Notre responsabilité, aujourd’hui, est d’ouvrir un nouveau chemin permettant aux pays de l’Union européenne de trouver toute leur place dans une planète aux équilibres économiques, sociaux et environnementaux nouveaux.
Il n’y a aucun modèle à suivre : ce serait trop simple. Nous devons nous écouter les uns et les autres, appréhender le monde nouveau qui émerge, faire preuve d’audace et de courage pour dépasser nos réflexes issus des États nations du xixe siècle.
Si nous pouvons aujourd’hui soutenir le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, c’est bien parce que ce texte, issu d’un accord asymétrique franco-allemand imposé dans l’urgence à vingt-trois de nos partenaires européens en mars 2012, a été complété lors du sommet de juin dernier par une négociation plus équilibrée et respectueuse de l’ensemble des pays de l’Union européenne. Il s’est vu principalement enrichi, d'une part, par un pacte pour la croissance et l’emploi doté d’un potentiel initial de 120 milliards d’euros, et, d’autre part, par l’affirmation de la nécessité de mettre en œuvre une union bancaire, condition essentielle pour instituer la supervision bancaire européenne sous la tutelle de la BCE qui nous manque dramatiquement.
Il était indispensable de mettre fin à l’irresponsabilité de la BCE en matière de supervision bancaire découlant des traités en vigueur, qui a suscité un laxisme dans ce domaine en Irlande ou en Espagne, notamment, avec des conséquences sociales tragiques dans ces deux pays et d’immenses coûts pour l’ensemble des Européens.
Il est important, monsieur le ministre, que cette union bancaire se formalise rapidement et que l’on dépasse les réticences se manifestant actuellement sur cette question, en particulier en Allemagne. Cela est essentiel pour équilibrer le vote positif qui sera probablement émis sur la ratification du TSCG et éviter de continuer à faire peser sur les comptes des États de la zone euro les conséquences des défaillances des banques privées.
Permettez-moi à présent d’exprimer certaines préoccupations à l’égard de ce que nous observons actuellement en Europe, où chaque pays tente de rétablir ses comptes publics en faisant preuve d’une certaine créativité fiscale…
Il est impératif d’être vigilant sur la cohérence et la lisibilité de ces nouveaux impôts. Lorsque l’on conjugue, par exemple, le nouvel assujettissement à la CSG et à la CRDS des revenus fonciers des non-résidents avec les nouveaux impôts décidés par M. Monti en Italie, ne sanctionne-t-on pas, par ce biais, la mobilité intra-européenne ? La question mérite d’être posée. La coordination budgétaire impose aussi que soit rapidement mise en place une coordination fiscale.
Cette coordination fiscale est incontournable si l’on veut avoir la possibilité de recourir, à l’avenir, aux fameux eurobonds dont nous appelons de nos vœux l’émission : une dette commune impose des recettes communes, une responsabilité commune, une fiscalité commune, bref, in fine, un gouvernement économique commun, dont les engagements seraient financés par un impôt s’appliquant à chaque citoyen, à chaque personne morale de la même manière sur l’ensemble de la zone. Ainsi, parler de fédéralisme ne doit plus être tabou : il s'agit du constat d’un impératif, dès lors que l’on a la préoccupation d’adosser aux politiques communes un contrôle démocratique.
En tant que socialistes, nous souhaitons transformer l’ordre économique et social. De quoi dépend aujourd’hui celui-ci ? Du cadre européen et de la solidarité qui s’y exerce : c’est dans cet espace qu’il se définit, c’est par l’organisation de cet espace que nous pouvons peser sur l’ordre économique mondial. Dès lors, n’ayons pas peur de placer le débat politique au niveau où il peut vraiment changer les choses, c’est-à-dire au niveau européen.
Il faudra commencer dès la prochaine période budgétaire 2014-2020, dès les prochaines élections européennes. Ces deux exercices ne peuvent être séparés, sinon l’un sera non démocratique, et l’autre trop factice. D’ailleurs, pourquoi la période budgétaire est-elle de six ans, tandis que le mandat parlementaire européen est de cinq ans ? Ne faudrait-il pas revoir cela ?
