Au dire de tous les praticiens entendus en audition, notre dispositif anti-terroriste est relativement bien construit et efficace ; ce texte ne le modifie pas fondamentalement. D'une part, il proroge les articles 3, 6 et 9 de la loi de 2006, qui auraient été caduques le 31 décembre 2012 - il y avait donc urgence. D'autre part, l'article 2 élargit notre arsenal législatif.
Le tribunal de grande instance de Paris centralise en pratique la poursuite des actes terroristes, bien qu'il partage cette compétence avec les juridictions locales. Il comprend un pôle anti-terroriste au sein du parquet, et un au sein du siège, regroupant des juges spécialisés - nous avons entendu M. Christen pour le premier, et M. Trevidic pour le second. Le jugement des crimes terroristes relève d'une cour d'assises spécialisée, composée, pour des raisons évidentes, de magistrats professionnels.
En droit pénal, le terrorisme est défini par la combinaison d'un crime ou d'un délit de droit commun et d'une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. L'infraction d'association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes, qui est entrée en vigueur après la promulgation de la loi du 22 juillet 1996, a facilité les poursuites : les personnes peuvent être mises en cause dès l'instant qu'elles ont accompli des actes les associant à d'autres en vue de la préparation d'actes de terrorisme.
Enfin, les services enquêteurs, soit la sous-direction anti-terroriste de la police judiciaire (SDAT), l'unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT) et la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), disposent d'instruments spéciaux. Sous le contrôle de l'autorité judiciaire, ils peuvent réaliser des saisies et des perquisitions, sonoriser et filmer des véhicules et des lieux et, ce qui n'est pas neutre ces temps-ci, capter des données informatiques. En amont de la phase judiciaire, les services, essentiellement la DCRI, disposent des outils dont la loi du 23 janvier 2006 les a dotés, ceux-là même que l'article premier vise à proroger. Il s'agit, en premier lieu, de la possibilité de demander aux opérateurs et aux fournisseurs d'accès les données de connexion des utilisateurs. A cet égard, deux systèmes coexistent, celui de la loi du 10 juillet 1991 et celui de la loi de 2006, qu'il faudra coordonner à terme. Ces demandes concernent le plus souvent une identification, mais aussi les fameuses fadettes - c'est-à-dire les factures détaillées des abonnés - ou encore la géolocalisation d'une personne, un sujet important qui ne figure pas dans la loi de 1991. Ces informations sont essentielles pour comprendre le fonctionnement des cellules ou réseaux. Ensuite, les contrôles d'identité dans les trains internationaux qui lient la France à l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la Suisse et l'Italie, sont réalisés avec le concours des polices de nos voisins européens. Enfin, l'accès à des fichiers administratifs tels que le fichier des immatriculations, le système de gestion des cartes d'identité et celui des passeports, ou encore le fichier des visas.
L'ensemble de ces outils, dont l'utilisation requiert une habilitation, contribue efficacement aux enquêtes ; procureurs et juges d'instruction l'ont tous fait valoir. Les dérives, peu fréquentes au demeurant, sont imputables à des services qui semblent s'être affranchis du cadre légal, et non au cadre lui-même. A ce stade, leur prorogation jusqu'au 1er janvier 2015 paraît plus pertinente qu'une éventuelle pérennisation. Il faudra, à l'échéance, procéder à un bilan et s'interroger sur la dualité des systèmes de la loi de 1991 et de 2006.
L'article 2 complète notre arsenal législatif en prévoyant l'application de la loi pénale française aux crimes et délits qualifiés d'actes de terrorisme commis par un Français hors du territoire de la République. Cette difficulté n'était aucunement une vue de l'esprit, je vous renvoie aux affaires en cours dont la presse se fait régulièrement l'écho.
Actuellement, deux conditions sont requises : la nationalité française à la date du déclenchement des poursuites et, en vertu de la règle non bis in idem, l'absence de condamnation définitive à l'étranger pour les mêmes faits ; une condamnation de principe dans certains pays bloquerait complètement la procédure. Pour les délits, s'y ajoutent l'exigence de réciprocité d'incrimination - les faits doivent être poursuivis par la législation du pays où ils ont été commis - ainsi que le dépôt d'une plainte ou d'une dénonciation officielle par les autorités du pays concerné. Ces dispositions, si elles n'interdisent pas des poursuites, les compliquent. Il est peu probable que des pays qui tolèrent sur leur territoire des camps d'entraînement coopèrent volontiers. En outre, la qualification d'association de malfaiteurs ne couvre pas tous les faits, ainsi lorsqu'aucun acte préparatoire, pas même l'achat d'un billet d'avion, n'a été accompli en France, soit parce que l'auteur a quitté depuis longtemps le territoire national, soit parce qu'il s'est rendu à l'étranger pour des motifs familiaux sans lien avec le terrorisme. Or l'évolution des modes opératoires en matière de terrorisme rend ces situations plus fréquentes.
