Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 15 octobre 2012 à 14h30
Transfert des biens sectionaux aux communes — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat, rapporteur :

Patrimoine collectif, et non propriété privée indivise comme on l’interprète trop souvent, la section de commune confère à ses habitants uniquement un droit de jouissance sur les biens communs. On ne saurait donc la réduire au statut de survivance anachronique dont le destin serait de disparaître, oubliant ainsi son originalité.

Ce n’est pas, en tout cas, la position de la commission des lois, qui entend bien laisser vivre les sections de commune encore vivantes et qui fonctionnent selon leur logique originelle, ce qui ne va pas de soi.

Jusqu’à la loi municipale du 5 avril 1884, qui consacre définitivement les sections de commune en fixant les conditions d’élection des commissions syndicales, la distinction est d’ailleurs flottante entre « biens communaux » et « biens sectionaux ». Le code civil, par exemple, ne la fait pas dans sa version de 1804.

Surtout, par un de ces retournements dont l’histoire a le secret, nombre d’ayants droit vont donner aux biens sectionaux un sens inverse de leur sens originel : non plus un patrimoine collectif, mais une propriété privée, certes indivise, mais privée, dont ils peuvent se partager les revenus, y compris pécuniaires, ce qui est parfaitement illégal.

Il en est résulté de nombreux conflits, opposant les ayants droit sectionnaires et les municipalités auxquelles se rattachent les sections qu’elles gèrent, directement ou concurremment, avec une commission syndicale, opposant aussi intérêts particuliers et intérêt général. Bref, de la chicane picrocholine ou personnelle au cas des petites communes pauvres gestionnaires de sections riches dont les revenus sont redistribués illégalement entre les membres ou ne peuvent être intégralement réinvestis – les besoins des sections sont souvent relativement limités –, les situations auxquelles on assiste sont abracadabrantesques.

Les sections de commune se concentrant en plus grand nombre sur une poignée de départements, du Massif central en particulier, l’importance du contentieux varie, évidemment, selon les lieux. Constatons en tout cas que le seul tribunal administratif de Clermont-Ferrand traite annuellement de quarante à cinquante affaires de sections de commune, ce qui n’est tout de même pas rien.

Cette réalité a conduit le législateur – particulièrement le Sénat – à retoucher à plusieurs reprises le régime juridique des sections de commune, espérant le rationaliser mais, constatons-le, aboutissant plutôt à le complexifier. Comme en témoigne une surabondante jurisprudence, rien qui ne puisse être objet de chicane !

Comme le partage avant 1884, le transfert des biens sectionaux aux communes est longtemps apparu comme l’unique moyen de sortir réellement de l’imbroglio. C’est cependant une solution difficile à mettre en œuvre. Surtout, elle était souvent hors de portée financière des communes tant que ce transfert était assimilé plus ou moins clairement à une expropriation, ce qu’il n’est absolument pas.

Heureusement, par sa décision du 8 avril 2011, le Conseil constitutionnel a « remis les pendules à l’heure ».

« Une section de commune est une personne morale de droit public », a-t-il ainsi statué, précisant par ailleurs que « les membres de la section ont [...] la jouissance de ceux des biens des sections dont les fruits sont perçus en nature ; […] ainsi, ils ne sont pas titulaires d’un droit de propriété sur ces biens ou droits » et que « le droit au respect des biens [...] ne s’oppose pas à ce que le législateur, poursuivant un motif d’intérêt général, autorise le transfert gratuit de biens entre personnes publiques ».

Autrement dit, le seul droit des membres de la section en cas de transfert des biens de la section peut porter sur l’indemnisation, non pas de la propriété, mais de la perte d’usufruit, ce qui est tout différent.

C’est cette voie qu’a empruntée Jacques Mézard pour élaborer sa proposition de loi et que la commission des lois a suivie à sa suite.

Prolongeant la proposition de loi, elle a voulu saisir cette occasion pour tirer toutes les conséquences de la décision rendue le 8 avril 2011 par le Conseil constitutionnel, pour rappeler ce que sont les sections de commune et pour clarifier le cadre juridique les régissant.

