Intervention de Caroline Bardot

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 25 octobre 2012 : 1ère réunion
Femmes et travail — Audition de Mme Caroline Bardot inspectrice du travail

Caroline Bardot, inspectrice du travail :

Avant d'aborder les questions de fond, je souhaite préciser que, même si vous avez souhaité entendre à travers moi l'institution que je représente, et même si je me suis largement inspirée, pour préparer cette intervention, du rapport annuel que l'Inspection du travail fournit tous les ans à l'Organisation internationale du travail (OIT), mes propos reflèteront nécessairement ma vision personnelle, celle que je tire de mon expérience d'inspecteur du travail sur le territoire dont j'ai la charge.

A titre liminaire, je commencerai par un bref rappel sur l'organisation de l'Inspection du travail. Sa mission première est de contrôler les entreprises afin de rendre effectifs les droits relatifs aux conditions de travail, aux relations individuelles et collectives de travail et aux conditions d'emploi ; mais elle est également chargée de l'information et du conseil du public.

Le système français d'inspection du travail a pour spécificité d'être généraliste, contrairement à d'autres pays européens, comme par exemple la République tchèque, dont l'Inspection du travail est spécialisée sur les questions de santé et de sécurité.

Le système français repose sur une compétence de l'Inspection du travail à la fois généraliste et territoriale.

Ma compétence est territorialement définie : elle s'exerce sur la ville de Colombes, ce qui signifie que je suis amenée à contrôler toutes les entreprises qui y sont implantées, quel que soit leur secteur d'activité. Elle est également généraliste dans la mesure où je suis amenée à contrôler l'ensemble de la relation de travail. Ainsi, les contrôles peuvent porter tant sur la durée du travail que sur l'égalité professionnelle ou l'hygiène et la sécurité.

La récente réforme de l'Inspection du travail a d'ailleurs accentué le caractère généraliste du corps, puisque les anciens corps spéciaux affectés aux transports et à l'agriculture ont disparu.

Ainsi, aujourd'hui, un inspecteur du travail peut être amené à contrôler tant une écluse à Suresnes qu'une entreprise de transport, un chantier du bâtiment ou un siège social d'une entreprise du CAC 40. L'administration du travail est très attachée à cette mission généraliste.

Permettez-moi de vous donner quelques chiffres. En 2010, on comptait 1,8 million d'entreprises assujetties comptant plus de 18 millions de salariés, sachant que le secteur public n'en fait pas partie, et 785 sections d'inspections, soit en moyenne plus de 2 300 entreprises par section d'inspection.

On dénombrait 2 200 agents de contrôle, dont 775 inspecteurs du travail, qui contrôlent les entreprises de plus de 50 salariés et les contrôleurs du travail, qui interviennent dans les entreprises de moins de 50 salariés. Les premiers contrôlent en moyenne 120 entreprises, mais certaines d'entre elles emploient jusqu'à 30 000 salariés et la plupart sont dotées de représentants du personnel et d'instances collectives (comités d'entreprise, CHSCT...), alors que les seconds contrôlent chacun entre 800 et 1 500 entreprises en moyenne. Ces chiffres vous montrent la modicité des moyens dont nous disposons au regard de notre tâche.

J'en viens maintenant au coeur du sujet. Cela fait plus de cinquante ans que le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes est consacré par le droit international et par le droit national. Comme vous l'avez relevé en introduction, nous disposons donc d'un solide ensemble de règles. Cependant cet arsenal juridique ne résiste pas à une confrontation avec la réalité car, bien que davantage diplômées, les femmes disposent d'une rémunération moindre, sont plus nombreuses à occuper des emplois précaires, ont une évolution de carrière moins importante et accèdent moins que les hommes aux postes à responsabilité.

Le taux d'activité des femmes s'est rapproché de celui des hommes en France, mais les disparités dans l'emploi demeurent importantes. J'en ai identifiés quatre.

