Mme Gillot l'a rappelé à juste titre, Rousseau a écrit que la main est un instrument d'apprentissage et de philosophie. Je vais essayer de mettre de l'ordre dans ma réponse à vos questions très diverses, afin de faire apparaître clairement le sens de notre action, car rien n'est plus préjudiciable à l'action politique que le pointillisme, l'éclatement, l'absence de priorités nettes. Pensons, après Rousseau, à Descartes, et à la méthode, c'est-à-dire au chemin à suivre pour avancer.
Nous sommes dans un contexte budgétaire contraint. Élus de la nation, ministres de la République, nous devons être sensibles à la situation très difficile du pays. Nous devons aussi être les garants d'un retour à des comptes publics assainis, pour pouvoir parler de manière crédible de jeunesse, de compétitivité, de politiques de justice ou d'éducation. Dans ce contexte, le Président de la République a choisi de fixer une priorité très claire pour le pays : la jeunesse, l'école. C'est nouveau : ce n'était pas une priorité ces dernières années. Même du point de vue de la compétitivité et de la croissance, un tel investissement est utile. Mais nous devons le faire dans un cadre budgétaire rigoureux, ce qui suppose de définir des priorités. Bien sûr, ce que nous faisons n'est pas suffisant, mais c'est nécessaire. Avoir davantage de moyens serait formidable, mais cela n'améliorerait pas forcément les résultats éducatifs. Ceux que nous avons sont le résultat de sacrifices dans d'autres ministères et coûtent aux Français, ils nous obligent donc à des résultats.
La première priorité, c'est la formation des enseignants, que l'ensemble des études internationales - et sans doute aussi votre expérience - identifie comme le facteur majeur de réussite des élèves. Il s'agit, bien sûr, de connaître les disciplines, mais aussi de maîtriser les différents aspects d'un métier. Tous les pays qui ont réussi leur réforme éducative, ce qui prend entre cinq et dix ans, ont accordé à la formation des enseignants toute l'importance qu'elle mérite. Nous n'allons pas refaire les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), ni les Écoles normales : nous allons inventer des Écoles supérieures du professorat et de l'éducation, dont les ambitions seront très élevées. La programmation budgétaire pour les prochaines années indique bien que la remise en place de la formation des enseignants consomme l'essentiel des moyens supplémentaires que le Président de la République accorde à l'école, priorité de la nation. Il s'agit du facteur essentiel : comment ceux qui doivent former ne seraient-ils pas eux-mêmes formés ? Pour le numérique, par exemple, si les personnels ne sont pas formés, il est très difficile de mettre en place de nouveaux outils. La prévention des difficultés, le travail en équipe, les questions de sécurité, le rapport aux parents, le rapport aux collectivités locales, à l'équipe éducative, sont autant d'éléments d'un référentiel de compétences que nous sommes en train de construire, et qui doit faire l'objet d'un apprentissage.
Le concours qui figure au budget est transitoire : nous devons recruter davantage cette année car ceux que nous recruterons en juin ne feront que six heures de cours et seront formés pendant un an pour prendre leur poste à la rentrée 2014. Nous recruterons moins dans les années suivantes. Ce concours est ouvert aux étudiants de Master 1, qui auront leur Master 2 à l'issue de l'année de formation : on ne baisse donc pas le niveau de qualification, qui reste conforme au cadre européen, mais le vivier de recrutement est beaucoup plus important. Comment les motiver ? Les étudiants sont pauvres aujourd'hui, les études sont devenues difficiles d'accès, le métier de professeur encore plus : nous entendons favoriser l'accès à ces concours. Dès la deuxième année de faculté, un boursier de la République pourra poursuivre des études pour devenir professeur. Les professeurs ressembleront ainsi davantage à ceux auxquels ils enseigneront, ce qui est aussi l'un des facteurs majeurs de la réussite d'un système éducatif. Si les jeunes ne présentent plus les concours, c'est parce que les conditions sont devenues beaucoup plus dures : à mon époque, on recrutait avant le bac, aujourd'hui il faut faire - et financer - au préalable cinq années d'études. 30 % des étudiants arrêtent leur cursus parce qu'ils travaillent, en moyenne, plus de 28 heures par semaine. Comment faire autrement pour vivre à Paris ? Notre génération n'a pas reproduit pour eux ce dont elle a bénéficié pour elle-même, et viendrait ensuite les critiquer en disant qu'ils n'ont pas de vocation ? Lorsque nous étions recrutés, nous faisions une année de stage qui était rémunérée. Elle a été supprimée. Commencer immédiatement à exercer le métier en faisant dix-huit heures de cours par semaine devant plusieurs classes de différents niveaux est de nature à décourager les plus motivés. C'est terminé : désormais les stagiaires n'auront que six heures de cours à faire, et ils seront rémunérés et formés. Ce n'est pas extraordinaire, c'est simplement ce dont nous avons bénéficié et dont on a pu prétendre qu'ils n'avaient pas besoin. Résultat : le nombre d'inscriptions au concours augmente.
