Intervention de Ronan Dantec

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 9 octobre 2012 : 1ère réunion
Création de la haute autorité scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Ronan DantecRonan Dantec :

rapporteur. - Marie-Christine Blandin a déposé le 28 août une proposition de loi relative à la création de la Haute autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement. Notre commission en est saisie au fond, la commission des affaires sociales, qui s'en est saisie pour avis, a confié le rapport à Aline Archimbaud.

Le texte part d'un constat : les multiples scandales sanitaires survenus depuis les années 1990 ont donné lieu à une évolution rapide et peu coordonnée des mécanismes d'expertise et de surveillance des alertes, qui ne couvrent pas la totalité du champ sanitaire et environnemental.

En 1993, après l'affaire du sang contaminé, la direction de la pharmacie et du médicament créée en 1977 a été remplacée par l'Agence du médicament, transformée par la loi du 1er juillet 1998 en Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), elle même entièrement rénovée par la loi Médicament du 29 décembre 2011 afin de tirer les conséquences du scandale du Mediator. Les dysfonctionnements constatés dans la gestion de la canicule de 2003 ont conduit à renforcer les pouvoirs de l'Institut national de veille sanitaire par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique de façon à s'adapter également aux risques émergents. Enfin, en matière d'environnement, l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) est née de la fusion en 2009-2010 entre l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) et l'Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail), en réponse à la montée en puissance des enjeux environnementaux.

Malgré ces améliorations indiscutables, nous sommes aujourd'hui confrontés au manque d'homogénéité de l'expertise sanitaire et de l'alerte en raison de leur construction au fil des crises. Aussi, le premier enjeu de cette proposition est-il de repérer les alertes et les signaux faibles, car là réside une des grandes difficultés du système actuel. Un exemple : les salariés de l'usine de Condé-sur-Noireau dans le Calvados, exposés à l'amiante, ont alerté sur un taux de surmortalité pendant des années avant que l'information ne soit prise en compte, en 1996 : je ne vous parle pas des années 1950 ou de l'entre-deux-guerres ! La chaîne de l'alerte ne fonctionnait pas de manière satisfaisante.

Deuxième enjeu, répondre aux alertes. On ne le fait pas bien. Nos collègues examinent en ce moment dans l'hémicycle la proposition de loi de Gérard Bapt interdisant le bisphénol A dans les contenants alimentaires. Avons-nous vocation à voter des lois sur tous les produits qui posent des problèmes ? Cette affaire est symptomatique de la difficulté de l'Etat à répondre aux alertes en temps et en heure, en tirant les conséquences des expertises.

Troisième enjeu enfin, les doutes de la société sur l'indépendance de l'expertise et sur la réponse de l'État, point dont j'espère avec optimisme qu'il fera consensus. Du fait de doutes permanents sur l'indépendance et la crédibilité de l'expertise, il devient quasiment impossible qu'un débat public apaisé conduise à une décision publique partagée.

Cette proposition de loi, qui s'inscrit dans la continuité des efforts engagés depuis les années 1990 marque l'aboutissement du processus de modernisation débuté il y a maintenant plus de vingt ans. Elle consacre également le travail mené de longue date par le Sénat.

Dès 2005, une proposition de loi de Claude Saunier prévoyait la création d'une Haute autorité de l'expertise publique (HAEP), chargée d'harmoniser les procédures d'expertise publique afin de revaloriser celle-ci. L'article 52 du Grenelle I annonçait un rapport sur la création d'une instance garantissant la transparence, la méthodologie et la déontologie des expertises, ainsi que l'instruction des situations d'alerte - le gouvernement ne l'a jamais remis.

Les travaux menés sur la gestion de la grippe H1N1 en 2010 et sur la crise du Mediator en 2011 ont ensuite rappelé la nécessité cruciale de garantir la déontologie de l'expertise. La commission d'enquête du Sénat sur la grippe A avait préconisé d'ouvrir l'expertise aux hommes de terrain et à d'autres spécialités, tout en renforçant le contrôle des conflits d'intérêts susceptibles de naître des travaux réalisés par les experts dans l'industrie pharmaceutique. Les auditions de la mission commune d'information sur le Mediator ont montré que le domaine sanitaire est particulièrement exposé en raison du niveau considérable des enjeux financiers et du lobbying des laboratoires pharmaceutiques, ce qui affecte la crédibilité de l'expertise sanitaire. Son rapport, qui a nourri les travaux sur la loi Mediator, inspire certains de mes amendements.

L'objectif n'est absolument pas de remettre en cause le rôle des agences sanitaires, qui ont déjà procédé à un certain nombre de réformes allant dans le bon sens, malgré le maintien de la tutelle de l'Etat sur leur budget ou sur les nominations. Soyons clairs pour éviter tout faux débat. Il ne s'agit pas de remettre en cause le rôle d'arbitre de l'Etat : il a la responsabilité de trancher les conflits sociétaux, sans interférer en amont dans le processus d'expertise, dont la méthodologie doit garantir la totale indépendance - ce n'est actuellement pas le cas.

Bien que le code du travail prévoie des alertes relatives aux faits de corruption ou aux questions de sécurité dans l'entreprise, et que le code de la santé publique traite des alertes concernant les médicaments et produits de santé, il n'y a pas de statut du lanceur d'alerte. En outre, les alertes environnementales sont très peu prises en compte.

