappé par l'isolement des enfants qui ne communiquent plus. Je suis favorable aux devoirs qui maintiennent ce dialogue avec la famille.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Avez-vous regardé la composition familiale des élèves dans votre échantillonnage ? Avez-vous mesuré les activités extra-scolaires qui pourraient impacter le temps accordé aux devoirs ? Un effort important est demandé aux enfants. Je suis consciente de la pression scolaire et de la pression du diplôme, 45 % enfants sont stressés. C'est trop !

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Férat

Je suis favorable aux devoirs à l'école. En milieu rural, le temps de déplacement doit être pris en compte. Cela devient compliqué pour les enfants de faire des devoirs tard à la maison. Mais ne faut-il pas quand même garder une sorte de continuité entre l'école et la maison par la révision d'une leçon ou d'une récitation, les devoirs rassurant les parents ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Percheron

Votre base est très fragile même si elle est exacte : vingt familles, un département. Mais vous avez dit l'essentiel : séculaire, humanité, internat.

Selon Richard Descoings, malgré la massification de l'enseignement, les élites françaises ont toujours en tête le lycée traditionnel qui s'adresse à ceux qui sont capables de recevoir l'enseignement magistral tout en faisant sa part à la méritocratie républicaine. Il y a quarante ans, il y avait 145 000 bacheliers, aujourd'hui, il y a 145 000 bacheliers S. Cela veut dire que la France n'a pas renoncé à son lycée tel qu'il avait fonctionné et tel qu'il faisait l'admiration du monde entier. Nous sommes au coeur de l'autre pédagogie, celle des familles qui peuvent compenser et accompagner. C'est pourquoi je suis pour que les devoirs soient faits à l'intérieur des lycées. Nous devons être très attentifs aux nouveaux lycées. Cela veut dire que pour la refondation de l'école, nous allions au-delà des 12 000 euros par élève dans l'enseignement secondaire.

Un autre aspect concerne la prise en compte des transports scolaires, c'est le bagne !

Enfin, les professeurs dans le secondaire ne sont plus des militants urbains. Ils sont compétents mais ne partagent plus la vie des élèves ; ils repartent après les cours. Comment les retenir dans les lycées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques-Bernard Magner

Depuis 1956, les devoirs sont interdits dans ce pays mais ils continuent à se propager. Qu'est-ce qu'un devoir, une leçon ? Cela fait partie de la technique pédagogique de l'enseignant. Il ne s'agit pas de donner une surcharge de travail à l'élève mais de créer un lien entre l'école et la famille à condition de bien faire comprendre qu'on ne peut pas tout apprendre en classe. Le temps d'acquisition en classe dure environ dix minutes sur une séquence de quarante minutes, il appartient ensuite à l'enseignant de vérifier que la notion est bien comprise et acquise. Il faut apprendre aux enseignants et aux parents ce qu'est un devoir, une leçon. Il y a une nuance à apporter, tout n'est pas mauvais et tout n'est pas bon dans le devoir à la maison.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Je voulais revenir sur la notion de l'institution qui se décharge sur les parents. C'est une impression. Il y a un duel entre l'institution et les parents. Les parents se sentent coupables de ne pas être assez présents. Quant aux classes défavorisées, les conditions matérielles pour les devoirs sont plus subies que choisies. Cela se fait à plusieurs sur un coin de la table de la cuisine. Concernant l'aide extérieure aux devoirs, elle peut venir d'un organisme privé mais elle peut aussi venir de la commune qui met en place une aide soit dans le quartier soit dans l'école même. Pour garder le lien parent/école, il ne faut pas décharger totalement les parents. Mais je pense que les devoirs devraient être faits à l'école pour plus d'équité.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bordier

