Intervention de Marie-Christine Blandin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 10 octobre 2012 : 1ère réunion
Devoirs à la maison — Audition de Mme Séverine Kakpo

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin, présidente :

Chers membres de la délégation, au nom desquels je m'exprime aujourd'hui, mes chers collègues, je n'ai pas forcément pour habitude de parer les politiques publiques britanniques de toutes les vertus. Mais s'il y a bien deux domaines où le Royaume-Uni a été un précurseur intéressant, ce sont ceux du sport et de la télévision publique.

C'est donc avec un certain allant, pleins d'espoir et de curiosité, que nous sommes partis outre-Manche examiner ce modèle britannique tant vanté, pour une mission d'une semaine, avec une quinzaine d'auditions pour autant de visites. Un vrai rythme de sportif de haut niveau.

Commençons par la BBC, qui a été à la fois la première étape de notre périple londonien et le fil rouge de la délégation. Nous avons eu, je le crois, un excellent aperçu de son mode de fonctionnement.

Je vous livre quelques données brutes, tout d'abord, pour vous convaincre que « tante Beeb », comme la surnomme les Britanniques, est bien un acteur unique de l'audiovisuel public dans le monde :

- d'une part, en 2012, elle comptait environ 22 000 salariés (soit le double de France Télévisions et 30 % de plus que l'ensemble des salariés de France Télévisions, Radio France et l'audiovisuel extérieur de la France, l'AEF) ;

- d'autre part, elle intègre l'ensemble des médias publics du pays.

Concrètement, elle rassemble :

- 8 chaînes de télévision. BBC One rassemble ainsi la première audience du Royaume-Uni : depuis 27 ans, 10 millions de téléspectateurs se réunissent quatre fois par semaine pour voir le feuilleton Eastenders sur ses écrans. Surtout, elle compte deux chaînes pour enfants, pour deux tranches d'âge différentes (moins de 6 ans et 6/12 ans), et sans publicité, comme l'ensemble des autres chaînes ;

- plus d'une vingtaine de fréquences de radios, sans compter les locales. Ces radios rassemblent plus de la moitié des auditeurs chaque jour ;

- un site Internet à la renommée mondiale grâce au lancement de l'iPlayer en 2007. Il s'agit d'un service gratuit permettant aux Britanniques de disposer de plusieurs centaines de programmes de télévision et de radio en rattrapage, pendant sept jours après leur diffusion. Le succès a été tel que les chaînes privées se sont plaintes de concurrence déloyale et le volume du site BBC Online a été légèrement réduit.

La BBC, c'est aussi BBC Global News, qui comprend 4 entités dont :

- BBC World Service, qui est l'équivalent de Radio France Internationale. Dotée de près de 350 millions d'euros en 2011, cette radio est diffusée en 27 langues et regroupe 140 millions d'auditeurs hebdomadaires. Deux chaînes de télévision en arabe et en farsi ont été lancées : elles ont rapidement fait parler d'elles, notamment parce que le pouvoir iranien brouille régulièrement le message satellitaire de BBC Persian ;

- BBC World News est la chaîne d'information internationale en anglais, rivale de CNN dans le monde ;

- BBC Monitoring, enfin, est une bien curieuse entité dont la mission est d'écouter les médias du monde entier pour en tirer des analyses sur la situation politique ou économique d'à peu près tous les pays du monde. Ses clients sont des agences de renseignements, mais aussi des médias, voire des particuliers...

En parallèle de son périmètre impressionnant, la BBC dispose d'une puissance financière hors norme avec 6 milliards d'euros de dépenses annuelles, contre 4,3 milliards d'euros pour l'audiovisuel public français dans son ensemble.

A quoi est due cette différence ?

Tout le monde le sait, au montant de la redevance, qui se situe autour de 175 euros au Royaume-Uni en 2011.

Son produit est ainsi de 4,5 milliards d'euros, contre 3,3 milliards en France. Les 50 euros de différence créent donc un écart de plus de 1,2 milliard qui explique les différences entre nos audiovisuels publics.

Notons à cet égard qu'une redevance est due par habitation et que les résidences secondaires sont donc assujetties. De même, les ordinateurs font l'objet d'une redevance si la télévision dite « premium » (en direct) y est regardée.

La BBC, en charge de la collecte de la redevance, effectue les contrôles avec de mystérieux camions sillonnant le Royaume-Uni à la recherche de ces téléspectateurs numériques.

