Intervention de Alain Richard

Réunion du 15 octobre 2012 à 21h30
Transfert des biens sectionaux aux communes — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Alain RichardAlain Richard :

L’évolution de ces dernières décennies est donc double : d'une part, on note une tendance, que le rapporteur a bien décrite, à une certaine privatisation, en tout cas à un esprit d’appropriation privative des biens de la section ; d'autre part, il existe une contradiction entre l’existence des sections, qui sont tout de même des unités géographiques toutes petites et qui n’ont pas nécessairement de stratégie de long terme, et les nécessités de l’aménagement rural et de la gestion modernisée du territoire.

Au fond, si j’ai bien compris cette proposition de loi, je la résumerai en disant qu’elle introduit trois objectifs distincts dans notre droit : favoriser la gestion au nom de la section, mais par les organes de la commune, le maire et le conseil municipal ; faire obstacle à la captation de ressources par la section et ses ayants droit, au détriment de la commune ; encourager la reprise de la propriété des biens de section par la commune, auquel cas les biens entrent dans le domaine privé de la commune, sans changer l’ensemble des droits et obligations qui s’y attachent.

Sur le premier point, ce texte marque sans doute un progrès, mais, comme j’ai eu l’occasion de le dire en commission, il me semble que c’est un progrès partiel, dans la mesure où les différences d’intérêt subsistent. La gestion est donc conduite par la municipalité, mais pour le compte de la section, y compris si les intérêts de la section s’opposent à ceux de la commune. À cet égard, j’ai eu connaissance d’un arrêt récent du Conseil d’État faisant apparaître que si une erreur lésant des tiers est commise par le conseil municipal dans la gestion des biens de la section, c’est cette dernière qui encourt la responsabilité, ce qui peut d’ailleurs donner lieu à des actions récursoires intéressantes.

À mon sens, les mesures tendant à faciliter la reprise de la gestion par les autorités municipales, ce qui est déjà le cas pour la grande majorité des sections, représentent un progrès. La proposition de loi tend donc à prévoir, de façon judicieuse, les moyens adéquats pour atteindre cet objectif en réservant le recours à une commission syndicale aux cas où la section présente une réalité humaine et économique palpable, ce qui explique le nouveau seuil de vingt membres et le niveau d’activité économique supérieur à 2 000 euros. Dans les autres cas, c’est la commune qui gérera.

Je voudrais toutefois appeler l’attention du Sénat sur un autre point, la question clé de la qualité d’ayant droit sur les droits sectionaux.

La propriété n’est pas douteuse, c’est la personne publique de la section. Encore que celle-ci représente un territoire global et pas simplement un ensemble de biens, ce qui fait qu’il y a des biens privés sur le territoire de la section. C’est même la condition pour l’application de la nouvelle définition de la qualité de membre : en effet, s’il faut être résident à l’intérieur de la section, c’est donc qu’il peut y avoir des biens privés qui ne sont pas des biens sectionaux. Toujours est-il, donc, que la propriété ne fait pas de doute, c’est la personne publique de la section. Il s’agit d’ailleurs de son domaine privé et elle en a la pleine propriété, au sens du code civil.

En revanche, les droits de jouissance, eux, ont un caractère privatif et ils sont assez imprécisément définis. Leur définition varie même d’une section à l’autre, d’une commune à l’autre. Simplement, je le répète, ces droits ont un caractère privatif et ils constituent un élément patrimonial susceptible d’acquérir une valeur monétaire. Le Conseil d’État l’a d’ailleurs reconnu dans une décision de 2002, Commune de Saint-Martin-d’Arrossa.

La reconnaissance de la notion nouvelle de membre de la section de commune, qui est unifiante, marque un grand progrès. S’agit-il pour autant d’une simplification et d’une clarification de la notion d’ayant droit ? À mon sens, c’est l’intention du rapporteur et de l’auteur de la proposition de loi, mais il me semble que nos travaux parlementaires préparatoires seront utiles pour l’établir. Pour ma part, je comprends que la nouvelle notion de membre de la section, telle qu’elle se dégage du texte proposé, remplace la notion d’ayant droit. Ne pourront être ayants droit que les membres de la section.