Je voulais vous faire part d'un témoignage contraire révélant les difficultés d'organiser l'aide aux devoirs dans l'école même. Pendant deux ans, j'ai organisé l'aide aux devoirs pour des professeurs retraités dans une salle municipale. Cela a très bien fonctionné. Tous les élèves ont vu leur moyenne progresser. Puis cette aide a été transférée dans les locaux de l'école et les professeurs retraités se sont fait chasser de l'école.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Beaucoup de remarques et de questions : des demandes de précisions sur le panel, sur la prise en compte du temps de déplacement, du temps des autres activités, de la disponibilité des parents, sur les conditions matérielles de l'aide aux devoirs, sur les nouvelles technologies et les pédagogies associées, sur la nature même des devoirs, sur les officines et sur le lien entre parents et enfants à travers les activités scolaires.

Debut de section - Permalien
Séverine Kakpo

Concernant l'échantillonnage, je souhaite vous préciser que c'est un travail ethnographique que j'ai effectué qui n'est donc pas forcément représentatif de la population. De même, j'utilise la notion de milieu populaire qui recouvre une population hétérogène. Ce travail a pour objectif de mettre en évidence des logiques significatives. Mes recherches ont été étayées par d'autres travaux dont ceux de l'Insee qui produit des enquêtes quantitatives. Les résultats convergent pour mettre en évidence cette forte mobilisation des parents. L'Insee a constaté que 95 % des mères passent en moyenne 19 heures par mois à aider leurs enfants scolarisés en primaire, toutes catégories sociales confondues. Il n'y a pas de clivage social dans ce domaine. Ce sont même les mères les moins diplômées qui passent le plus de temps à l'aide aux devoirs.

Certaines familles en grandes difficultés qui sont minées par la précarité et les questions sociales, ne peuvent pas développer des dispositions scolastiques. Mais c'est un phénomène marginal. La grande masse des familles des milieux populaires est mobilisée dès lors qu'elle le peut. Ces familles épargnées par les questions sociales ne disent pas forcément à l'école le travail qu'elles font en parallèle. Elles sont également consommatrices du marché parascolaire et des cours payants, les autres aspirant à avoir accès à ces cours payants.

Sur la question de l'utilité des devoirs, je pense qu'un temps personnel de travail des élèves est indispensable. La vraie question qui se pose est de savoir où ce travail doit se faire. Cela relève-t-il de la responsabilité de l'institution ? Doit-il être placé au coeur du système ou bien en dehors de la classe ? De quelle responsabilité doit-il relever ? Mon point de vue est que pour diminuer les inégalités scolaires amplifiées par les devoirs, l'école doit renouer avec l'idée d'encadrement du temps de travail personnel des élèves. Il y a là un enjeu fondamental.

Mais ce n'est pas parce que l'on va ré-internaliser les devoirs dans l'institution, que c'est la garantie d'une plus grande efficacité et d'une plus grande équité. Elle doit s'accompagner en outre d'une réflexion profonde sur le sens des devoirs et sur ce qui se passe en amont dans la classe.

Notre équipe a observé une classe où fonctionnait un dispositif municipal d'aide aux devoirs encadré par des enseignants. Ce sont donc les prescripteurs qui encadrent ces devoirs au sein de l'école. Or, nous avons pu constater qu'ils étaient parfois mis en difficulté par les devoirs de leurs collègues. On a travaillé sur la boucle pédagogique des devoirs, c'est-à-dire ce qui circule entre la classe et l'étude et ce qui revient en classe. On devrait apprendre en classe et cela devrait être consolidé en étude. On a pu mettre à jour de nombreux dysfonctionnements de cette boucle didactique du travail qui pèsent sur le fonctionnement de l'étude et qui participent à la rendre moins efficace. Ces dysfonctionnements sont de plusieurs ordres : une boucle éclatée, la profusion des supports, la complexité des modes de classement... De plus, la quantité de travail n'est pas toujours bien régulée. Trop souvent, les consignes renvoient à des principes non acquis.

Les devoirs sont comme une caisse de résonnance des difficultés qui n'ont pas été résolues en classe. Ré-internaliser les devoirs, oui mais il faut aussi se poser la question de savoir si les élèves ont le temps de s'approprier les notions pendant la classe.

