La commission procède à l'audition de M. Éric Debarbieux, directeur de l'Observatoire international de la violence à l'école, professeur à l'université Bordeaux II-Victor Segalen, sur le thème de la violence scolaire.
Nous nous félicitons de la nomination de M. Debarbieux comme délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire ; voilà longtemps que notre commission est mobilisée sur ces sujets. Nous avons ainsi récemment auditionné une animatrice du Mouvement pour une alternative non violente (MAN) qui nous a présenté les outils pédagogiques à mettre en oeuvre pour apaiser le milieu scolaire et former les citoyens de demain, afin que les mots remplacent les coups.
Je suis heureux d'évoquer ces sujets devant des responsables politiques. Je connais bien les problèmes de violence à l'école : d'abord éducateur spécialisé en milieu ouvert dans le Nord, puis instituteur spécialisé dans la Drôme, maître de conférences à Bordeaux et enfin professeur à Créteil, j'étudie ce phénomène depuis 1991.
Hier encore, je recevais le témoignage d'une personne qui vit avec les séquelles du harcèlement subi dans les années 1970, dans un lycée pourtant tranquille. Pendant des années, la violence en milieu scolaire a été tue, ou vue uniquement sous l'angle d'une violence d'invasion, venue de l'extérieur. On a longtemps pensé que pour se protéger, il fallait fermer l'école sur elle-même, instaurer des protections mécaniques ou électroniques, faire appel à la police. Cette vision des choses n'est pas propre à la droite ; dans un département sensible, 80 % du budget du conseil général pour la prévention de la violence à l'école sont consacrés à la vidéosurveillance.
Or la violence à l'école n'est pas essentiellement une violence d'intrusion, même si celle-ci existe, et nécessite des plans d'intervention d'urgence. Pour citer Hannah Arendt, la violence est « l'intrusion de l'inattendu sous sa forme la plus radicale ». Face à cette violence, comment penser l'impensable ? L'enquête de victimation nationale montre que 99 % des violences contre les élèves, et 98 % des violences verbales sont le fait d'autres élèves de l'établissement. Les mesures de sécurité mécanique ou humaine sont un leurre - même si elles ne sont pas toujours inutiles : dans certains établissements, mieux vaut fermer les portes à clé si l'on veut retrouver les ordinateurs... Un établissement fermé, sans ouverture au quartier, aux parents, sera plus souvent pris pour cible. Les détecteurs de métaux sont contreproductifs : ce type de mesure nourrit la violence par ressentiment de la population - ce sont les affreux gauchistes du FBI qui le disent. Il ne s'agit pas de craindre Big Brother : les dispositifs de surveillance ne marchent tout simplement pas, ou peu.
La violence à l'école n'est pas paroxystique mais interne, répétée, souvent verbale. Ce sont des incivilités, des insultes, des bousculades, qui se répètent. Il faut penser la violence à l'école dans sa banalité. On ne l'éradiquera pas, mais on peut la faire diminuer. La violence ne touche pas tout le monde, ni de la même manière. Les enquêtes menées depuis 1991 auprès de plus de 80 000 élèves montrent que la violence se concentre sur 10 % des élèves environ ; 5 % sont victimes de harcèlement sévère. Sur un échantillon de 12 000 élèves de primaire, 10 % étaient victimes de violence à répétition ; le chiffre est le même pour les collégiens, et n'a pas évolué depuis 1996.
Les conséquences sont bien connues : un élève harcelé à l'école a quatre fois plus de chances de faire une tentative de suicide, d'être dépressif tout au long de sa vie. La violence constitue un facteur de risque majeur en termes de santé publique, d'où la nécessité de se rapprocher du monde de la pédopsychiatrie. Risque également de décrochage scolaire, d'absentéisme : des enquêtes en Irlande, aux États-Unis, les travaux de Catherine Blaya en France, montrent qu'un quart des absentéistes chroniques ne viennent plus à l'école parce qu'ils ont peur. Les victimes sont souvent de bons élèves : 39 % des collégiens disent subir des moqueries à cause de leurs bons résultats. Qu'est-ce que cette école où « intellectuel » est une insulte ?
Nous avions pris beaucoup de retard, malgré quelques travaux comme ceux de Nicole Catheline. La véritable prise de conscience a eu lieu avec les Assises nationales sur le harcèlement à l'école, que j'ai organisées à la demande de Luc Chatel. Je suis heureux d'être aujourd'hui le délégué de Vincent Peillon, preuve qu'il peut y avoir continuité et consensus sur ce sujet.
On a beaucoup parlé en cette rentrée des agressions subies par les enseignants. Peut-on toutefois se contenter d'y voir la conséquence d'un manque de moyens humains ? L'aggravation de la violence anti-scolaire ne date pas d'hier. Un rapport que j'avais remis à Jack Lang attirait l'attention sur la mutation des phénomènes de violence à l'école en France, notamment au collège et dans les lycées professionnels : augmentation des violences anti-scolaires, tournées contre l'institution, qu'il s'agisse des locaux ou des personnels. En 1993-1994, 7 % des enseignants disaient ressentir l'agressivité des élèves ; cinq ans plus tard, dans les zones urbaines sensibles, ils étaient 42 %.
On observe une montée de la délinquance d'exclusion ; les agressions ont changé de sens et de nature. En 1991, 6 % des élèves se disaient rackettés, et 4 % se disaient racketteurs. En 1998, la proportion de victimes était toujours de 6,5 %, mais 8 % des élèves se disaient agresseurs. On rackette à quatre ou cinq contre un : c'est la loi du plus fort. La délinquance se fait plus collective, c'est une délinquance d'appartenance. Je te rackette car tu n'es pas de mon quartier, de mon immeuble, de mon origine. Il y a aussi un phénomène d'ethnicisation, il faut le dire. La violence à l'école devient une manière identitaire de faire groupe, de faire sens, d'exister. Pour devenir « un vrai mec », il faut avoir été puni, exclu, sur-exclu.
