Le président de la République a ouvert la conférence environnementale en évoquant la cohérence des trois crises : financière, économique et écologique, toutes trois sources de difficultés sociales.
Le passage de la crise financière à la crise économique a rendu plus difficile le financement du développement économique, donc du développement durable. Sur cette question nous travaillons de concert avec la direction générale du Trésor. Les acteurs financiers ont bien compris que les actifs naturels en voie de raréfaction étaient stratégiques, espaces naturels comme terres agricoles ou espaces naturels. En 2002, dirigeant la mission interministérielle sur l'effet de serre, j'avais déjà été surprise de constater, dans les négociations européennes, que nos homologues britanniques étaient quatre fois plus nombreux que nous.
Les Britanniques se mobilisent tout autant pour les écosystèmes. Ils ont consacré des millions de livres à l'étude de la qualité des écosystèmes, à la biodiversité. Leurs expériences, essais ou développements d'outils, sont plus ou moins heureux, mais ils ont le mérite d'avoir lieu. De même aux Etats-Unis, John Holdren, président du conseil scientifique de la Maison Blanche préconise, dans son rapport Conserver le capital environnemental : protéger la société et l'économie, une évaluation quadri annuelle des écosystèmes et des services qu'ils rendent.
Cette reconnaissance des actifs stratégiques pourrait préfigurer des actions comme celles que j'ai pu observer en Grande-Bretagne, il y a dix ans, au sujet de l'effet de serre : nos voisins ont été les premiers à proposer une première mouture du marché des permis négociables et ils tentaient d'imposer leur conception à la Commission européenne, quand la France défendait un système plus réglementé.
Quelques chiffres pour illustrer la crise environnementale et économique : en 1800, il y avait un milliard d'individus sur terre. En 1930, deux milliards. En 2000, plus de six milliards. Et dans 38 ans, nous serons neuf à dix milliards : 38 ans, c'est moins que la durée de vie d'un site industriel, d'un bâtiment, d'une infrastructure de transport ; c'est la moitié du cycle d'exploitation d'une forêt de feuillus, ou encore, la durée de vie d'un modèle de voiture, depuis sa conception jusqu'à l'arrêt de sa fabrication. Dans Environmental Outlook 2012, l'OCDE parle de stratégie mondiale de survie (« global survival strategy ») : il va falloir, dans 38 ans, vivre pacifiquement à neuf ou dix milliards sur la planète. Ne pas avoir cela à l'esprit, c'est méconnaître l'essentiel.
Grâce aux travaux des communautés scientifiques et aux divers sommets sur le sujet, quelques réalités physiques et biologiques sont maintenant connues : sur les dix-sept années les plus chaudes du siècle, seize ont eu lieu dans les dix-sept dernières années. On a relevé une augmentation de température de trois degrés Celsius dans la deuxième moitié du siècle. Or au-delà de 2,5 degrés se produisent des évolutions presque irréversibles, l'effondrement de la forêt amazonienne par exemple. En ce qui concerne les gaz à effet de serre, les émissions se sont accrues de plus de 80 % depuis 1970, tandis que les progrès technologiques réduisaient les consommations énergétiques unitaires de 30%. La demande d'eau a été multipliée par neuf au cours du XXème siècle, et la pollution des aquifères a été décuplée dans l'Union Européenne depuis 1950. D'ici le milieu du XXIème siècle, plus de la moitié de la population mondiale se trouvera en situation de stress hydrique, et les besoins devraient excéder les ressources de l'ordre de 40 %.
Comme le montrent chez nous les projections régionales, le débit des rivières et des fleuves pourrait diminuer de 10 % à 40 % d'ici cinquante ans. La conférence d'Hyderabad vient de confirmer combien la biodiversité se portait mal : 85 % des espèces marines sont surexploitées et un tiers des espèces risquent l'extinction. Le développement de technologies propres, véhicules hybrides ou électriques notamment, repose sur l'utilisation de métaux dont les gisements sont parfois menacés à horizon de cinq ans.
La prise de conscience est générale, y compris en Asie du sud est et en Chine. Le positionnement d'une économie viable suppose la recherche de l'hyper efficacité pour l'ensemble des ressources, aquatiques, biologiques, géologiques. On sait par exemple qu'un sol détruit se reconstruit en cinquante à mille ans... quand il se reconstruit. L'hyper efficacité passe notamment par le bouclage des circuits énergétiques : l'économie circulaire est indispensable pour assurer une moindre dépendance énergétique et lutter contre les délocalisations. Nous devons être capables de promouvoir la résilience et la régulation des ressources. Car l'accès aux gisements n'est pas garanti : rien ne dit que dans les années à venir, il suffira de proposer de payer plus cher pour obtenir les matières premières, c'est aussi une question de géopolitique ! Cette idée est déjà bien intégrée en Corée du Sud ou en Chine.
Comme le disait le président de la République lors de l'ouverture de la conférence environnementale, il faut accepter le constat de la fragilité de la planète. Et admettre, donc, que les organisations, les produits, les procédés et activités qui permettront aux neuf à dix milliards d'être humains de vivre pacifiquement doivent désormais constituer nos outils quotidiens.
Les Etats-Unis sont également concernés, même s'ils disposent du privilège monétaire mondial et peuvent financer une chose et son contraire : en l'occurrence, l'exploitation des hydrocarbures et le développement des énergies renouvelables. L'Europe n'est pas dans ce cas, mais, contrainte par une forte population sur un territoire restreint, elle a acquis une culture de la sobriété qui constitue aujourd'hui un atout.
Les métiers doivent s'adapter à ces réalités : en 2010, les éco-activités ont crû de 4,5 % en France, contre 0,1 % pour les autres. Le secteur est bien sûr touché par la crise mais l'écart demeure... Cela doit alimenter notre réflexion sur la compétitivité française et européenne, qui ne saurait se fonder exclusivement sur les coûts - on trouvera toujours moins cher ailleurs sur la planète. Il faut porter l'effort sur la compétitivité hors coût, l'Allemagne l'a bien compris. Concevons comme un continuum l'affichage environnemental, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE), l'investissement socialement responsable (ISR), le financement de la transition écologique.