Concernant les conditions matérielles de réalisation des devoirs, les familles que j'ai rencontrées sont attachées à donner, dans la mesure du possible, un espace personnel de travail à leurs enfants, même si dans la réalité, le travail s'effectue un peu partout dans la maison. On retrouve aussi parfois un phénomène de délégation en interne aux aînés quand ces derniers ont un rapport positif à la scolarité.

Enfin, familles et enseignants sont attachés aux devoirs en partie car cela maintient un lien entre l'espace scolaire et l'espace familial. Mais les devoirs ne doivent pas être considérés comme le seul élément de communication pour la famille car ils sont parfois source d'une certaine souffrance en son sein.

Enfin, la commission entend Mme Marie-Christine Blandin, présidente, sur le rapport de la mission d'information à Londres.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Chers membres de la délégation, au nom desquels je m'exprime aujourd'hui, mes chers collègues, je n'ai pas forcément pour habitude de parer les politiques publiques britanniques de toutes les vertus. Mais s'il y a bien deux domaines où le Royaume-Uni a été un précurseur intéressant, ce sont ceux du sport et de la télévision publique.

C'est donc avec un certain allant, pleins d'espoir et de curiosité, que nous sommes partis outre-Manche examiner ce modèle britannique tant vanté, pour une mission d'une semaine, avec une quinzaine d'auditions pour autant de visites. Un vrai rythme de sportif de haut niveau.

Commençons par la BBC, qui a été à la fois la première étape de notre périple londonien et le fil rouge de la délégation. Nous avons eu, je le crois, un excellent aperçu de son mode de fonctionnement.

Je vous livre quelques données brutes, tout d'abord, pour vous convaincre que « tante Beeb », comme la surnomme les Britanniques, est bien un acteur unique de l'audiovisuel public dans le monde :

- d'une part, en 2012, elle comptait environ 22 000 salariés (soit le double de France Télévisions et 30 % de plus que l'ensemble des salariés de France Télévisions, Radio France et l'audiovisuel extérieur de la France, l'AEF) ;

- d'autre part, elle intègre l'ensemble des médias publics du pays.

Concrètement, elle rassemble :

- 8 chaînes de télévision. BBC One rassemble ainsi la première audience du Royaume-Uni : depuis 27 ans, 10 millions de téléspectateurs se réunissent quatre fois par semaine pour voir le feuilleton Eastenders sur ses écrans. Surtout, elle compte deux chaînes pour enfants, pour deux tranches d'âge différentes (moins de 6 ans et 6/12 ans), et sans publicité, comme l'ensemble des autres chaînes ;

- plus d'une vingtaine de fréquences de radios, sans compter les locales. Ces radios rassemblent plus de la moitié des auditeurs chaque jour ;

- un site Internet à la renommée mondiale grâce au lancement de l'iPlayer en 2007. Il s'agit d'un service gratuit permettant aux Britanniques de disposer de plusieurs centaines de programmes de télévision et de radio en rattrapage, pendant sept jours après leur diffusion. Le succès a été tel que les chaînes privées se sont plaintes de concurrence déloyale et le volume du site BBC Online a été légèrement réduit.

La BBC, c'est aussi BBC Global News, qui comprend 4 entités dont :

- BBC World Service, qui est l'équivalent de Radio France Internationale. Dotée de près de 350 millions d'euros en 2011, cette radio est diffusée en 27 langues et regroupe 140 millions d'auditeurs hebdomadaires. Deux chaînes de télévision en arabe et en farsi ont été lancées : elles ont rapidement fait parler d'elles, notamment parce que le pouvoir iranien brouille régulièrement le message satellitaire de BBC Persian ;

- BBC World News est la chaîne d'information internationale en anglais, rivale de CNN dans le monde ;

- BBC Monitoring, enfin, est une bien curieuse entité dont la mission est d'écouter les médias du monde entier pour en tirer des analyses sur la situation politique ou économique d'à peu près tous les pays du monde. Ses clients sont des agences de renseignements, mais aussi des médias, voire des particuliers...