La première disparité, c'est la précarité de l'emploi. Les femmes qui travaillent sont plus souvent en situation de sous-emploi que les hommes et cet écart n'a pas diminué depuis 15 ans (30 % des femmes qui travaillent sont à temps partiel contre seulement 6,4 % des hommes). Bien plus inquiétant, depuis 2003, le taux de sous-emploi féminin est en constante augmentation.

A cet égard, il faut souligner une contradiction : le sous-emploi féminin est socialement bien mieux accepté que le sous-emploi masculin, en partie parce qu'une certaine politique de l'emploi a justifié le temps partiel, comme étant de nature à faciliter la conciliation avec les charges de famille des femmes. Or, cette vision ne résiste pas à l'épreuve des faits : la montée en puissance du temps partiel féminin va de pair avec le chômage de masse et le morcellement du temps de travail. Dans deux secteurs que je connais bien, celui de l'entretien et celui de l'aide à la personne, le temps partiel est extrêmement morcelé. Les femmes qui s'occupent de personnes dépendantes en sont une illustration : elles commencent leur travail tôt le matin, à l'heure de la toilette, continuent sur la tranche horaire du midi pour la préparation du repas et terminent le soir pour la préparation du dîner. Si elles ne comptabilisent en général sur la semaine qu'une vingtaine d'heures de travail, l'amplitude horaire est importante et ne leur permet pas d'assumer leurs charges de famille, ce qui les place dans une situation très difficile, surtout quand il s'agit d'une famille monoparentale. Or, en ce domaine, nous ne disposons que de très peu de leviers pour intervenir. Il existe certes une réglementation relative à la durée maximale du travail, à la durée du repos, mais l'amplitude peut aller jusqu'à 12 heures par jour dans certains secteurs d'activité.

Concernant la ségrégation dans les emplois, les femmes occupent deux fois plus souvent que les hommes des postes non qualifiés et les métiers qu'elles exercent sont très différents de ceux des hommes. Ainsi, les emplois des femmes se concentrent dans les services à la personne, les employées administratives, les agents d'entretien, la vente, l'enseignement et la santé. L'Inspection du travail n'a aucun levier pour y porter remède.

Les inégalités entre les femmes au regard du travail sont fortes : certaines accèdent à des postes importants, sans que cela ait un effet d'entraînement ; au contraire, la grande majorité des femmes reste reléguée dans des emplois peu qualifiés et précaires. Le taux d'activité des femmes dépend d'un certain nombre de paramètres : l'âge, le nombre d'enfants - puisque le taux d'activité des femmes décroit avec le nombre d'enfant et que l'âge du plus jeune enfant est plus déterminant aujourd'hui qu'auparavant - la nationalité, la structure familiale, le niveau de diplôme ou, encore, le lieu de vie (ainsi, les femmes cadres sont plus nombreuses dans l'Ouest que dans l'Est parisien). Là encore, l'Inspection du travail ne peut que constater ces disparités.

C'est en revanche en matière d'égalité professionnelle que l'Inspection du travail dispose d'un véritable pouvoir d'intervention. L'écart de rémunération entre les femmes et les hommes est important : 27 %. Il s'explique en partie par une durée moyenne de travail plus faible pour les femmes. Si l'on resserre la comparaison sur les seules personnes travaillant à temps complet, cet écart tombe à 15 %. Il est plus important chez les cadres : les hommes effectuent davantage que les femmes des heures supplémentaires et bénéficient en outre de davantage de primes. Chez les ouvriers et des employés, cet écart est plus faible, ne serait-ce que parce que l'on se situe à des niveaux de rémunération très bas - souvent proches du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) -. Phénomène inquiétant, cet écart ne se réduit plus depuis le début des années 1990, malgré le renforcement de l'arsenal juridique.

Les femmes sont moins souvent promues que les hommes. Le révélateur de cette inégalité dans le déroulement de carrière est le temps moyen passé dans une même catégorie professionnelle. L'examen des tableaux de carrière montre que les hommes restent moins longtemps que les femmes dans une même catégorie, témoignant d'une évolution de carrière plus rapide, et ce malgré l'existence de dispositions juridiques relatives à l'égalité professionnelle.

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