Les chiffres de l'Éducation nationale ont fini par rejoindre ceux des enquêtes de victimation. Les agressions contre les conseillers principaux d'éducation (CPE), contre les professeurs de collège ont augmenté. Elles restent toutefois cantonnées dans 5 à 10 % des établissements : la sociologie de la violence à l'école reste une sociologie de l'exclusion sociale. Selon une recherche américaine, les agressions entre élèves ne sont pas particulièrement liées à la donne sociale : 8 % des élèves sont harcelés dans les établissements ordinaires, 12 % dans les établissements défavorisés. En revanche, les agressions contre les enseignants sont beaucoup plus fréquentes dans les zones défavorisées. Une enquête menée sur 12 000 enseignants en école élémentaire montre que dans les écoles les plus défavorisées, le risque d'agression est cinq fois plus élevé que dans les plus favorisées. Dans les zones d'éducation prioritaire, le risque est multiplié par deux.
La situation devient de plus en plus difficile. Depuis 2005-2006, les enquêtes montrent une aggravation des tensions entre l'école et certains parents, même si 88 % des enseignants disent se sentir respectés par les parents et 90 %, être plutôt heureux à l'école. Reste que les agressions verbales, qui sont le fait d'une minorité, sont plus fréquentes : 33 % des directeurs disent avoir été agressés verbalement par des parents. La première revendication des enseignants est d'être respectés, par les parents et par leur propre hiérarchie. Il ne faut pas oublier non plus le problème du harcèlement interne : en Seine-Saint-Denis, 17 % des répondants disent avoir été harcelés par des membres du personnel ou par leur hiérarchie. En école élémentaire, c'est le cas de la moitié de ceux qui disent avoir été harcelés.
Il faut donc formuler des propositions en termes de gestion humaine, d'aide aux enseignants, car c'est de leur bien-être que dépend celui des élèves, de santé et de prévention des risques psychosociaux. Une recherche européenne a montré que les métiers de la santé et de l'éducation étaient ceux qui présentaient le plus de risques psychosociaux - bien plus que l'usine. Or la France est en retard, notamment en matière de médecine du travail.
La prévention passe aussi par la formation. Ces dernières années, pour des raisons avant tout idéologiques, la formation des enseignants a été réduite, les heures de formation continue divisées par deux : c'était une erreur. Je ne prône pas la formation pour la formation, mais une formation qui ne soit pas strictement disciplinaire, et englobe la formation à la professionnalité, aux gestes pédagogiques. Un individu seul ne peut faire face à une violence collective : il a besoin de s'inscrire dans un collectif d'adultes, dans une dynamique de groupe. On a trop longtemps négligé la formation en psychosociologie.
L'on ne doit pas non plus écarter le problème de la sécurisation, des liens avec la police républicaine. La véritable police de proximité est sans doute celle qui se met en place dans le cadre scolaire : le policier référent, qui a, le cas échéant, un bureau dans l'établissement, peut être utile.
Au nom du groupe socialiste, je veux dire combien nous avons apprécié votre exposé. Vous avez tracé bien des pistes auxquelles nous réfléchissons depuis longtemps.
Les phénomènes de violence contre l'institution, les tensions entre l'école et les parents sont plus importants dans les établissements défavorisés, dites-vous. L'assouplissement de la carte scolaire, la ghettoïsation croissante de certains établissements, l'affaiblissement de la mixité sociale qui en découlent, n'ont-ils pas amplifié ce phénomène ?
Avez-vous observé un lien entre la non-communication au sein des équipes et la violence entre élèves et contre les enseignants ? Ces derniers sont pris en étau entre la pression de leur hiérarchie et leurs propres exigences. Cette contradiction peut se retourner contre eux, leur être une violence.
Deux chantiers sont en jachère : la santé au travail et la formation. Celle-ci est à redéfinir pour former l'enseignant à travailler au sein d'une équipe, à nouer des relations avec ses collègues, avec les élèves et avec les parents.
Au nom du groupe UMP, je vous remercie de cette présentation. La France a pris beaucoup de retard, il est urgent de se pencher sur la violence et le harcèlement à l'école. Il faut continuer dans la voie ouverte par Luc Chatel, qui avait convoqué les Assises sur le harcèlement à l'école. Le sujet doit être consensuel.
Notre commission a publié un rapport sur le système éducatif en Finlande, pays régulièrement en tête du classement de l'OCDE en termes de résultats scolaires. Des enseignants finlandais ont présenté devant le groupe d'amitié France-Finlande un programme contre le harcèlement qui obtient d'excellents résultats. Je sais qu'une école l'expérimente à Paris. Qu'en pensez-vous ?
Selon les remontées du terrain, les insultes anti-intellectuels, homophobes et anti-gros représentent une grande partie des violences. Vos travaux en font-ils état ?
Un autre problème est l'hypermédiatisation de la violence : les scènes de violence sont filmées et diffusées par les gamins sur Internet : l'incident peut être public avant même d'être connu des adultes de l'établissement, d'où un effet boomerang.
Enfin, au risque de ne pas être politiquement correcte, je m'interroge sur le temps de présence des enseignants dans l'établissement. Il faut repenser le statut des enseignants, le faire évoluer par le haut, en prenant exemple sur les pays nordiques.
Un témoignage d'abord. Une cité scolaire de la Marne, bien que située dans un territoire rural, a mené une enquête auprès des jeunes, sur le territoire scolaire et périscolaire, pour mieux cerner ce phénomène. Le diagnostic est le même que le vôtre. La démarche s'est conclue par la signature officielle d'une convention, intitulée « Mieux vivre ensemble », par tous les acteurs : Éducation nationale, mutualité sociale agricole, conseil général. Nous ne sommes pas au pays des Bisounours, il n'y a pas de solution miracle. Néanmoins, 80 % des jeunes veulent que les choses changent. La nomination de médiateurs entre pairs, volontaires qui ont suivi une formation adaptée, me paraît de bon augure.
Une question ensuite, sur le cyber-harcèlement. La technologie décuple le pouvoir des agresseurs en leur permettant d'intimider partout et tout le temps. Que faire ?
A mon tour de vous remercier, au nom du RDSE, pour votre exposé. La médecine du travail et la médecine scolaire sont aussi pauvres l'une que l'autre. Les enfants ne sont pas aidés, on n'incite pas assez les victimes à s'exprimer.