Mais 4,5 milliards d'euros de recettes de redevance, ça ne fait pas le compte. Comme il n'y a pas de publicité, il y a forcément d'autres recettes.

La principale ressource alternative est constituée des recettes dégagées par BBC Worldwide, qui est la filiale de distribution du groupe. Son chiffre d'affaires s'est élevé à près de 1,2 milliard d'euros en 2011, dont 270 millions d'euros ont été reversés à la BBC.

A titre de comparaison, la filiale de distribution de France Télévisions, pour une mission similaire, réalisait un chiffre d'affaires de moins de 50 millions d'euros en 2010. Certes, 2010 a été une mauvaise année. Il n'en reste pas moins que le rapport de 1 à 23 pourrait surprendre le béotien de l'audiovisuel.

Quelles sont les raisons de cette différence ?

Première raison évidente : il est beaucoup plus aisé de vendre des émissions en anglais qu'en français. Le monde est plus ouvert pour la fiction britannique que pour la nôtre.

Deuxième raison : la réglementation sur la répartition entre production interne et production externe.

La BBC garantit 50 % de ses investissements à son outil de production interne, quel que soit le genre. 25 % sont ensuite dédiés à la production indépendante. Pour le dernier quart, que les dirigeants de la BBC appellent la fenêtre de compétition créative, ce sont des commissions indépendantes qui choisissent des projets d'émission dont ils ne connaissent pas les auteurs. Au final, ce sont donc plutôt entre 35 et 45 % des émissions qui sont produites par les indépendants, surtout dans le domaine de la fiction ou des programmes jeunesse.

Rappelons qu'en France, où l'on s'est inspiré du modèle américain, la séparation entre les diffuseurs et les producteurs est rigide et les chaînes doivent donc faire majoritairement appel à la production indépendante. En 2009, les derniers accords prévoient même que France Télévisions fasse appel à des producteurs indépendants pour la totalité de son engagement patrimonial ! (fiction et documentaire).

Les Britanniques considèrent que l'intérêt de la garantie de production interne pour la BBC est la suivante :

- elle constitue une source de revenus ;

- c'est un moyen de protéger les valeurs éditoriales de la BBC, ainsi que sa marque ;

- sa force de frappe lui permet de lancer des projets ambitieux (séries longues notamment) ;

- enfin, et surtout, elle permet la constitution d'un catalogue de droits sur les programmes, ce qui crée de la valeur à moyen terme. Comme la BBC est propriétaire des droits sur les programmes qu'elle produit, elle est forcément plus attentive à ce qu'ils puissent s'adapter à l'international et de même elle est beaucoup plus engagée, via BBC Worldwide, dans leur commercialisation dans le monde.

Alors que l'arrivée de la télévision connectée est inévitable, et que les programmes sont de plus en plus regardés à un autre moment que la première diffusion, la capacité à détenir des droits complets sur les programmes va devenir encore plus cruciale. A cet égard, il semble que la BBC soit bien préparée. France Télévisions l'est peut-être moins.

Notons néanmoins que les chaînes privées britanniques sont, quant à elles, obligées de faire largement appel à la production indépendante. C'est bien évidemment l'objectif de diversité de la création qui est là recherché.

Passons maintenant au modèle de gouvernance, qui était l'un de nos sujets de préoccupation.

Fortement contestée au début des années 2000, la BBC s'est vu imposer un nouveau mode de fonctionnement à partir de 2007. La réforme principale a été la création d'un BBC Trust, composé de douze membres nommés par la Couronne pour un mandat de 5 ans.

Le BBC Trust a deux rôles principaux :

- d'une part, il est le gardien de la redevance audiovisuelle et de l'intérêt du public. A cet égard, il définit le plan stratégique de la BBC, autorise le développement des nouvelles activités et assure le contrôle du conseil de direction chargé de la gestion opérationnelle du groupe ;

- d'autre part, il nomme le directeur général de la BBC.

Il joue donc un rôle d'intermédiaire entre le monde extérieur (autorités politiques, public) et la BBC avec un double rôle de tutelle et de protection de la BBC vis-à-vis des éventuelles pressions politiques.

Dans la perspective de la refonte du mode de désignation des présidents de l'audiovisuel public, la description de ce système a bien évidemment hautement intéressé la délégation. Il présente bien des avantages, que ce soit en termes de transparence ou d'affirmation de l'indépendance de l'audiovisuel public.