C'est aussi que notre discours sur le métier est plus valorisant, après l'abaissement moral qu'il avait subi ces dernières années sous l'effet de propos sur le rôle du curé par rapport à celui de l'instituteur, ou sur la Princesse de Clèves. Le discours du Président de la République devant le monument à Jules Ferry a affirmé clairement que les valeurs de la connaissance seraient désormais respectées. Il ne s'agit pas d'un clivage entre la gauche et la droite : le discours de M. Chirac sur l'école était identique au nôtre. La France s'est construite autour de son école. Il y a eu une dérive récente : redresser la barre coûte cher. Les Écoles supérieures recruteront à la fin du Master 1, et les élèves reçus y feront un stage d'un an comportant six heures de cours, en tant qu'élèves-fonctionnaires. Ils effectueront ainsi une entrée progressive dans le métier, car pour apprendre il faut aller de la théorie à la pratique et inversement, en étant accompagné dans cette démarche par des pairs.
Nous souhaitons également faire travailler ensemble tous les personnels enseignants, de la maternelle à l'université, ainsi que les personnels de l'éducation. La République a été grande quand on était capable de faire travailler ensemble l'instituteur et le professeur au Collège de France sur des manuels scolaires. Il y aura donc des moments de formation communs à tous les niveaux.
Nous entendons aussi mieux articuler le temps scolaire et le temps éducatif, ce qui comporte une dimension de décentralisation. Les enseignants apprendront désormais à travailler avec des acteurs extérieurs à l'école, issus du monde économique bien sûr mais aussi des collectivités locales, ainsi qu'avec les parents. La recherche sur ces questions sera conduite dans ces Écoles. Le conseil de l'innovation va être recréé ; Mme Pau-Langevin y travaille. Pour diffuser les bonnes pratiques, nous créerons un service public de l'éducation numérique qui comprendra une plateforme d'échange entre enseignants. L'expérimentation sera présente dans la loi, notamment pour l'articulation entre l'école élémentaire et les collèges. Nous ne reviendrons pas sur l'école du socle, mais nous permettrons d'organiser des réseaux entre écoles et collèges.
Le Président de la République a annoncé qu'il souhaitait que nous revenions sur la politique d'éducation prioritaire, en développant une gestion plus individualisée des établissements dans des contrats pluriannuels. Ce travail très précis ne pourra guère être fait avant la rentrée 2014. Comme avec les internats d'excellence, que nous n'allons pas développer car ils sont onéreux et leur efficacité est douteuse, il faut veiller à ne pas déstabiliser des équipes pleines de bonne volonté, mais à leur permettre d'accompagner les changements.
L'éducation artistique sera présente dans la loi : il y aura un parcours d'éducation pour chaque jeune.
Les rythmes scolaires sont une grande préoccupation pour vous, et je le comprends. Malgré la contrainte financière qui le tient, l'État a décidé de faire cette réforme. Les enseignants accepteront, sans doute, de travailler une demi-journée supplémentaire sans être payés davantage. Quelle autre catégorie de fonctionnaires ferait le même effort ? Il ne faut pas arguer des inégalités entre les collectivités locales pour bloquer la réforme des rythmes scolaires. Car ce sont les enfants qui seraient pénalisés. Un rapport a été voté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, la consultation menée par mon prédécesseur a été adoptée par tous, tous les médecins, tous les pédagogues sont formels : 144 jours, ce n'est pas un bon calendrier. L'Europe nous regarde attristée. Il faut faire cette réforme. Cela coûtera de l'argent, à l'État comme aux collectivités locales. Mais celles-ci devront être aidées dans chaque choix que nous ferons, afin de garantir la cohésion nationale. C'est ce que nous avons fait en répartissant les mille postes, en mettant l'accent sur les zones rurales.
Sur la santé à l'école, les postes que nous avons créés ne trouvent pas preneur pour le moment.
Pour l'orthographe, il faut donner au primaire la vraie priorité. Les collectivités locales doivent participer au pilotage des politiques éducatives, de concert avec les établissements et avec le rectorat. Il en va de même des cartes de formation professionnelle. Régions et État doivent désormais se concerter pour établir ces cartes. Le service public de l'orientation est aujourd'hui une des causes importantes de l'échec massif de nos élèves : il faut donc changer les choses. Les régions proches des bassins d'emploi doivent collaborer à ce service public. De même, les plateformes de décrochage passeront des préfets aux régions.
Sur les salaires, la politique du gouvernement précédent, mis à part un petit geste sur les débuts de carrière - que j'avais salué - n'a pas été une politique de revalorisation. J'estime que nous payons mal les enseignants, mais nous n'avons pas les moyens de faire mieux. Nous devons, d'abord, recruter et former. Dans un second temps, le dossier de la rémunération sera ouvert, si c'est possible. La loi dont vous allez débattre engage pour cinq ans, mais l'action de refondation doit être de plus longue haleine. Le métier d'enseignant a changé, et nous devrons en réformer certains aspects. Un agenda de la refondation sera proposé après le vote de la loi.
La question du numérique est pour nous une grande ambition. La transformation des pédagogies, la possibilité de créer une filière française de logiciels pédagogiques : si nous ne menons pas à bien ce projet, ce sera très handicapant pour le pays.