Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, certains nous disent qu'il n'y a pas lieu de légiférer sur le sujet de l'embryon et que les recherches sur les cellules souches embryonnaires n'ont plus d'utilité.
Autoriser ces recherches ne serait plus d'actualité au prétexte qu'un chercheur japonais, le professeur Yamanaka, prix Nobel de médecine 2012, a découvert une alternative à l'utilisation des cellules souches provenant des embryons.
Selon ce chercheur, les cellules souches spécialisées pourraient être reprogrammées, c'est-à-dire transformées en cellules souches non spécialisées pour devenir pluripotentes. Elles seraient donc dotées de la capacité de se différencier en plusieurs types de cellules.
Les résultats de cette recherche sont à l'évidence très prometteurs. Cependant, les scientifiques sont aujourd'hui unanimes pour dire qu'ils sont dans le doute : ils ne peuvent garantir que les cellules adultes reprogrammées sont rigoureusement identiques aux cellules souches embryonnaires. Les analyses comparatives entre les deux types de cellules n'ont pas encore permis de conclure au caractère identique de ces deux cellules.
Les chercheurs ont donc encore besoin de travailler sur les cellules souches embryonnaires pour progresser et faire avancer la science dans ce domaine.
Dans sa rédaction actuelle, l'article 2151-5 du code de la santé publique interdit les recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, tout en instituant un régime de dérogation. La présente proposition de loi vise à substituer à ce principe d'interdiction avec dérogations, un principe d'autorisation strictement encadrée.
Entre ces deux principes, le fil peut paraître ténu. Il est en fait lourd de conséquences, car c'est au juge administratif qu'il est revenu, au final, de juger de la pertinence des programmes de recherche sur les cellules souches embryonnaires, dès lors que l'Agence de la biomédecine ne pouvait apporter la preuve que des recherches employant des moyens alternatifs ne permettaient pas de parvenir au résultat escompté.
Or comment l'Agence pouvait-elle apporter cette preuve, sinon à considérer que la découverte précède la recherche ?
Ce n'est pas au juge de dire ce que doit être la recherche scientifique, et ce rôle n'appartient pas davantage au législateur. La responsabilité du législateur consiste à exiger que toutes les précautions soient prises, à fixer les limites, à prévenir et, si nécessaire, à pénaliser les dérives. La responsabilité du juge est de garantir le respect de la loi. Ni le législateur ni le juge n'ont vocation à se substituer au chercheur, pas plus qu'ils n'ont à se prononcer pour établir ce qui est une vérité scientifique et ce qui ne l'est pas.
Albert Einstein a écrit : « La personnalité créatrice doit pouvoir penser et juger par elle-même, car le progrès moral de la société dépend exclusivement de son indépendance. »
Nous approchons là le fondement même de la recherche. La science n'est jamais figée. Comment concevoir qu'il puisse exister une recherche sans que soit accordée aux chercheurs la liberté de chercher, c'est-à-dire de penser et de créer ? On ne peut trouver que si l'on est libre de chercher.
Le rôle du législateur est de mettre à la disposition des scientifiques le cadre légal, strict mais protecteur, qui leur est nécessaire pour déployer leur recherche, en bénéficiant de cette confiance citoyenne sans laquelle il n'est pas d'avancées scientifiques partagées.
Le devoir du législateur est donc bien d'offrir aux acteurs de la recherche cette liberté dont ils ont besoin pour faire progresser la connaissance et, dans le cas qui nous occupe ce soir, pour inventer les thérapies qui, demain, permettront de faire reculer la maladie.
Il convient en effet toujours de distinguer la science des usages qui peuvent en être faits. Si la science est libre, les usages doivent être réglementés, car deux principes demeurent intangibles : le respect de la dignité humaine et la non-marchandisation du vivant.
Mais le rôle du législateur est aussi de veiller à ce que toutes les précautions soient prises, car il ne serait ni raisonnable ni acceptable d'autoriser des pratiques qui relèveraient plus d'« apprentis sorciers » que de chercheurs scientifiques.
Personne ne conteste que les cellules souches embryonnaires humaines présentent une singularité qui tient à leur nature même. Il ne s'agit pas là d'une matière organique inerte, d'un simple amas cellulaire, mais bien de cellules issues d'embryons humains, conçus lors d'une fécondation in vitro dans le cadre d'une procréation médicale assistée.
Faut-il pour autant considérer que ces embryons et ces cellules souches embryonnaires doivent être dotés d'un statut particulier ? Conviendrait-il de les protéger, dans leur intégrité comme dans leur dignité, à l'instar de toute personne humaine ?
La réponse à ces questions fait débat.
Pour ma part, j'estime que l'on ne peut revendiquer un statut de personne humaine pour un embryon qui ne s'inscrit pas dans un projet parental, ce qui est le cas des embryons surnuméraires, qui, rappelons-le, ont vocation à être détruits, conformément au code de la santé publique. En effet, après cinq ans de congélation, si les parents ont renoncé à leur projet parental, les cellules sont détruites.
N'y aurait-il pas là matière, au-delà des sensibilités philosophiques et religieuses qui peuvent parfois nous différencier, à substituer au concept de « projet parental » qui ferait défaut un concept de « projet sociétal » à visées médicales ou thérapeutiques ?
C'est sur la base de ce consensus qu'il paraît désormais possible d'autoriser, sous conditions, les recherches sur l'embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines, dès lors, bien sûr, que ces recherches s'inscrivent dans une finalité médicale.