Le déficit de notre commerce extérieur est abyssal : 73 milliards d'euros -vous l'avez rappelé, Monsieur le président. Mais ces mauvais résultats ont au moins un mérite : celui d'accélérer la prise de conscience et de mobiliser les acteurs autour de l'objectif de l'export. J'ai pu le constater par exemple lors de ma visite du salon international de l'agroalimentaire. J'ai eu l'occasion d'y discuter avec les professionnels du secteur. L'agroalimentaire réalise le deuxième plus gros excédent de notre balance commerciale, mais elle perd des parts de marché. Les entreprises de la filière sont cependant conscientes des enjeux et décidées à se mobiliser. À cet égard, le Premier ministre m'a assigné un objectif clair : retrouver dans les cinq ans l'équilibre de la balance commerciale hors énergie, ce qui représente un effort de réduction du déficit de 26 milliards d'euros. L'enjeu n'est pas seulement d'être présent dans la mondialisation : il est de gagner la bataille de l'emploi. Un milliard d'euros d'exportations représente 10 000 emplois en France.
La mauvaise situation de nos échanges extérieurs s'explique par des causes multiples. Il y a d'abord un nombre insuffisant d'entreprises de taille intermédiaire (ETI). Certains chiffres sont trop peu connus. Nos exportations représentent 430 milliards d'euros en 2011, mais, sur ce total, les grands contrats représentent seulement 30 milliards d'euros, tandis que ce qu'on appelle, faute de mieux, le commerce courant se chiffre à 400 milliards. C'est dans le commerce courant qu'interviennent les PME et les ETI - d'où l'enjeu de les soutenir.
Nous avons aussi un problème de compétitivité. Le Premier ministre a commencé à en discuter avec les ministres concernés, principalement ceux du pôle économique de Bercy. Nous avons eu hier une réunion de travail sur la compétitivité hors coût et nous en aurons une très bientôt sur la compétitivité-coût. Vous le savez, Louis Gallois remettra son rapport le 5 novembre et, dès le 6, le Gouvernement au grand complet sera réuni sur ce thème. Je tiens, sur cette question, à souligner que le Premier ministre travaille avec méthode sur ce sujet. Rien n'est enterré, contrairement à ce que j'entends ici ou là.
Un autre de nos handicaps est l'organisation de notre chaîne de l'export, sur le territoire français même. Les acteurs sont nombreux mais pas toujours bien coordonnés. D'un côté, nous devons mieux identifier les entreprises qui ont un potentiel d'exportation ; de l'autre, nous devons être capables de pérenniser la présence des entreprises à l'export et générer des courants d'affaires durables. C'est là un point essentiel : identifier des primo exportateurs est important, faire en sorte que les entreprises présentes à l'export le restent l'est tout autant. On sait trop peu que, sur dix entreprises qui exportent pour la première fois au cours d'une année N, il n'en reste plus que trois encore présentes à l'export au bout de trois ans. La déperdition est donc considérable. C'est dû sans doute, pour une part, à une mauvaise orientation, car toutes les entreprises ne sont pas en capacité d'exporter, mais je crois aussi qu'il y a une insuffisance de l'accompagnement dans la durée des entreprises exportatrices.
C'est pourquoi j'ai demandé à Ubifrance de réorienter son travail d'accompagnement à l'étranger. L'agence proposera des plans d'action triennaux aux 800 entreprises de taille intermédiaire identifiées par le Fonds stratégique d'investissement (FSI). Elle devra aussi proposer à ses entreprises clientes un accompagnement sur plusieurs années. D'ailleurs les critères d'évaluation d'Ubifrance seront modifiés pour prendre en compte les chiffres d'affaires générés à l'export, car le nombre d'entreprises exportatrices n'est pas suffisant. Ces évolutions figureront dans le nouveau contrat d'objectifs et de performances que je signerai avec l'agence d'ici à la fin du premier semestre de 2013.
Dans la nécessaire réorganisation de la chaîne de l'export, les régions joueront un rôle pilote. Elles ont la compétence du développement économique et de l'innovation ; elles connaissent bien les entreprises de leur territoire ; elles financent les pôles de compétitivité et elles disposent de fonds. Je considère donc qu'elles s'insèrent naturellement dans la stratégie nationale. Il y a certes une grande diversité. Chaque région a sa manière de travailler. Les quatre déplacements en région que j'ai réalisés depuis mon entrée en fonction m'ont permis de le constater. Je dois par ailleurs me rendre en Aquitaine le 15 novembre et en Alsace, le 19. Mon rôle n'est pas d'imposer un modèle unique aux régions. Je respecte leur autonomie. L'essentiel est de viser la complémentarité entre les parties prenantes, de créer des synergies, notamment avec les réseaux consulaires. C'est indispensable pour tenir l'engagement pris auprès du Président de la République : faire en sorte qu'émergent dans les trois ans 10 000 entreprises exportatrices nouvelles. Pour mieux articuler l'action des régions avec la stratégie nationale, nous allons établir un comité de liaison avec l'Association des régions de France, dont la première réunion est prévue cette semaine. Je demanderai à chaque région, si ce n'est déjà fait, d'établir, d'ici à mars 2013, un plan régional d'internationalisation des entreprises et de l'intégrer à son schéma régional de développement économique et d'innovation. Un premier bilan sera établi au mois de mars.