Les équipes peuvent être des lieux de conflit, dites-vous. Cela pose la question du rôle et de la formation des directeurs d'école et chefs d'établissement. Les enseignants ne choisissent généralement pas leur établissement, d'où l'importance d'arriver dans une équipe accueillante et aidante.
Je suis surprise d'entendre que 39 % des élèves harcelés seraient de bons élèves. On parle plus souvent du décrochage des victimes de violence... Enfin, quid de la violence des filles ? Toutes ne sont pas des anges...
La santé à l'école me préoccupe beaucoup, qu'il s'agisse des élèves ou des enseignants. Comment envisagez-vous les liens qui doivent être tissés entre les ministères de l'Éducation nationale, de la Santé, des Affaires sociales et du Travail ? Le personnel médical est en nombre insuffisant pour assurer toutes ses missions. Les infirmières scolaires jouent aussi un rôle indispensable dans l'apprentissage du respect et la lutte contre l'homophobie. Cinq cents jeunes assistants de prévention et de sécurité (APS) seront bientôt en poste : avec quelle formation, et quelles missions ?
Le Conseil de l'Europe est en train de préparer un rapport sur les conséquences de la violence dans les médias. A la demande de M. Legendre et de moi-même, notre commission organise une réunion conjointe avec la commission de la culture de cette assemblée le 18 décembre. C'est un sujet important, car la médiatisation de la violence et les moyens techniques à la disposition des élèves sont des facteurs aggravants.
J'ai été très frappée de ce que vous avez dit sur la violence collective comme manière de faire sens pour les jeunes. La puissance de convocation des médias les conduit à agir sans réfléchir, sans même savoir pourquoi ils ont participé à une action violente « flash ». Il faut se pencher sur ces mécanismes de déclenchement de la violence, repérer les comportements d'intimidation et y apporter une réponse collective. On s'est beaucoup intéressé au décrochage, mais il faut aussi être attentif à la souffrance des élèves persévérants. L'orientation multifactorielle implique de multiples partenaires : la police - le Défenseur des droits a fait hier des propositions pour rapprocher police et population - ainsi que tous les adultes en charge de l'accompagnement, du transfert des connaissances, de la transmission des valeurs républicaines. Il importe de construire un vrai projet de société autour des établissements scolaires, de développer la formation comportementale, la bienveillance et l'attention pour susciter l'adhésion volontaire des élèves. Je partage le point de vue de Mme Bouchoux sur la révision du temps de présence des enseignants dans les établissements scolaires.
Le plus souvent, l'absentéisme scolaire, dont le Sénat débattait dernièrement, n'est pas lié à la défection des familles, mais à l'insécurité ressentie par les élèves. Plutôt que de supprimer les allocations aux parents, il faut renforcer la présence d'adultes dans les établissements, notamment les plus défavorisés.
Que pensez-vous des propositions du ministre de l'Éducation nationale sur l'enseignement de la morale laïque ? Cela peut-il être un moyen de lutter contre la violence ?
Enfin, avec la mastérisation, la formation psychologique et pédagogique des futurs enseignants a quasiment été abandonnée. Espérons que le recrutement d'assistants de prévention et de sécurité améliorera les choses.
A mon tour de vous féliciter pour votre exposé. Vous avez dressé un constat inquiétant, mais avez été plus discret sur les remèdes que vous préconisez. Pouvez-vous tracer quelques pistes supplémentaires ?
Bravo pour cet exposé très clair. Les enfants qui ont été victimes de harcèlement en subissent les séquelles tout au long de leur vie. Le harcèlement est une catastrophe foudroyante pour la personnalité. Et je ne parle pas du cyber-harcèlement, particulièrement ravageur... L'Éducation nationale doit accompagner les victimes, en particulier en renforçant la médecine scolaire.
Merci pour cet éclairage, qui étaye et complète ce que nous pressentions. Vous insistez sur les actions qui peuvent être entreprises par les enseignants et les personnels de l'Éducation nationale pour régler en interne les problèmes posés par les élèves les plus violents. Mais il faut penser aux victimes, à ces enfants qui sont persécutés parce qu'ils veulent être de bons élèves. Il faut les protéger et tenter de calmer les persécuteurs. Jadis, on prononçait leur exclusion ou leur transfert. A-t-on des statistiques sur l'attitude des établissements vis-à-vis de ces élèves ? La solution est-elle vraiment de les envoyer créer des troubles dans un autre établissement, avec l'auréole du martyr ? On ne peut exonérer les familles de toute responsabilité et transférer aux services de l'État la charge de régler les problèmes familiaux. Comment concevez-vous les rapports entre l'école et la justice ? Certains enseignants et chefs d'établissement ont longtemps refusé tout contact avec la police, mais il faut des échanges de vue entre les deux institutions.
Le constat est intéressant. Quelles sont les solutions ? La violence est dans la nature du vivant, de l'animal comme de l'homme. L'école devrait dissoudre cette violence, apprendre à vivre en société. Or la violence verbale est devenue institutionnelle : voyez l'exemple que nous donnons en séance publique !
J'ai également apprécié votre propos, monsieur Debarbieux. J'ai moi-même été enseignant. Le basculement de la violence ne date pas de l'arrivée des nouvelles technologies : je l'ai vécu au milieu des années 1990, de façon nette, dans mes classes. Tout passe par le contenu et le sens que l'on donne aux enseignements. La morale laïque, les valeurs y ont toute leur place. Il faut une offensive pédagogique pour lutter contre la loi du plus fort, le chacun pour soi, l'avilissement de l'autre, le lynchage, les discriminations.
Faut-il, peut-on sanctuariser l'école ? Quand j'enseignais dans un quartier très dur, les fusils restaient à la porte du collège. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Je le regrette, car nous souhaitons une école ouverte sur son environnement.
Enfin, je m'insurge contre certaines présentations : les plus pauvres sont les principales victimes des violences. C'est dans les quartiers les plus difficiles que la violence s'exprime. Pourquoi désigner ceux qui vivent dans ces quartiers comme des agresseurs potentiels ? La grande majorité des élèves en difficulté scolaire sont précisément victimes de violences. La violence a pour conséquences l'absentéisme, l'échec scolaire.
