La pertinence scientifique paraît, à première vue, tout à fait indispensable et je suis, comme d'autres de mes collègues, le premier à la réclamer dans tous les travaux scientifiques. Malheureusement, cette contrainte possède un côté pervers, qui vient de faire perdre plus de neuf mois à l'un de nos programmes majeurs concernant l'autisme.
Nombre de scientifiques français souhaitaient aborder ce programme au travers de formes familiales détectées chez à peu près 1 % des patients, ce qui représente, vous en conviendrez, mes chers collègues, un nombre non négligeable, l'autisme touchant, selon les épidémiologistes, 1 % des enfants. Plusieurs gènes ont été directement associés à ces formes familiales, notamment par des chercheurs de l'Institut Pasteur. Une demande de dérogation a été rejetée dans un premier temps, « parce que l'autisme n'est pas considéré comme une maladie monogénique », ce qui est une véritable bêtise scientifique, que beaucoup contestent.
L'intérêt médical majeur a heureusement remplacé, en 2011, l'intérêt thérapeutique majeur, mais demeure un levier efficace pour ceux qui souhaitent bloquer la recherche sur l'embryon. Cela a été le cas l'an dernier pour un programme portant sur des cellules présentant une mutation du gène APC. Les patients porteurs de cette mutation déclenchent des cancers digestifs, mais aussi d'autres atteintes plus subtiles. Parmi celles-ci, les scientifiques s'étaient intéressés aux mécanismes d'une prolifération anormale de cellules rétiniennes car cela permettait de rechercher des étapes précoces des dysfonctionnements associés à la mutation, ce que bien évidemment ne permettent pas les études réalisées sur les cellules cancéreuses, dans lesquelles les désordres sont trop importants. Le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine a refusé d'accorder une dérogation, considérant qu'il n'y avait pas d'« intérêt médical majeur », les études ne s'intéressant pas directement à ce qui tue les patients. Pour l'instant, ce programme est donc mis de côté…
La non-comparabilité, c'est-à-dire l'obligation qui est faite de démontrer qu'il n'existe pas d'alternative à l'utilisation des cellules souches embryonnaires, est un peu l'arme ultime contre les recherches. Il est évidemment impossible, financièrement et techniquement, de conduire des études préalables sur toutes les populations cellulaires alternatives dans le seul but d'obtenir un résultat négatif justifiant secondairement une demande de dérogation pour des cellules souches embryonnaires.
Ainsi, le texte de 2011 contredisait, en outre, la position de l'Académie de médecine. Comme celle-ci le rappelait dans son rapport du 22 juin 2010, « l'interdiction de principe de toute recherche sur l'embryon ne peut être justifiée par la protection d'embryons qui n'ont pas d'autre avenir que l'arrêt de leur vie ».
De façon plus générale, il allait à l'encontre des fondements communs à toute démarche scientifique. En effet, dans le cadre d'une démarche scientifique, les chercheurs apprennent par l'expérience et par l'échec. Il me semble faux de prétendre qu'un type particulier de cellules souches offre aujourd'hui des perspectives supérieures aux autres pour la recherche. Si cela était vrai, il faudrait interdire toutes les recherches, à l'exclusion de celles sur les cellules souches pluripotentes induites. Pour mémoire, il s'agit des cellules souches adultes, de type OGM.
D'ailleurs, dans une publication en date du 31 mars 2011, voici ce qu'écrivait le professeur Marc Peschanski :
« Il est, en parallèle, souvent compliqué d'interpréter des résultats obtenus à l'aide de cellules génétiquement modifiées qui ne reproduisent que partiellement les caractéristiques physiologiques.
« En tout état de cause, les difficultés associées à la diversité induite par le désordre épigénétique dans les lignées IPS nous obligent à les utiliser avec beaucoup plus de prudence et de contrôles que les lignées embryonnaires.
« Les cellules souches embryonnaires humaines se caractérisent par deux propriétés physiologiques qui permettent de surmonter ces obstacles. Elles sont capables à la fois de se diviser à l'infini en laboratoire et, une fois placées dans les conditions requises, de se spécialiser dans tous les types cellulaires de l'organisme. Elles donnent ainsi accès à des cellules parfaitement physiologiques, dans la quantité voulue, quelle qu'elle soit, et dans le type voulu, quel qu'il soit. L'intérêt de ces cellules est renforcé par l'accès ouvert par le diagnostic préimplantatoire à des cellules souches embryonnaires humaines porteuses d'une lésion du génome responsable de maladies génétiques. »
En 2011, au cours des débats, j'ai régulièrement entendu dire, pour justifier l'interdiction avec dérogations, que l'interdiction de principe était en continuité avec la loi de bioéthique de 2004.
Or je rappelle que l'interdiction de principe mise en place en 2004 avait été assortie de dérogations temporaires, alors qu'en 2011 nous avons acté un principe général d'interdiction, assorti de dérogations permanentes.
Ce faisant, nous avons prétendu concilier deux principes incompatibles. À mon sens, cela revient à refuser de trancher et à ne pas assumer ses choix. §
Les raisons essentielles pour lesquelles j'étais opposé au texte adopté par le Parlement sont toujours valables, mes chers collègues : inscrire que les recherches alternatives aux recherches sur l'embryon doivent être promues et que les parents doivent être informés de l'utilisation des embryons donnés à la science relève de l'idéologie, non du droit ; mettre en place un tel régime d'interdiction avec des dérogations particulièrement ambiguës et renoncer à établir des règles simples et compréhensibles par tous revenait à nous dessaisir de notre mission de dire le droit et à déléguer cette lourde tâche à l'Agence de la biomédecine, dont la mission n'est pourtant pas de découvrir notre intention cachée derrière les contradictions et les demi-mots.
Par ailleurs, il aurait été infiniment préférable de faire œuvre de pédagogie et d'expliquer en quoi consistent les recherches sur les cellules souches embryonnaires et sur l'embryon. Nous savons que ces recherches ne peuvent être effectuées que jusqu'à cinq jours après la fécondation. Si nous l'expliquions aux Français, ils seraient certainement mieux disposés envers ces recherches.