Le rôle de la Haute autorité serait à la fois de vérifier la prise en compte des alertes et de certifier que l'expertise s'est déroulée dans des conditions déontologiques optimales. Elle ne serait en aucun cas chargée de réaliser elle-même les expertises : il ne s'agit pas de créer de super experts refaisant le travail de ceux des agences.

Bien souvent, les lanceurs d'alerte ont recours aux médias, car les mécanismes existants peinent à prendre en compte leurs inquiétudes. Cela crée un climat d'alarme permanente qui n'est pas souhaitable en démocratie et n'est certainement pas propice à une prise de décision apaisée et consensuelle. Aussi la protection du statut des lanceurs d'alerte prévue par le texte constitue-t-elle une amélioration. Celle-ci ne s'opèrera pas au détriment des intérêts privés et industriels. Bien au contraire, puisque la Haute autorité interviendra dans le cadre d'une procédure placée sous obligation de confidentialité.

S'agira-t-il d'un bidule de plus ? Le scandale du Mediator a coûté 1,2 milliard d'euros pour la sécurité sociale. Si l'on met ce chiffre en parallèle avec celui d'une Haute autorité, au personnel de quelques dizaines de personnes et capable de traiter en amont les alertes sanitaires et environnementales, le rapport coûts et bénéfices est vite fait ! J'y insiste, cette création doit se faire à moyens constants pour l'Etat, notamment par le redéploiement des moyens de services aujourd'hui dispersés dans les ministères. Je n'en dresserai pas la liste pour ne stigmatiser personne ; cependant, la mise en place de la Haute autorité devrait logiquement en amener certains à disparaître.

La proposition de loi comporte trois volets distincts : le titre Ier crée la Haute autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière de santé et d'environnement ; le titre II renforce les procédures d'alertes en matière sanitaire et environnementale ; le titre III contient diverses mesures, dont le statut du lanceur d'alerte inspiré du travail du Sénat sur le médicament. La recherche d'équilibre du texte conduit, à l'inverse, à poursuivre les dénonciations calomnieuses : il s'agit de sécuriser le système dans une logique de modernisation.

Nous avons auditionné les ministères, les agences concernées et les partenaires sociaux. Le bilan été positif. Alors que je pensais que les agences seraient opposées à ce projet, elles l'ont accueilli favorablement. Souvent juges et parties, elles ont considéré que si quelqu'un validait leur travail, cela les aiderait. Même intérêt de la part des partenaires sociaux, dont les remarques m'ont conduit à proposer des simplifications comme le remplacement de la cellule d'alerte par une extension des missions du CHSCT. Le nombre relativement élevé d'amendements vise essentiellement à simplifier le texte et à le mettre en cohérence avec la législation existante, notamment la loi sur le médicament.

Il ne s'agit pas de passer en force. Le premier examen de ce texte, prévu très prochainement dans une niche de quatre heures après une autre proposition de loi, ne suffira pas pour discuter les amendements. Cela laisse à chacun, y compris au gouvernement, le temps de faire des propositions afin d'arriver à une solution partagée.

Au titre Ier, nous avons souhaité mieux préciser les missions de la Haute autorité. Un amendement à l'article 1er évitera toute ambiguïté : non, la Haute autorité ne procèdera pas à ses propres expertises. Sur l'article 2, nous intégrons la proposition des syndicats représentatifs leur ouvrant la saisine. Les amendements à l'article 3 précisent les nominations à la Haute autorité. Le directeur général n'avait pas été prévu, nous y remédions à l'article 4. Les autres amendements sur ce titre Ier clarifient le rôle et le fonctionnement de la nouvelle instance.

En revanche, les amendements portant sur le titre II vont plus loin. A l'article 8, alors que l'articulation n'était pas évidente entre le premier alinéa mentionnant la diffusion et le caractère public des alertes et le second alinéa imposant le respect d'une obligation de confidentialité, nous rendons une place centrale à l'obligation de confidentialité. J'ai déjà évoqué la suppression des cellules d'alerte sanitaire et environnementale prévues par l'article 9, et qui ne faisaient pas consensus. Nous répondons mieux à la demande des partenaires sociaux. Les amendements suivants sont de cohérence, celui sur l'article 15 précisant la procédure de saisine de la Haute autorité et clarifiant notamment ses délais de réponse.

Dans le titre III, l'amendement sur l'article 16 met le texte en cohérence avec le code du travail. Surtout, mon amendement sur l'article 17 complète la rédaction initiale du statut du lanceur d'alerte en reprenant celle de la loi Mediator. Il serait en effet incohérent de n'avoir de lanceur d'alerte que dans le domaine du médicament : ne restons pas au milieu du gué. Un amendement améliore la lisibilité de l'article 18. Enfin, je vous suggèrerai de supprimer l'article 22 qui n'apportait que des précisions d'ordre administratif.

Toutes ces simplifications tendent à éviter les faux débats. Le texte pourra encore être perfectionné, puisqu'il ne sera pas adopté tel quel la semaine prochaine. Nous disposons d'un peu de temps, alors que bien souvent, dans cette assemblée, nous avons pris l'habitude de travailler à marche forcée.

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