J'ai le sentiment que le propos de M. Assouline me vise, et je souhaite que ma position soit bien claire. M. Debarbieux a évoqué le cas du bon élève persécuté parce qu'il est « l'intello » de la classe. C'est un cas parmi d'autres, et je ne dis pas que seuls les bons élèves sont persécutés. Dans tous les cas, les persécuteurs doivent être calmés pour protéger les persécutés. Je ne crois pas que les élèves défavorisés soient les seules victimes : un élève issu d'un milieu plus favorisé peut être marginalisé parce qu'il n'a pas la même éducation que les autres.
Je ne confonds pas bons élèves et élèves favorisés. Il y a de bons élèves issus de milieux pauvres.
Le sociologue Christian Bachmann parlait de « haine de proximité ». Ces gosses se font avant tout du tort à eux-mêmes. La plupart n'aiment pas la violence. Selon une enquête de délinquance auto-déclarée menée sur 6 000 collégiens de la couronne parisienne, 80 % d'entre eux appartienne à une bande, une bande d'amis qui les protège ; 8 %, à une bande plus délinquante. Dans mon livre Les Dix commandements contre la violence à l'école, le plus important est le sixième : la solitude tu éviteras. Cela vaut pour l'enseignant comme pour l'élève.
La réforme de la carte scolaire a-t-elle nui à la mixité sociale ? La carte scolaire a toujours été contournée, et n'a pas empêché les ghettos ethniques. L'un des collèges les plus favorisés du Bordelais compte vingt gosses issus d'une cité dite difficile : ils sont tous interdits de centre d'information et de documentation et cumulent 80 % des punitions. Preuve qu'une culture d'établissement se crée. L'affaiblissement de la mixité sociale est ancien ; c'est pourquoi, pour nos études, je m'étais réservé la Seine-Saint-Denis : il y a des ghettos de fait, carte scolaire ou non.
Les enquêtes, notamment américaines, montrent que la stabilité des équipes éducatives est le principal facteur de protection contre les violences entre pairs. Entre enseignants, la donne socio-économique est très importante. Je ne connais pas d'établissement sans conflit au sein des équipes. Indépendamment du problème des coûts - qui relève du politique et des syndicats - la France est le seul pays au monde à organiser l'affectation des enseignements du second degré au niveau national. Des jeunes enseignants formés en Aquitaine, la plupart occuperont un premier poste en banlieue parisienne. Le choc sociologique énorme s'ajoute au déracinement. Il est indispensable de stabiliser les éducateurs, comme les policiers ou les postiers dans les quartiers difficiles. Il faut avoir le courage de remédier à ce système, qui constitue une erreur gravissime, pour ne pas dire criminogène.
Vous avez évoqué la pression de la hiérarchie, la souffrance des enseignants. La loi de 2005 sur l'intégration des élèves handicapés à l'école est très positive, mais les enseignants sont démunis. Sans confondre handicap et violence, on ne peut faire abstraction du problème posé par le handicap mental. Les auxiliaires de vie scolaire sont précaires et mal formés. En Finlande, on confie les enfants les plus difficiles aux personnels les mieux formés... Nous devons entendre le cri de détresse des enseignants. Un professeur attaque l'État car il estime que sa sécurité n'était pas assurée face à un élève schizophrène. Comment faire face aux troubles du comportement agressifs ? 37 % des enseignants du premier degré disent rencontrer des problèmes avec des enfants gravement perturbés. Comment gère-t-on une crise de colère ? Faut-il laisser l'enfant se rouler par terre ?
Les solutions existent, elles passent par la formation et le travail en équipe. Le programme KiVa contre le harcèlement est l'un des meilleurs au monde. Je connais bien sûr l'expérience qui est menée à Paris. De nombreux programmes obtiennent d'excellents résultats, sur la gestion des crises de colère, sur l'intimidation. Malheureusement, en France, nous n'avons pas la culture du programme, mais du plan national, de l'organisation pyramidale. Or l'amélioration du climat scolaire ne se décrète pas. C'est un travail de longue haleine. Il faut changer cette culture centralisée, cesser d'attendre du ministre qu'il règle le problème de la violence à l'école simplement en créant des postes supplémentaires.
Dans le programme de médiation par les pairs, des collégiens sont médiateurs pour des élèves de l'école élémentaire.
De tels programmes supposent l'adhésion active des chefs d'établissement, qui n'ont pas le pouvoir que l'on croit : 88 % des directeurs d'école réclament un statut, mais 2 % de leurs adjoints le souhaitent.
Ma délégation est chargée des violences, au pluriel : les insultes homophobes ou anti-gros seront prises en compte. Ces comportements sont vieux comme le monde, mais on en connaît désormais les conséquences. Sans porter de jugement, je note que l'évolution n'est toutefois pas facilitée par les débats actuels sur l'homoparentalité, par exemple.
La question du harcèlement des bons élèves est un levier pour faire évoluer l'état d'esprit et les pratiques des enseignants, qui se rendent compte que la violence peut toucher n'importe quel élève, y compris leurs propres enfants.
Oui à l'enseignement de la morale laïque, aux valeurs transmises dans le contenu même des cours. On ne fera évoluer le regard des enseignants qu'en agissant sur le coeur de leur métier, qui reste, en France du moins, le transfert de connaissances - ce dialogue avec les morts cher à Alain Finkielkraut.
Le cyber-harcèlement et le happy slapping, pratique consistant à filmer une agression avec un téléphone portable et à diffuser la vidéo sur internet, ont des conséquences ravageuses. Il est vrai que le basculement de la violence est antérieur à l'arrivée des nouvelles technologies, mais celles-ci accompagnent un nouveau basculement. Désormais, le harcèlement dépasse le cadre de l'école ou de la famille. Les risques en termes de santé mentale sont considérables, le suicide d'une adolescente au Québec en témoigne. Comme au temps de La Guerre des boutons, les enfants sont redevenus un collectif sans adultes. Leur monde est tout entier dans leur téléphone portable. C'est un défi majeur.
