Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne prétends pas être un expert sur le sujet qui nous occupe, même si, dans un mois, je déposerai devant la commission des affaires européennes un rapport concernant les populations roms au sein de l’Union européenne, après six mois de travail.
Cette proposition de résolution relative aux ressortissants roumains et bulgares, présentée par nos collègues écologistes, ouvre un débat nécessaire au moment où l’État et les collectivités locales sont confrontés à des situations parfois délicates et souvent mal gérées. Même si cette proposition de résolution ne concerne pas uniquement les populations Roms, les dispositions visées les frappent principalement.
Une vingtaine de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, de nationalité roumaine – dans la majorité des cas –, bulgare ou provenant d’un pays balkanique, mais ayant la particularité d’être Roms selon la définition retenue par les institutions européennes, résident actuellement en France. Contrairement à une idée reçue, leur nombre est resté stable depuis plusieurs années.
Le nombre de Roms résidant en France est très faible au regard de la population de notre pays, mais la dimension polico-médiatique du sujet est considérable. Cela tient au fait que cette population a été fortement discriminée en Europe depuis de nombreux siècles et que son arrivée en France est très mal supportée. Les Roms sont confondus avec les gens du voyage français, ce qui est une erreur, ou perçus comme des étrangers migrants, ce qui est une autre erreur. Ils sont donc frappés par une double peine, et constituent un « problème », avec tous les guillemets nécessaires.
Le constat est connu : il s’agit d’une immigration économique. La situation des populations roms s’est en effet terriblement dégradée dans les pays d’Europe centrale et des Balkans depuis les années 1990, avec l’abandon ou la privatisation de pans entiers de l’industrie. Alors que le plein-emploi était pratiquement assuré aux hommes et en partie aux femmes, le taux de chômage des populations roms avoisine aujourd’hui les 90 %.
La situation dramatique des Roms installés en France provient de leur absence de revenus légaux, qui entraîne une extrême précarité et des conditions de vie indignes, généralement dans des campements de fortune insalubres. À cela s’ajoute une forte hostilité à leur égard. Leur situation d’extrême pauvreté en fait également des proies faciles pour les réseaux criminels. Je tiens à réaffirmer ici que les Roms sont plus souvent victimes qu’auteurs de délits.
Les auteurs de la proposition de résolution considèrent que les Roumains et les Bulgares, déjà stigmatisés en France et en Europe bien qu’ils soient des citoyens européens, sont victimes d’une discrimination supplémentaire de la part de l’État français du fait des dispositions qui freinent considérablement leur accès à un emploi légal. En effet, la France applique aux ressortissants de Bulgarie et de Roumanie le statut transitoire négocié avec ces deux pays lors de leur adhésion à l’Union européenne. La conséquence de ce statut fait que les Roumains et les Bulgares peuvent, comme tous les citoyens européens, se déplacer librement dans l’Union européenne, et donc venir en France, mais n’ont pas pleinement le droit d’y travailler. Citoyens européens de seconde zone, ils ne peuvent être embauchés que dans un nombre restreint de métiers mentionnés dans une liste, à condition que l’employeur paie une taxe supplémentaire et après un long délai – neuf mois, trop souvent – d’instruction de leur dossier administratif.
Reconnaissons que, si ces fameuses mesures transitoires s’appliquent en principe à tous les travailleurs roumains et bulgares, elles touchent plus fortement les populations déjà fragilisées que, par exemple, les médecins roumains, qui sont accueillis plus chaleureusement sur notre sol, ou les entreprises roumaines sous-traitantes, qui sont très prisées du patronat français.
Ce statut dérogatoire au droit commun européen est assez choquant, car il conduit mécaniquement à des situations inextricables. Cet été, l’évacuation et le démantèlement par les forces de police de campements de familles roms occupant illégalement des terrains ont légitimement choqué une grande partie de l’opinion publique et suscité la réprobation des associations qui œuvrent auprès de ces familles, associations que je tiens d'ailleurs à saluer. Il est vrai que la différence entre la méthode de l’actuel gouvernement et celle du précédent a pu ne pas apparaître très clairement.