Avec l'article 2, seule demeure la condition de nationalité française, une évolution cohérente avec l'article 113-10 du code pénal relatif aux infractions portant atteinte aux intérêts supérieurs de la France commis à l'étranger. La mesure couvre un champ plus large que celle qu'avait envisagée Michel Mercier, laquelle ne visait que la participation à l'étranger à des associations de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste à l'étranger et ne dérogeait qu'aux conditions de réciprocité d'incrimination et de dénonciation officielle par le pays où les faits ont été commis. En revanche, ce texte ne vise pas les personnes résidant habituellement sur le territoire français. Pour le Gouvernement, la notion de résidence habituelle, à cause de sa grande imprécision, semble peu compatible avec le principe de légalité des délits et des peines ; c'est la sagesse.
Enfin, la législation actuelle donnant clairement satisfaction, le texte ne retient pas les incriminations spécifiques qu'on nous avait soumises dans l'urgence en mai dernier et qui nécessitaient une évaluation approfondie.
Bien que très complet, le cadre juridique évoluera peut-être, dans le respect des principes et libertés constitutionnellement garantis, pour s'adapter à une menace aux formes à la fois multiples et mouvantes. Son efficacité dépend en grande partie des pratiques des acteurs de la lutte contre le terrorisme ; je ne reviens pas sur le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. Le point crucial, le juge Trevidic y insistait récemment dans le Nouvel Observateur, est de trouver le bon moment où saisir les juges antiterroristes. La judiciarisation ne doit pas intervenir trop tôt, afin de laisser le temps de réunir les preuves de l'infraction, ni trop tard pour agir avant l'attentat. A cet égard, la faculté de poursuivre plus facilement les infractions commises à l'étranger n'exonère pas les services spécialisés de remonter les filières ni de collecter les informations nécessaires sur les intéressés. Je vous proposerai d'adopter l'article 2 sans modification. Il y aura de nouveaux débats sur la question de l'internet ; en l'état, des évolutions ne sont pas souhaitables.
Sur l'article 3, la commission départementale d'expulsion rend un avis qui n'est pas contraignant lorsque le préfet décide l'expulsion d'un étranger représentant une grave menace pour l'ordre public, catégorie à laquelle appartiennent les terroristes. Or, en pratique, elle dépasse largement le délai règlementaire d'un mois, lorsqu'il y a renvoi de séance à la demande de l'étranger. Pour y remédier, le Gouvernement souhaite fixer par décret un délai au-delà duquel l'avis sera réputé rendu. S'agissant d'une atteinte à la liberté individuelle, mieux vaut inscrire dans la loi le délai d'un mois et un mois supplémentaire lorsque l'étranger a demandé le renvoi pour un motif légitime.
Après l'article 4, qui corrige une erreur de renvoi, l'article 5. Celui-ci ratifie l'ordonnance du 12 mars 2012 relative à la partie législative du code de la sécurité intérieure. Rien ne presse, puisqu'un projet de loi ratifiant cette ordonnance a été déposé le 9 mai 2012 au Sénat. Nous aurons besoin de temps pour vérifier que les termes de l'habilitation législative ont été respectés au cours du travail de codification de quelque 550 dispositions... Je préfère, vous l'aurez compris, supprimer cet article.
Quant à l'article 6, il autorise le Gouvernement à prendre une ordonnance pour inclure dans le code de la sécurité intérieure les dispositions issues de la loi du 6 mars 2012 relative à l'établissement d'un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif. En outre, il habilite le Gouvernement à étendre le code de la sécurité intérieure à la Polynésie française, aux Terres australes et antarctiques françaises, à Wallis et Futuna, à la Nouvelle-Calédonie et à l'adapter à Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon. Ainsi, compte tenu de la suppression de l'article 5, le Parlement pourra-t-il ratifier l'ensemble du code de la sécurité intérieure et ses adaptations ou extensions outre-mer lorsqu'il examinera la future loi de ratification. Je vous inviterai à adopter l'article 6 sans modification.
Enfin, le principe de spécialité législative s'appliquant à la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, les îles Wallis-Et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises impose une modification rédactionnelle à l'article 7.