C’est à ces conditions, en acceptant avec confiance un débat politique à l'échelon européen, que l’on pourra réorienter notre politique commerciale, défendre les services publics en Europe, mettre enfin en place cette politique industrielle européenne qui nous manque tellement. En bref, il faut démontrer que l’Europe, ce n’est pas le problème, c’est la solution. J’observe d'ailleurs que ceux qui souffrent aujourd'hui, en Grèce, en Italie ou au Portugal, s’étonnent de l’euroscepticisme qui s’exprime en France. §
C’est à ces conditions que les 120 milliards d’euros aujourd’hui mis sur la table pourront être la source d’une croissance nouvelle. En 2011, nous avons pu constater que deux des symboles les plus visibles de la construction européenne, à savoir la monnaie unique, d’une part, l’espace Schengen, d’autre part, n’étaient pas des acquis irréversibles : la monnaie unique, parce que depuis sa mise en place les imperfections pourtant identifiées n’ont pas été corrigées et risquent aujourd’hui d’entraîner sa chute ; l’espace de liberté et de circulation que représente la zone Schengen, parce qu’elle fut prise en otage par Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi au prétexte des « printemps arabes ».
Ces symboles d’une construction européenne fondée sur les cendres des tragédies européennes du XXe siècle pouvaient être remis en cause ! Dans l’état actuel du monde, de nos pays, marqué par des misères sociales, des revendications identitaires, quel danger, quelle menace pour nous tous !
N’opposons pas les concepts d’élargissement et d’approfondissement : ils sont complémentaires. L’esprit européen, les valeurs européennes imposent de mettre en œuvre les deux. Constatons d’ailleurs qu’aucune des causes de la crise actuelle n’est liée aux derniers élargissements.
N’opposons pas les membres de la zone euro aux autres pays de l’Union européenne qui veulent y adhérer à l'occasion des négociations de la prochaine période budgétaire. N’opposons pas le sud de l’Europe à l’Allemagne : la zone de solidarité qui existe est commune. Faire le bonheur des uns sur le dos des autres n’est tout simplement pas possible : l’interdépendance est totale. Chacun doit écouter et comprendre l’autre.
N’opposons pas l’est de l’Europe et le sud de la Méditerranée. L’Europe ne sera elle-même que si elle trouve la force de faire de la Méditerranée, où de formidables espoirs se sont levés depuis 2011, un espace de développement et de valeurs partagées, et non plus une frontière.
Souvenons-nous de ce qui a été fait à partir de 1989 sous l’impulsion de François Mitterrand, d’Helmut Kohl et de Jacques Delors, dont les efforts ont abouti à une nouvelle étape de la construction d’une Europe démocratique.
A contrario, souvenons-nous aussi de la tragédie vécue, à la même période, par les peuples de l’ex-Yougoslavie, lorsque les pays d’Europe, la France et l’Allemagne en particulier, n’ont pu s’accorder sur une attitude commune. Cette tragédie vite arrivée, au cœur de l’Europe, reste une honte pour notre continent. Cela doit nous rappeler que tout est précaire. Cet avertissement est encore valable.
C’est pourquoi le combat ne s’arrête jamais. La lutte démocratique exige aujourd’hui l’ouverture de nouveaux fronts. L’avenir, l’intérêt, les valeurs de l’Europe nous imposent de nous en montrer dignes.
Mes chers collègues, chers camarades auteurs de cette motion, voilà pourquoi l’Europe doit se doter des outils qui permettront son redressement.
Voilà pourquoi il faut aller de l’avant. Les avancées obtenues en juin dernier permettent de tracer de nouvelles perspectives, que notre vote d’aujourd’hui doit rendre possibles. C’est ainsi que nous remettrons la France au cœur de la construction européenne.
Voilà pourquoi il faut rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable.
Sans grande originalité, je terminerai à mon tour mon intervention par une citation.