Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 9 octobre 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Nous avons le plaisir d'accueillir Son excellence M. Boutros Assaker, ambassadeur du Liban en France, pour évoquer la situation en Syrie. Cette audition est la première d'un cycle de sept auditions que nous ouvrons sur ce sujet cette semaine et qui nous conduira à entendre les positions non seulement du Liban, mais aussi de la Jordanie, de la Russie, du Royaume-Uni, de l'Allemagne, des Etats-Unis, de la Turquie et peut-être d'Israël, dont nous attendons encore la réponse.

Vous connaissez tous la situation en Syrie au travers des reportages qui nous parviennent quotidiennement grâce aux journalistes présents sur place et dont je tiens à saluer publiquement le courage.

Nous sommes en revanche moins bien informés sur la position des différents Etats concernés par cette situation que ce soit sur place, car ils sont voisins, ou bien à l'ONU, car ils sont membres du Conseil de sécurité.

Notre président, M. Jean-Louis Carrère - qui est actuellement à l'Assemblée générale de l'ONU -, a donc souhaité que notre commission puisse entendre les représentants des différents Etats concernés et que ceux-ci puissent leur donner la position de leur propre pays, et les raisons qui les sous-tendent, sans aucun filtre médiatique.

Je vous remercie donc, Monsieur l'Ambassadeur, d'avoir eu la gentillesse de bien vouloir vous prêter à cet exercice et je vous donne la parole sans tarder pour présenter la position de votre pays, mais aussi pour nous donner la mesure de la situation au Liban et nous dire dans quelle façon la crise syrienne rejaillit sur la situation intérieure de votre pays.

Debut de section - Permalien
Son Exc. M. Boutros Assaker, ambassadeur du Liban en France

Je vous remercie de votre invitation. Comme vous pouvez l'imaginer, il n'est pas simple pour un ambassadeur de s'exprimer sur la situation d'un autre pays, et il est plus délicat encore pour l'ambassadeur du Liban d'évoquer devant vous la situation de la Syrie.

Depuis une dizaine d'années, le Liban traverse une période délicate et inquiétante sur les plans politique, économique et social. En raison de son tissu social communautaire et de sa position géographique, il continue à subir, directement ou indirectement, les répliques de quatre confrontations majeures dans la région, qui sont intrinsèquement liées :

- la confrontation israélo-palestinienne due à l'échec du processus de paix ;

- la confrontation opposant les Etats-Unis et Israël à l'Iran sur fond du programme nucléaire iranien ;

- la confrontation entre sunnites et chiites, qui s'étend du Bahreïn jusqu'au Liban ;

- la confrontation en forme de guerre civile entre le régime syrien et ses opposants.

Etant donné sa proximité, son intensité et sa gravité, le volet syrien, avec toutes ses péripéties, se révèle être actuellement le dossier le plus menaçant et pesant pour la stabilité du Liban, sa sécurité et sa cohésion politique et sociale.

Qu'en est-il des relations entre le Liban et la Syrie ?

L'ombre de la Syrie plane sans cesse sur le Liban, son influence étant évidente en raison de l'histoire, de la géographie et des liens sociaux entre Libanais et Syriens.

Ayant refusé jusqu'à 2009, pour des raisons idéologiques, de reconnaître la souveraineté et l'indépendance du Liban, la Syrie a toujours eu des relations conflictuelles avec le pays du Cèdre, et les autorités de Damas ont de tout temps fait savoir, et de façon explicite, qu'elles ne pourraient jamais accepter la mise en place à Beyrouth d'un gouvernement qui serait défavorable à ses intérêts ou qui constituerait une menace à sa sécurité (c'est-à-dire qui serait sous l'influence de l'Occident), comme en témoigne le fameux slogan mis en avant par la Syrie après l'accord de Taëf de 1989 ayant mis fin à la guerre civile : « La sécurité de la Syrie dépend de celle du Liban et inversement ».

