Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, vue de Paris, notre si belle capitale, la question des biens sectionaux peut paraître aussi incongrue que celle du désenclavement de nos départements.
Et pourtant, il existe encore en France environ 27 000 sections dans plusieurs dizaines de départements, en particulier dans une dizaine où leur fonctionnement provoque de multiples litiges et de graves conflits dans beaucoup de communes. L’exaspération de nombre de maires s’explique facilement et à juste titre. Pour certains d’entre eux, c’est l’exercice même de leur mandat qui est constamment troublé.
Heureusement, il existe encore des parlementaires, des sénateurs, dont mon collègue et ami Pierre Jarlier, pour connaître et relayer les problèmes de ces nombreux collègues maires, ce qui démontre encore une fois l’utilité du cumul d’un mandat local exécutif avec un mandat parlementaire.
Cet objectif de facilitation du transfert des biens sectionaux aux communes, nous le poursuivons depuis plusieurs années. J’avais ainsi déposé et soutenu à deux reprises un amendement allant dans le même sens lors des débats sur la réforme des collectivités territoriales. J’avais retiré le premier lorsque le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, Alain Marleix, s’était engagé à faire travailler dans les meilleurs délais une commission sur ce sujet pour proposer un texte, engagement repris par le président de la commission des lois de l’époque.
Je sais qu’un travail a été réalisé au sein de la Direction générale des collectivités locales, la DGCL, et qu’il a été utile lors de la concertation ayant permis à la commission des lois d’œuvrer à son tour. Pour faire avancer le dossier, il convenait cependant de l’amener en séance publique au Sénat. C’est ce que le groupe RDSE fait aujourd’hui.
Je tiens à remercier le rapporteur, notre collègue Pierre-Yves Collombat, qui a beaucoup et bien travaillé sur un sujet qui ne concerne pas son département, ainsi que nos collègues de la commission des lois et son président, qui ont apporté leur pierre à l’édifice. Je remercie aussi de leur concours la DGCL, son directeur, et, bien sûr, notre ministre Anne-Marie Escoffier, que je salue.
Les sections de commune sont une survivance du droit d’Ancien régime, qui permettait l’utilisation des communaux par les habitants des villages. Ces biens se rattachaient alors directement à la notion féodale de « feu », que l’on retrouve encore aujourd’hui dans certaines décisions de nos tribunaux administratifs.
La notion de section de commune telle que nous la connaissons aujourd’hui a été fixée par le décret des 10 et 11 juin 1793 assignant aux sections la finalité d’un usage collectif des biens exploités. Le but était à l’époque d’assurer aux habitants modestes ou indigents des moyens de subsistance par l’exploitation directe de terres ou de forêts dont ils partageaient la jouissance.
Cette finalité historiquement datée s’est aujourd’hui totalement renversée. Les sections de commune, initialement destinées à un usage collectif, sont aujourd’hui l’enjeu de luttes entre intérêts particuliers, marquées par les égoïsmes locaux, souvent par un certain conservatisme, avec en toile de fond des querelles qui sont devenues personnelles.
La réalité est que ces différends empoisonnent la vie locale durant des années, et parfois, comme nous l’indiquent nombre d’élus municipaux, sur toute la longueur d’un mandat de maire, voire de plusieurs. J’en connais au moins un, élu depuis quatre mandats, qui a toujours affaire aux même difficultés, mettant en cause les mêmes personnes...
Le contentieux qui en résulte est aussi abondant que complexe dans la dizaine de départements particulièrement concernés par les sections. Certains tribunaux administratifs sont devenus, de fait, des spécialistes de la question, et l’un des meilleurs ouvrages sur les sections a été rédigé par un ancien président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand.
L’ancienneté de l’institution de la section et la complexité de son régime juridique expliquent en grande partie les difficultés rencontrées quotidiennement sur le terrain.
L’existence d’une section ne résulte pas d’une création ex nihilo, mais d’un constat de faits : elle est reconnue lorsque des habitants d’une partie déterminée de la commune possèdent des biens ou des droits à titre permanent et exclusif prouvés par un titre, souvent remontant à l’Ancien régime, par une décision de justice ou une sentence arbitrale, ou par un usage public paisible, continu et non équivoque. Le constat de cet usage est en lui-même déjà source de contentieux, étant donné leur ancienneté.
Par ailleurs, le nombre de sections et leur délimitation exacte ne sont pas connus avec précision. L’excellent rapport Lemoine de 2003 relevait qu’il existait quelque 27 000 sections, qui se concentraient principalement dans le Massif central.
L’absence courante de délimitation précise des périmètres entraîne des difficultés pour déterminer la commune de rattachement, lorsque la section n’est pas rattachée à plusieurs communes ou est à cheval sur plusieurs départements, ce qui est souvent le cas. Les cadastres sont de peu d’utilité puisqu’ils ne valent qu’en matière fiscale et ne constituent pas un titre de propriété. Il est en effet jugé de façon constante que le cadastre ne saurait faire preuve du droit de propriété.
Le nombre de sections est pourtant en diminution. De plus en plus de biens de sections ne sont plus exploités, en particulier dans les régions de chasse, et les revenus tirés des biens sont globalement en baisse.