En parallèle de son périmètre impressionnant, la BBC dispose d'une puissance financière hors norme avec 6 milliards d'euros de dépenses annuelles, contre 4,3 milliards d'euros pour l'audiovisuel public français dans son ensemble.

A quoi est due cette différence ?

Tout le monde le sait, au montant de la redevance, qui se situe autour de 175 euros au Royaume-Uni en 2011.

Son produit est ainsi de 4,5 milliards d'euros, contre 3,3 milliards en France. Les 50 euros de différence créent donc un écart de plus de 1,2 milliard qui explique les différences entre nos audiovisuels publics.

Notons à cet égard qu'une redevance est due par habitation et que les résidences secondaires sont donc assujetties. De même, les ordinateurs font l'objet d'une redevance si la télévision dite « premium » (en direct) y est regardée.

La BBC, en charge de la collecte de la redevance, effectue les contrôles avec de mystérieux camions sillonnant le Royaume-Uni à la recherche de ces téléspectateurs numériques.

Mais 4,5 milliards d'euros de recettes de redevance, ça ne fait pas le compte. Comme il n'y a pas de publicité, il y a forcément d'autres recettes.

La principale ressource alternative est constituée des recettes dégagées par BBC Worldwide, qui est la filiale de distribution du groupe. Son chiffre d'affaires s'est élevé à près de 1,2 milliard d'euros en 2011, dont 270 millions d'euros ont été reversés à la BBC.

A titre de comparaison, la filiale de distribution de France Télévisions, pour une mission similaire, réalisait un chiffre d'affaires de moins de 50 millions d'euros en 2010. Certes, 2010 a été une mauvaise année. Il n'en reste pas moins que le rapport de 1 à 23 pourrait surprendre le béotien de l'audiovisuel.

Quelles sont les raisons de cette différence ?

Première raison évidente : il est beaucoup plus aisé de vendre des émissions en anglais qu'en français. Le monde est plus ouvert pour la fiction britannique que pour la nôtre.

Deuxième raison : la réglementation sur la répartition entre production interne et production externe.

La BBC garantit 50 % de ses investissements à son outil de production interne, quel que soit le genre. 25 % sont ensuite dédiés à la production indépendante. Pour le dernier quart, que les dirigeants de la BBC appellent la fenêtre de compétition créative, ce sont des commissions indépendantes qui choisissent des projets d'émission dont ils ne connaissent pas les auteurs. Au final, ce sont donc plutôt entre 35 et 45 % des émissions qui sont produites par les indépendants, surtout dans le domaine de la fiction ou des programmes jeunesse.

Rappelons qu'en France, où l'on s'est inspiré du modèle américain, la séparation entre les diffuseurs et les producteurs est rigide et les chaînes doivent donc faire majoritairement appel à la production indépendante. En 2009, les derniers accords prévoient même que France Télévisions fasse appel à des producteurs indépendants pour la totalité de son engagement patrimonial ! (fiction et documentaire).

Les Britanniques considèrent que l'intérêt de la garantie de production interne pour la BBC est la suivante :

- elle constitue une source de revenus ;

- c'est un moyen de protéger les valeurs éditoriales de la BBC, ainsi que sa marque ;

- sa force de frappe lui permet de lancer des projets ambitieux (séries longues notamment) ;

- enfin, et surtout, elle permet la constitution d'un catalogue de droits sur les programmes, ce qui crée de la valeur à moyen terme. Comme la BBC est propriétaire des droits sur les programmes qu'elle produit, elle est forcément plus attentive à ce qu'ils puissent s'adapter à l'international et de même elle est beaucoup plus engagée, via BBC Worldwide, dans leur commercialisation dans le monde.