Quand la crise syrienne a éclaté, le 15 mars 2011, les Libanais, déjà divisés en deux blocs politiques et idéologiques différents après l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, ont adopté deux positions opposées vis-à-vis de cette crise :

- le mouvement dit « du 14 mars », qui regroupe les principales forces politiques chrétiennes et la majorité des sunnites, qui avait mené en 2005 la révolution du Cèdre, qui a abouti en avril 2005 au retrait des troupes syriennes du Liban, grâce au rôle majeur joué par la France notamment au Conseil de sécurité des Nations unies, s'est placé d'emblée dans le camp de l'opposition au régime syrien, et n'a pas hésité à affirmer haut et fort sa position ;

- à l'opposé, le Hezbollah, la majorité de la communauté chiite, ainsi que le « courant patriotique libre » (CPL) du général chrétien Michel Aoun regroupés au sein du « mouvement du 8 mars », ont affiché leur soutien au régime de Bachar el-Assad, dont ils sont les alliés. Le courant aouniste exprime aussi l'opinion selon laquelle les Chrétiens d'Orient, notamment en Syrie, seraient menacés en cas de chute du régime baasiste, jugé laïque, et il met en garde contre l'avènement des islamistes au pouvoir.

Avec la recrudescence des combats en Syrie, les esprits se réchauffent au Liban, le ton monte entre partisans et opposants au régime syrien, et des accrochages éclatent au nord du Liban, entre salafistes sunnites et alaouites, mettant la sécurité et la stabilité de tout le pays en péril.

Face au danger de contagion syrienne, le gouvernement libanais, présidé par M. Najib Mikati, en accord avec le Président de la République et avec l'ensemble des partis politiques, a opté pour une politique de distanciation et de dissociation vis-à-vis des événements en Syrie, et de la division des Libanais en deux blocs politiques, et ce, dans le souci de préserver la stabilité et la sécurité du Liban et de ne pas favoriser un camp contre l'autre. Cette politique s'est traduite par la neutralité de ses positions officielles au sein du Conseil de sécurité, dont le Liban était membre non-permanent jusqu'à fin 2011, et au sein de la Ligue arabe lors des votes des résolutions concernant la Syrie.

La politique de distanciation suivie par le Liban a recueilli, après une période d'hésitation, l'aval des différents protagonistes libanais et l'approbation des grandes chancelleries étrangères et du Conseil de sécurité des Nations unies.

Elle a pour fondement et motivations les éléments suivants :

- préserver la sécurité et la stabilité du Liban et lui épargner les retombées négatives de la crise syrienne, car l'idée de l'entraîner dans cette crise est nuisible à tous les Libanais et risque de provoquer la déstabilisation du pays dans l'indifférence générale, tous les yeux étant tournés vers la Syrie ;

- tenir le Liban à l'écart de la politique des axes et des conflits régionaux et internationaux, et lui éviter les répercussions néfastes, sauf pour ce qui est du devoir de respecter les résolutions de la légalité internationale, l'unanimité arabe et la cause palestinienne, y compris le droit au retour des réfugiés palestiniens et le rejet de leur implantation au Liban ;

- maîtriser le contrôle des frontières libano-syriennes et empêcher l'établissement d'une zone tampon au Liban ou l'utilisation de son territoire comme lieu de regroupement, de passage ou de base pour le trafic des armes et des combattants, sans que cela n'affecte le droit à la solidarité humanitaire avec la population civile syrienne et à la liberté d'expression politique et médiatique garantie par la Constitution et la loi ;

- respecter les aspirations à la démocratie, à la liberté et à l'alternance au pouvoir revendiquées par les peuples, en Syrie et ailleurs. La position des Etats se fonde sur les intérêts et la géographie politique. La Syrie est notre seul voisin, elle borde les trois quarts de nos frontières, alors qu'Israël est à notre frontière sud. Mais il n'y a pas que le régime syrien qui soit notre voisin, le peuple syrien l'est aussi et nous lui souhaitons, dans toutes ses composantes, le meilleur pour son avenir. Nous ne pouvons qu'espérer une transition vers la démocratie dans les plus brefs délais, à travers le dialogue, loin de toute violence et de toute intervention étrangère. J'attire d'ailleurs votre attention sur la déclaration du Secrétaire général des Nations unies, hier à Strasbourg, qui a demandé l'arrêt des livraisons d'armes et qui a invité l'ensemble des protagonistes à rejoindre la table des négociations ;

