Intervention de Jean Desessard

Réunion du 15 octobre 2012 à 22h45
Recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

La réponse est clairement « non ». Le fait que cette question soit débattue de manière récurrente témoigne de nos atermoiements : plutôt que de trancher positivement, on en arrive à la situation actuelle, qui est bancale, incompréhensible et illisible, pour ne pas dire ridicule.

Pourquoi vouloir travailler sur des embryons ou des cellules souches embryonnaires humaines ? Pour certaines recherches à finalité thérapeutique, les cellules souches adultes disposent d'un potentiel limité, leur degré de différenciation étant trop important.

Surtout, les embryons sont un support de la recherche fondamentale. Il est heureux que la révision de 2011 ait permis la recherche à finalité médicale, c'est-à-dire la recherche fondamentale, laquelle, justement, ne possède pas de finalité économique au moment du lancement des travaux. Par essence, la recherche fondamentale n'a ni finalités ni applications immédiates. Elle vise à mieux comprendre le fonctionnement de tel organe, tissu ou cellule. Les finalités, les bénéfices éventuels sont souvent insoupçonnés au démarrage du projet de recherche, soit parce qu'on envisageait éventuellement autre chose, soit parce que, parallèlement, d'autres avancées scientifiques et/ou industrielles ont permis de voir une finalité à des recherches qui n'étaient pas destinées à cela. Comme le dit François Jacob, « on mesure l'importance d'une découverte au degré de surprise qu'elle cause. »

À ce propos, je souligne que, pour se garder de dérives mercantilistes, il conviendrait sans doute de circonscrire la recherche sur embryon à la recherche fondamentale.

Quoi qu'il en soit, dans notre cas, la recherche sur l'embryon a permis de développer trois types de recherche : celles qui visent à comprendre la manière dont les cellules embryonnaires se transforment pour se spécialiser, celles qui ont pour objet de comprendre les mécanismes de survenue des maladies et celles qui tendent à tester l'efficacité ou la toxicité de certains médicaments.

Dans le même temps, le texte adopté en 2011 a maintenu l'interdiction de la recherche sur l'embryon, en l'assortissant de dérogations et a cadenassé les possibilités d'accéder à ces dernières, en adossant à la demande de recherche la contrainte dite de non-comparabilité : il s'agit de démontrer qu'il n'existe aucune alternative de recherche. Or il est très difficile financièrement et techniquement de conduire des études préalables sur toutes les populations cellulaires alternatives dans le seul but d'obtenir un résultat négatif justifiant secondairement une demande de dérogation pour des recherches sur des cellules souches embryonnaires.

Outre la difficulté pratique de démontrer une telle assertion, cette exigence méconnaît les fondements même de la recherche fondamentale. Bref, on ouvre une porte d'un côté pour la refermer de l'autre, si bien que, dans la pratique, le dispositif est tout simplement inopérant.

De fait, la procédure d'obtention de la dérogation est un parcours du combattant en elle-même. Comme vous le savez, c'est l'Agence de la biomédecine qui est chargée d'étudier les demandes. Elle décide pour chaque année civile des périodes de dépôt des demandes et doit donner une réponse dans les quatre mois suivant sa clôture. La compatibilité de cette procédure avec celle des demandes de financement par l'équipe scientifique peut soulever certaines interrogations, d'autant que les organismes sollicités peuvent être « refroidis » par l'absence d'assurance concernant l'obtention de la dérogation. Entre une équipe qui peut faire les recherches et une équipe qui peut peut-être faire les recherches, entre un projet dont on est sûr qu'il pourra se réaliser et un projet suspendu à une procédure potentiellement remise en cause, le choix paraît vite fait.

Par ailleurs, contrairement à ce qu'on nous soutient, l'interdiction avec dérogation n'est pas équivalant à l'autorisation encadrée : il existe en effet une différence juridique dans la mise en œuvre du processus. Ainsi, avec une interdiction de principe, il revient à l'Agence de la biomédecine, qui délivre les dérogations, d'établir la preuve qu'aucune méthode alternative ne pourrait permettre d'aboutir au résultat escompté. Toutefois ce principe « en l'état actuel de la science » est diversement apprécié, et des personnes ou organisations défavorables aux recherches ont tôt fait d'attaquer l'Agence à propos des dérogations qu'elle a accordées. Faute de pouvoir faire la démonstration attendue, l'Agence a dû ainsi annuler certaines autorisations.

Tout cela ne donne pas confiance à nos partenaires et n'aide pas nos scientifiques à rattraper les retards accumulés.

Les retards sur les travaux ont entraîné des retards sur les acquis, la formation, les compétences, la constitution d'équipes opérationnelles, la crédibilité vis-à-vis de partenaires scientifiques et/ou financiers, ainsi que sur la prise de responsabilité – la France en est à sa première génération de responsables, alors que les États-Unis en sont à leur troisième. On est entré dans un cercle vicieux : seule la décision d'autoriser, avec encadrement, les recherches nous permettra d'en sortir.

C'est pourquoi les sénateurs et sénatrices écologistes, fidèles à la position qu'ils avaient adoptée lors des précédents débats qui se sont tenus au Sénat sur ce sujet, voteront cette proposition de loi. §

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