Alors que l'arrivée de la télévision connectée est inévitable, et que les programmes sont de plus en plus regardés à un autre moment que la première diffusion, la capacité à détenir des droits complets sur les programmes va devenir encore plus cruciale. A cet égard, il semble que la BBC soit bien préparée. France Télévisions l'est peut-être moins.

Notons néanmoins que les chaînes privées britanniques sont, quant à elles, obligées de faire largement appel à la production indépendante. C'est bien évidemment l'objectif de diversité de la création qui est là recherché.

Passons maintenant au modèle de gouvernance, qui était l'un de nos sujets de préoccupation.

Fortement contestée au début des années 2000, la BBC s'est vu imposer un nouveau mode de fonctionnement à partir de 2007. La réforme principale a été la création d'un BBC Trust, composé de douze membres nommés par la Couronne pour un mandat de 5 ans.

Le BBC Trust a deux rôles principaux :

- d'une part, il est le gardien de la redevance audiovisuelle et de l'intérêt du public. A cet égard, il définit le plan stratégique de la BBC, autorise le développement des nouvelles activités et assure le contrôle du conseil de direction chargé de la gestion opérationnelle du groupe ;

- d'autre part, il nomme le directeur général de la BBC.

Il joue donc un rôle d'intermédiaire entre le monde extérieur (autorités politiques, public) et la BBC avec un double rôle de tutelle et de protection de la BBC vis-à-vis des éventuelles pressions politiques.

Dans la perspective de la refonte du mode de désignation des présidents de l'audiovisuel public, la description de ce système a bien évidemment hautement intéressé la délégation. Il présente bien des avantages, que ce soit en termes de transparence ou d'affirmation de l'indépendance de l'audiovisuel public.

Enfin sur la BBC, ne cachons pas les difficultés auxquelles elle sera soumise pendant les prochaines années : c'est un choc d'une baisse de 10 % de son budget qu'elle devra encaisser dans les deux ans avec la suppression du financement de l'audiovisuel extérieur par une dotation budgétaire. Une diminution équivalente du personnel est prévue, qui ne se fera pas sans heurts.

Une petite conclusion sur la BBC. Il ne s'agit ni d'une référence absolue ni d'un modèle crédible : en effet les paysages audiovisuels français et britannique sont si différents que vouloir singer la BBC n'aurait que peu d'intérêt.

En revanche elle constitue une vraie source d'inspiration :

- l'exhaustivité et la qualité de son offre, notamment en direction des jeunes publics, nous pousse à réfléchir à la capacité de France Télévisions à mettre à la disposition des enfants des programmes dédiés ;

- la puissance et la performance de l'iPlayer n'ont pas échappé aux dirigeants de l'audiovisuel public français, qui l'ont pris en exemple. La question sera celle de la capacité financière et juridique des acteurs français à mettre en place des outils performants ;

- le renouvellement de son modèle de gouvernance semble permettre de perpétuer une tradition d'indépendance. Celui-ci doit donc alimenter notre réflexion sur la réforme annoncée du mode de nomination des présidents de l'audiovisuel public ;

- enfin, le succès et l'importance de son catalogue de droits doivent nous encourager à approfondir la réflexion sur le renforcement de ceux que détient le groupe France Télévisions, particulièrement dans la perspective d'un paysage audiovisuel transformé par la télévision connectée.

Évoquons maintenant les Jeux olympiques.

Véritable surprise, quand nous arrivons à Londres, nous tombons bien sur les anneaux olympiques à Saint-Pancras mais c'est à peu près tout. Si quelqu'un n'avait pas su que les Jeux allaient se dérouler cinq mois plus tard, ce n'est pas une balade en ville qui lui aurait appris.

Démotivation des Britanniques devant le coût exorbitant des Jeux, trois fois plus chers que prévus ? Grogne des Londoniens, interdits de transports en commun et priés de chômer pendant toute la période ?

