Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 11 octobre 2012 à 9h45
Traité sur la stabilité la coordination et la gouvernance au sein de l'union économique et monétaire — Exception d'irrecevabilité

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Vous avez trouvé d’autres reliefs phonétiques, monsieur Chevènement : je pense à votre manière inimitable de parler du six-pack, ce mot, prononcé par vous, sonnant comme quelque chose d’insupportable et d’inacceptable.

Vous jouez très habilement, depuis fort longtemps, de ce décor lexical, sémantique, de ce réseau d’images qui vient de loin, comme la position de celles et ceux qui défendent cette Europe dans les hauts et les bas, les crises, les vicissitudes, et qui croient, malgré les difficultés, qu’il y a là une espérance, à laquelle il ne faut jamais renoncer.

Jean-Pierre Chevènement a expédié le sujet de l’inconstitutionnalité du traité en une phrase et demie, mais je vais tout de même répondre sur ce point.

J’ai cru comprendre que deux griefs d’inconstitutionnalité étaient soulevés.

Le premier grief est lié à cette fameuse dépossession qui s’apparente au suicide et à la maladie universelle : le traité constituerait un transfert de compétences aux institutions européennes attentatoire aux droits du Parlement, et donc à la souveraineté nationale.

Depuis sa première décision du 9 avril 1992 sur le traité de Maastricht, le Conseil constitutionnel vérifie, chaque fois qu’il est saisi d’un traité, que celui-ci ne porte pas « atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ». Or, précisément, dans sa décision du 9 août 2012, le Conseil constitutionnel a considéré que le TSCG n’emportait pas de transfert de souveraineté commandant une révision constitutionnelle préalable.

La principale innovation du traité est de définir la notion de budget « en équilibre ou en excédent » par référence à la situation dans laquelle le « déficit structurel » est inférieur à 0, 5 % du PIB. Est-ce inconstitutionnel ?

Le fait que les États doivent présenter un budget « en équilibre ou en excédent » n’est pas une nouveauté, ainsi que l’a parfaitement démontré M. le ministre.

Comme le rappelle le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel, la discipline budgétaire était déjà inscrite dans le traité de Maastricht, ce qui avait été validé en 1992 par le juge constitutionnel. Elle est également inscrite dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne de Lisbonne, qui lui-même a été validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 décembre 2007.

En outre, il résulte des règlements communautaires du 27 juin 2005 et 16 novembre 2011 que l’objectif de déficit structurel était déjà de 1 % du PIB. À cet égard – cela ne me semble pas contestable –, la seule nouveauté introduite par le TSCG est de ramener ce taux à 0, 5 %.

C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 9 août 2012, que ces nouvelles règles « ne procèdent pas à des transferts de compétences en matière de politique économique ou budgétaire et n’autorisent pas de tels transferts ; que, pas plus que les engagements antérieurs de discipline budgétaire, celui de respecter ces nouvelles règles ne porte atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale. »

Il n’y a donc pas là d’inconstitutionnalité.

Le second grief tient au fait qu’un renforcement des pouvoirs de la Commission européenne se ferait au détriment des prérogatives du Parlement, dans le cadre de la procédure de correction en cas de non-respect de l’objectif de 0, 5 % de déficit structurel.

À cet égard, il faut signaler que ce taux de 0, 5 % n’est pas une contrainte absolue, dans la mesure où l’article 3.1c) du traité, souvent cité, prévoit que les États peuvent s’écarter temporairement de leurs objectifs respectifs « en cas de circonstances exceptionnelles ».

Un autre grief pourrait être soulevé, selon lequel ce serait à tort que nous autoriserions la ratification du traité, une modification préalable de la Constitution étant nécessaire. Or l’article 3.2 du traité prévoit que les nouvelles règles peuvent prendre effet dans le droit national au moyen de dispositions constitutionnelles, « ou dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon ». C’est écrit noir sur blanc !

Le Conseil constitutionnel a considéré que la seconde branche de cette alternative ne comportait pas d’atteinte à la souveraineté. En effet, il s’agit non pas d’imposer au Parlement une règle budgétaire, mais de fixer, via la loi organique, une procédure permettant d’assurer le respect de cet engagement. Or le Parlement en garde toute la maîtrise dans l’élaboration de cette loi organique, comme cela a été exposé tant par Simon Sutour que par François Marc.

Comme l’indique le Conseil constitutionnel, et au regard de notre Constitution, le législateur peut, par la loi organique, encadrer l’adoption des lois de programmation pluriannuelle des finances publiques, des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale de manière qu’elles respectent l’objectif inscrit dans le traité.

De ce point de vue non plus, je ne vois donc pas en quoi il y aurait irrecevabilité et inconstitutionnalité.

J’ajoute que la Cour de justice de l’Union européenne n’a pas de pouvoir de contrôle de l’exécution du budget national, son seul pouvoir étant de vérifier la bonne transposition en droit interne de la règle d’équilibre budgétaire.

J’ajoute qu’il nous appartient désormais d’ouvrir et de porter le débat sur le renforcement du contrôle démocratique de la gouvernance budgétaire et financière de l’Union européenne. L’adoption du traité permettra de donner corps à son article 13, avec la mise en place d’une conférence interparlementaire, dont nous pensons pour notre part, au contraire de Jean-Pierre Chevènement, qu’elle sera un événement novateur et utile.

J’ajoute que ce traité ne conférera pas à la Commission européenne de nouveaux pouvoirs budgétaires : elle conservera ceux qui lui ont été dévolus par le Pacte de stabilité et de croissance révisé l’an dernier. Elle n’a pas obtenu le pouvoir de saisine de la Cour de justice de l’Union européenne ; en vertu de l’article 273, seuls les États ont ce pouvoir.

Mes chers collègues, j’ai cru devoir répondre aux griefs avancés par notre collègue Jean-Pierre Chevènement. J’ai conscience d’avoir été un peu long, mais je m’achemine à mon tour vers ma conclusion…

Le fond de l’affaire, c’est que, si la France n’acceptait pas le paquet constitué par le traité et ce qui a été obtenu en matière de croissance et de taxation des transactions financières, elle tournerait le dos à ce mouvement pour l’Europe auquel nous sommes si attachés.

On peut minimiser ce qui a été obtenu par François Hollande pour promouvoir la croissance, mais c’est, à mon avis, une erreur. En effet, ce qui compte, c’est l’impulsion donnée, c’est la nouvelle orientation définie, c’est l’ajout d’éléments nouveaux au traité, qui changent la logique suivie, la démarche, la perception des choses. Bien sûr, c’est un combat, qui sera toujours à mener !

L’Europe est notre avenir, elle ne nous dépossède pas. Dans les périodes difficiles, il est important de la défendre comme un projet, un idéal. Nous y tenons comme nous tenons à notre pays, dont l’avenir, nous le savons, passe par l’Europe.

Pour terminer, je voudrais citer un homme qui siégea dans cet hémicycle, il y a longtemps, à la place qu’occupe aujourd’hui Mme Assassi :

« Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi.

« Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. »

Tels sont les mots que Victor Hugo prononça, le 21 août 1849, lors du Congrès de la paix, à l’adresse de la France, de l’Italie, de l’Angleterre, de l’Allemagne… Il ajouta cette phrase qui résonne en nos têtes, en nos esprits, en nos cœurs, qui est toujours d’actualité, qui exprime un idéal extraordinaire que nous devons défendre contre vents et marées :

« Un jour viendra où […], vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne. » §

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