L’Europe ne doit pas se faire à partir d’une construction monétaire abstraite, qui ressemble de plus en plus au tonneau des Danaïdes.
Les moyens du MES ne sont pas à la hauteur du problème. Faisons un rapide calcul : l’engagement de l’Allemagne est plafonné à 190 milliards d’euros, celui de la France atteint 142 milliards d’euros, comme on l’ignore généralement de ce côté-ci du Rhin, tandis que, en regard, les encours de dette des pays en difficulté s’élèvent à 3 000 milliards d’euros…
S’agissant de la « mesure Draghi », l’opinion s’est arrêtée aux mots « engagement illimité ». En réalité, la Banque centrale européenne n’interviendra que sur un créneau limité – celui des obligations à trois ans, sur le seul marché de la revente –, selon une stricte conditionnalité, à travers la souscription de plans d’ajustement structurels et moyennant la stérilisation des achats d’effets publics par la revente d’effets privés, afin de ne pas faire gonfler la masse monétaire. « L’Europe avance », nous a dit M. Marini. En réalité, la BCE souhaite avoir son mot à dire sur les plans d’ajustement structurels. Les achats de dette théoriquement illimités de la BCE s’intègrent dans une stratégie coercitive globale, au service des créanciers et au détriment des contribuables et des salariés.
L’euphorie qui a suivi l’annonce de la « mesure Draghi » est retombée. Aujourd’hui, l’Espagne emprunte à dix ans à un taux d’intérêt voisin de 6 %. Ce sont là des observations de fond !
Peut-on sauver l’euro en tant que monnaie unique ?
Vous avez évoqué à cet égard une seule disposition, monsieur le ministre : l’adossement du MES à la Banque centrale européenne. Mais vous savez bien que l’Allemagne n’en veut pas, parce que cela mènerait à la monétisation de la dette. Certes, cela permettrait d’aligner le rôle de la Banque centrale européenne sur celui des autres banques centrales dans le monde. On pourra un jour peut-être l’obtenir de Mme Merkel. Cela suppose que l’on exploite la contradiction dans laquelle se trouve l’Allemagne, qui veut être compétitive pour exporter sur les marchés émergents, mais réalise 60 % de ses excédents commerciaux dans la zone euro. Rappelons-lui l’exhortation de Thomas Mann : « plutôt une Allemagne européenne qu’une Europe allemande ».