Rien de tout ça. L'explication a rapidement été avancée : le Jubilé de diamant de la Reine, prévu pour juin, imposait une discrétion sur les Jeux olympiques en termes de publicité et d'affichage.

Peu d'inquiétude au demeurant, la culture sportive est telle au Royaume-Uni qu'il n'était point besoin d'insister pour que les billets soient écoulés très rapidement.

D'ailleurs, comme nous avons pu le constater, les installations étaient prêtes et n'attendaient plus que la cérémonie d'ouverture. Le ministère des sports, comme l'ensemble des interlocuteurs que nous avons rencontrés, s'était en fait déjà projeté dans l'héritage des Jeux.

J'évoquerai maintenant ce que nos interlocuteurs appellent l'héritage sportif.

Des jeux scolaires impliquant 12 000 écoles et s'inspirant des Jeux olympiques ont été organisés en 2012, avec l'idée de relancer la pratique amateur.

Des candidatures à des manifestations internationales ont été faites afin que les infrastructures soient davantage utilisées : Jeux du Commonwealth en 2014, Coupe du monde de rugby en 2015, et Championnats du monde d'athlétisme au stade olympique en 2017.

Le maintien d'un effort financier important en faveur du sport de haut niveau a aussi été acté afin que les bons résultats acquis à Pékin et anticipés pour Londres (et confirmés) soient confirmés à Rio.

Un programme d'entraide internationale par le sport a enfin été soutenu par le ministère avec l'apprentissage à 80 000 enfants Bangladais de techniques de nage.

Saluons enfin le succès des Jeux paralympiques dont le bilan est très positif, en termes de présence des athlètes, de qualité de l'organisation, de succès public avec des stades pleins (2,3 millions de billets vendus) et de retransmission télévisée : Channel Four, chaîne financée par la publicité, a diffusé 140 heures de direct, soit 12 heures par jour pendant les 12 jours de l'événement. L'audience a été au rendez-vous.

Notre déception du faible engagement de France Télévisions n'en est que plus exacerbée. Le groupe n'a diffusé qu'un seul direct et n'a consacré que très peu de temps d'antenne aux jeux paralympiques.

La commission doit prolonger sa réflexion sur la vitalité de l'handisport français et sur notre capacité à renforcer sa visibilité, qui sont deux aspects de la même problématique.

Évoquons aussi une autre heureuse initiative, celle des olympiades culturelles, inspirées des Jeux antiques et lancées par la très dynamique Ruth Mc Kenzie. 16 millions de personnes ont participé ou assisté à des spectacles à la fois ambitieux et gratuits dans tout le Royaume-Uni pendant les 3 mois d'été.

L'idée était qu'il fallait profiter du rassemblement réalisé par les Jeux pour écouter les artistes et le message qu'ils avaient à délivrer. S'il y a un héritage culturel aux Jeux olympiques, notre commission ne peut que s'en féliciter !

Enfin, force est de le constater, les retombées économiques certaines des Jeux olympiques sont avant tout celles qui vont bénéficier au CIO. On peut à cet égard s'étonner de l'application de certaines règles de la charte olympique. Rappelons que l'alinéa 10 de la règle 2 prévoit que le rôle du Comité international olympique, le CIO, est de s'opposer à toute utilisation abusive politique ou commerciale du sport des athlètes.

Faisons part de nos quelques étonnements :

le coût des Jeux a été exorbitant pour le Royaume Uni, supérieur à 13 milliards d'euros. Cela confirme que le processus de candidature aux Jeux est un jeu de poker menteur : le dossier londonien prévoyait seulement 4 milliards de dépenses ;

outre le fait qu'une entreprise aussi contestée que Dow Chemical soit sponsor des Jeux, les règles draconiennes appliquées à Londres ont surpris plus d'un commentateur. Pêle-mêle : interdiction d'utiliser une autre carte bleue qu'une Visa sur tout le site olympique ; pas de frites ailleurs qu'au McDonald's ou alors dans les Fish&Chips mais, dans ce cas, seulement avec du poisson ; pas de publicité pour des marques concurrentes aux abords du stade ; ou encore mise en place d'une police des marques dans Londres pour surveiller les commerces de proximité. Lord Sebastian Coe avait même évoqué l'idée que les spectateurs ne puissent pas porter de vêtements de marques autres que celles des sponsors olympiques. On peut se poser des questions des limites de telles pratiques de la part du CIO, qui ne semble être devenu qu'un organisme de gestion de la manne financière des Jeux.

