Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 11 octobre 2012 à 9h45
Traité sur la stabilité la coordination et la gouvernance au sein de l'union économique et monétaire — Exception d'irrecevabilité

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Que restera-t-il, dans ces conditions, du rôle du Parlement et de ses commissions, du droit d’initiative et de proposition des parlementaires ?

Mes chers collègues, nous serons tous entraînés comme des particules dans un anneau de collision. Vous ne l’avez pas encore mesuré, parce que le six- pack et toutes les procédures que vous évoquez ne se sont pas encore appliquées. Mais vous allez bientôt voir ce qu’elles signifient du point de vue des pouvoirs du Parlement. Vous allez vous instruire !

Au fond, le Gouvernement, que j’ai bien écouté, ne défend pas vraiment ce traité ; il défend ce qu’il y a autour, ce qui viendra après. Il le contextualise, comme vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre. Je ne méconnais pas les résultats obtenus de haute lutte par le Président de la République, mais, à mes yeux, ils restent objectivement modestes.

Le Gouvernement décore ainsi une annexe non contraignante d’une appellation « pacte de croissance », entre nous quelque peu surfaite. Vous savez bien qu’une injection de crédits de 1 % du PIB de l’Union européenne à vingt-sept, de surcroît étalée sur trois ans, ne va pas compenser des ponctions sur la demande égales chaque année à plusieurs points de PIB – 1, 5 point en France. Un cheval, une alouette ! Le compte n’y est pas !

Le Gouvernement défend surtout des avancées, certes souhaitables, mais encore souvent problématiques. Je mets à part la taxe sur les transactions financières. Je me réjouis que onze pays, semble-t-il, soient prêts à l’accepter. Même si l’on n’en connaît pour l’instant ni le taux, ni l’assiette, ni l’affectation, c’est une réelle avancée.

Pour le reste, monsieur le ministre, le docteur Coué, pharmacien lorrain dont je veux défendre la mémoire – cette référence fera plaisir à M. Reiner –, avait inventé une méthode pour guérir les malades : il leur faisait répéter qu’ils iraient mieux demain qu’aujourd’hui. C’est précisément ce que fait le Gouvernement.

On parle de supervision bancaire par la BCE, elle-même émanation des banques centrales nationales, qui vivent en étroite symbiose avec leurs banques. Au mieux, ce sera un autocontrôle de la finance par la finance. Mais cela nous garantira-t-il contre la spéculation ?

On parle de garantie des dépôts… Fort bien, mais le FMI vient de signaler que 296 milliards d’euros avaient quitté l’Espagne en l’espace d’un an, et 235 milliards d’euros l’Italie. Comment apporter une garantie dans ces conditions ? Et quelles règles de vote prévaudront au sein de la banque centrale européenne ? J’aimerais que vous puissiez nous éclairer sur ces points, monsieur le ministre.

Vous évoquez encore, monsieur le ministre, les étapes à venir et les progrès d’une mutualisation des dettes et des emprunts d’un fonds de rédemption. Vous avez cité les Sages allemands – ce sont des experts ! –, mais Mme Merkel a balayé leur avis. En tout cas, elle ne s’est pas ralliée aux euro-obligations.

Toujours dans ces perspectives enchanteresses que j’évoquais tout à l’heure, vous avez évoqué l’harmonisation fiscale. Mais rappelez-vous que, en 2011, on a cherché à obtenir une harmonisation fiscale de l’Irlande. Il fallait alors renflouer ce pays, et c’était l’occasion ! Je constate pourtant que le taux de l’impôt sur les sociétés dans ce pays est toujours à 12 % ! Où trouverez-vous maintenant la force politique pour amener l’Irlande à changer de cap ? C’est une question que je vous pose, monsieur le ministre.

Le Président de la République a introduit à juste titre dans l’équation européenne la thématique de la croissance, pour contrarier la logique de l’austérité. Cette inflexion est positive, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Certes, je peux très bien comprendre que les marges de manœuvre du Président de la République soient étroites. Nous sommes prêts à l’aider à les élargir. Mais la meilleure manière de le soutenir, c’est de le faire « les yeux ouverts ». La vérité est que le traité est resté tel qu’il était quand il a été signé, et je ne crois pas qu’il soit possible, comme l’a dit hier le Premier ministre M. Jean-Marc Ayrault, de changer l’esprit dans lequel sera appliqué un traité signé à vingt-cinq, et dont le texte est inchangé.

