La délégation auditionne tout d'abord Mme Caroline Bardot, inspectrice du travail.
Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui Mme Caroline Bardot, inspectrice du travail.
Les auditions que nous avons menées sur notre thème annuel de réflexion « Femmes et travail » nous ont montré le chemin qui reste à parcourir pour arriver à une égalité véritable entre les femmes et les hommes dans la vie professionnelle.
Nous disposons pourtant, en ce domaine, d'un dispositif législatif et réglementaire globalement satisfaisant comme l'ont reconnu les personnes auditionnées et, en particulier, les syndicats. Mais il n'est pas suffisamment appliqué.
La ministre des droits des femmes nous a indiqué, la semaine dernière, que le Gouvernement travaillait à une refonte du décret d'application de l'article 99 de la loi de 2010 portant réforme des retraites, de façon à rendre plus effectives les sanctions imposées aux entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations en matière d'égalité professionnelle.
L'inspection du travail a évidemment un rôle important à jouer dans l'application de ces dispositions, comme l'ont reconnu nos interlocuteurs. C'est pourquoi j'ai souhaité que nous puissions vous auditionner, Madame l'Inspectrice, de façon à ce que vous nous expliquiez les constats auxquels vous pouvez procéder dans l'exercice quotidien des contrôles que vous opérez et peut-être même nous donner un éclairage sur vos conditions personnelles d'exercice de votre profession, en tant que femme.
Je souhaiterais que vous nous indiquiez également les leviers que nous pouvons vous fournir, en qualité de parlementaires, pour faciliter cette activité de contrôle.
Nous pourrons aussi, dans nos recommandations, relayer les suggestions que vous pourrez nous faire puisque la délégation, si elle n'a pas un rôle législatif direct, formule des recommandations qui peuvent être reprises par les commissions législatives.
Avant d'aborder les questions de fond, je souhaite préciser que, même si vous avez souhaité entendre à travers moi l'institution que je représente, et même si je me suis largement inspirée, pour préparer cette intervention, du rapport annuel que l'Inspection du travail fournit tous les ans à l'Organisation internationale du travail (OIT), mes propos reflèteront nécessairement ma vision personnelle, celle que je tire de mon expérience d'inspecteur du travail sur le territoire dont j'ai la charge.
A titre liminaire, je commencerai par un bref rappel sur l'organisation de l'Inspection du travail. Sa mission première est de contrôler les entreprises afin de rendre effectifs les droits relatifs aux conditions de travail, aux relations individuelles et collectives de travail et aux conditions d'emploi ; mais elle est également chargée de l'information et du conseil du public.
Le système français d'inspection du travail a pour spécificité d'être généraliste, contrairement à d'autres pays européens, comme par exemple la République tchèque, dont l'Inspection du travail est spécialisée sur les questions de santé et de sécurité.
Le système français repose sur une compétence de l'Inspection du travail à la fois généraliste et territoriale.
Ma compétence est territorialement définie : elle s'exerce sur la ville de Colombes, ce qui signifie que je suis amenée à contrôler toutes les entreprises qui y sont implantées, quel que soit leur secteur d'activité. Elle est également généraliste dans la mesure où je suis amenée à contrôler l'ensemble de la relation de travail. Ainsi, les contrôles peuvent porter tant sur la durée du travail que sur l'égalité professionnelle ou l'hygiène et la sécurité.
La récente réforme de l'Inspection du travail a d'ailleurs accentué le caractère généraliste du corps, puisque les anciens corps spéciaux affectés aux transports et à l'agriculture ont disparu.
Ainsi, aujourd'hui, un inspecteur du travail peut être amené à contrôler tant une écluse à Suresnes qu'une entreprise de transport, un chantier du bâtiment ou un siège social d'une entreprise du CAC 40. L'administration du travail est très attachée à cette mission généraliste.
Permettez-moi de vous donner quelques chiffres. En 2010, on comptait 1,8 million d'entreprises assujetties comptant plus de 18 millions de salariés, sachant que le secteur public n'en fait pas partie, et 785 sections d'inspections, soit en moyenne plus de 2 300 entreprises par section d'inspection.
On dénombrait 2 200 agents de contrôle, dont 775 inspecteurs du travail, qui contrôlent les entreprises de plus de 50 salariés et les contrôleurs du travail, qui interviennent dans les entreprises de moins de 50 salariés. Les premiers contrôlent en moyenne 120 entreprises, mais certaines d'entre elles emploient jusqu'à 30 000 salariés et la plupart sont dotées de représentants du personnel et d'instances collectives (comités d'entreprise, CHSCT...), alors que les seconds contrôlent chacun entre 800 et 1 500 entreprises en moyenne. Ces chiffres vous montrent la modicité des moyens dont nous disposons au regard de notre tâche.
J'en viens maintenant au coeur du sujet. Cela fait plus de cinquante ans que le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes est consacré par le droit international et par le droit national. Comme vous l'avez relevé en introduction, nous disposons donc d'un solide ensemble de règles. Cependant cet arsenal juridique ne résiste pas à une confrontation avec la réalité car, bien que davantage diplômées, les femmes disposent d'une rémunération moindre, sont plus nombreuses à occuper des emplois précaires, ont une évolution de carrière moins importante et accèdent moins que les hommes aux postes à responsabilité.
Le taux d'activité des femmes s'est rapproché de celui des hommes en France, mais les disparités dans l'emploi demeurent importantes. J'en ai identifiés quatre.
La première disparité, c'est la précarité de l'emploi. Les femmes qui travaillent sont plus souvent en situation de sous-emploi que les hommes et cet écart n'a pas diminué depuis 15 ans (30 % des femmes qui travaillent sont à temps partiel contre seulement 6,4 % des hommes). Bien plus inquiétant, depuis 2003, le taux de sous-emploi féminin est en constante augmentation.