La ruralité n'est pas à l'abri de certaines formes de violence, même s'il n'y a pas, comme dans les cités sensibles, des bandes de mômes liées aux mafias. Les néo-ruraux ne sont pas toujours bien accueillis. Pour faire évoluer les choses, sachons d'abord poser un diagnostic précis. J'ai longtemps réclamé une enquête de victimation nationale ; il en faut désormais au niveau local, pour chaque établissement. C'est le rôle notamment des équipes mobiles de sécurité. Dans le Nord, 85 diagnostics ont ainsi été réalisés, qui débouchent sur des objectifs chiffrés. Dans un établissement de Seine-Saint-Denis, 60 % des élèves jugent les punitions injustes ; ce sentiment rejaillit sur le climat scolaire. Notre objectif est de réduire de moitié ce sentiment d'injustice.
La médiation par les pairs est un programme prometteur, qu'il faudra évaluer.
Je ne reviens pas sur l'importance de la médecine du travail et de la médecine scolaire.
Oui aux équipes accueillantes et aidantes. Les recherches menées au Québec par Denis Jeffrey sur les enseignants sortant de formation montrent que ceux qui sont vraiment accueillis dans une équipe sont deux fois moins victimes de violence que les autres.
Il faut penser en termes de vivre-ensemble, d'approche globale, s'inspirer du modèle espagnol de convivencia escolar, du whole school approach britannique.
La belle enquête des professeurs Farrington et Ttofi sur le devenir de cinq cents agresseurs - garçons et filles - de la banlieue londonienne montre que quarante ans plus tard, ils sont plus souvent au chômage ou occupent des emplois mal payés, sont maltraitants dans le couple, et sont 40 % à avoir eu des problèmes de délinquance. Ces gosses sabotent leur propre avenir, leur attitude n'est pas acceptable, y compris pour eux-mêmes.
Ces jeunes sont prisonniers de leurs réflexes, de leur pattern de comportement, qui est l'agression. Dans un phénomène de distorsion cognitive, ils considèrent que c'est la personne agressée qui a tort. Les programmes de remédiation qui utilisent la théorie des dilemmes sociaux sont efficaces. Il s'agit de libérer ces enfants de leurs réflexes en leur faisant reconnaître qu'il peut exister différents points de vue, sur des sujets aussi sensibles que l'avortement par exemple. Ces programmes se traduisent par une baisse des comportements violents de 30 à 40 %. Plutôt que d'en faire des pions supplémentaires, il faudrait charger les AVS d'organiser ce type de programme. Les dix mille emplois jeunes de Lionel Jospin et Claude Allègre n'ont servi à rien dans le secondaire, mais beaucoup apporté dans le primaire, car ils étaient présents dans la classe. Il faut inventer des métiers, et, à terme, transformer les pratiques des enseignants.
La violence à l'école est une oppression quotidienne, conformiste. Les groupes qui produisent le plus de boucs émissaires sont ceux qui sont dirigés de manière autoritariste. Nous devons privilégier la bienveillance, l'adhésion plutôt que la contrainte, même si cela n'est pas toujours facile.
La question sur la morale laïque est en phase avec la demande des enseignants : ils souhaitent être respectés et dotés d'un statut, retrouver une autorité qui n'est pas naturelle mais garantie par l'institution. J'ai connu l'époque de la phrase au tableau noir, mais ce qui marche, c'est la morale en action. La recherche a montré qu'il est extrêmement efficace que la morale s'incarne dans une institution, en un responsable. En revanche, je ne suis pas partisan du vote du règlement intérieur. A quoi bon y écrire qu'il ne faut pas voler ? C'est la loi. Mieux vaut confier des responsabilités concrètes aux élèves.
Vous avez tout à fait raison de songer d'abord aux victimes. Voilà d'ailleurs vingt ans que je travaille à des enquêtes de victimation. Pourquoi les victimes seraient-elles exposées à la double peine, d'abord le harcèlement, puis sa négation par l'institution ? Celle-ci doit d'abord reconnaître les faits. On ne peut se contenter d'éloigner la victime : elle sera rattrapée par Internet. Cette démission est immorale. L'Éducation nationale progresse à cet égard. Les Assises sur le harcèlement à l'école ont été consensuelles, et le ministre souhaite intensifier les campagnes de sensibilisation. Bien sûr, mieux vaut prévenir le harcèlement mais, s'il s'installe, il faut le soigner, d'abord en écoutant les victimes et leur famille. Des procédures se mettent en place : sait-on que dans 80 % des cas, Monique Sassier, le médiateur de l'Éducation nationale et ses correspondants académiques, donnent raison aux victimes et à leurs parents ?
Il faut mutualiser les bonnes pratiques, les connaissances et les capacités. Il est toutefois difficile de traiter les séquelles les plus lourdes, la pédopsychiatrie étant sinistrée. Nous devons aussi aider les agresseurs eux-mêmes. Il ne suffit pas de les exclure, car l'exclusion conduit à la récidive. Pensons aux droits des exclus, à des interventions inter-partenariales, sur le modèle québécois. Il faut arrêter de se réfugier derrière une forme de secret professionnel mais partager l'information : c'est dans le travail d'équipe que réside la solution.
Inlassablement depuis 2005, la politique culturelle extérieure de la France porte les stigmates de la restriction budgétaire. Dans un projet de loi de finances pour 2013 considérablement contraint, le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'État » ne fera logiquement pas exception. Il se verra appliquer la norme gouvernementale de réduction de 7 % des dépenses de fonctionnement, d'intervention ou de subventions aux opérateurs.
Les crédits hors titre 2 (hors dépenses de personnel) consacrés à l'action culturelle à l'étranger devraient s'élever, à périmètre constant, à 102 millions d'euros en 2013, contre 114 millions d'euros accordés en 2012, soit une diminution de 10,5 %. Depuis 2007, la diminution des crédits consacrés par le ministère des affaires étrangères à la culture s'établit à - 24 %.
