Intervention de Son Exc. M. Boutros Assaker

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 octobre 2012 : 1ère réunion
Situation en syrie — Audition de se. M. Boutros Assaker ambassadeur du liban

Son Exc. M. Boutros Assaker, ambassadeur du Liban en France :

Je vous remercie de votre invitation. Comme vous pouvez l'imaginer, il n'est pas simple pour un ambassadeur de s'exprimer sur la situation d'un autre pays, et il est plus délicat encore pour l'ambassadeur du Liban d'évoquer devant vous la situation de la Syrie.

Depuis une dizaine d'années, le Liban traverse une période délicate et inquiétante sur les plans politique, économique et social. En raison de son tissu social communautaire et de sa position géographique, il continue à subir, directement ou indirectement, les répliques de quatre confrontations majeures dans la région, qui sont intrinsèquement liées :

- la confrontation israélo-palestinienne due à l'échec du processus de paix ;

- la confrontation opposant les Etats-Unis et Israël à l'Iran sur fond du programme nucléaire iranien ;

- la confrontation entre sunnites et chiites, qui s'étend du Bahreïn jusqu'au Liban ;

- la confrontation en forme de guerre civile entre le régime syrien et ses opposants.

Etant donné sa proximité, son intensité et sa gravité, le volet syrien, avec toutes ses péripéties, se révèle être actuellement le dossier le plus menaçant et pesant pour la stabilité du Liban, sa sécurité et sa cohésion politique et sociale.

Qu'en est-il des relations entre le Liban et la Syrie ?

L'ombre de la Syrie plane sans cesse sur le Liban, son influence étant évidente en raison de l'histoire, de la géographie et des liens sociaux entre Libanais et Syriens.

Ayant refusé jusqu'à 2009, pour des raisons idéologiques, de reconnaître la souveraineté et l'indépendance du Liban, la Syrie a toujours eu des relations conflictuelles avec le pays du Cèdre, et les autorités de Damas ont de tout temps fait savoir, et de façon explicite, qu'elles ne pourraient jamais accepter la mise en place à Beyrouth d'un gouvernement qui serait défavorable à ses intérêts ou qui constituerait une menace à sa sécurité (c'est-à-dire qui serait sous l'influence de l'Occident), comme en témoigne le fameux slogan mis en avant par la Syrie après l'accord de Taëf de 1989 ayant mis fin à la guerre civile : « La sécurité de la Syrie dépend de celle du Liban et inversement ».

Quand la crise syrienne a éclaté, le 15 mars 2011, les Libanais, déjà divisés en deux blocs politiques et idéologiques différents après l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, ont adopté deux positions opposées vis-à-vis de cette crise :

- le mouvement dit « du 14 mars », qui regroupe les principales forces politiques chrétiennes et la majorité des sunnites, qui avait mené en 2005 la révolution du Cèdre, qui a abouti en avril 2005 au retrait des troupes syriennes du Liban, grâce au rôle majeur joué par la France notamment au Conseil de sécurité des Nations unies, s'est placé d'emblée dans le camp de l'opposition au régime syrien, et n'a pas hésité à affirmer haut et fort sa position ;

- à l'opposé, le Hezbollah, la majorité de la communauté chiite, ainsi que le « courant patriotique libre » (CPL) du général chrétien Michel Aoun regroupés au sein du « mouvement du 8 mars », ont affiché leur soutien au régime de Bachar el-Assad, dont ils sont les alliés. Le courant aouniste exprime aussi l'opinion selon laquelle les Chrétiens d'Orient, notamment en Syrie, seraient menacés en cas de chute du régime baasiste, jugé laïque, et il met en garde contre l'avènement des islamistes au pouvoir.

Avec la recrudescence des combats en Syrie, les esprits se réchauffent au Liban, le ton monte entre partisans et opposants au régime syrien, et des accrochages éclatent au nord du Liban, entre salafistes sunnites et alaouites, mettant la sécurité et la stabilité de tout le pays en péril.

Face au danger de contagion syrienne, le gouvernement libanais, présidé par M. Najib Mikati, en accord avec le Président de la République et avec l'ensemble des partis politiques, a opté pour une politique de distanciation et de dissociation vis-à-vis des événements en Syrie, et de la division des Libanais en deux blocs politiques, et ce, dans le souci de préserver la stabilité et la sécurité du Liban et de ne pas favoriser un camp contre l'autre. Cette politique s'est traduite par la neutralité de ses positions officielles au sein du Conseil de sécurité, dont le Liban était membre non-permanent jusqu'à fin 2011, et au sein de la Ligue arabe lors des votes des résolutions concernant la Syrie.

