Pis, certains ajouts de l'Assemblée nationale ont rendu encore plus difficile le travail des chercheurs en ce domaine.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui reprend le contenu amendé de l'article 23 du projet de loi relatif à la bioéthique adopté en première lecture au Sénat. Il est proposé, dans un article unique, de remplacer le dispositif juridique actuel d'interdiction, assortie de dérogations, par celui de recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires dans un régime « d'autorisation encadrée ».
En cela, ce dispositif renoue en fin de compte avec la philosophie de l'article 19 du projet de loi relatif à la bioéthique défendue à l'époque, en 2001, par le gouvernement de Lionel Jospin, qui légalisait l'étude scientifique sur l'embryon.
Il est regrettable que nous ayons perdu entre-temps onze ans. L'enjeu n'est pas mince. Du point de vue du droit, la majorité précédente soutenait avec force que l'interdiction de principe assortie de dérogations et l'autorisation encadrée étaient, de ce point de vue, équivalentes.
Nous disions alors que tel ne serait pas le cas et l'actualité judiciaire nous a donné raison. Puisque Gilbert Barbier a évoqué cet aspect des choses, je n'entrerai pas dans le détail des décisions rendues ou à rendre par la justice administrative, notamment la cour administrative d'appel de Paris. Ces recours ont placé les chercheurs dans une insécurité juridique.
Nous avons donc l'obligation de réagir maintenant en votant cette proposition de loi. Sur ce sujet, notre position a toujours été constante et cohérente : nous sommes partisans de l'autorisation encadrée de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. Celles-ci intéressent scientifiques et médecins parce qu'elles sont capables de proliférer indéfiniment et de donner naissance à n'importe quelle cellule spécialisée de l'organisme. C'est pour cette raison qu'on les qualifie de totipotentes.
Ces cellules sont ainsi les meilleurs outils de la « médecine régénératrice » dans la lutte contre les maladies dégénératives.
En dépit des craintes qu'elles peuvent susciter, les perspectives de la recherche sur l'embryon humain demeurent aujourd'hui, pour l'essentiel, du domaine de la terra incognita.
On peut toutefois observer que, dans les pays où des travaux sur les cellules souches embryonnaires sont depuis quelques années déjà autorisés, les programmes engagés ont conduit à des résultats très prometteurs.
J'en veux pour preuve le procédé du « bébé double espoir » – l'espoir d'être indemne d'une maladie génétique familiale et l'espoir de guérir par une greffe de cellules souches contenues dans le sang du cordon de l'un de ses frères ou sœurs malades.
En 2000, la naissance, aux États-Unis, d'Adam, dont les cellules souches de la moelle avaient permis de sauver sa sœur, Molly, âgée de six ans et atteinte de la maladie de Fanconi, représentait un formidable espoir pour soigner des enfants atteints de pathologies incurables. Or il a fallu six ans pour que cette technique soit partiellement autorisée par l'Agence de la biomédecine dans notre pays, onze ans pour que la France « accouche » en 2011 d'un bébé conçu par ce procédé, bébé prénommé Umut.
Le professeur René Frydman déclarait d'ailleurs que s'il avait été alors soumis aux contraintes qui sont apparues par la suite, il n'aurait jamais pu donner naissance à Amandine, en 1982.
Alors, nous disent les opposants, d'autres techniques existent, comme celles qui sont basées sur les cellules souches pluripotentes, les IPS – Induced pluripotent stem cells –, fabriquées à partir de tissus génétiques adultes. Comme cela a été dit, leur découvreur, le professeur Shinya Yamanaka, a reçu le prix Nobel de médecine la semaine dernière.
Néanmoins, ce qu'oublient souvent de dire les partisans intéressés des IPS, c'est que les succès récents ont été rendus uniquement possibles par les connaissances accumulées dans le cadre de la recherche sur les cellules d'origine embryonnaire. Même les chercheurs travaillant sur les IPS nous le disent. Et pour cause, nous disposons de trente et un ans de retour d'expérience sur les cellules souches, de six ans seulement pour les IPS.
Les scientifiques s'accordent tous pour nous rappeler l'insuffisance du recul nécessaire pour évaluer les effets des IPS, la faiblesse de leur rendement et leur coût faramineux.
C'est d'ailleurs pourquoi les laboratoires scientifiques partout dans le monde ont centré leur activité de recherche prioritairement sur les cellules souches embryonnaires.
Dès lors, la seule question de bon sens qui doit être présente à notre esprit sur ce texte est la suivante : nos chercheurs ont-ils aujourd'hui la possibilité de lutter à armes égales dans le domaine des biotechnologies médicales ou devrons-nous nous contenter de payer dès à présent, pour notre santé, des royalties aux industries américaines, japonaises ou autres ? La réponse a trop tardé.
L'histoire de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines est, en France, marquée par le combat que mènent contre elle les lobbies antisciences. Opposés à toute atteinte à ce qu'ils considèrent comme un être humain dès la fécondation, ils se sont successivement dressés contre le droit des femmes à l'avortement, la procréation médicalement assistée, puis les tests de dépistage génétique, avant de s'attaquer aux cellules souches.
Adoptées sous leur pression, les lois de bioéthique de 1994, 2004 et 2011 ont exclu la France de l'élan scientifique international autour des cellules souches embryonnaires. Notre pays était pourtant dans le trio de tête mondial de la recherche jusqu'au début des années 90.
Aujourd'hui, le poids de l'idéologie rétrograde et la frilosité des pouvoirs publics ont abouti à l'immobilisme dans notre pays. Nous sommes obnubilés par le statut de l'embryon ; c'est un tabou, et, comme vous le savez, derrière ce mot se cachent souvent l'idéologie et l'hypocrisie – cela a été démontré par plusieurs orateurs qui m'ont précédé à cette tribune.
On a ainsi créé une situation ubuesque dans laquelle la recherche sur l'embryon est interdite... sauf dans les cas dérogatoires où elle est autorisée ; et encore, lorsque les chercheurs respectent des conditions préalables quasiment impossibles à remplir.
Le vote de ce texte va libérer la recherche dans notre pays et donner aux chercheurs, à nos concitoyens un autre espoir pour demain. §