- venir en aide et soutenir les réfugiés syriens au Liban dont le nombre s'élève à 80 000 personnes. Le Liban leur assure le logement, l'éducation et le traitement médical, et ce, avec l'aide des agences humanitaires libanaises et internationales, à leur tête le Haut Comité de secours libanais et le HCR (Haut commissariat des Nations unies pour les Réfugiés) ;

- appliquer scrupuleusement les sanctions prises par les instances internationales à l'encontre de la Syrie. A cet égard, les banques libanaises sont prudentes et ont la volonté de préserver la réputation du secteur bancaire, surtout avec les instances internationales européennes et américaines ;

- renforcer la politique de distanciation et la protéger avec le concours de l'armée libanaise, seule garante de l'unité du pays et de sa stabilité. A cet effet, le Premier ministre prévoit de lancer, avec l'aide des amis du Liban, une conférence de donateurs afin de fournir à l'armée libanaise l'équipement et le matériel nécessaires à l'accomplissement de sa mission, aussi bien à l'intérieur de ses frontières qu'au Liban-Sud, en liaison avec la FINUL. Un plan d'action et un programme quinquennal à l'occasion de cette conférence sont en cours d'élaboration.

Pour conclure, le devoir déclaré des autorités libanaises est d'éviter au pays les malheurs d'un pari politique erroné. La crise syrienne a pris aujourd'hui une telle envergure qu'elle risque de précipiter la région et les pays voisins de la Syrie dans le chaos. A ce jour, les combats continuent, sans vainqueurs ni vaincus, et risquent de se prolonger, à moins que la communauté internationale ne parvienne à un accord pour mettre un terme à cette situation.

Certes le Liban ne constitue pas, à ce stade et dans le contexte actuel, un élément décisif. Se dissocier des agitateurs et des agitations qui l'entourent et le menacent semble être une politique sage, réfléchie et salvatrice.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Je vous remercie, Monsieur l'Ambassadeur, pour votre présentation très complète et je laisse immédiatement la parole à nos collègues, qui ont beaucoup de questions à vous poser.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Comme vous le savez, Monsieur l'ambassadeur, le Liban est cher au coeur des Français et nous sommes nombreux à être inquiets des risques de répercussion de la crise syrienne sur votre pays.

Ayant eu l'occasion de me rendre à deux reprises dans votre pays l'été dernier, y compris à Tripoli, où les affrontements étaient particulièrement violents, j'avais d'ailleurs proposé au Sénat la création d'une commission d'enquête sur les conséquences de la crise syrienne aux frontières, notamment avec le Liban et la Turquie.

Alors que le quotidien « L'Orient - Le Jour » a publié ce matin un article intitulé « le Liban peu à peu happé par la crise syrienne » vous nous avez présenté la manière dont le gouvernement libanais s'efforce de rester à l'écart de cette crise, grâce à ce que vous avez appelé « une politique de distanciation ».

Dans ce contexte, comment la France peut-elle aider le Liban à maintenir cette politique de distanciation, qui n'est pas évidente ?

Comment cette politique se traduit-elle concernant l'armée libanaise, qui reste le meilleur garant de l'unité et de la stabilité du pays ?

Nous venons au Sénat d'autoriser l'approbation de l'accord franco-libanais de coopération en matière de sécurité intérieure. Cet accord peut-il ouvrir la voie à un renforcement de notre coopération au bénéfice de la stabilité et de la sécurité du Liban ?

Enfin, comment assurer la protection des chrétiens, qui sont souvent les premières cibles en cas de crise dans cette région.

Debut de section - Permalien
Son Exc. M. Boutros Assaker, ambassadeur du Liban en France

Tous les Libanais sont inquiets et personne ne sait vraiment ce qui va se passer à l'avenir.

Chaque jour, on assiste à des incidents et à des accrochages à la frontière entre le Liban et la Syrie, sans que l'on puisse en déterminer réellement l'origine.

On assiste à des incidents et à des provocations, tant du côté des Syriens que du côté des Libanais qui soutiennent l'opposition en Syrie, même si la situation reste jusqu'à présent sous le contrôle de l'armée.

