Le sociologue Christian Bachmann parlait de « haine de proximité ». Ces gosses se font avant tout du tort à eux-mêmes. La plupart n'aiment pas la violence. Selon une enquête de délinquance auto-déclarée menée sur 6 000 collégiens de la couronne parisienne, 80 % d'entre eux appartienne à une bande, une bande d'amis qui les protège ; 8 %, à une bande plus délinquante. Dans mon livre Les Dix commandements contre la violence à l'école, le plus important est le sixième : la solitude tu éviteras. Cela vaut pour l'enseignant comme pour l'élève.
La réforme de la carte scolaire a-t-elle nui à la mixité sociale ? La carte scolaire a toujours été contournée, et n'a pas empêché les ghettos ethniques. L'un des collèges les plus favorisés du Bordelais compte vingt gosses issus d'une cité dite difficile : ils sont tous interdits de centre d'information et de documentation et cumulent 80 % des punitions. Preuve qu'une culture d'établissement se crée. L'affaiblissement de la mixité sociale est ancien ; c'est pourquoi, pour nos études, je m'étais réservé la Seine-Saint-Denis : il y a des ghettos de fait, carte scolaire ou non.
Les enquêtes, notamment américaines, montrent que la stabilité des équipes éducatives est le principal facteur de protection contre les violences entre pairs. Entre enseignants, la donne socio-économique est très importante. Je ne connais pas d'établissement sans conflit au sein des équipes. Indépendamment du problème des coûts - qui relève du politique et des syndicats - la France est le seul pays au monde à organiser l'affectation des enseignements du second degré au niveau national. Des jeunes enseignants formés en Aquitaine, la plupart occuperont un premier poste en banlieue parisienne. Le choc sociologique énorme s'ajoute au déracinement. Il est indispensable de stabiliser les éducateurs, comme les policiers ou les postiers dans les quartiers difficiles. Il faut avoir le courage de remédier à ce système, qui constitue une erreur gravissime, pour ne pas dire criminogène.
Vous avez évoqué la pression de la hiérarchie, la souffrance des enseignants. La loi de 2005 sur l'intégration des élèves handicapés à l'école est très positive, mais les enseignants sont démunis. Sans confondre handicap et violence, on ne peut faire abstraction du problème posé par le handicap mental. Les auxiliaires de vie scolaire sont précaires et mal formés. En Finlande, on confie les enfants les plus difficiles aux personnels les mieux formés... Nous devons entendre le cri de détresse des enseignants. Un professeur attaque l'État car il estime que sa sécurité n'était pas assurée face à un élève schizophrène. Comment faire face aux troubles du comportement agressifs ? 37 % des enseignants du premier degré disent rencontrer des problèmes avec des enfants gravement perturbés. Comment gère-t-on une crise de colère ? Faut-il laisser l'enfant se rouler par terre ?
Les solutions existent, elles passent par la formation et le travail en équipe. Le programme KiVa contre le harcèlement est l'un des meilleurs au monde. Je connais bien sûr l'expérience qui est menée à Paris. De nombreux programmes obtiennent d'excellents résultats, sur la gestion des crises de colère, sur l'intimidation. Malheureusement, en France, nous n'avons pas la culture du programme, mais du plan national, de l'organisation pyramidale. Or l'amélioration du climat scolaire ne se décrète pas. C'est un travail de longue haleine. Il faut changer cette culture centralisée, cesser d'attendre du ministre qu'il règle le problème de la violence à l'école simplement en créant des postes supplémentaires.
Dans le programme de médiation par les pairs, des collégiens sont médiateurs pour des élèves de l'école élémentaire.