La politique de distanciation suivie par le Liban a recueilli, après une période d'hésitation, l'aval des différents protagonistes libanais et l'approbation des grandes chancelleries étrangères et du Conseil de sécurité des Nations unies.

Elle a pour fondement et motivations les éléments suivants :

- préserver la sécurité et la stabilité du Liban et lui épargner les retombées négatives de la crise syrienne, car l'idée de l'entraîner dans cette crise est nuisible à tous les Libanais et risque de provoquer la déstabilisation du pays dans l'indifférence générale, tous les yeux étant tournés vers la Syrie ;

- tenir le Liban à l'écart de la politique des axes et des conflits régionaux et internationaux, et lui éviter les répercussions néfastes, sauf pour ce qui est du devoir de respecter les résolutions de la légalité internationale, l'unanimité arabe et la cause palestinienne, y compris le droit au retour des réfugiés palestiniens et le rejet de leur implantation au Liban ;

- maîtriser le contrôle des frontières libano-syriennes et empêcher l'établissement d'une zone tampon au Liban ou l'utilisation de son territoire comme lieu de regroupement, de passage ou de base pour le trafic des armes et des combattants, sans que cela n'affecte le droit à la solidarité humanitaire avec la population civile syrienne et à la liberté d'expression politique et médiatique garantie par la Constitution et la loi ;

- respecter les aspirations à la démocratie, à la liberté et à l'alternance au pouvoir revendiquées par les peuples, en Syrie et ailleurs. La position des Etats se fonde sur les intérêts et la géographie politique. La Syrie est notre seul voisin, elle borde les trois quarts de nos frontières, alors qu'Israël est à notre frontière sud. Mais il n'y a pas que le régime syrien qui soit notre voisin, le peuple syrien l'est aussi et nous lui souhaitons, dans toutes ses composantes, le meilleur pour son avenir. Nous ne pouvons qu'espérer une transition vers la démocratie dans les plus brefs délais, à travers le dialogue, loin de toute violence et de toute intervention étrangère. J'attire d'ailleurs votre attention sur la déclaration du Secrétaire général des Nations unies, hier à Strasbourg, qui a demandé l'arrêt des livraisons d'armes et qui a invité l'ensemble des protagonistes à rejoindre la table des négociations ;

- venir en aide et soutenir les réfugiés syriens au Liban dont le nombre s'élève à 80 000 personnes. Le Liban leur assure le logement, l'éducation et le traitement médical, et ce, avec l'aide des agences humanitaires libanaises et internationales, à leur tête le Haut Comité de secours libanais et le HCR (Haut commissariat des Nations unies pour les Réfugiés) ;

- appliquer scrupuleusement les sanctions prises par les instances internationales à l'encontre de la Syrie. A cet égard, les banques libanaises sont prudentes et ont la volonté de préserver la réputation du secteur bancaire, surtout avec les instances internationales européennes et américaines ;

- renforcer la politique de distanciation et la protéger avec le concours de l'armée libanaise, seule garante de l'unité du pays et de sa stabilité. A cet effet, le Premier ministre prévoit de lancer, avec l'aide des amis du Liban, une conférence de donateurs afin de fournir à l'armée libanaise l'équipement et le matériel nécessaires à l'accomplissement de sa mission, aussi bien à l'intérieur de ses frontières qu'au Liban-Sud, en liaison avec la FINUL. Un plan d'action et un programme quinquennal à l'occasion de cette conférence sont en cours d'élaboration.

Pour conclure, le devoir déclaré des autorités libanaises est d'éviter au pays les malheurs d'un pari politique erroné. La crise syrienne a pris aujourd'hui une telle envergure qu'elle risque de précipiter la région et les pays voisins de la Syrie dans le chaos. A ce jour, les combats continuent, sans vainqueurs ni vaincus, et risquent de se prolonger, à moins que la communauté internationale ne parvienne à un accord pour mettre un terme à cette situation.

Certes le Liban ne constitue pas, à ce stade et dans le contexte actuel, un élément décisif. Se dissocier des agitateurs et des agitations qui l'entourent et le menacent semble être une politique sage, réfléchie et salvatrice.

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