L’esprit du texte est de simplifier la gestion des sections de commune quand elles sont vivantes et authentiques, notamment en améliorant l’articulation entre communes et sections, mais de « faciliter le transfert des bien sectionaux aux communes » – pour reprendre le titre de la proposition de loi – lorsque les sections dépérissent, qu’il y a des conflits ou pour des motifs d’intérêt général.

Cet objet initial de la proposition de loi figure dans les articles 4 et 4 bis nouveau, de même que dans les articles 2, 3 et 5 du texte de la commission.

Pour le reste, ce dernier comprend trois types d’articles.

Certains, tout d’abord, sont essentiellement rédactionnels : ils suppriment des redondances, unifient la terminologie, etc. En un mot, ils clarifient des dispositions particulièrement obscures du code général des collectivités territoriales. Je ne les énumère pas…

Quatre articles rendent ensuite plus lisibles les conditions d’attribution des terres à vocation agricole ou forestière ou intègrent leurs nouvelles formes juridiques d’exploitation. Ils sont pour la plupart issus d’une proposition de loi dont Pierre Jarlier était le premier signataire.

Enfin, certains articles, que je qualifierais de « substantiels », procèdent, sans changer l’état du droit et de la jurisprudence, à un « décapage » qui mérite quelques explications.

Je précise au préalable que l’article 1er, qui prévoyait un inventaire préliminaire des sections de commune, a été supprimé, avec l’accord de l’auteur de la proposition de loi et de la Direction générale des collectivités locales, et ce pour deux raisons. D’une part, la commission doute que les services préfectoraux aient les moyens matériels et humains de mener à bien une opération aussi complexe. D’autre part – et c’est une raison de fond –, elle a préféré éviter de multiplier les difficultés en inscrivant d’emblée dans la loi la délimitation d’une section de commune, alors même qu’a déjà été introduite une détermination de ses membres. Lorsqu’un maire voudra mettre un peu d’ordre et clarifier la situation, si des conflits surgissent, le tribunal administratif tranchera.

Parmi les dispositions substantielles, les articles 1er bis nouveau et 1er quater nouveau sont essentiels. Suivant la décision du Conseil constitutionnel, ils précisent que la section de commune est une personne morale de droit public. Ils unifient quatre notions qui ne se recouvrent pas exactement, ce qui est source d’extraordinaires complications et parfois d’absurdités : les notions d’habitant, d’électeur à la commission syndicale, d’éligible à la commission syndicale et d’ayant droit. Exemple d’absurdité : les membres de la commission syndicale ne sont pas obligatoirement des ayants droit.

Nous sommes partis du principe que l’origine des biens sectionaux tenait au fait qu’ils étaient indispensables à la vie, voire à la survie, d’une collectivité paysanne, et que ce qui se rapprochait le plus aujourd'hui de la collectivité originelle, c’était l’ensemble des habitants de la section. Nous avons posé que les membres de la section de commune, les ayants droit à l’usage de ses biens et ceux qui pouvaient être habilités à les gérer quand le conseil municipal ne s’en chargeait pas, ceux qui avaient la capacité de les désigner et de donner leur avis en l’absence de commission syndicale étaient les « habitants ayant leur domicile réel et fixe sur son territoire », ainsi que le précise l’alinéa 3 de l'article 1er bis nouveau.

Ce faisant, la commission a souhaité revenir à l’esprit de la section de commune : non pas des propriétaires indivis, mais des biens nécessaires à la vie d’une collectivité. Or ce qui aujourd'hui se rapproche le plus de la collectivité ancienne, ce sont encore les habitants.

La commission a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’aller plus avant et de définir la notion d’« habitant ayant leur domicile réel et fixe ». Celle-ci existe déjà dans la législation actuelle et est connue de la jurisprudence. Si des problèmes se font jour, la jurisprudence les réglera, comme elle le fait déjà actuellement.

Lier la qualité de membre de la section à la résidence a le mérite de la clarté et permet de revenir aux fondamentaux : à l’origine, les biens sectionaux étaient nécessaires à la vie d’une collectivité et, Jacques Mézard l’a rappelé, leur usage était réservé aux « feux », c'est-à-dire à ceux dont la cheminée fumante attestait qu’ils vivaient là.

Notons aussi que le droit actuel ne définit pas l’ayant droit indépendamment de la qualité de membre de la section : il n’a pas pris ce risque !

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