Soyons lucides : en vingt ans, l’abandon de la souveraineté monétaire nous a conduits à abandonner la souveraineté budgétaire, quels que soient les artifices de langage employés pour dissimuler cette réalité.

Comme parlementaire, libre de mes analyses, solide sur mes convictions – je parle également au nom de mon collègue du RDSE Pierre-Yves Collombat –, je ne renie rien de mes propos et de mes convictions.

Je m’étais exprimé à cette tribune avant l’élection présidentielle. Inacceptable au printemps, ce traité le reste à l’automne, quel que soit le désir du Gouvernement d’en inverser un jour la logique, pour faire, comme l’a dit M. le Premier ministre, « bouger les lignes ». S’il veut faire bouger les lignes, nous serons là. Notre soutien lui est acquis d’avance.

Si ce traité devait entrer en vigueur, tous les pouvoirs budgétaires seraient transférés à une technocratie bruxelloise ou parisienne. Nous prendrions alors le chemin de cette « Europe post-démocratique », dont ont parlé Hubert Védrine en France et Jürgen Habermas en Allemagne. Cela découle de la lecture du traité ou, en tout état de cause, des dispositions qui ont été prises dont vous nous avez parlé – six- pack, two - pack, pacte euro-plus et que sais-je encore, autant de termes qui raisonnent comme un cliquetis de chaînes, et dont personne ne s’était vraiment préoccupé jusqu’à présent. Mais vous allez voir à présent ce qu’ils signifient !

J’aimerais vous rappeler ce qu’a déclaré le tribunal constitutionnel de Karlsruhe : la loi fondamentale, combinée au principe de démocratie, exige que la décision sur les recettes et les dépenses publiques, laquelle constitue un aspect fondamental de la capacité d’autodétermination démocratique de l’État constitutionnel, demeure de la compétence du Bundestag allemand. Même dans un système de gouvernance intergouvernementale, les députés, en tant que représentants élus du peuple, doivent garder la possibilité de contrôler les décisions fondamentales de la politique budgétaire de l’État.

Je n’ai rien lu de tel sous la plume du Conseil constitutionnel français, qui a préféré détourner le regard en ne retenant qu’une phrase du traité.

Je ne sais pas comment le Conseil constitutionnel a pu juger que le TSCG ne portait pas atteinte aux conditions d’exercice de la souveraineté nationale… C’est jouer sur les mots ! C’est pourquoi je demande au Sénat, avec mon collègue du RDSE Pierre-Yves Collombat, de déclarer ce projet de loi irrecevable.

Je dirai maintenant quelques mots sur la perspective européenne.

Le TSCG donne peut-être une visibilité à des dispositions qui existent déjà, mais le fond de l’affaire, c’est qu’il nous entraîne dans une spirale récessionniste dont nous ne sortirons que par une crise politique et sociale de grande ampleur. C’est inévitable ! Comment peut-on fixer pour objectif la réduction du déficit structurel à 0, 5 % du PIB sans enclencher une logique cumulative, monsieur le ministre ? Le déficit budgétaire sera ramené à 3 %, je l’espère, l’année prochaine, puis il faudra l’annuler en 2017, comme s’y est engagé le Président Hollande. Après trois ans de rémission, nous devrons, à partir de 2016, sortir de nouveau chaque année 1, 5 point de PIB, soit plus de 30 milliards d’euros, jusqu’en 2036. Voilà le traité ! Je défie que l’on me prouve le contraire. C’est un coup terrible pour la protection sociale et les services publics, c’est aussi la dépression assurée, et pour longtemps ! La Constitution définit la République comme une « république sociale », mais qu’en restera-t-il ?

On nous parle de « souplesses », au travers des notions de « déficit structurel », de « circonstances exceptionnelles ». Si ces souplesses existaient vraiment, il serait temps de les faire jouer pour mettre en œuvre ces politiques keynésiennes auxquelles, monsieur le ministre, vous avez fait référence dans votre propos liminaire, que je me bornerai à qualifier d’« optimiste », pour ne pas faire référence à un célèbre pharmacien lorrain… §

Nous nous laissons imposer ce traité : c’est la contrepartie, exigée par l’Allemagne, à la mise en œuvre du Mécanisme européen de stabilité. Cela avait d’ailleurs conduit le groupe socialiste – je parle sous le contrôle de son président, M. Rebsamen – à une abstention remarquée le 22 février dernier…

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