L'armée libanaise reste le meilleur garant de la stabilité et de l'unité du Liban et a su préserver jusqu'à aujourd'hui la cohésion et le sentiment national en son sein. Lors de l'assassinat du premier ministre Rafic Hariri, c'est grâce à l'armée que nous avons évité de retomber dans la guerre civile. C'est l'armée qui a protégé les manifestants du mouvement du 14 mars, qui ont réclamé le départ des troupes syriennes du Liban. Elle a aussi préservé son unité lors des combats contre les terroristes retranchés dans le camp palestinien de Nahr el-Bared, au nord du Liban, comme lors des accrochages avec le Hezbollah lui-même, dans la banlieue de Beyrouth il y a quelques années. L'actuel chef de l'Etat était d'ailleurs à cette époque le commandant en chef de l'armée.

Si l'armée libanaise a su préserver jusqu'ici le sentiment national, on ne peut toutefois pas exclure, si les combats se poursuivent en Syrie et que la communauté internationale ne parvient pas à trouver rapidement un accord et une solution, que cette situation entraîne des conséquences néfastes pour le Liban.

Ainsi, un effritement et une division de la Syrie en plusieurs Etats communautaires sur une base confessionnelle aurait inévitablement des répercussions sur le Liban. Il faut donc espérer que les principaux acteurs de la communauté internationale parviennent à trouver rapidement un accord pour trouver une solution à cette crise. Le modèle libanais d'une démocratie consensuelle où chaque citoyen et chaque communauté se sent reconnus, pourrait peut-être servir de source d'inspiration pour la Syrie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je vous remercie, Monsieur l'ambassadeur, de nous avoir aidés à dénouer les fils de cette situation complexe. Je voudrais également vous témoigner, à vous et à tous les Libanais, toute notre affection et notre sympathie. La France est l'amie du Liban.

J'ai trois questions à vous poser.

Vous avez évoqué la politique de distanciation pratiquée par le gouvernement libanais avec l'accord de l'ensemble des forces politiques. Est-ce que le Hezbollah joue réellement le jeu ? En cas d'effondrement du régime syrien, est-ce que cela ne pourrait pas entraîner votre pays dans une nouvelle confrontation ?

Ma deuxième question concerne le rôle des Nations unies, que vous connaissez bien. Malgré la multiplication des déclarations, des observateurs ou des émissaires, les Nations unies n'ont pas réussi jusqu'à présent à imposer une solution. D'après vous, les Nations unies peuvent-elles encore jouer un rôle dans la crise syrienne ?

Enfin, que vous inspire l'agitation actuelle en Jordanie contre la monarchie ? Peut-elle avoir des conséquences sur le Liban et la région ?

Debut de section - Permalien
Son Exc. M. Boutros Assaker, ambassadeur du Liban en France

Je vous remercie pour vos propos.

Le Hezbollah n'est pas dans une situation confortable car la majorité des Libanais ne le soutient pas. Toutefois, il faut reconnaître que jusqu'à présent l'attitude du Hezbollah est restée mesurée, qu'il s'agisse du financement du tribunal spécial pour le Liban et de l'enquête sur l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri ou de la crise syrienne. Le Hezbollah, qui est représenté au gouvernement et au Parlement, a accepté la politique de distanciation. Il est resté mesuré lorsque l'acte d'accusation.....etc

Beaucoup s'interrogent sur les conséquences d'un éventuel effondrement du régime syrien sur le Hezbollah et pensent qu'il pourrait perdre de nombreux soutiens, en particulier au sein des chrétiens, mais aussi dans la communauté chiite, dont tous les membres ne soutiendront pas ce mouvement au cas où il s'embarque dans une aventure militaire.

Toutes les communautés, y compris le Hezbollah, qui réclamait une république islamique, ont accepté la constitution libanaise et l'accord de Taëf.

Pour ma part, je compte sur la sagesse des Libanais et du Hezbollah, ainsi que sur le sentiment national, pour que le Liban soit épargné par cette crise.