La dotation totale consentie par l'État à l'Institut français devrait s'établir à un peu plus de 43 millions d'euros, dont seulement 1,13 million d'euros de subvention de la part du ministère de la culture. Le niveau de la subvention du ministère de la culture correspond à une diminution de près de 30 % par rapport à l'engagement pris dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens (COM).
Faut-il rappeler qu'après avoir longuement revendiqué la double tutelle sur le nouvel opérateur de l'action culturelle extérieure, le ministère de la culture est désormais associé à la désignation de son président, à la définition de ses orientations stratégiques et à l'élaboration de son COM ? Un COM est un contrat, il serait utile que tous les partenaires tiennent leur parole, y compris le ministère de la culture...
Dans ces conditions, la diminution effective des financements versés par l'État à l'Institut français devrait être sensiblement supérieure à la norme gouvernementale de - 7 %. L'établissement a déjà enregistré une baisse de sa dotation de trois millions d'euros qui a été compensée par un prélèvement de deux millions d'euros sur son fonds de roulement. Cette somme est donc à retrouver par redéploiement en budget initial 2013.
Les charges fixes de l'institut se sont mécaniquement accrues en raison des recrutements nécessaires pour assurer ses nouvelles missions. La baisse de 7 % de sa subvention pour charges de service public ne peut donc être que très marginalement répercutée sur les dépenses de personnel et les frais de fonctionnement. Le budget d'activités de l'institut est de fait l'assiette principale des économies à réaliser : il devrait être lourdement diminué, de l'ordre de - 20 %.
Face à l'impasse budgétaire dans laquelle risque de se trouver l'Institut français, le ministère des affaires étrangères envisage de réduire le montant de la réserve légale qui s'applique à son opérateur afin de rester en dessous de la barre des 20 % de baisse du budget d'activité.
Soulignons le soutien substantiel consenti par le ministère des affaires étrangères au réseau des alliances françaises, avec près de 8 millions d'euros de subventions et 33 millions d'euros de masse salariale mise à disposition. Les relations avec l'Institut français s'apaisent malgré parfois quelques incompréhensions qu'il appartient à nos ambassadeurs de lever pour que notre réseau s'appuie de façon équilibrée sur ses deux jambes, publique et associative.
Quant à la Francophonie, que dire sinon qu'elle résiste sur le plan budgétaire, à hauteur de 56 millions d'euros de contributions à l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et aux opérateurs toujours inscrits sur le programme 209 de la mission « Aide publique au développement ». Un plan d'action a été présenté dernièrement par la ministre déléguée, nous pouvons nous en féliciter, en particulier de l'accent mis sur la valorisation des femmes dans l'espace francophone et leur insertion dans le monde du travail, ou encore le développement des contenus francophones sur la toile... Mais c'est véritablement une prise de conscience qu'il faut susciter au sein des pouvoirs publics.
Comment la France peut-elle espérer être prise au sérieux lorsque même le législateur cède devant la domination de l'anglais dans les documents de sécurité aéronautique ? Quand, dans les gares françaises, on préfère prévenir les usagers contre les sols glissants en disant « Caution » plutôt que tout simplement « Attention » ? Quand on provoque des accidents de radiothérapie, comme à Épinal, en imposant des formations et des logiciels d'utilisation des équipements en anglais ? Quand on décide que l'anglais sera la seule langue étrangère obligatoire au concours d'entrée à l'École nationale de la magistrature ? À l'intérieur même de nos frontières, on frise le ridicule...
La suppression du dispositif de prise en charge (PEC) des frais de scolarité des élèves français inscrits dans notre réseau d'enseignement à l'étranger a été entérinée par la dernière loi de finances rectificative pour 2012. Elle constitue la première étape d'une réforme plus globale de l'aide à la scolarité dont les conditions d'attribution n'ont pas été révisées depuis une vingtaine d'années alors que la communauté française expatriée a doublé en nombre. Plusieurs pistes sont pour l'heure explorées par la commission nationale des bourses dont les conclusions nous seront prochainement communiquées. L'objectif est d'augmenter le nombre de familles éligibles à des bourses totales ou partielles, en tout cas plus ouvertes aux familles à revenus intermédiaires, via notamment l'instauration d'un quotient familial net des frais de scolarité, ou le plafonnement des tarifs pris en compte dans le calcul du montant des aides.
Les défis financiers demeurent, néanmoins, considérables pour l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), dont la dotation par l'État n'augmente que très légèrement, à 425 millions d'euros. L'AEFE devra continuer de consacrer une part substantielle de ses ressources propres à la prise en charge des pensions civiles des personnels détachés, amputant d'autant plus ses moyens en faveur la réhabilitation des bâtiments de notre réseau. L'agence est dans la situation d'une entreprise en croissance et dans l'impossibilité d'assurer son financement alors que d'année en année elle doit faire face à l'inscription de 4 000 à 5 000 nouveaux élèves conduisant de facto à une diminution régulière de la dotation de l'État par élève scolarisé.
Venons-en, pour terminer, à l'attractivité de la France auprès des élites étrangères. Que dire de Campus France sinon que les incertitudes perdurent et inquiètent ? Le Quai d'Orsay a remporté les arbitrages contre le ministère de l'enseignement supérieur : le transfert des activités internationales du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS) vers Campus France a bien eu lieu, le 1er septembre 2012, quoique bien au-delà du délai fixé par la loi. Un certain nombre de points mériteraient cependant d'être clarifiés sur lesquels j'interrogerai le Gouvernement :
- comment se fait-il que Campus France rencontre des difficultés à dialoguer directement avec les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) pour organiser l'accueil des étudiants étrangers, face à l'opposition du CNOUS qui insiste pour que tout passe par lui ? ;
- que va-t-il advenir des bureaux d'accueil des étudiants étrangers au niveau des CROUS, le CNOUS restant évasif sur cette question ?
Pour l'ensemble des incertitudes exprimées précédemment, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 185 au sein de la mission « Action extérieure de l'État ».
Je souhaite attirer l'attention sur un sujet dont la presse s'est abondamment fait l'écho récemment. Il s'agit de la situation du lycée Voltaire de Doha, au Qatar.
