Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi visant à faciliter le transfert des biens sectionaux aux communes peut interpeller autant nos concitoyens que de nombreux élus, tant ce régime porte aussi bien à l’émerveillement qu’à l’interrogation.
À l’émerveillement, car il suffit de rappeler que la survivance de ces droits trouve souvent son origine sous l’Ancien régime, voire le Moyen Âge, pour donner à ceux-ci un côté sympathique.
À l’interrogation, aussi, car expliquer la survivance d’un droit qui n’a pas été touché par la Révolution et qui conjugue aujourd’hui un quasi-principe de droit privé des ayants droit et le droit public des communes – ce dernier, d'ailleurs, n’existait guère à l’époque de l’ouverture des droits – satisfait souvent plus à une construction juridique élaborée a posteriori qu’à la réalité et à la nécessité du terrain, pour ne pas dire, tout simplement, à l’équité.
Si cette particularité des biens sectionaux est peu connue d’une grande majorité d’élus, elle constitue souvent, malheureusement, une source de difficultés, de complexités, voire de conflits pour les communes qui y sont soumises – cela a été largement rappelé –, au point d’épuiser injustement et inutilement les élus, tout particulièrement les maires, qui s’y trouvent confrontés.
Je reconnais volontiers que c’est par reconnaissance à l’égard de plusieurs maires confrontés à ces difficultés que j’apporte à ce texte mon soutien en forme de témoignage.
Si les tentatives pour faire évoluer ce droit ont été nombreuses sous l’Ancien régime déjà – même Turgot s’y était employé –, elles l’ont été davantage encore ces dernières décennies.
Depuis la loi d’orientation agricole de 1999, ce ne sont pas moins de cinq textes législatifs qui ont apporté leur contribution, jusqu’à la récente décision du Conseil constitutionnel du 8 avril 2011.
Permettez-moi de prendre en exemple une commune de Chartreuse. Celle-ci, en effet, me paraît résumer parfaitement la contradiction que présente aujourd’hui une situation de droit ne répondant pas davantage au fondement historique de ce régime qu’à la nécessité de satisfaire aux exigences d’une commune du XXIe siècle.
Saint-Christophe-sur-Guiers est une commune rurale du massif de Chartreuse d’un peu plus de 800 habitants, répartis sur trois sections d’altitudes très différentes.
Alors que cette commune ne dispose que d’une modeste forêt, dont le revenu varie de zéro à 10 000 euros, selon qu’il y a ou non coupe de bois, une forêt bien plus considérable bénéficie à deux sections : celle des Sermes et Planey, de six ayants droit, et celle de La Ruchère, plus importante, d’une vingtaine de foyers.
Il s’agit d’un clin d’œil de l’histoire, car ces biens proviennent pour une part importante des libéralités faites par Béatrice de Savoie au profit d’habitants pauvres d’un village de montagne situé en Dauphiné, dans cette France que la Savoie ne rejoindra qu’en 1860. L’histoire nous montre qu’il a fallu bien des étapes pour arriver au texte que nous examinons ce soir !
Cette évocation permet déjà de souligner cette dualité entre le droit privé et les règles du droit public des communes. Elle nous rappelle que, en matière de libéralité, la cause, c’est-à-dire l’intention d’origine, devrait marquer davantage l’évolution législative. Je souscris tout à fait aux propos de Jacques Mézard, qui rappelait, dans son intervention liminaire, la nécessité d’en revenir à l’esprit d’origine de ce régime. C’est d’autant plus vrai depuis les décisions qui sont venues préciser la nature de l’usufruit, c’est-à-dire mettre un terme aux revenus qui étaient souvent perçus ; je pense, notamment, à la décision du Conseil constitutionnel de 2011.
Ainsi, pour la section des Sermes et Planey, les contraintes du relief de la forêt nécessitent des investissements qui seraient hors de proportion des capacités financières de la section.
Aussi, cette forêt devient, de fait, improductive pour tous. Or, au même moment, la commune se voit mise en demeure de réaliser des travaux d’adduction d’eau au profit des habitants de cette section, pour un total de 600 000 euros, un investissement insupportable pour elle, dont le budget est d’un montant équivalent à cette dépense.
L’autre section, en revanche, présente une situation très différente, avec un village d’une vingtaine de foyers, qui a capacité à grandir et une forêt dont l’exploitation relativement productive relève d’un engagement fort de certains habitants et permet de susciter des recettes considérables.
Si l’on se rapporte à l’origine des avantages octroyés aux habitants, il faut faire évoluer le régime pour permettre, tant dans l’usage du droit que dans l’organisation et la gestion de celui-ci, une mise en œuvre qui réponde à la bonne et juste administration des communes.
Si la suppression des sections de commune est régulièrement évoquée, je me rends aux arguments de ceux qui considèrent avec pragmatisme que cette disparition ne doit pas être trop « abrupte », pour reprendre les termes de notre collègue René Garrec.
Cette proposition de loi vise le bon objectif. Elle s’inscrit d’ailleurs dans la continuité du dispositif que nous avions souhaité mettre en place au travers, notamment, des lois d’orientation agricole successives, ou encore de la loi de 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui facilitait déjà les transferts des biens sectionaux à la commune. Espérons que cette nouvelle initiative accélérera le processus que nous avons entamé.
Ainsi, à défaut de supprimer toutes les sections de commune, cette proposition de loi aura au moins l’effet bénéfique de faire disparaître toutes celles qui n’ont plus de raison d’être.
Avant de conclure, je voudrais saluer l’initiative de notre collègue Jacques Mézard sur un sujet qui, pour peu connu qu’il soit, n’en demeure pas moins difficile pour les maires qui s’y trouvent confrontés, et remercier notre rapporteur Pierre-Yves Collombat d’avoir apporté son pragmatisme à une évolution juridique que nous devons avoir pour objectif de poursuivre.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, le groupe UMP votera donc cette proposition de loi, en faisant le vœu pieux qu’elle permette de régler au mieux certains conflits juridiques persistants.