S’agissant de la gestion budgétaire, les mesures prévues me semblent tout à fait judicieuses. Le texte donne formellement aux municipalités la possibilité de modifier le budget de section préparé par une commission syndicale, alors que, jusqu’à présent, la loi le leur refusait. Il leur donne également le droit de financer des dépenses communales sur le budget de la section, à la condition, qui donnera parfois lieu à quelques disputes, que les besoins de la section aient été satisfaits, ce qui suscite, philosophiquement, des interrogations d’une grande profondeur : à partir de quand des besoins sont-ils totalement satisfaits ? Néanmoins, il est évident que cette mesure s’inspire du bon sens.

Par ailleurs, cette proposition de loi recèle une autre nouveauté tout à fait opportune et judicieuse, à savoir que c’est bien la section, en tant que propriétaire, qui est assujettie au paiement de l’impôt foncier. En effet, puisque la fin d’activité de la section peut se caractériser par le constat qu’elle ne paie plus le foncier, il est nécessaire de préciser que c’est bien elle qui en est débitrice.

En outre, le texte tend à faciliter le transfert d’une section à la commune, novation qui est de nature à permettre un règlement définitif de la situation de conflit d’intérêt, mais seulement, évidemment, si ce transfert est souhaité par la commune et si des garanties suffisantes ont été données aux membres de la section pour défendre leurs intérêts. À mon avis, les mesures réduisant les obstacles ou les conditions préalables à l’engagement de la procédure de transfert sont bienvenues. Il en est ainsi de l’exigence accrue de représentation des membres de la section et de la durée moindre de non-paiement de la taxe foncière.

Je souligne au passage la curiosité qui subsistera après l’adoption éventuelle de la proposition. Au fond, l’extinction des droits d’usage par le transfert reste entièrement implicite dans ce texte : il n’est dit nulle part que le transfert met fin au droit d’usage. Il entraîne le transfert des droits et obligations de la section à la commune. Or, dans les obligations de la section, figurait le respect des droits d’usage des ayants droit ou des membres, selon la nouvelle définition. Je comprends que la pratique, en réalité, est contraire et que, de façon coutumière, on considère que le transfert met fin au droit d’usage – c’est d’ailleurs pour cette raison qu’un système d’indemnisation est instauré par la loi –, mais, assez curieusement, la loi ne le précise pas. C’est sans doute un signe de pudeur au regard du ressentiment et des mécontentements subjectifs que peut entraîner ce transfert.

Enfin, le texte prévoit la possibilité de vendre les biens. Si l’on veut rétablir une certaine fluidité, une certaine mobilité dans l’usage de ces biens, en général agricoles ou forestiers, il faut bien sûr que la vente soit possible. En principe, elle reste une compétence de la section, mais, dans la pratique, il s’agira de la commune, au nom de la section. Si le transfert a eu lieu, la commune, seule, décidera du transfert, une fois que les membres de la section auront pu faire valoir leurs droits.

Madame la ministre déléguée, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous n’avons aucune peine à reconnaître les avancées importantes de cette proposition de loi, qui vont, non seulement simplifier la vie quotidienne administrative des communes, mais également favoriser une mobilisation des territoires et des espaces fonciers dans des régions menacées par la déprise et l’affaiblissement du potentiel d’exploitation, en donnant aux communes une possibilité de mieux affecter les biens de leur territoire. Je remercie et félicite les auteurs de la proposition de loi, ainsi que leurs prédécesseurs ayant travaillé sur ce sujet, pour avoir fait avancer la réflexion. Au regard des modifications, sans doute trop ponctuelles, qui avaient été adoptées ces dernières années, nous aurons, cette fois-ci, fait un véritable pas en avant. Il faut, je crois, s’en réjouir.

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