Ce lycée est homologué par l'Agence de l'enseignement français à l'étranger et géré jusqu'à présent par la Mission laïque française (MLF). Suite à des désaccords tant sur la gestion administrative que sur le contenu des programmes, la MLF va se retirer d'ici la fin de l'année. En effet, un désaccord a vu le jour au sujet d'un manuel d'histoire dont le remplacement a été demandé et d'un manuel d'enseignement de l'arabe, remplacé par un manuel mêlant apprentissage de la langue et religion. C'est la première fois, depuis de nombreuses années, que la MLF quitte ainsi un pays.
Comme vous le savez, le Qatar vient d'entrer dans l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en qualité de membre associé, ce qui n'a, d'ailleurs, pas manqué de susciter un certain scepticisme. Mais ce pays, qui compte un très faible nombre de francophones, a sans doute convaincu l'organisation de son engagement en faveur de la promotion et de la défense de la langue française. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Seulement l'adhésion à l'OIF suppose également le partage et la promotion d'un certain nombre de valeurs communes telles que la paix, la démocratie ou le respect des droits de l'homme...
Ce récent épisode nous révèle la responsabilité que la France doit avoir, à l'égard de tous ceux qui entendent, même en toute bonne foi, participer au développement de notre langue et notre culture. Sans préjuger des intentions des autorités qataries, il me semble que nous devons être vigilants. C'est pourquoi, je vais interroger la ministre déléguée à la Francophonie sur sa position, sachant, en outre, que le Qatar entend financer d'autres établissements du type du lycée Voltaire dans le Golfe et en Afrique.
Je voudrais intervenir sur la situation de Campus France. Je ne partage pas vos propos sur cet établissement. Le nouvel opérateur est né dans des conditions difficiles. La création d'un opérateur unique part d'une bonne intention pour rendre plus performante la chaîne de gestion de l'accueil des étudiants étrangers venant dans notre pays, notamment parce que l'association EGIDE ne donnait pas entièrement satisfaction. En effet, depuis plusieurs années, elle accusait un déficit chronique, selon les propos du rapporteur pour avis sur les crédits pour 2012. Cette création s'est faite dans le souci d'externaliser les charges de fonctionnement dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et de parvenir à un équilibre financier des services rendus aux étudiants étrangers.
Depuis la dernière discussion budgétaire, on peut se réjouir d'une évolution, en particulier s'agissant de l'intégration des activités internationales du CNOUS, à la suite de l'accord des ministères de tutelle de Campus France sur le nombre d'équivalents temps-plein (ETP) à transférer au nouvel établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Il y a eu quelques difficultés au sein du conseil d'administration sur la reprise des conventions. Un tiers n'a pas encore été transféré.
L'EPIC est né avec un an de retard, à la suite d'une gestation douloureuse. Les déclarations tendant à dénoncer le manque de coopération du CNOUS et des CROUS sont fausses. Cela ne facilite pas la bonne compréhension de la situation.
La réforme ne remplit pas encore ses objectifs. D'un point de vue financier, il n'est pas certain que la réforme soit bénéfique. Comme le souligne M. Hervé Gaymard, dans son rapport de février 2012, l'activité internationale du CNOUS était bénéficiaire de plus de 2 millions d'euros parce que la masse salariale était payée sur la dotation ministérielle. Ce modèle économique a été rompu. À cela s'ajoute le fait que les 25 ETP, qui coûtaient au CNOUS 900 000 euros par an, ont désormais un coût de 1,4 million d'euros. Ce surcoût correspond aux cotisations patronales supplémentaires liées au changement de statut de l'opérateur.
Du point de vue de la gestion de l'accueil des étudiants, des dysfonctionnements ont été signalés.
Nous avons intérêt à faciliter l'affirmation de Campus France dans son action. Pour l'avenir, il faudra trancher clairement sur le contenu des missions qui lui sont assignées. Le statut d'EPIC, tout comme l'augmentation du montant des frais de gestion, doit nous interroger sur le rôle de Campus France. Est-ce un outil de la « coopération » qui contribue au développement des pays émergents, tout en assurant le rayonnement de l'enseignement supérieur français à travers le monde ? Ou bien s'agit-il d'un opérateur chargé uniquement d'assurer des services commerciaux rendus à des pays étrangers ?
Pour ma part, je souhaite voter les crédits affectés à l'action extérieure de l'État pour 2013.
Le groupe socialiste votera les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » pour 2013. Nous ne pouvons pas suivre le rapporteur sur ce point.
Je voudrais remercier le rapporteur pour son analyse fouillée, qui nous fournit des renseignements difficiles à obtenir. J'aurais dû être en possession de ces renseignements en tant que représentant du Sénat au conseil d'administration de l'Institut français mais je n'ai jamais été convié à la moindre réunion de cet organisme. Y-a-t-il effectivement un conseil d'administration en exercice à l'Institut français ?
Je ferai tout d'abord quelques constats sur l'organisation de l'action extérieure de la France. Il y a eu la volonté de la renforcer autour de quelques organismes nouveaux, en premier lieu l'Institut français. Il importe de ne pas lui réduire trop fortement ses crédits dès sa création, ce qui compromettrait fortement ses résultats. Un changement de statut entraîne souvent, dans un premier temps, une augmentation des charges de fonctionnement. Il faut s'interroger sur la volonté de voir réussir cet établissement.
Se recentrer autour de deux formes d'action, l'Institut français et les alliances françaises a un sens, à condition toutefois de les coordonner. Il importe de donner sa chance à l'Institut français d'atteindre son objectif. Il ne faut pas perdre de vue que notre diplomatie culturelle est aussi une diplomatie d'influence. Cette spécificité française est en train d'être reprise par d'autres pays comme la Chine.
Vous avez parlé ensuite de Campus France auquel je suis aussi très attaché. Le rayonnement d'un pays se mesure aussi à sa capacité à attirer les étudiants étrangers. Alors que nos universités exercent une certaine attractivité, nous pêchons souvent sur le niveau de l'accueil, de l'intendance. De ce point de vue, il faut éviter que ne persiste une rivalité entre ce nouvel organisme et le CNOUS. Pour éviter les querelles, il faut que Campus France soit armé pour réaliser ce travail en liaison avec les CROUS.