A cet égard, il faut souligner une contradiction : le sous-emploi féminin est socialement bien mieux accepté que le sous-emploi masculin, en partie parce qu'une certaine politique de l'emploi a justifié le temps partiel, comme étant de nature à faciliter la conciliation avec les charges de famille des femmes. Or, cette vision ne résiste pas à l'épreuve des faits : la montée en puissance du temps partiel féminin va de pair avec le chômage de masse et le morcellement du temps de travail. Dans deux secteurs que je connais bien, celui de l'entretien et celui de l'aide à la personne, le temps partiel est extrêmement morcelé. Les femmes qui s'occupent de personnes dépendantes en sont une illustration : elles commencent leur travail tôt le matin, à l'heure de la toilette, continuent sur la tranche horaire du midi pour la préparation du repas et terminent le soir pour la préparation du dîner. Si elles ne comptabilisent en général sur la semaine qu'une vingtaine d'heures de travail, l'amplitude horaire est importante et ne leur permet pas d'assumer leurs charges de famille, ce qui les place dans une situation très difficile, surtout quand il s'agit d'une famille monoparentale. Or, en ce domaine, nous ne disposons que de très peu de leviers pour intervenir. Il existe certes une réglementation relative à la durée maximale du travail, à la durée du repos, mais l'amplitude peut aller jusqu'à 12 heures par jour dans certains secteurs d'activité.
Concernant la ségrégation dans les emplois, les femmes occupent deux fois plus souvent que les hommes des postes non qualifiés et les métiers qu'elles exercent sont très différents de ceux des hommes. Ainsi, les emplois des femmes se concentrent dans les services à la personne, les employées administratives, les agents d'entretien, la vente, l'enseignement et la santé. L'Inspection du travail n'a aucun levier pour y porter remède.
Les inégalités entre les femmes au regard du travail sont fortes : certaines accèdent à des postes importants, sans que cela ait un effet d'entraînement ; au contraire, la grande majorité des femmes reste reléguée dans des emplois peu qualifiés et précaires. Le taux d'activité des femmes dépend d'un certain nombre de paramètres : l'âge, le nombre d'enfants - puisque le taux d'activité des femmes décroit avec le nombre d'enfant et que l'âge du plus jeune enfant est plus déterminant aujourd'hui qu'auparavant - la nationalité, la structure familiale, le niveau de diplôme ou, encore, le lieu de vie (ainsi, les femmes cadres sont plus nombreuses dans l'Ouest que dans l'Est parisien). Là encore, l'Inspection du travail ne peut que constater ces disparités.
C'est en revanche en matière d'égalité professionnelle que l'Inspection du travail dispose d'un véritable pouvoir d'intervention. L'écart de rémunération entre les femmes et les hommes est important : 27 %. Il s'explique en partie par une durée moyenne de travail plus faible pour les femmes. Si l'on resserre la comparaison sur les seules personnes travaillant à temps complet, cet écart tombe à 15 %. Il est plus important chez les cadres : les hommes effectuent davantage que les femmes des heures supplémentaires et bénéficient en outre de davantage de primes. Chez les ouvriers et des employés, cet écart est plus faible, ne serait-ce que parce que l'on se situe à des niveaux de rémunération très bas - souvent proches du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) -. Phénomène inquiétant, cet écart ne se réduit plus depuis le début des années 1990, malgré le renforcement de l'arsenal juridique.
Les femmes sont moins souvent promues que les hommes. Le révélateur de cette inégalité dans le déroulement de carrière est le temps moyen passé dans une même catégorie professionnelle. L'examen des tableaux de carrière montre que les hommes restent moins longtemps que les femmes dans une même catégorie, témoignant d'une évolution de carrière plus rapide, et ce malgré l'existence de dispositions juridiques relatives à l'égalité professionnelle.
Quels sont les moyens dont vous disposez pour agir et comment exercez-vous votre pouvoir ?
Bien que nous disposions de pouvoirs larges en la matière, puisque nous pouvons demander tous les documents pertinents pour déceler des discriminations, tout comme en matière de travail illégal d'ailleurs, c'est un travail long, complexe, et nous pouvons nous heurter parfois à la réticence des entreprises à fournir l'ensemble des documents pertinents.
Prenons concrètement le cas d'une entreprise dont le rapport de situation comparé me paraît insatisfaisant : je décide alors de déclencher un contrôle.
A cet égard, qui prend l'initiative de déclencher le contrôle : est-ce systématique, êtes-vous seule juge de l'opportunité de le faire ?
Aucune procédure n'est systématique à l'Inspection du travail, ne serait-ce que parce que nous n'en aurions ni le temps ni les moyens. En ce qui me concerne, il me serait impossible d'examiner en détail l'ensemble des rapports de situation comparée qui m'arrivent tous les ans.
Il y a deux cas de figure : soit les personnes concernées attirent mon attention sur un problème qu'elles rencontrent dans l'entreprise, soit je me rends compte par moi-même d'un dysfonctionnement. Concrètement, lorsque je reçois le rapport de situation comparée, je commence par lire l'avis des représentants du personnel qui y est normalement joint. Si j'identifie un problème, j'approfondis l'examen des informations fournies. Je peux ensuite me déplacer dans l'entreprise et je demande à l'employeur de me transmettre tous les éléments utiles. La démarche est empirique, nécessairement. Dans les grandes entreprises, il m'arrive d'individualiser un service ou une catégorie de salariées, en fonction des informations que j'ai pu recueillir précédemment. Il peut aussi m'arriver, à l'occasion d'un contrôle sur un tout autre sujet, de déceler un problème d'inégalité entre les femmes et les hommes. A défaut de procéder à des contrôles systématiques, nous procédons empiriquement et par tâtonnements.
Une fois les informations transmises, et le déplacement sur place terminé, commence la phase laborieuse d'analyse des données qui passe par de longues heures de travail au bureau. Il nous faut ensuite du temps pour saisir informatiquement les données brutes afin de pouvoir effectuer des comparaisons. Bien entendu, lors de notre contrôle, il est toujours possible de demander aux entreprises de nous restituer ces documents synthétiques, mais si elles refusent de le faire, je n'ai aucun moyen de les y contraindre. Or, le temps passé au bureau, qui est donc considérable, est autant de temps en moins passé dans les entreprises.