Pour mieux organiser la chaîne de l'export, je réfléchis aussi, avec Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, à une structuration de notre offre commerciale au travers de nos filières et de nos réseaux. À cet égard, je n'oublie pas nos pôles de compétitivité. Ils sont plutôt une réussite et nous devons les mobiliser sur le commerce international. Certes, ils n'avaient pas, à leur création, la fonction internationale « export », mais l'effet grappe est décisif en matière d'exportations. Nous devons donc devenir capables d'utiliser ces effets de réseau pour développer nos exportations.
Structurer notre offre commerciale à travers une structuration de nos filières, c'est un gros chantier. Les filières, tout le monde en parle, mais elles n'existent pas vraiment dans notre pays. En France, nous parlons de donneur d'ordre et de sous-traitant. Les Allemands, eux, ne raisonnent pas en ces termes : nous devons faire comme eux. Nous devons structurer de façon efficace nos filières classiques, comme l'automobile, mais aussi promouvoir des filières nouvelles qui auront à jouer un grand rôle avec le développement des classes moyennes dans les pays émergents. Des besoins immenses vont en effet apparaître en matière de ville durable, de mobilité, d'écotechnologies et de santé. Ce sont des points forts de notre tissu productif et nous devons les exploiter à l'international.
Parmi les outils que nous allons mettre en place, figure aussi la Banque publique d'investissement (BPI). Elle permettra de réunir les acteurs dont le métier est d'apporter des fonds propres aux entreprises. J'insiste là-dessus : pour exporter, il faut être capable d'investir et d'innover et, pour cela, il faut des capitaux. Nous avons actuellement deux acteurs, le Fonds stratégique d'investissement (FSI), dont la mission est de prendre des participations minoritaires, et CDC-entreprises, qui prend des participations majoritaires. Le rôle de ces deux institutions est cependant mal identifié par les entreprises malgré les efforts pour mettre en place des plateformes régionales. C'est pourquoi il est important de régionaliser la BPI. Toutes les modalités ne sont pas encore définies, mais j'ai oeuvré pendant l'été afin que la BPI soit à la fois une banque régionale et une banque vouée à l'international - cela n'allait pas de soi au mois de juillet, à la remise du rapport de Bruno Parent.
La BPI distribuera par ailleurs des crédits et accordera des garanties aux PME et aux ETI, qu'il s'agisse de produits de la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (Coface) ou de ceux d'Oséo. Il faudra réunir ces différents acteurs : Oséo le sera de manière organique ; la Coface le sera fonctionnellement, pour la partie publique de son activité, au travers d'une distribution de ses produits par la BPI. C'est l'idée de comptoir unifié, que je préfère à l'expression de « guichet unique ».
Enfin, au-delà de l'apport de fonds propres, de crédits et de garanties, la BPI devra apporter du conseil en région. C'est là qu'intervient le lien entre Ubifrance et la BPI : l'offre d'Ubifrance, en matière de salons notamment, sera à l'avenir un produit distribué par la BPI. Je recommande par ailleurs que les services Ubifrance sur le territoire national soient intégrés à la BPI pour jouer ce rôle de conseil. Je souhaite enfin, même si ce n'est pas encore arbitré, que des personnels des Douanes ou des directions régionales des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE) soient mis à sa disposition.
Concernant cette question des financements, je voudrais aussi attirer votre attention sur le manque de compétitivité de nos financements. Nous aurons l'occasion d'en discuter lors de l'examen de la loi de finances rectificative (LFR). Certaines de nos entreprises perdent des marchés, notamment face à nos principaux concurrents, les Allemands, à cause de systèmes de crédits et de garantis insuffisamment compétitifs. Nous allons donc mettre en place, à l'occasion de la LFR, une garantie de refinancement totale. Les entreprises allemandes, avec la Banque allemande de Développement, la KfW, ont aussi un prêteur direct : cela, joint à la meilleure signature de l'Allemagne donne au refinancement des créances à l'export un avantage qui peut atteindre 160 points de base par rapport à la France. Il est donc prioritaire de créer un prêteur direct, qui pourrait être la BPI. Comme il faut le temps de créer cette activité, je souhaiterais que, dans l'intervalle, la Caisse des dépôts et consignations remplisse cette fonction -mais ce n'est pas gagné, car la Caisse a un modèle prudentiel et ne se laisse pas aisément convaincre par l'État.