À l’inverse, les difficultés ne disparaissent pas ; elles se sont au contraire maintenues, et se sont même multipliées dans certains cas.
Ces difficultés tiennent d’abord au mode de gestion des sections. Seules 200 commissions syndicales ont été constituées sur 27 000 sections. La répartition des compétences entre le conseil municipal et la commission est très complexe. Même en l’absence de commission syndicale, le conseil municipal n’est pas pleinement décisionnaire et doit s’en référer aux électeurs de la section. Voilà un bel exemple d’usine à gaz !
La jouissance des biens et la distribution des revenus qui en sont tirés ont été détournées de l’esprit initial de la loi, ce qui est grave. Nombre d’ayants droit considèrent les biens comme une propriété privée et n’hésitent pas à redistribuer en espèces les revenus tirés des biens, alors que la loi l’interdit ; tous ceux ici qui sont confrontés à ce type de situation le savent bien.
L’articulation entre les finances communales et les finances sectionales est inextricable. Il arrive souvent que des sections soient plus riches que leur commune de rattachement, mais qu’elles refusent d’engager leurs revenus à l’aménagement de leur territoire, préférant s’adresser à la commune pour qu’elle engage ses crédits.
Les sections sans commission syndicale sont encore plus complexes à gérer. Ainsi, l’absence de dispositions relatives à leur représentation en justice conduit à ce que la commune supporte les frais de justice lorsqu’elle engage une action contre une section, et ce y compris lorsque la commune gagne contre la section. C’est tout de même un paradoxe !
Les sections constituent, dans de nombreux cas, un frein au développement des territoires ruraux, notamment pour l’aménagement du territoire des communes. L’aspect de démocratie locale s’estompe derrière des considérations, le plus souvent, de défense d’intérêts particuliers. Le rapport Lemoine avait souligné certaines de ces contraintes.
Ainsi, pour préserver leurs revenus, les habitants des sections n’admettent que difficilement l’arrivée de nouveaux habitants, au risque dans certains cas d’empêcher, par exemple, l’installation de jeunes agriculteurs.
Les sections de communes cristallisent le morcellement des territoires et privilégient des arbitrages financiers de court terme.
Le poids d’une section peut être détourné et utilisé pour bloquer un projet municipal intéressant l’ensemble de la commune. Le cas s’est produit plusieurs fois dans des communes de montagne qui n’ont pu développer leur domaine skiable en raison de l’opposition des habitants d’une section qui se sont constitués en commission syndicale pour l’occasion.
L’expropriation d’une parcelle par des procédures de droit commun est toujours possible, mais à la condition qu’existe un projet d’intérêt général. De plus, elle doit être réalisée parcelle par parcelle.
L’exercice par le maire de ses pouvoirs de police administrative peut être limité à l’intérieur de la section.
Le législateur a tenté de simplifier et de rationaliser le régime, en 2004 et en 2005, mais ses tentatives n’ont pas eu les effets attendus. La procédure de transfert simplifié, introduite en 2004, n’est ainsi que peu utilisée.
Le débat engagé en 2010 sur notre amendement n’a pas non plus porté ses fruits.
En revanche, élément nouveau qui permet d’avancer aujourd'hui et qui est même fondamental, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 8 avril 2011, a clarifié la nature de la section de commune et tracé une nouvelle voie : il a jugé que les électeurs ne disposaient pas d’un véritable droit de propriété sur les biens ou droits concernés, mais d’un simple droit de jouissance sur les biens dont les fruits sont perçus en nature.
Cette décision constitue un tournant positif dans le droit des biens sectionaux et nous met dans la bonne voie.
La réflexion sur la suppression pure et simple des sections peut être engagée, mais nous savons qu’elle ne peut déboucher, en l’état actuel, que sur un dispositif complexe, coûteux pour les communes et propice à un très abondant contentieux. Nous nous passerons donc d’un tel dispositif.
C’est dans ce cadre qu’a été rédigée la présente proposition de loi, en partant de l’idée tranchée qu’il fallait faciliter la suppression des sections au profit de la communalisation des biens et, surtout, remettre la question des biens de section au cœur du débat en vue de faciliter la vie des maires ruraux.
Il convenait de réfléchir à la création d’un nouveau dispositif de communalisation des biens permettant de s’affranchir, pour des objectifs d’intérêt général, de l’accord des commissions syndicales ou des électeurs. En l’occurrence, les motifs d’intérêt général que nous mettons en avant sont la fin des blocages et des dysfonctionnements administratifs et financiers.
Comme je l’ai indiqué, le Conseil constitutionnel a tracé le cadre dans sa décision de 2011 : aucune disposition constitutionnelle ne s’oppose au transfert gratuit de biens entre personnes publiques dès lors qu’est poursuivi un objectif d’intérêt général.
S’agissant de la garantie des droits légalement acquis, en l’espèce le droit de jouissance des ayants droit, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur ne pouvait y porter atteinte que si celle-ci était justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. C’est bien le cas ici.
À la suite du dépôt de la présente proposition de loi, nous avons bien volontiers assoupli notre position initiale en préférant, pour une fois, à une solution…radicale une solution de compromis.