S'il y a un aspect positif qui fait la quasi-unanimité, c'est bien l'intérêt de la rénovation du quartier de l'East End. La gare aérienne de Stratford est flambant neuve, le temple de la consommation qu'est le nouveau centre commercial Westfield attire de nombreux Londoniens, le village olympique a permis la construction de près de 3 000 logements, dont la moitié seront des logements sociaux, et le site attirera de nombreux touristes. Bref, l'East End a été à la fois désenclavé et rénové, au risque selon certains d'y perdre son âme. Il n'en reste pas moins qu'une fois encore, on constate que l'un des aspects essentiels du succès économique des Jeux est qu'ils s'accompagnent d'un projet de rénovation urbaine pertinent.

Dans le même ordre d'idées, il est devenu nécessaire que l'utilisation post-olympique des équipements ait été pensée dès avant les épreuves. On sait déjà que le pavillon de handball sera démonté et que celui de basketball servira à Rio en 2016. Reste à trouver un repreneur pour le stade olympique. Un organisme dédié à l'héritage des Jeux remplira cette mission ardue.

Sortons enfin des Jeux et évoquons la culture sportive dans le pays de Winston Churchill, adepte du no sport. Paradoxalement, il n'était peut-être pas loin de représenter la culture nationale dans ce domaine : en effet, ce n'est pas la pratique sportive qui distingue réellement les Britanniques du reste de l'Europe, mais bien leur goût immodéré du spectacle sportif. Ceux qui ont eu la chance de se rendre dans le stade d'Arsenal pour un match à rebondissements de ligue des champions ont pu s'en apercevoir : le sport est un phénomène culturel et social qui rassemble le pays.

A cet égard, nous avons pu constater que le sport professionnel pouvait aussi être le support d'ambitions sociales. Le programme passionnant qui nous a été présenté par les responsables du programme « Arsenal dans la communauté » en est la preuve.

Convaincus que les clubs ont une responsabilité sociale dans leur ère d'influence géographique, ils ont mis en place de très nombreux projets éducatifs menés avec le soutien de 20 salariés à plein temps, 110 personnes à temps partiel et 200 bénévoles.

Le projet « Double club » est probablement l'un des plus ambitieux. Des professeurs recrutés ou rémunérés par Arsenal se rendent dans les écoles d'Islington pour y dispenser un soutien scolaire aux jeunes en difficultés. Des supports pédagogiques et ludiques, élaborés et financés par le club, et fondés sur la vie et l'histoire d'Arsenal sont utilisés. Ainsi est facilité l'apprentissage de la lecture avec des programmes de matchs, de la géographie avec des analyses sur les pays d'origine des joueurs et des explications sur les différences de salaires moyens en Europe, ou encore les mathématiques avec l'utilisation de statistiques de football. Ce projet mené depuis 15 ans concerne 2 000 jeunes par ans. Il apparaît que les effets positifs sont tels sur les jeunes concernés que l'Union européenne souhaite transposer l'expérience dans d'autres pays.

Dans le cadre du groupe de travail sur l'éthique sportive que la commission met en place, nul doute qu'une réflexion pourrait être engagée sur les moyens de rapprocher les clubs et joueurs professionnels des communautés et territoires dans lesquelles ils s'inscrivent.

Au bénéfice de ces différentes remarques, je vous demande en conclusion de bien vouloir accepter la publication de ce rapport de mission.

La commission autorise la publication de ce rapport sous la forme d'un rapport d'information.