Enfin sur la BBC, ne cachons pas les difficultés auxquelles elle sera soumise pendant les prochaines années : c'est un choc d'une baisse de 10 % de son budget qu'elle devra encaisser dans les deux ans avec la suppression du financement de l'audiovisuel extérieur par une dotation budgétaire. Une diminution équivalente du personnel est prévue, qui ne se fera pas sans heurts.

Une petite conclusion sur la BBC. Il ne s'agit ni d'une référence absolue ni d'un modèle crédible : en effet les paysages audiovisuels français et britannique sont si différents que vouloir singer la BBC n'aurait que peu d'intérêt.

En revanche elle constitue une vraie source d'inspiration :

- l'exhaustivité et la qualité de son offre, notamment en direction des jeunes publics, nous pousse à réfléchir à la capacité de France Télévisions à mettre à la disposition des enfants des programmes dédiés ;

- la puissance et la performance de l'iPlayer n'ont pas échappé aux dirigeants de l'audiovisuel public français, qui l'ont pris en exemple. La question sera celle de la capacité financière et juridique des acteurs français à mettre en place des outils performants ;

- le renouvellement de son modèle de gouvernance semble permettre de perpétuer une tradition d'indépendance. Celui-ci doit donc alimenter notre réflexion sur la réforme annoncée du mode de nomination des présidents de l'audiovisuel public ;

- enfin, le succès et l'importance de son catalogue de droits doivent nous encourager à approfondir la réflexion sur le renforcement de ceux que détient le groupe France Télévisions, particulièrement dans la perspective d'un paysage audiovisuel transformé par la télévision connectée.

Évoquons maintenant les Jeux olympiques.

Véritable surprise, quand nous arrivons à Londres, nous tombons bien sur les anneaux olympiques à Saint-Pancras mais c'est à peu près tout. Si quelqu'un n'avait pas su que les Jeux allaient se dérouler cinq mois plus tard, ce n'est pas une balade en ville qui lui aurait appris.

Démotivation des Britanniques devant le coût exorbitant des Jeux, trois fois plus chers que prévus ? Grogne des Londoniens, interdits de transports en commun et priés de chômer pendant toute la période ?

Rien de tout ça. L'explication a rapidement été avancée : le Jubilé de diamant de la Reine, prévu pour juin, imposait une discrétion sur les Jeux olympiques en termes de publicité et d'affichage.

Peu d'inquiétude au demeurant, la culture sportive est telle au Royaume-Uni qu'il n'était point besoin d'insister pour que les billets soient écoulés très rapidement.

D'ailleurs, comme nous avons pu le constater, les installations étaient prêtes et n'attendaient plus que la cérémonie d'ouverture. Le ministère des sports, comme l'ensemble des interlocuteurs que nous avons rencontrés, s'était en fait déjà projeté dans l'héritage des Jeux.

J'évoquerai maintenant ce que nos interlocuteurs appellent l'héritage sportif.

Des jeux scolaires impliquant 12 000 écoles et s'inspirant des Jeux olympiques ont été organisés en 2012, avec l'idée de relancer la pratique amateur.

Des candidatures à des manifestations internationales ont été faites afin que les infrastructures soient davantage utilisées : Jeux du Commonwealth en 2014, Coupe du monde de rugby en 2015, et Championnats du monde d'athlétisme au stade olympique en 2017.

Le maintien d'un effort financier important en faveur du sport de haut niveau a aussi été acté afin que les bons résultats acquis à Pékin et anticipés pour Londres (et confirmés) soient confirmés à Rio.

Un programme d'entraide internationale par le sport a enfin été soutenu par le ministère avec l'apprentissage à 80 000 enfants Bangladais de techniques de nage.

Saluons enfin le succès des Jeux paralympiques dont le bilan est très positif, en termes de présence des athlètes, de qualité de l'organisation, de succès public avec des stades pleins (2,3 millions de billets vendus) et de retransmission télévisée : Channel Four, chaîne financée par la publicité, a diffusé 140 heures de direct, soit 12 heures par jour pendant les 12 jours de l'événement. L'audience a été au rendez-vous.

Notre déception du faible engagement de France Télévisions n'en est que plus exacerbée. Le groupe n'a diffusé qu'un seul direct et n'a consacré que très peu de temps d'antenne aux jeux paralympiques.

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