Enfin, je voudrais souligner que notre offre commerciale doit être couplée avec une offre pays. Rien ne sert d'être présent partout. Il faut définir des priorités géographiques. Il s'agit d'abord de l'Europe. C'est là que nous réalisons 60 % de nos échanges et nous y perdons des parts de marché. La dégradation de notre position en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni et en Allemagne explique les trois quarts de la dégradation globale de nos échanges. Viennent ensuite les grands émergents. Ce sont des marchés en forte croissance. Et puis, on le sait moins, un certain nombre de pays émergents, dits « intermédiaires », très dynamiques, prennent de l'importance dans les échanges mondiaux : il s'agit des CIVETS - Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie et Afrique du sud. J'étais la semaine passée à Singapour et aux Philippines, avec plusieurs entreprises françaises : l'Asie du Sud-Est est une région d'opportunités pour nos exportateurs. Enfin, il y a l'Afrique. La France n'y est pas assez présente, elle y a perdu pied. Or, l'Afrique subsaharienne connaît une croissance de 5 % par an malgré la crise. Je me rends au Kenya et en Ouganda très prochainement. De même, je dois me rendre au Maghreb avant la fin de l'année. Nous devons nouer un vrai partenariat économique avec les pays de la zone. Il s'agit vraiment d'incarner la Méditerranée des projets promue par le Président de la République. Avec Arnaud Montebourg, nous avons chargé MM. Pascal Faure et Charles Coppolani d'une mission dont les conclusions, attendues dans trois mois, devront déterminer les conditions de mise en place de ce pacte de coproduction.
Les crédits du ministère du commerce extérieur s'élèvent à 104,2 millions d'euros. Ils incluent ceux dévolus à Ubifrance et ceux finançant les interventions internationales de la direction générale du Trésor. La loi de finances initiale de 2012 prévoyait un budget de 103,46 millions d'euros pour Ubifrance. Son évolution pour 2013 intègre les économies - 1 % - demandées à tous les ministères, ainsi qu'un « rebasage » à hauteur de 1,6 millions d'euros pour tenir compte de la dernière tranche de la dévolution de compétences à l'Agence. Le plafond d'emploi est en baisse de 1,8 %, à 1 393 emplois.
Au final, le ministère participe à l'effort de réduction des déficits publics tout en préservant l'essentiel, notamment pour Ubifrance, qui concentre la majorité de ses crédits. L'Agence redéploiera ses effectifs chaque fois que nécessaire, pour développer nos priorités selon les pays. Elle va ainsi étendre son activité au Kenya - à Nairobi - et en Birmanie, ce que j'annoncerai lors d'un colloque au Sénat jeudi prochain.
La politique commerciale avec les pays tiers est intégrée à l'échelle européenne. Le multilatéralisme étant en panne, la Commission européenne a développé les accords bilatéraux de libre-échange depuis plusieurs années. Du fait de leur manque de réciprocité, et devant les difficultés que connaît la filière automobile, la France a sollicité au mois d'août l'application de la clause de sauvegarde inclue dans l'accord avec la Corée du Sud. En septembre, j'avais demandé au commissaire européen, qui a rendu sa décision hier, la mise en place d'un groupe de travail en vue de comparer les chiffres. Du point de vue du commerce extérieur, il s'agissait de la première année où nous étions globalement excédentaires. Il faut être attentif aux secteurs fragiles, et l'automobile en est un. Le fait que la France ait requis l'actionnement de la clause de sauvegarde est un signe important à cet égard.
Les principes adoptés à ma demande en Conseil des ministres le 12 septembre pour conclure un accord de libre-échange sont au nombre de quatre :
- l'absence de retombées négatives sur l'emploi ;
- la réciprocité effective des échanges avec les pays signataires, dont les marchés publics, contrairement à l'Europe, ne sont pas toujours ouverts. C'est le cas dans trois pays avec lesquels l'Union envisage de négocier ou conclure des accords : le Canada, les États-Unis et le Japon, soit trois des principales puissances commerciales du monde, qui ont un intérêt évident à pénétrer un marché de 460 millions d'habitants à fort pouvoir d'achat et souhaitent, pour les deux derniers, isoler la Chine ;
- un haut degré d'exigence environnementale et sociale ;
- un abaissement progressif des barrières douanières, tout en conservant la possibilité d'actionner à tout moment une clause de sauvegarde.
Le principe de réciprocité au sein de l'Union européenne à 27, et bientôt 28 avec l'arrivée prochaine de la Croatie, n'est pas complètement partagée. Et cela malgré deux déclarations de sommets européens, en juin et en octobre, demandant aux États d'agir au plus vite pour que l'examen du règlement de la Commission sur la réciprocité dans les marchés publics au Parlement européen soit mené à son terme. Aussi je fais le tour des capitales européennes pour chercher des pays nous soutenant en ce domaine ; les Allemands, qui me semblaient partager ce souci avec nous, sont en réalité bien plus réticents. Je suis allée en Pologne et en Italie ; je vais aller en Espagne à ce sujet. Une majorité d'États est aujourd'hui défavorable à l'introduction de ce principe de réciprocité, qui doit constituer notre principal message en matière de diplomatie économique.