Les évènements récents en Jordanie sont inquiétants et il est symptomatique que les manifestants aient réclamé la chute de la monarchie. Si la Jordanie tombe aux mains des islamistes, le prochain pays sur la liste pourrait bien être l'Arabie Saoudite.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Ma question concernait la place du Hezbollah mais vous y avez déjà largement répondu.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Le fait que le Hezbollah dispose d'armes n'est-il pas inquiétant ? Je m'interroge aussi sur l'attitude de la communauté internationale. Ne peut-on pas comparer la situation de la Syrie avec celle de la Bosnie-Herzégovine au moment de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, Alep ressemblant de plus en plus à Sarajevo ? Je rappelle qu'il a fallu attendre plus de 100 000 morts pour que la communauté internationale intervienne pour mettre un terme à la guerre en Bosnie, malgré le soutien russe à la Serbie. Ne sommes-nous pas dans une situation comparable avec la Syrie et faudra-t-il attendre aussi longtemps pour une intervention de la communauté internationale ? Peut-on espérer un changement après l'élection présidentielle américaine ? Enfin, que faut-il penser de l'attitude du premier ministre turc M. Erdogan, notamment vis-à-vis des Kurdes ?

Debut de section - Permalien
Son Exc. M. Boutros Assaker, ambassadeur du Liban en France

Les armes du Hezbollah posent une problématique au Liban. Tous les partis politiques se sont mis d'accord pour débattre de ces armes dans le cadre de la conférence du dialogue national lancée par le Président de la République, au cours de laquelle une stratégie de défense a été proposée et qui a pour objectif de trouver une solution à cette problématique. Le Hezbollah participe à cette conférence de dialogue national.

Quant à la crise syrienne, mon sentiment est qu'elle risque de se prolonger.

Le régime dispose de solides soutiens, au sein de la communauté alaouite, mais aussi parmi les chrétiens, les ismaélites ou les druzes, et même au sein de la bourgeoise sunnite. Il peut aussi compter sur le soutien du parti baasiste, de l'appareil de sécurité et de l'armée, qui est restée dans l'ensemble fidèle au régime.

De son côté, l'opposition syrienne reste divisée, entre l'opposition de l'extérieur et celle de l'intérieur, mais aussi entre les différents courants existants en son sein. Concernant l'opposition de l'extérieur, que représente-t-elle réellement sur le terrain ? Est-elle unie ? Dispose-t-elle d'un programme ? Joue-t-elle un rôle déterminant ? S'agissant de l'opposition de l'intérieur, quels sont ses membres et que représente-t-elle ? Quels sont ses rapports avec l'opposition de l'extérieur ? Quelle est la nature de l'armée syrienne libre ? Quel est le poids des combattants étrangers, provenant des pays arabes mais aussi d'Europe ? Même si l'opposition syrienne l'emporte, personne ne peut dire à quoi ressemblera le futur de ce pays.

Nous assistons en réalité en Syrie à une véritable guerre civile entre des milices et l'armée, dont la population civile est la première victime. La vraie question est de savoir jusqu'à quand la communauté internationale peut rester passive devant cette situation et ce n'est pas le résultat des élections américaines qui pourra y changer quelque chose.

Enfin, s'agissant de la Turquie, le Premier ministre Erdogan a récemment renoué avec les ambitions de l'Empire ottoman, selon les analystes. Il avait initié, à ses débuts en tant que chef de gouvernement, une diplomatie du « zéro problème » avec ses voisins. On sait ce qu'il est advenu de cette stratégie puisque la Turquie connaît aujourd'hui des tensions avec l'ensemble de ses voisins. Malgré les tensions avec la Syrie, le fait que la Turquie soit membre de l'Alliance atlantique contribue toutefois à apaiser les tensions et à éloigner le spectre de la guerre avec la Syrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Vous avez évoqué la place et le rôle joué par l'armée libanaise, qui reste le meilleur garant de l'unité et de la stabilité du Liban.

Je suis lié à el-Qâa, un village chrétien situé à proximité de la frontière avec la Syrie qui a accueilli plusieurs centaines de réfugiés syriens et j'ai pu constater le rôle joué par l'armée notamment pour protéger la frontière.

Dans le même temps, se pose la question des moyens dont dispose cette armée, puisque l'on sait que, malgré les qualités de ses hommes, ses moyens sont très limités. Ses équipements sont anciens et insuffisants, comme on l'a vu à plusieurs reprises par le passé.