Dans l'analyse des informations, je me concentre sur les données susceptibles de révéler un écart dans les rémunérations ou dans le déroulement de carrière. L'analyse peut être individuelle, si j'ai été saisie par une salariée en particulier, ou collective, en fonction des situations.
Le contrôle en matière de discriminations fait partie des missions de l'Inspection du travail. A ce titre, nous sommes compétents pour les cas de harcèlement, qu'il soit moral ou sexuel.
Les problèmes de discrimination sont assez peu abordés au cours de la formation initiale des inspecteurs du travail. En matière méthodologique, pour les cas de harcèlement, nous nous déplaçons souvent à deux personnes, parce que ce sont des situations qui demandent qu'on leur consacre beaucoup de temps et parce qu'elles sont émotionnellement difficiles.
J'en reviens donc aux conséquences qui peuvent être tirées des contrôles que j'effectue sur place. L'inspecteur du travail est libre des suites qu'il entend donner à un contrôle. Ainsi, si des irrégularités sont constatées, nous pouvons soit rédiger un courrier d'observation demandant à l'entreprise de se mettre en conformité avec la loi, soit dresser un procès-verbal. C'est précisément là que s'arrête notre mandat. Une fois dressé, le procès verbal nous échappe. Il revient au procureur de saisir ou non, en opportunité, le juge qui, lui-même, décidera ou non, de condamner l'employeur.
Pour vous donner un ordre de grandeur, sur les procès verbaux dressés par l'Inspection du travail en 2005 : 7 ans après, 13 % sont toujours en cours, 40 % ont fait l'objet d'un dessaisissement du Parquet, 23 % ont été classés sans suite. Par conséquent, seuls 48 % ont fait l'objet d'une poursuite, dont 17 % d'une alternative aux poursuites. C'est peu, et démotivant pour les agents. C'est la raison pour laquelle a été mis en place, au niveau ministériel, un Observatoire des suites pénales, afin d'avoir une visibilité sur ce qui constitue en réalité notre seul véritable moyen de contrainte. Vous voyez donc que nous sommes confrontés à une série d'obstacles pour assurer l'effectivité de nos procédures puisqu'il faut d'abord que le Parquet puisse déférer les procès verbaux devant les magistrats, faute de quoi ils rechercheront une alternative aux poursuites ; ensuite que les tribunaux aient le temps de statuer, alors même que le droit pénal du travail fait figure de parent pauvre dans les tribunaux de grande instance (TGI). Enfin, on peut espérer aboutir à une condamnation.
Le code pénal prévoit au maximum 3 700 euros d'amende pour sanctionner la rupture d'égalité dans la rémunération. En cas de discrimination à l'embauche, les peines sont plus conséquentes : elles peuvent atteindre 45 000 euros et être assorties, le cas échéant, d'une peine de prison de trois ans.
A cet égard, l'Inspection du travail n'a pas l'exclusivité du dépôt de la plainte : la victime, ou une association d'aide aux victimes, peut aussi saisir la justice, parfois de manière plus rapide que l'Inspection du travail.
Quand on sait qu'il se passera trois ans en moyenne avant de subir, éventuellement, une amende maximum de 3 700 euros, on peut se demander si certaines entreprises ne préfèrent pas courir ce risque plutôt que de faire des efforts pour résorber les écarts.
J'estime quant à moi que cette situation n'est pas satisfaisante.
Comme vous le savez, une disposition légale nouvelle, entrée en vigueur le 1er janvier 2012, permet à l'administration du travail d'infliger une sanction financière à une entreprise de plus de cinquante salariés qui n'aurait pas conclu d'accord, ou à défaut de plan d'action sur l'égalité professionnelle,
Cette disposition légale nouvelle a été présentée comme une avancée, à condition qu'elle soit effectivement appliquée. Or, sa mise en oeuvre est compliquée. Après la mise en demeure de l'Inspection du travail, l'entreprise dispose d'un délai de six mois pour remédier à la carence constatée ; à l'issue de ce délai, l'Inspection saisit le directeur régional du travail qui, en fonction de la bonne foi de l'employeur, ou de difficultés économiques alléguées, peut moduler la sanction.
Pourriez-vous nous donner une idée de la proportion des femmes au sein du corps des inspecteurs du travail ? Etes-vous, à cet égard, sensibilisés à cette question, notamment lors de la formation initiale ?
En matière de temps partiel, je suis particulièrement touchée par la distorsion que vous décrivez entre les cinq heures quotidiennes de travail effectif et une amplitude horaire de treize heures par jour. Quels sont les moyens pour faire reculer ce fléau ?
De l'ensemble de votre description liminaire, je retiens particulièrement le décalage entre un arsenal législatif important et l'insuffisance de moyens pour le faire appliquer. En particulier, faire évoluer la loi afin de passer d'une obligation de négocier à une obligation de conclure les accords sur l'égalité professionnelle, ne vous paraît-elle pas une avancée nécessaire ?
Enfin, pouvez-vous nous donner votre éclairage sur vos conditions personnelles de travail, celles d'une femme dans un milieu que nous savons encore très masculin ?
Je voudrais vous soumettre le cas d'une amie médecin, éminente praticienne, reconnue comme telle par ses pairs à l'hôpital. Jalousée par son supérieur hiérarchique direct, elle a été victime d'un harcèlement moral qui a tellement dégradé ses conditions de travail qu'elle en a contracté un cancer. J'ai moi-même alerté, sans succès, le ministre de la santé de l'époque. Aurais-je dû et puis-je encore vous signaler ce cas ?
Comment peut-on concrètement faire appel à vous et quels sont concrètement vos pouvoirs de contrainte ? Disposez-vous de données statistiques sur ce qui se passe en province ?