Ma troisième remarque concerne France Expertise Internationale (FEI). Je m'interroge aussi sur cet élément qui engage notre capacité à répondre à une demande d'experts étrangers.
La Francophonie vient de vivre un moment important avec le Sommet de la Francophonie qui s'est tenu à Kinshasa. J'y siège en tant que secrétaire général de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. J'ai également vécu cet épisode qatari qui marque une certaine perte d'influence de la France sur de telles décisions. Le Qatar, membre observateur, pourquoi pas ? Même si le nombre de francophones y est très faible. Le statut de membre associé nécessite en revanche l'adhésion à la charte de la Francophonie et l'existence de valeurs partagées. Ce sont des questions à poser au Qatar. La position de la délégation française était de l'accepter en tant que membre observateur mais le lobbying des qataris a fait que les chefs d'État de la Francophonie ont appuyé la position de ce pays pour être reçu comme membre associé. Tout pays doit toujours se demander pourquoi il souhaite faire partie de la Francophonie.
Je crois qu'il faut arrêter d'accroître en permanence le nombre des membres de l'Organisation internationale de la Francophonie, au risque d'en faire une ONU bis. Cela discrédite l'institution. La Francophonie doit d'abord approfondir son action avant de croître.
La Francophonie continue, en France, à être sous-estimée par une partie de nos élites. Lors du Forum sur la langue française qui s'est tenu à Québec, le président Abdou Diouf nous a appelés à être des « indignés linguistiques ». Je suis un indigné linguistique car la France ne joue pas son rôle pleinement.
Je suivrai la proposition de notre rapporteur même si je pense que ce vote ne constitue pas l'essentiel sur ce point.
Je voudrais remercier notre collègue pour son rapport remarquable et précis. Mais je ne suivrai pas ses conclusions. Ce budget diminue régulièrement sans pour autant que la commission ne s'en soit émue par le passé.
Le groupe RDSE votera les crédits affectés à l'action extérieure de l'État dans le projet de loi de finances pour 2013.
Nous ne partageons pas les conclusions du rapporteur pour avis. Les membres du groupe écologiste voteront en faveur de ce budget. La circulaire Guéant a été plus néfaste pour notre action à l'égard des étudiants étrangers que les soucis réels de Campus France.
Notre groupe soutiendra la proposition du rapporteur pour avis. La crise ne date pas de cette année. La RGPP avait engagé un certain nombre de réformes et notre commission avait déjà alerté sur cette diminution préoccupante des crédits.
On ne peut se réjouir des réductions budgétaires. Jusqu'à présent, il y a eu un consensus pour les regretter, mais à aucun moment le groupe UMP a appelé à rejeter les crédits.
La dotation de l'État à Campus France est de 4,2 millions d'euros pour 2013. Elle inclut la subvention pour charges de service public que percevait le groupement d'intérêt public (GIP) Campus France et une subvention complémentaire au titre des activités transférées du CNOUS.
Notre commission a déjà appelé à deux reprises à ne pas adopter le budget de l'action extérieure de l'État proposé par le précédent gouvernement et s'en était remise à la sagesse du Sénat.
Je partage l'analyse qui est faite sur le lycée Voltaire au Qatar. Il faut s'inquiéter d'une telle décision. Je mentionnerai que le nom Voltaire avait été choisi par l'Émir du Qatar lui-même ! Je n'ai pas de réponse particulière à apporter mais ce glissement est préoccupant.
Avec mon collègue Jacques Legendre, nous avons participé au Forum sur la langue française au Québec. Qui finançait le forum ? Le Qatar !
L'OIF est confrontée à deux postures, l'ouverture et la souplesse, prônées par le Rwanda et la Guinée, ou l'opposition forte à la domination de l'anglais, conduite par le Québec et le Congo. Il n'appartient pas à notre commission de se prononcer sur ce point.
Campus France est un établissement public. Il est en phase de quasi-doublement de ses activités. Il a pu maîtriser la progression de ses effectifs et a procédé à une réévaluation de ses tarifs de base de + 45 %. Auparavant, le CNOUS facturait aux gouvernements étrangers des frais de gestion de l'ordre de 50 euros. Ce tarif était inchangé depuis 1998.
Les conventions reprises par Campus France représentaient, au 1er octobre 2012, un volume de fonds de près de 30 millions d'euros, soit 75 % des dépenses effectuées par le CNOUS au titre des bourses des gouvernements étrangers (BGE) en 2011. Elles seraient de 95 % si les conventions avec la Lybie et la Syrie étaient intégrées. Cet établissement public dispose de relais locaux dans 110 pays, soit un réseau comparable à celui du British Council. Campus France veut multiplier les co-localisations auprès des grandes universités constituées en pôles recherche et d'enseignement supérieur (PRES) pour compenser la réduction de la logistique du CNOUS dans l'accueil des étudiants étrangers.
S'agissant de l'Institut français, le ministère des affaires étrangères a annoncé que la réserve légale ne serait pas mise en oeuvre, lui permettant de préserver ainsi 1,8 million d'euros. Cela demeure insuffisant. Je soulignerai aussi la faiblesse de la contribution du ministère de la culture qui s'était pourtant engagé à participer à son financement.
Face aux manquements des pouvoirs publics et des milieux économiques dans le respect de la langue française que j'expose dans mon rapport pour avis, je rappelle qu'une proposition de loi déposée par nos collègues Jacques Legendre et Philippe Marini, adoptée par le Sénat à l'unanimité, complétant la loi relative à l'emploi de la langue française dite « loi Toubon » et prévoyant un rapport obligatoire sur l'usage du français au sein des entreprises de plus de 500 salariés n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
À propos de l'adoption des crédits du programme 185, permettez-moi de préciser qu'à deux reprises, en 2010 et 2011, ils n'ont pas été adoptés en commission sur la recommandation de notre ancien collègue socialiste Yves Dauge, pour nous en remettre à la sagesse du Sénat en séance.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».
La commission propose la candidature de M. Jean-Jacques Lozach pour siéger au sein du Comité de préfiguration des modalités d'instauration du profil biologique des sportifs.