Comment voyez-vous cette conférence des donateurs et comment la France pourrait-elle aider l'armée libanaise ?

Par ailleurs, la guerre du Liban était certes une guerre civile mais aussi une guerre menée par procuration par des puissances étrangères. A la lumière de votre expérience, quels pourraient être les acteurs d'un accord de paix en Syrie à l'image de l'accord de Taëf ? Les Etats-Unis, la France, la Russie, l'Iran, l'Arabie Saoudite, le Qatar, ou d'autres encore ?

Debut de section - Permalien
Son Exc. M. Boutros Assaker, ambassadeur du Liban en France

L'accord franco-libanais de coopération en matière de sécurité intérieure, que vous venez d'approuver, constitue un premier pas.

Le gouvernement libanais a décidé de consacrer une enveloppe d'un 1,6 milliard de dollars à l'achat de nouveaux équipements pour l'armée libanaise. Un programme d'aide américain prévoit aussi une enveloppe d'un milliard de dollars. L'idée lancée récemment par le premier ministre libanais d'une conférence de donateurs pour aider l'armée libanaise vise précisément à améliorer son équipement. Lors de sa prochaine visite en France, le Premier ministre libanais soulèvera cette question avec les autorités françaises. Les autorités libanaises ont déjà présenté plusieurs demandes aux autorités françaises visant à renforcer la coopération et à améliorer les équipements, par exemple concernant les munitions ou la réparation des vieux tanks donnés à l'armée libanaise par les Etats-Unis. Le Liban a également formulé une demande à la France pour l'acquisition d'une centaine de missiles, même si nous comprenons que le moment n'est pas idéal aujourd'hui pour obtenir satisfaction des autorités françaises.

Concernant la situation en Syrie, nous espérons que l'émissaire des Nations unies et de la Ligue arabe pour la Syrie, M. Lakhdar Brahimi, réussira dans sa mission, même s'il a déclaré dès le début qu'il s'était vu confier une mission impossible. Il y a aussi l'initiative de l'Egypte.

Toutefois, je pense qu'il n'y aura pas de solution sans accord entre les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine. Il faudrait que les pays occidentaux trouvent un accord avec la Russie pour débloquer la situation. Car chaque jour apporte de nouvelles victimes au sein de la population syrienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Nous avons tous beaucoup apprécié la qualité de votre exposé et la franchise de vos propos. Si nous sommes de tout coeur avec les Libanais, nous n'oublions pas les Syriens, car la France est également liée avec ce pays.

Ma collègue Mme Josette Durrieu s'est interrogée sur une éventuelle intervention de la communauté internationale, que certains appellent de leurs voeux. Je rappelle toutefois que la Charte des Nations unies repose sur le principe de la souveraineté des Etats et de la non ingérence dans les affaires intérieures et que si la responsabilité de protéger les populations civiles a été consacrée par le Conseil de sécurité des Nations unies, l'intervention en Libye, qui a été perçue comme une forme d'ingérence et qui a provoqué la fureur de la Chine et de la Russie, a sérieusement compromis sa portée.

Concernant la crise syrienne, face au blocage des deux membres permanents au Conseil de sécurité, la Russie et la Chine, on ne peut qu'être sceptique sur une éventuelle intervention et s'efforcer plutôt de rechercher une solution diplomatique à cette crise. Nous ne sommes plus à l'époque du Kosovo, de l'hyperpuissance américaine et de la fin de l'histoire. Par ailleurs, vous avez évoqué les interrogations concernant l'opposition syrienne, le rôle des milices et des forces étrangères, les risques d'une prise de pouvoir par des islamistes radicaux, mais qu'en est-il du conflit entre sunnites et chiites et de l'opposition entre l'Arabie Saoudite et l'Iran ? Quels sont les risques d'une prise de pouvoir par les islamistes radicaux en Syrie, voire même en Arabie Saoudite ?

Dès lors qu'une intervention armée semble exclue, quels seraient, d'après vous, les conditions à l'ouverture de négociations et quel rôle peuvent jouer les Nations unies et la France ? Un accord sur la Syrie est-il possible sans l'accord de l'Iran ?