La saisine de la section territorialement compétente parmi les 785 sections d'inspection du travail de France s'effectue assez simplement, mais sa possibilité est peu connue du public, ce qu'on peut regretter. L'adresse de l'Inspection du travail compétente et le nom de l'inspecteur et ses coordonnées doivent être affichés dans l'entreprise. Encore faut-il que le salarié soit amené à se déplacer au siège de l'entreprise qui l'emploie ; tel n'est pas le cas des femmes employées auprès de particuliers.
Les services de l'inspection du travail, dont on peut trouver l'adresse sur leur site internet ou dans l'annuaire, possèdent un service de renseignements qui accueille le public pour des entretiens sans rendez-vous ou l'informe par téléphone.
Si l'on se proposait de mieux faire connaître leur existence et le rôle qu'ils jouent, il faudrait alors renforcer leurs effectifs pour leur permette de faire face à l'afflux des demandes auxquelles ils seraient alors certainement confrontés.
Comment procédez-vous lorsque des investigations concernent une entreprise d'un groupe ; comment sont traitées les relations avec le siège social ?
Lorsqu'une entreprise possède des établissements sur différents points du territoire, nous collaborons de façon informelle avec nos collègues des autres sections territoriales. Les inspecteurs et les contrôleurs concernés disposent d'une grande marge d'appréciation dans la façon de procéder, mais il paraît logique, dans ce type de circonstances, de se rapprocher de la section dont dépend le siège social de l'entreprise car, très souvent, c'est du siège social que relèvent les grandes décisions.
L'Inspection du travail est de plus en plus fréquemment saisie de cas de harcèlement moral ; or, notre formation ne nous a pas nécessairement bien préparés à accueillir des personnes en souffrance en raison de leur travail.
Nous n'intervenons pas systématiquement pour de tels cas ; en premier lieu, le consentement de la victime est nécessaire du fait de la confidentialité des plaintes ; ensuite, d'autre relais - le médecin du travail, les délégués du personnel et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui ont des prérogatives en matière de santé mentale au travail - peuvent aussi intervenir en usant de leur droit d'alerte qui les autorise à engager les investigations nécessaires.
Le cas que j'ai précédemment exposé concerne une personne soumise à du harcèlement moral mais ne souffrant pas de maladie mentale : c'est une personne saine mais harcelée.
Le champ de la santé mentale au travail recouvre aussi les individus rendus malades par leur activité professionnelle.
Ces enquêtes sur des cas de harcèlement sexuel sont difficiles à mener au sein de l'entreprise et, in fine, l'inspecteur du travail n'a pas le pouvoir de faire cesser immédiatement la situation. Nous pouvons rappeler la réglementation à l'employeur et lui demander qu'il s'y conforme en prenant toutes les mesures nécessaires ou bien établir un procès-verbal.
Si le traitement de ces cas de harcèlement nécessite de prendre des mesures d'éloignement, vous ne pouvez donc qu'alerter le procureur ?
Nous demandons à l'employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser la situation et pouvons dresser un procès verbal. Il nous est également possible d'alerter le médecin du travail.
Nous rappelons aussi à l'employeur qu'il doit protéger la santé physique et mentale de ses salariés et que le harcèlement moral ou sexuel sont prohibés sur le lieu de travail. Les représentants du personnel ont d'ailleurs aussi un rôle à jouer.
Vous m'avez interrogée sur nos possibilités d'intervenir au sein d'un hôpital. Or, il faut bien voir que les contrôles opérés par l'Inspection du travail portent sur le respect des dispositions du code du travail ; pour un hôpital employant des agents publics, nos possibilités d'intervention se limitent aux seules questions de santé-sécurité.
Le recrutement des inspecteurs du travail est majoritairement féminin à 60 %. Toutefois, les hommes demeurent toujours majoritaires lorsque l'on s'élève dans la hiérarchie, illustration du mécanisme du plafond de verre.
Les enseignements sur l'égalité professionnelle et la lutte contre les discriminations ne constituent qu'un pan limité de notre formation dont je vous rappelle qu'elle s'étend sur une année et demie en alternance. En outre, le temps de formation est éloigné du temps ou nous exerçons nos fonctions. Comme, en outre, la législation évolue très rapidement, nous devons nous remettre à jour continuellement. C'est aussi ce qui rend ce métier passionnant.
La loi n'impose qu'une obligation de négocier et non de conclure un accord d'égalité professionnelle aux entreprises de plus de cinquante salariés ; seules 7,5% des entreprises ayant des délégués syndicaux ont conclu un tel accord et ce sont principalement de grandes entreprises.
En 2010, seule une entreprise sur deux a réalisé le rapport de situation comparé qui doit être transmis chaque année au comité d'entreprise.
Si l'Inspection du travail peut demander que ce rapport soit établi, il n'en demeure pas moins que ces rapports sont souvent d'un contenu assez pauvre. En outre, les employeurs et les organisations syndicales privilégient d'autres thèmes au cours de la négociation.
Contrairement au travail précaire pour lequel nous pouvons nous appuyer sur des dispositions législatives et réglementaires sanctionnant un recours abusif à ce type d'emplois, nous n'avons que peu de leviers juridiques sur lesquels nous appuyer pour contrôler le recours au temps partiel : les dispositions précisant le nombre d'heures complémentaires au delà desquelles le contrat doit être requalifié, le respect du temps de repos quotidien, qui n'interdit pas pour autant une forte amplitude horaire. Certaines conventions collectives peuvent prévoir des clauses plus favorables pour les salariés. Je pense en particulier à la convention collective des employés à domicile qui dispose que ceux-ci ne peuvent effectuer plus de quatre interventions quotidiennes. Mais le non respect de cette règle conventionnelle n'est pas sanctionné pénalement.
La convention collective des salariés à domicile prévoit désormais, et c'est une amélioration, la rémunération du temps de trajet entre deux interventions, avant il s'agissait d'un temps forfaitaire.
De quelle manière est pris en charge ce temps de trajet forfaitaire pour les employés payés par un chèque emploi service universel (CESU) ?
Mon propos concernait des salariés employés par une entreprise ou une association travaillant dans le domaine des services à domicile. Le paiement par CESU concerne les particuliers employeurs ; en cas de multiplicité de tels employeurs pour un salarié, ce temps de trajet n'est pas rémunéré.
