En 2012, vos rapporteurs spéciaux de la mission « Aide publique au développement » ont choisi de faire porter leur contrôle non pas sur un pays, comme c'était l'usage, mais sur une politique transversale : les projets d'infrastructure et d'urbanisme, c'est-à-dire les opérations d'aménagement et de renouvellement urbain, les interventions sur les modes de transport, les réseaux d'eau et d'énergie.
En effet, alors que l'aide au développement est souvent assimilée à une aide d'urgence lors de crises humanitaires, les sommes les plus importantes vont à des projets qui structurent l'espace des pays en développement, notamment dans le domaine des infrastructures et de l'urbanisme. Ces projets n'ont pas toujours bonne presse : n'entend-on pas dire que l'on finance des projets pharaoniques, des « éléphants » éloignés des besoins immédiats des populations ? A l'issue de nos travaux, ces reproches nous paraissent illégitimes : les sommes investies ont un effet multiplicateur, non seulement sur la croissance économique et le progrès social des pays du tiers monde, mais aussi sur l'économie et la société françaises, par leurs retombées directes et indirectes.
Restait à vérifier la qualité des procédures et des évaluations, pour s'assurer du bon emploi des deniers publics. Nous nous sommes plus particulièrement intéressés à l'Agence française de développement (AFD), qui établit des partenariats dans le domaine public, et sa filiale Proparco (Promotion et participation pour la coopération économique), qui soutient des projets d'investissement privés. Dans la mesure où Fabienne Keller et moi-même siégeons au conseil d'administration de l'AFD, nous avons pu décortiquer le processus décisionnel depuis l'identification des projets jusqu'au vote formel des instances délibératives.
Combien de projets sont concernés, et quel est le montant des engagements ? La réponse n'est pas simple, car les cadres d'intervention sectoriels de l'AFD classent différemment les projets. Nous avons examiné trois cadres d'intervention : les collectivités locales et le développement urbain, l'eau et l'assainissement, les transports, soit 2 milliards d'euros par an. Avec les interventions dans le domaine de l'énergie et celles de Proparco, un peu moins de 20 % de celles du groupe AFD, ce sont 3 milliards d'euros qui sont consacrés chaque année aux projets d'infrastructure et d'urbanisme dans le monde - environ soixante-dix projets, infrastructures routières et aéroportuaires, réseaux d'eau et d'énergie...
L'aide française est totalement déliée : le versement d'un prêt ou d'une subvention n'est pas conditionné au choix d'entreprises françaises, ce qu'interdiraient d'ailleurs les règles relatives aux marchés publics dans la plupart des pays du monde. Mais nos partenaires étrangers sollicitent naturellement la France qui compte dans ses domaines de spécialité plusieurs groupes de renommée mondiale. Nos entreprises participent à la réalisation d'équipements qui améliorent la vie des populations locales et jettent les bases du développement. L'AFD évalue aussi les risques sur l'environnement et l'équilibre social des pays, pour réduire autant que possible les externalités négatives.
Les procédures, rigoureuses, associent les équipes locales de l'AFD et les bureaux sectoriels et géographiques de Paris. Les projets font l'objet d'une demande expresse du pays ou de l'entité bénéficiaire. Dès la phase de pré-évaluation, le mode de financement et les impacts sociaux et environnementaux sont pris en compte. Toutefois la procédure d'instruction et de suivi des dossiers peut encore être améliorée et l'AFD revoit ses critères d'appréciation. En outre, si les ambassades sont associées à toutes les étapes de la procédure, les agences de l'AFD sont juridiquement et opérationnellement autonomes, ce qui peut provoquer des conflits. Une fois la décision prise par les instances délibératives de l'AFD ou de Proparco, une convention de financement est conclue. Certains projets sont abandonnés ou ne sont pas menés à terme. C'est plus fréquent dans le cas de Proparco, qui finance des acteurs privés auxquels elle octroie des prêts non bonifiés : une fois sur dix, le client fait défaut - ce fut le cas pour cinq des quelque cinquante opérations que nous avons examinées.
Une partie de l'opinion française juge les interventions de l'AFD et Proparco exorbitantes, étant donnée la situation de notre pays. Cette appréciation ne correspond pas à la réalité. Le taux des prêts non bonifiés de l'AFD est établi en vue d'atteindre l'équilibre économique global et ne comprend pas de marge bénéficiaire. Le différentiel par rapport aux taux de marché est constitué de la bonification versée par l'Etat. Le coût des emprunts de marché de l'AFD est en effet supérieur à celui des principaux bailleurs multilatéraux, la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement, la Banque africaine de développement et la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KFW), qui bénéficie des taux très bas de l'Allemagne. Toutefois, l'AFD possède des avantages comparatifs : elle peut intervenir auprès d'une collectivité sans garantie de l'Etat, en « risque direct » ; elle dispose d'une large gamme d'instruments, subventions, prêts à la concessionalité plus ou moins élevée, financements souverains - prêts directs aux Etats ou avec la garantie de ceux-ci - ou non souverains - pour des entreprises publiques du secteur concurrentiel ou des sociétés privées, sans garantie de l'Etat. L'AFD est capable d'adapter ses schémas financiers à des situations variées, en finançant par exemple la part d'investissement incombant à l'Etat sous forme de concours souverain, et la part incombant au partenaire privé sous forme de prêt classique. Elle peut aussi apporter son appui technique ou institutionnel, notamment en partenariat avec des collectivités territoriales françaises, grâce à son maillage d'agences.
Avec l'AFD et Proparco, notre pays dispose d'instruments opérationnels remarquables. L'augmentation des engagements, qui peut certes exposer la France à une réévaluation de son risque souverain par les agences de notation, n'en est pas moins justifiée par nos ambitions diplomatiques et commerciales.