L’évacuation de ces campements est toujours une réponse brutale à des situations humaines et sociales complexes. Il a souvent été reproché au Gouvernement de décider du démantèlement des camps avant d’avoir recherché des solutions préalables, et même parfois, comme à Évry, de procéder à l’évacuation avant qu’une décision de justice ait été rendue.
La réunion interministérielle du 22 août, qui a abouti à la définition d’une nouvelle politique à l’égard des populations roms, a malheureusement été perçue comme une tentative de faire oublier la vague de démantèlements de camps qui l’avait précédée. La décision du Gouvernement d’assouplir les conditions d’embauche, en élargissant la liste des métiers ouverts aux Roumains et aux Bulgares et en supprimant la taxe due par les employeurs, est un bon signe, mais elle risque de n’avoir que peu d’effet car les dispositifs qu’elle nécessite ne pourront vraisemblablement pas être mis en place avant la levée des mesures transitoires, prévue dans quinze mois. Cet élargissement de la liste de métiers ouverts a toutefois le mérite d’attirer l’attention sur près de trois cents métiers dans lesquels certains emplois, dont notre société a besoin, ne trouvent pas preneur.
J’estime donc que la demande, formulée dans cette proposition de résolution, d’une levée immédiate de l’intégralité des mesures transitoires limitant l’accès à l’emploi des ressortissants roumains et bulgares, est pleinement justifiée. Les mesures transitoires n’ont servi à rien. Aucune véritable étude d’impact n’a été réalisée pendant ces cinq ans et demi. Il est prévu que ces mesures soient levées dans quinze mois, mais cela n’apporterait rien d’attendre, bien au contraire.
La levée des mesures transitoires serait un élément important, qu’il conviendrait de compléter par d’autres actions afin de résoudre l’ensemble des difficultés rencontrées par les populations concernées. C’est l’intégration de ceux qui sont venus en France, et non leur exclusion ou leur expulsion, qui permettra de trouver une solution durable à ces difficultés. L’accès au travail devra donc être complété par des mesures d’accompagnement, en matière de formation – c’est une des demandes formulées dans la proposition de résolution – mais aussi de logement, d’accès aux soins et d’éducation des enfants. Cet ensemble de dispositifs devrait être piloté par l’État, lequel s’en remet trop souvent aux collectivités locales, qui sont ainsi réduites à gérer une situation d’accueil à laquelle elles ne sont pas préparées, alors même que leurs budgets sont déjà mis à mal par le contexte économique.
J’ajouterai que cette question ne doit pas faire l’objet dans notre pays d’un traitement que je qualifierai d’« ethnique ». Il s’agit simplement d’appliquer le droit commun et de venir en aide à des citoyens européens, des migrants économiques, qui sont victimes de conditions économiques et sociales déplorables.
Enfin, ce problème ne peut être du seul ressort de chaque État membre de l’Union européenne. Les situations visées existent dans de nombreux pays et requièrent un traitement d’ensemble plus cohérent.
Ce n’est qu’après la vague d’expulsions de Roms survenue en France pendant l’été 2010 et qui avait mis notre pays à l’index que l’Union européenne a décidé de coordonner des stratégies nationales. Aujourd’hui, elle se doit de rendre plus efficace son intervention auprès de l’ensemble des États concernés, qu’ils soient qualifiés d’« accueil » ou d’« origine ». Il faudrait notamment qu’elle rende plus opérationnelle l’utilisation des fonds structurels destinés à la lutte contre la pauvreté, à l’insertion par l’emploi, à la scolarisation et qu’elle impulse mieux la lutte contre l’anti-tsiganisme, véritable fonds de commerce des organisations politiques d’extrême droite, dans l’Europe tout entière comme en France.
Je conclus : si elle était adoptée, la proposition de résolution de nos collègues du groupe écologiste permettrait d’engager une dynamique positive contre les discriminations. C’est pourquoi les membres du groupe communiste, républicain et citoyen voteront en sa faveur. §