L'Inspection du travail ne peut intervenir que dans les entreprises assujetties au code du travail, il s'agit principalement des entreprises privées et associations, mais cela concerne également les entreprises publiques sous certaines conditions (hors fonctionnaires), les hôpitaux pour la partie santé-sécurité...
En outre, nous avons des compétences en matière d'hygiène-sécurité dans certains établissements publics, comme les hôpitaux.
La délégation auditionne ensuite M. Roger Vrand, sous-directeur de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives à la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) du ministère de l'Éducation nationale, et Mme Agnès Netter, cheffe de la mission « parité et lutte contre les discriminations » du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
Les auditions que nous avons menées sur notre thème annuel de réflexion « Femmes et travail » ont montré le rôle que pouvait jouer l'Éducation nationale, au sens large, pour faire progresser l'égalité des femmes et les hommes dans la vie professionnelle :
- en luttant, dès le plus jeune âge, et tout au long de la formation scolaire et universitaire, contre les stéréotypes sexués ;
- en luttant contre les discriminations, parfois discrètes et insidieuses, dont sont encore souvent victimes les petites filles, puis les lycéennes et les étudiantes ;
- en contribuant à un rééquilibrage dans l'orientation scolaire puis universitaire des filles comme des garçons, entre les différentes filières, car c'est un préalable pour venir à bout de la ségrégation professionnelle très marquée qui sévit encore dans notre pays ;
- enfin, en assurant une sensibilisation adéquate des enseignants, des personnels d'orientation et, d'une façon générale, des personnels éducatifs à cette problématique, au cours de leur formation initiale ou continue.
Je suis heureuse d'accueillir M. Roger Vrand, sous-directeur de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives à la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) du ministère de l'Éducation nationale, et Mme Agnès Netter, cheffe de la mission « parité et lutte contre les discriminations » au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, qui vont nous expliquer les constats opérés par leurs administrations respectives et les actions qu'elles ont engagées pour que le système éducatif contribue à faire avancer la cause de l'égalité.
Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche conduit une politique de promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes en s'appuyant sur les recherches menées sur ce sujet et en les faisant connaître à des fins de sensibilisation ; cette politique, stratégique pour le ministère, doit se diffuser dans la structure de son organisation sans se résumer à la seule gestion des ressources humaines pour offrir à tous les mêmes chances d'insertion professionnelle.
Cette politique d'égalité entre les femmes et les hommes s'est définie et renforcée au cours de la dernière décennie. Le ministère travaille de concert avec l'unité « recherche et genre » de la Direction générale recherche et collabore aussi avec un groupe transnational, dénommé groupe d'Helsinki, dans lequel siègent deux représentants du ministère, chargés de faire le lien entre la Commission européenne et les États membres, ce qui permet de fructueux échanges d'expériences et d'analyses.
Au sein du ministère, la mission « Parité et lutte contre les discriminations » (MIPADI) que je dirige propose une stratégie pour les politiques d'égalité dans l'enseignement supérieur et la recherche, assure le rôle d'observatoire des inégalités mais aussi des bonnes pratiques et d'instance de pilotage des dispositifs et de suivi des actions.
Jusqu'en 2007, cette mission ne traitait que de la parité.
Je vais présenter des éléments chiffrés qui illustrent la nécessité d'un changement des représentations et des pratiques :
- à l'université, les étudiantes représentent 72 % de l'effectif en Lettres et Sciences du langage, mais seulement 28 % de celui en Sciences fondamentales ;
- les femmes représentent 56,5 % des étudiants en licence mais plus que 48 % des étudiants en doctorat ;
- les femmes représentent 57 % des étudiants en université, mais seulement 42 % en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et 27,5 % en écoles d'ingénieurs ;
- 93,5 % des étudiants en instituts universitaires de technologie (IUT) Génie électrique et informatique industrielle sont des hommes mais on n'en dénombre que 20,6 % en IUT Carrières sociales.
On constate aussi que la progression de l'égalité professionnelle n'a pas encore éliminé le « plafond de verre », les inégalités entre les femmes et les hommes s'accroissant au fur et à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie au sein du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Les femmes représentent :
- 56 % des personnels non enseignants de catégorie C ;
- 46 % des personnels non enseignants de catégorie A ;
- 42 % des maîtres de conférences et 40 % des chargés de recherche des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) ;
- 22,5 % des professeurs d'université et 26,5 % des directeurs de recherche des EPST ;
- 11,4 % des présidents d'université et d'EPST.
Tous ces indicateurs sont détaillés dans une brochure publiée par la MIPADI, « femmes et hommes dans l'enseignement supérieur et la recherche », diffusée au sein de l'enseignement supérieur et de la recherche pour sensibiliser ceux qui y travaillent.
En 2007, pour la proportion des femmes chercheurs, la France n'était qu'au 19ème rang de l'Union européenne et qu'au 24ème rang sur trente pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2009.
Aussi, pour y remédier, l'action engagée par le ministère s'articule-t-elle selon trois axes :
- Premier axe : assurer la coordination entre les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR) et encourager le développement de politiques d'égalité, notamment par les travaux du comité pour l'égalité (COMEGAL), placé auprès de la ministre ; c'est une instance consultative, force de propositions, de coordination et d'évaluation des politiques d'égalité menées par les différents acteurs de l'ESR ; ce comité se réunit 2 à 3 fois par an et comporte des représentants des trois directions générales de l'ESR mais aussi de l'Académie des sciences, de l'Agence nationale de la recherche (ANR), de la Conférence des présidents d'université et des grandes écoles, de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), des établissements publics de recherche, pour débattre de l'égalité entre les hommes et les femmes.
Le ministère apporte son soutien à l'adoption de chartes pour l'égalité par les différentes conférences de l'ESR afin d'inciter leurs établissements à créer des postes de chargés de mission égalité ; un tiers des universités en possèdent et on en dénombre une centaine dans les écoles d'ingénieurs et les établissements publics de recherche.
