Intervention de Christian Noyer

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 octobre 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Christian Noyer gouverneur de la banque de france

Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France :

Je vous remercie de m'avoir invité. Répondre aux questions des représentants de la nation, justifier devant vous les actions menées est la contrepartie indispensable de mon indépendance.

Je sais le Sénat attentif au projet de modernisation du réseau de la Banque de France, cher aux collectivités territoriales. Au niveau local, la Banque de France exerce trois métiers : elle gère la monnaie fiduciaire dans les caisses, vérifiant et triant les billets qui lui sont rapportés ; elle traite les dossiers de surendettement ; elle assure la cotation des entreprises. C'est à ce titre qu'elle a assuré la médiation du crédit au niveau local, durant la crise financière. Ces trois métiers obéissent à des logiques différentes et ne seront donc pas traités de la même façon dans la réforme.

La modernisation s'inscrit dans une conjoncture marquée par trois grandes évolutions : démographique d'abord, avec 5 000 départs à la retraite d'ici 2020 ; technologique ensuite, qu'il s'agisse des outils de tri de billets ou de nos relations avec les entreprises, les particuliers et les administrations : beaucoup de gens préféreront passer par Internet plutôt que de se déplacer. Une évolution territoriale enfin, avec des réalités économiques changeantes.

Cette modernisation a un objectif : améliorer les services rendus aux citoyens, à un coût moindre. Notre responsabilité est double : d'un côté, remplir nos missions avec un maximum d'efficacité, de l'autre, participer à l'effort national de rationalisation des dépenses publiques en devenant plus productifs.

Cette réforme devrait se faire en deux phases : une première entre 2013 et 2015 avec la fermeture de quelques services de caisse et de bureaux d'accueil et d'information, dont la fréquentation est très faible, et le développement d'outils nouveaux, notamment de notre outil Internet ; une seconde entre 2016 et 2020 pour finaliser le réseau des caisses et réaménager les succursales. Nous nous fixons un horizon de temps long afin de gérer les choses en douceur et de faciliter les mouvements de personnel, en donnant aux agents une visibilité sur leur avenir professionnel.

Le maillage départemental sera maintenu : il a prouvé toute sa pertinence. L'unité départementale est celle des commissions de surendettement, des fédérations professionnelles et celle où s'exerce la médiation du crédit.

La récente décision du Conseil des gouverneurs de la BCE sur les opérations monétaires sur titres est une réponse à l'urgence de briser le cercle infernal des projections irrationnelles qui parient sur un éclatement de la zone euro. Le coût des refinancements bancaires est influencé par ces variations anormales de taux, la transmission de nos impulsions de politique monétaire n'est plus uniforme dans toute la zone. L'efficacité de notre politique monétaire est mise à mal, au risque de rendre difficile la maîtrise de la stabilité des prix. Grâce à ce nouvel instrument, nous disposerons d'un frein crédible à l'augmentation injustifiée des taux d'intérêt, liée non au risque de crédit mais à la peur d'un éclatement de la zone euro, c'est-à-dire au risque de redénomination. Ces opérations s'accompagnent d'une conditionnalité stricte, garantissant que le pays concerné progresse vers un environnement économique plus robuste. Sa mise en oeuvre sera attentivement suivie.

Je suis très favorable à l'union bancaire européenne : c'est une façon de mettre fin structurellement au cercle vicieux qui unit le risque bancaire au risque souverain, et qui découle d'une lacune institutionnelle dans la construction européenne. La nécessité pour les Etats de renflouer certaines banques a rappelé que celles-ci étaient des acteurs systémiques, dont la disparition devait se faire de manière ordonnée, sans mettre en péril les dépôts ni casser la distribution du crédit. Or, dès lors que les banques peuvent recourir à l'État en cas de difficulté, leur solidité dépend de celle des États. C'est du moins l'interprétation des marchés. Le coût de refinancement des banques est donc aspiré par le coût de refinancement des États ; le coût du crédit privé suit celui des États. Quand la BCE fixe son taux d'intérêt à 0,75 %, la même banque peut proposer des taux de crédit allant du simple au triple à deux PME de même nature et de même solidité, situées de part et d'autre d'une frontière. Une telle segmentation du marché est impensable pour une banque centrale. À l'époque du deutsche mark, la Bundesbank n'aurait pas accepté de tels écarts entre deux Länder !

