Il s'agit de faire de la recherche sur des embryons dont la vocation est la destruction.
L'alternative entre destruction et recherche à des fins de progrès de la médecine est la seule ouverte pour décider du devenir de ces embryons. Il me semble que la possibilité pour les parents de faire don d'un embryon sain ou porteur d'un défaut ou d'une pathologie pour l'amélioration du bien-être collectif plutôt que de le laisser simplement détruire est un choix éthique de la part de ce couple. Le texte de la proposition de loi prévoit la nécessité de confirmer le don après un délai de réflexion pour le don des embryons sains et, dans tous les cas, la possibilité de révoquer le don sans motif tant que les recherches n'ont pas commencé.
Plusieurs de nos collègues ont pourtant soutenu que la destruction était de toute façon préférable afin de limiter la tentation démiurgique de l'homme qui souhaite « créer la vie » et la modeler selon ses désirs. Il s'agit, bien sûr, d'éviter les dérives de la science ; cet objectif, nous le partageons tous et il est garanti par le texte de la proposition de loi.
En effet, le régime d'autorisation encadré n'est nullement un droit pour toute équipe de recherche de mener sans contrôle des expériences sur l'embryon humain et les cellules souches embryonnaires. Les équipes de pointe qui élaborent des protocoles de recherche nécessitant l'étude de ces embryons ou de ces cellules doivent déposer une demande auprès de l'Agence de la biomédecine et obtenir le droit de mener leurs expériences. Tel n'est pas le cas pour les recherches sur les cellules souches dites « adultes » qui se trouvent dans les tissus humains ou pour les cellules orientées vers un retour aux cellules souches. Les équipes qui les utilisent n'ont de compte à rendre à aucune autorité publique.
Je rappelle que l'autorisation de l'Agence de la biomédecine ne peut être accordée que si quatre conditions cumulatives sont réunies.
Premièrement, le projet doit être scientifiquement pertinent. Le texte prévoit par ailleurs l'interdiction d'implanter à des fins de gestation les embryons sur lesquels une recherche a été effectuée, et je rappelle que la création de chimères ou d'embryons transgéniques est interdite en France.
Deuxièmement, le projet doit avoir une finalité médicale, ce qui exclut notamment les projets à visée purement esthétique.
Troisièmement, le projet ne doit pouvoir être conduit qu'avec des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires humaines.
Quatrièmement, enfin, il doit respecter des garanties éthiques, ce qui signifie notamment que l'Agence exerce un contrôle sur la manière dont ont été conçues les lignées de cellules souches embryonnaires, notamment les cellules importées de l'étranger.
De ces quatre conditions cumulatives, la plus contraignante en pratique est la troisième. Elle a pour conséquence que les recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires n'auront jamais qu'un caractère subsidiaire.
Je l'ai dit, s'il devient possible, demain, de mener, à partir des cellules souches induites, le même type d'expériences que celles qui peuvent être conduites avec les embryons humains et les cellules souches embryonnaires, ces recherches seront interdites. C'est l'état de la science et l'évaluation par un comité scientifique qui permettent à l'Agence de se prononcer sur cette question chaque fois qu'un protocole lui est soumis.
Cette disposition garantit la « protection adéquate de l'embryon » telle qu'elle est prévue par la convention d'Oviedo sur les droits de l'homme et la biomédecine, que la France a ratifiée.
Les chercheurs que j'ai auditionnés soulignent qu'en pratique les différents types de recherche sont menés en parallèle et que les équipes ne prennent pas le parti de privilégier la recherche sur l'embryon humain. Je pense que nous pouvons accréditer cette assertion, mais cette condition est liée à la nature particulière de l'embryon humain et, interprétée à la lumière du progrès des connaissances scientifiques, il convient de la conserver.
Il me semble néanmoins important de souligner que les recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires sont aujourd'hui, et sans doute pour plusieurs années encore, primordiales pour faire progresser les connaissances sur le développement de la vie, comme vient de l'indiquer notre collègue Françoise Laborde, ainsi que pour la modélisation des maladies génétiques.
Comme le soulignent les chercheurs, de nombreuses questions de génétique, mais aussi d'épigénétique, sont posées, qui impliquent, sans solution alternative crédible, le recours aux embryons humains et aux cellules souches embryonnaires qui en sont issus.
L'Agence de la biomédecine ne se fonde pas uniquement sur des avis scientifiques pour prendre ses décisions. Son comité d'orientation, qui réunit des scientifiques et des représentants de la société civile, et au sein duquel siègent désormais quatre sénateurs, dont moi-même, est appelé à se prononcer sur chaque dossier. Les considérations éthiques sont donc présentes pendant l'instruction même du dossier.
Par ailleurs, les avis de l'Agence sont susceptibles de faire l'objet d'un réexamen à la demande conjointe des ministres chargés de la recherche et de la santé.
Enfin, l'Agence reçoit des rapports annuels sur le progrès des recherches et conduit des inspections. Un amendement adopté en commission vise d'ailleurs à renforcer ces pouvoirs d'inspection.
J'en viens aux questions de droit.
Le Gouvernement soutenait à l'époque que l'interdiction de principe assortie de dérogation et l'autorisation encadrée étaient, de ce point de vue, équivalentes. Le juge administratif n'en a pas décidé ainsi.
La cour administrative d'appel de Paris a déduit de l'existence de l'interdiction de principe qu'il appartenait à l'Agence de la biomédecine de faire la preuve que des recherches employant des moyens alternatifs ne pouvaient parvenir au résultat escompté. Elle a, en conséquence, annulé l'autorisation accordée trois ans auparavant à un protocole de recherche.
En cas d'annulation, les scientifiques sont tenus d'arrêter immédiatement leurs travaux sous peine de sanctions pénales. Cinq recours en annulation, dont quatre concernent les travaux d'équipes de l'INSERM, sont actuellement en cours d'instruction par le tribunal administratif de Paris.
L'insécurité juridique à laquelle sont confrontés les chercheurs résulte des ambiguïtés de la loi de 2004, lesquelles ont été accentuées par le texte voté en 2011, qui consacre une ambiguïté morale et juridique.
En effet, l'actuel article L. 2151-5 du code de la santé publique porte la marque de ceux qui, à l'Assemblée nationale, à défaut de pouvoir obtenir l'interdiction des recherches, cherchaient à rendre quasiment impossible leur autorisation à force de conditions en pratique irréalisables : ainsi la nécessité d'établir « explicitement qu'il est impossible de parvenir au résultat escompté » autrement, ou celle d'informer le couple donateur de la nature des recherches projetées.
Il n'y a en réalité que deux possibilités : interdire complètement cette recherche, une position respectable aux yeux de certains, ou l'autoriser de manière encadrée. Dès lors que, en l'état de la science, la recherche sur l'embryon humain et les cellules embryonnaires est nécessaire, elle doit être autorisée, tout en prenant les précautions indispensables afin de garantir l'absence de dérives.
La commission des affaires sociales, en adoptant la proposition de loi, amendée pour préciser que les recherches fondamentales sont possibles et pour renforcer les pouvoirs de contrôle de l'Agence, a clairement fait le choix de la clarté et de la responsabilité. J'espère que la Haute Assemblée fera de même. §