- Deuxième axe : favoriser l'égalité professionnelle, qu'il s'agisse d'accompagner les établissements dans la mise en oeuvre des dispositions de la loi Sauvadet, d'exercer un rôle de veille et de conseil pour que les dispositifs en place intègrent la dimension égalité - ainsi, lors de la révision du décret électoral pour les conseils d'administration des universités, un article relatif à la parité a été inséré - ou de développer des formations à l'égalité entre les femmes et les hommes.
- Troisième axe : assurer la mixité dans les filières de formation en participant activement aux démarches interministérielles, telles que la convention pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, et en apportant un soutien actif, notamment financier, aux associations qui développent des actions de sensibilisation auprès des jeunes et dans les établissements d'enseignement supérieur ; j'en citerai quelques-unes : « Femmes et sciences », « Femmes et mathématiques », « Femmes ingénieures », « Femmes diplômées de l'université », « Femmes dans le nucléaire » ; un prochain colloque organisé par « Femmes et sciences » traitera des questions d'insertion professionnelle des jeunes filles après la licence ; l'association « Femmes et mathématiques » propose, quant à elle, des actions de mentorat des jeunes mathématiciennes pour les amener à briguer des postes de professeurs d'université ou de chercheurs ; la proportion de femmes professeurs est passée de 18 % à 15 % et si cette tendance se poursuit, il n'y aura bientôt plus de femmes professeurs de mathématiques dans l'enseignement supérieur.
Comment expliquez-vous la désaffection des femmes pour ces carrières dans le champ des mathématiques de haut niveau ?
Par la prégnance des stéréotypes sexués. Des études de psychologie sur le thème des jeunes filles et des mathématiques ont montré que les filles réussissaient aussi bien un exercice que les garçons lorsque ce dernier était présenté sous l'angle d'un dessin à analyser ; en revanche, elles avaient de moins bons résultats lorsque celui-ci leur était présenté comme un problème de géométrie descriptive ; ce mécanisme d'autolimitation implicite des filles existe tant à l'école primaire, que dans le secondaire ou dans les écoles d'ingénieurs.
Madame, je vous remercie. Je vais laisser la parole à M. Roger Vrand, sous-directeur de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives à la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) du ministère de l'Éducation nationale.
Au sein de ma sous-direction, la mission « prévention des discriminations et égalité entre les filles et les garçons », placée sous la responsabilité de Mme Anne Rebeyrol, a en charge l'animation d'un réseau de chargés de missions académiques placés auprès de chacun des trente recteurs pour décliner au niveau régional, de concert avec les déléguées régionales aux droits des femmes, les dispositions de la convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons, les hommes et les femmes, dans le système éducatif.
Son action s'inscrit dans le cadre de dispositions du code de l'éducation en vigueur depuis 1989 selon lesquelles « les écoles, les collèges, les lycées (...) contribuent à favoriser la mixité et l'égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d'orientation. (...). Ils assurent une formation à la connaissance et au respect des droits de la personne ainsi qu'à la compréhension des situations concrètes qui y portent atteinte ».
Au delà de ce cadre législatif, la DGESCO rappelle régulièrement cette exigence d'égalité et de prévention des discriminations dans la circulaire annuelle de préparation de la rentrée qui précise les priorités de l'année en matière pédagogique et éducative.
La dernière circulaire, publiée en mars 2012, insiste sur l'appropriation par les élèves du principe de non discrimination et d'égalité entre les femmes et les hommes et rappelle la nécessité d'établir des statistiques sexuées sur les parcours des élèves tant au niveau national que par académie à fins d'évaluation.
La réforme du lycée, notamment l'évolution des séries scientifiques (S) et des séries scientifiques, technologiques industrielles et du développement durable (STI2DD) offre de nouvelles perspectives pour favoriser un meilleur équilibre dans les orientations respectives des filles et des garçons.
Le lien école/entreprise permet en outre de développer des actions de coopération avec le monde professionnel par le biais de stages, tutorats, journées portes ouvertes... et de faire évoluer la représentation des métiers.
Pour conduire ce type d'actions à l'échelon des établissements, nous disposons d'un autre outil : le comité d'éducation à la santé et la citoyenneté (CESC) qui a pour mission de mettre en place des programmes d'action sur ce sujet.
Outre ces rappels annuels, les points d'appui des actions en faveur de la parité filles-garçons se trouvent au sein des programmes d'enseignement et dans les éléments du socle commun de connaissances et de compétences qui doivent être acquis par les élèves à l'issue de la scolarité obligatoire.
Au sein des programmes d'enseignement, je citerai, sans être exhaustif et à titre d'exemple : en primaire, le programme d'instruction civique et morale du cycle des approfondissements qui mentionne le refus des discriminations de toute nature ; le programme d'éducation civique au collège qui aborde la problématique de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le programme intitulé « la diversité et l'égalité » ; ou encore, dans les programmes d'histoire en classe de quatrième, l'étude proposée sur « La Révolution et les femmes » qui permet de comprendre « les fondations d'une France nouvelle ».
A l'intérieur du socle commun de connaissances et de compétences, les compétences sociales et civiques du pilier 6 intègrent, en particulier, le respect des autres et de l'autre sexe ou le refus des préjugés, dans les attitudes à acquérir par tout élève au cours de sa scolarité obligatoire. Parmi les compétences attendues à la fin du CM2, par exemple, l'élève doit savoir « respecter les autres et, notamment, appliquer les principes de l'égalité des filles et des garçons ».
Par conséquent, ces questions peuvent faire l'objet d'une évaluation dans le cadre du suivi de l'acquisition des connaissances et des compétences des élèves.
Au collège comme au lycée, cette acquisition s'appuie également sur la mise en oeuvre d'actions d'éducation et de prévention. A cet égard, les séances d'éducation à la sexualité, prévues à l'article L.312-16 du code de l'éducation, font l'objet d'un renforcement tant en terme de moyens que de compétences, afin de permettre leur développement.