L'union bancaire repose sur trois piliers. D'abord, une supervision intégrée, un système de type fédéral coiffé par la BCE, les superviseurs nationaux - Banque de France, Autorité de contrôle prudentiel - étant chargés de la supervision sur le terrain, soit 95 % du travail effectif. Deuxième pilier, un mécanisme de résolution intégré ; à la Commission de proposer la création d'une autorité ad hoc. Enfin, un système unifié de garantie des dépôts, par exemple autour d'un fonds de réassurance.

S'agissant de Dexia, l'important est que le plan de résolution - mise en extinction progressive et reprise de DMA (Dexia Municipal Agency), l'entité de refinancement - soit finalisé, et que la Commission européenne autorise la garantie conjointe des trois États, à hauteur de 90 milliards d'euros. Dans l'intervalle, le financement de Dexia est assuré avec un recours à l'Eurosystème et à l'assistance de liquidité d'urgence de la Banque de France. Le dispositif devra être finalisé d'ici fin janvier ; au-delà, le financement sera plus problématique.

J'ai noté, ces derniers mois, un regain d'intérêt des réseaux bancaires classiques pour le financement des collectivités territoriales. La Banque postale a la ferme volonté de développer cette activité, ce qu'elle a commencé à faire sur ressources propres. Dès qu'elle pourra utiliser DMA, sa production augmentera et elle consentira des prêts à plus long terme. Le sujet est donc bien moins préoccupant qu'il ne l'était il y a quelques mois.

Le modèle économique du CIF n'est plus viable de manière autonome : la conjoncture économique, les évolutions réglementaires le rendent obsolète. Historiquement, le CIF pouvait se refinancer grâce à l'appétit des investisseurs internationaux pour des obligations foncières de qualité. Mais depuis un an, les agences de notation et les investisseurs ont pris conscience que les orientations du CIF conduisaient à une prise de risque jugée excessive, sur des quotités importantes : prêts à taux variables et de long terme, clientèle fragile, faible contrôle des prescripteurs. D'où une défiance croissante. Le modèle du CIF ne peut plus fonctionner : les taux de refinancement seraient trop élevés. Un adossement règlerait le problème, mais les groupes bancaires français manquent de dépôts - on sait que le ratio du montant des crédits sur celui des dépôts est particulièrement mauvais en France, de l'ordre de 133 %, en raison de l'importance de l'épargne réglementée, de l'assurance vie et des OPCVM. Même la Banque postale considère qu'un adossement serait un équilibre artificiel, qui entraînerait des risques sur sa notation et sur sa liquidité, des difficultés de prise en main de gestion et un risque social interne. Une autre solution aurait été une garantie sans mise en extinction. Mais c'est une aide d'État et la Commission européenne veille : si l'établissement poursuit son activité, la garantie doit être rémunérée à la valeur du marché pour éviter toute distorsion de concurrence.

Le Gouvernement propose une autre solution : la mise en extinction de l'établissement, sous garantie de l'État, et une activité nouvelle par les autres établissements, notamment la Banque postale, qui vient de mettre en place une offre en faveur de l'accession sociale à la propriété. Certains portefeuilles peuvent intéresser d'autres établissements, comme le crédit aux agents de la SNCF ou d'EDF. Certaines agences pourraient être reprises par d'autres banques pour compléter leur maillage géographique. Il y aura certainement des reprises de personnels au fil de l'eau - je sais que le ministre des finances y travaille.

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