Le dossier semble inextricable.

Debut de section - Permalien
Son Exc. M. Boutros Assaker, ambassadeur du Liban en France

Vous n'êtes pas le seul à avoir ces interrogations, Monsieur le Ministre. Tout le monde reconnaît aujourd'hui qu'un jour ou l'autre Bachar Al Assad devra quitter le pouvoir. Mais la question est de savoir qui doit le remplacer et dans quelles conditions. Peut-on envisager un départ de l'actuel chef de l'Etat tout en conservant le parti et l'armée ? Comment garantir la paix, la démocratie, le respect des droits de l'homme, la liberté religieuse, y compris le droit de changer de religion, et les droits des femmes.

Le Liban est un petit pays et n'est pas le mieux placé pour résoudre cette crise. Par ailleurs, quel que soit son régime, la Syrie a toujours considéré le Liban comme son espace vital réservé. Les chrétiens sont particulièrement inquiets de la situation et du risque d'une prise de pouvoir par les islamistes radicaux. Tout le monde garde à l'esprit la situation des chrétiens en Irak ou en Egypte. Nous sommes très inquiets du risque de déstabilisation de la région, et par conséquent du Liban.

Il faut demander aux grandes puissances, et en premier lieu à la Russie et à la Chine, ce qu'elles veulent, les raisons pour lesquelles elles s'opposent à une intervention, et négocier avec elles pour trouver une solution qui permettrait de mettre un terme à la guerre civile en Syrie, car celle-ci risque de déborder sur les autres pays de la région, en particulier au Liban. Quel prix les grandes puissances sont-elles prêtes à payer pour mettre un terme à ce conflit?

Il appartient aux grandes nations, et d'abord aux membres du Conseil de sécurité, d'agir et de prendre leurs responsabilités afin de trouver un accord pour mettre un terme à cette crise.

Au Liban, il a fallu quinze ans de guerre civile pour s'assoir à la table des négociations et trouver un accord. Il faut espérer que, s'agissant de la Syrie, la communauté internationale trouvera rapidement une solution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Je vous remercie également pour votre exposé. D'un côté, le régime de Damas dispose d'une base solide mais il est rejeté par une partie de la population, et de l'autre côté l'opposition syrienne reste divisée et en position de faiblesse par rapport à l'armée, si bien que l'on peine à imaginer la victoire d'un camp sur un autre. Dans le même temps, on assiste à des attentats très inquiétants qui semblent être l'oeuvre de mouvements djihadistes. Dans ce contexte, quelles vous semblent être les voies possibles d'une sortie de cette crise ?

Debut de section - Permalien
Son Exc. M. Boutros Assaker, ambassadeur du Liban en France

Mon sentiment personnel est que, sans une forte implication de la communauté internationale et d'un accord entre les grandes puissances, la tragédie en Syrie risque de se prolonger encore longtemps, avec son lot quotidien de victimes civiles innocentes et de destructions. Ni l'armée régulière, qui dispose d'un équipement lourd, ni l'armée syrienne libre, qui est mal équipée, ne semblent pouvoir l'emporter sur le terrain, tandis que le régime dispose encore d'importants soutiens et que l'opposition reste divisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

Je vous remercie, Monsieur l'Ambassadeur. Comme beaucoup de Français, attachés à votre pays nous formons le voeu que le Liban soit préservé autant que possible du risque de contagion de la crise syrienne et nous sommes consternés par la tragédie vécue par le peuple syrien, qui est aussi un peuple avec lequel la France entretient des liens anciens et étroits d'amitié.

Debut de section - Permalien
Son Exc. M. Boutros Assaker, ambassadeur du Liban en France

Comment la France peut-elle aider le Liban à se prémunir contre les risques d'une contagion de la crise syrienne ?

Cela passe par le soutien à la politique de distanciation du gouvernement libanais et l'aide à l'armée libanaise.

Comme me l'a affirmé récemment un diplomate français, le Liban fait partie des intérêts stratégiques de la France, en raison des liens anciens entre nos deux pays, de la présence française au sein de la FINUL et des intérêts économiques et culturels français au Liban.