Parmi les actions éducatives de référence, publiées chaque année au Bulletin officiel par l'Éducation nationale à destination des établissements, figure aussi la Journée internationale des femmes.
J'ai précédemment cité le comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté qui existe actuellement dans les collèges et les lycées du secondaire. Nous réfléchissons à son extension dans les établissements du premier degré. Constitué de personnels de l'établissement - enseignants et personnels de santé - mais aussi de partenaires locaux associatifs et issus des collectivités, sa mission prioritaire est d'agir pour développer les actions tendant au respect de l'égalité entre les femmes et les hommes dans les établissements.
La formation des personnels est un autre levier d'action. Au sein de la formation initiale, les compétences à acquérir par les professeurs, documentalistes et conseillers principaux d'éducation, définies par l'arrêté du 12 mai 2010, intègrent les valeurs de la mixité qu'il s'agisse du respect mutuel ou de l'égalité.
Ce volet est évidemment intégré dans le cadre de la réflexion actuelle sur la mise en place des écoles supérieures de l'éducation et du professorat.
Par ailleurs, des stages de formation continue sont régulièrement proposés aux personnels des équipes éducatives des établissements scolaires dans les plans académiques de formation. A cet égard, nous travaillons actuellement à l'intégration d'un module sur ce sujet dans le Plan national de formation pour l'année 2013.
Parmi les leviers, la convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, a été signée pour la période 2006-2011 par huit ministères et constitue un cadre général permettant de réaffirmer l'action engagée en matière d'égalité entre les sexes. Le ministère de l'Éducation nationale, représenté par une rectrice, en présidait le comité de pilotage.
La préparation de la prochaine convention 2012/2017 est en cours d'élaboration en étroite collaboration avec le ministère des droits des femmes qui co-présidera le futur comité de pilotage avec le ministère de l'Éducation nationale.
La convention 2006/2011 s'appuyait sur trois grands axes : le premier concernait l'orientation ; l'axe 2 engageait les parties à « assurer auprès des jeunes une éducation à l'égalité entre les sexes, cet apprentissage impliquant notamment la mise en oeuvre d'actions de prévention des comportements et violences sexistes » ; le troisième portait entre autre sur la formation à l'égalité des acteurs des systèmes éducatifs.
Afin de lutter contre la désaffection des filles pour les carrières scientifiques, le ministère a lancé il y a un an le « Plan sciences et technologies à l'école », dont un des axes est consacré aux filles et aux sciences.
Le lancement du plan a été l'occasion de signer des conventions avec trois associations (« Femmes et Mathématiques », « Femmes et Sciences », « Femmes ingénieurs ») pour leur permettre d'intervenir en milieu scolaire dans l'objectif d'encourager, chez les jeunes filles, les vocations pour les carrières scientifiques et technologiques, en améliorant notamment la connaissance des filières et des métiers.
Une convention entre le ministère et l'association « Elles bougent » a également été signée au premier trimestre de l'année scolaire 2011-2012.
Par ailleurs, dans le cadre du « Plan sciences et technologies », la première édition d'une « Semaine des mathématiques » a été organisée l'année dernière, dont le thème principal était « filles et mathématiques », dont le point d'orgue s'est conclu par une manifestation au Palais de la Découverte.
Je veux aussi souligner l'action de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP) qui développe, à travers tous ses outils (publications écrites, numériques et vidéos) la promotion de la mixité dans les différents secteurs d'activités. L'ONISEP a créé avec le ministère et la mission « filles-garçons » un site web - www.surlechemindelamixite.fr - qui permet, en travaillant sur l'image des métiers et en proposant des portraits de femmes et d'hommes engagés dans des domaines qui peuvent paraître « atypiques à leur sexe », d'ouvrir le champ des possibles professionnels en dehors de toute représentation préétablie.
L'ONISEP élabore actuellement le site « Objectif égalité », en étroite association avec la DGESCO, qui développera deux approches différentes : à destination des adolescents d'un côté, des équipes éducatives de l'autre. Beaucoup plus ambitieux que le précédent, il sera amené à terme à s'y substituer.
La brochure ministérielle « Filles et garçons sur le chemin de l'égalité de l'école à l'enseignement supérieur », publiée chaque année à l'occasion de la Journée internationale des femmes le 8 mars, actualise les principales données statistiques sur les parcours scolaires comparés des filles et des garçons et synthétise les principaux indicateurs de suivi des parcours des filles et des garçons, du premier degré jusqu'à l'entrée dans l'enseignement supérieur.
Cette brochure est disponible en ligne sur le site « Eduscol » : www.eduscol.education.fr/pid23262-cid47775/-filles-etgarcons-sur-le-chemin-de-l-egalite-brochure.html.
Sur un sujet connexe, mais complémentaire, la brochure « Comportements sexistes et violences sexuelles : prévenir, repérer, agir », publiée en 2010, est un guide ressource pour les équipes éducatives des collèges et des lycées, disponible en ligne sur le site « Eduscol » (www.eduscol.education.fr/cid53898/-comportements-sexistes-violences-sexuelles.html). Elle dresse un état des lieux, formule des définitions, procède à des rappels juridiques et s'interroge sur le rôle de l'École dans la prévention, le repérage et le traitement des situations de violence, en particulier sexuelles.
Vous voyez donc que les questions d'égalité femmes-hommes font l'objet d'une relance significative au sein de l'Éducation nationale, en collaboration étroite avec le ministère des droits des femmes. De nombreux chantiers sont en cours, dont la réécriture de la convention interministérielle est l'impulsion.
Concernant la question de l'orientation, le paradoxe est bien connu : si les filles ont de meilleurs résultats scolaires que les garçons, on les retrouve pourtant dans des situations professionnelles qui leur sont défavorables. Ce décalage est en partie dû à des choix d'orientation qui obéissent à des représentations « sexuées », les filles préférant les filières littéraires aux filières scientifiques et technologiques, dont les débouchés ne sont évidemment pas les mêmes.
Ainsi, si le taux d'accès au baccalauréat est sensiblement supérieur pour les filles - 76,6 % contre 66,8 % pour les garçons - elles sont encore minoritaires au sein des filières scientifiques - 45 % en série S et seulement 10 % dans les séries technologiques et industrielles - alors qu'elles représentent 78,6 % des élèves inscrits en série littéraire.
Nous réfléchissons, à l'heure actuelle, à faire évoluer les indicateurs du programme annuel de performance (PAP) pour y introduire le suivi de la proportion des jeunes filles dans les filières professionnelles en différenciant les filières industrielles du tertiaire.
Ces indicateurs existent déjà à l'heure actuelle dans le PAP visant à faire progresser la proportion des jeunes filles dans les filières scientifiques et technologiques.
Comme vous, nous sentons bien qu'un mouvement de relance est en cours et que vous travaillez à fédérer les énergies pour déconstruire les stéréotypes sexués. Sur ce sujet, si on a l'habitude d'entendre que « l'école ne peut pas tout », je pense au contraire que l'école peut beaucoup et qu'elle est d'autant plus efficace qu'elle s'attaque au problème très tôt, dès la maternelle.
Les stéréotypes agissent très vite, vous l'avez démontré, et en profondeur. Leur action conduit les filles à reproduire, d'elles-mêmes, les schémas sociaux dans lesquels elles ont été éduquées et à s'autocensurer, soit par manque de confiance en elles-mêmes, soit pour répondre à une supposée injonction scolaire qui ne leur permet pas de se projeter autrement dans l'avenir.
Il est donc essentiel que la réforme actuelle dans laquelle l'école est engagée s'attache à faire avancer le sujet. Je considère que rien ne se fera sans les enseignants qui doivent se sentir dépositaires de l'animation de cette question.
A ce titre, même si je ne dénie pas l'efficacité de certaines actions ponctuelles, je pense que le renforcement de la formation initiale du corps professoral est essentiel. Nous devons former les militants de la cause de l'égalité entre les femmes et les hommes, tant parmi les professeurs qu'au sein de la médecine scolaire qui porte aussi une large part de responsabilité.
La prise de conscience actuelle de l'imprégnation des stéréotypes sexués dans la société nous amène donc à reconsidérer l'école, à lui redonner une place fondamentale dans l'éducation de nos enfants.
Permettez-moi de dire un mot sur les recherches que nous menons sur le sujet de l'égalité au sein du ministère. Elles sont insuffisamment connues. Ainsi, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a recensé, en lien avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'ensemble des travaux de recherche portant sur le genre, qu'ils soient menés au sein des universités ou des établissements publics de recherche.
Nous travaillons, à l'heure actuelle, à étendre ce recensement aux enseignements qui traitent du sujet : par exemple, des masters à l'égalité existent dans les universités qui forment des professionnels dans ces domaines.
Nous avons également mis en place un groupe stratégique sur le genre et l'égalité, chargé de faire des propositions, de diffuser des recherches sur l'égalité, afin d'alimenter les réflexions et de lutter contre les stéréotypes. Ses conclusions devraient être remises sous peu.
Sur la question des filles et des filières scientifiques, je voudrais vous signaler l'existence d'un prix que nous avons créé il y a dix ans sous le nom de « Prix Irène Joliot-Curie », pour montrer que la science existe au féminin au plus haut niveau, ce qui reste aujourd'hui largement ignoré.
A cet égard, la « Médaille Fields », la plus prestigieuse récompense pour la reconnaissance des travaux en mathématiques, n'a jamais été décernée à une femme et seules deux médailles d'or du CNRS ont récompensé une femme depuis 1954.
Il ne faut pas en déduire qu'il n'y aurait pas de femme engagées dans ces travaux, mais seulement que les phénomènes de discriminations les rendent invisibles. C'est la raison pour laquelle nous cherchons aujourd'hui à mettre en place un réseau de femmes scientifiques de très haut niveau qui pourrait fournir un vivier de femmes expertes pour les médias. On sait en effet qu'aujourd'hui l'« expert » médiatique est, dans 90 % des cas, un homme, contribuant ainsi à perpétuer la représentation uniquement masculine des professions scientifiques.
Le témoignage de femmes médecins que nous avons auditionnées la semaine dernière va dans le même sens. La main mise des hommes sur la profession, que ce soit en termes de carrière ou de visibilité, est du même ordre que celle que vous décrivez dans les professions scientifiques.
Enfin, je vous signale que, parmi les chantiers en cours, le ministère à l'intention de faire entrer le sujet de l'égalité dans la négociation des conventions avec les établissements.
Pour faire écho à ce que vous disiez sur le rôle fondamental de l'école dans la déconstruction des stéréotypes, un outil ressource pour les enseignants du primaire est encours de réalisation. Nommé « ABCD de l'égalité », il vise à fournir des outils à ces enseignants afin de les aider à ne pas reproduire des stéréotypes de genre auprès des élèves.
Le lancement, demain, d'un groupe de travail dont les travaux portent sur l'éducation à la sexualité, va dans le même sens : en renforcer l'effectivité et en élargir la portée.
Au delà des questions d'égalité, il me semble que l'orientation reste le parent pauvre des parcours scolaires : trop d'élèves terminent aujourd'hui leurs études sans savoir ce qu'ils veulent faire...
Certes, les statistiques de l'intégration dans l'enseignement supérieur montrent qu'il reste beaucoup à faire. Pourtant, nous avons commencé à mener des actions parmi lesquelles, par exemple, l'« accompagnement personnalisé » dans les lycées qui propose aux lycéens, pendant une plage horaire de deux heures par semaine, de réfléchir à leurs choix d'orientation.
C'est dans ce cadre qu'il faudrait travailler à déconstruire les stéréotypes sur les métiers ! Les réflexions de certains jeunes, entendues lors de salons de l'Éducation, sont édifiantes, en particulier lorsqu'elles portent sur les métiers à haute technologie (ingénieur, chercheur...) et cela qu'elles émanent des filles ou des garçons !