Intervention de Éric Debarbieux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 7 novembre 2012 : 1ère réunion
Violence scolaire — Audition de M. éric deBarbieux directeur de l'observatoire international de la violence à l'école professeur à l'université bordeaux ii-victor segalen

Éric Debarbieux, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire :

De tels programmes supposent l'adhésion active des chefs d'établissement, qui n'ont pas le pouvoir que l'on croit : 88 % des directeurs d'école réclament un statut, mais 2 % de leurs adjoints le souhaitent.

Ma délégation est chargée des violences, au pluriel : les insultes homophobes ou anti-gros seront prises en compte. Ces comportements sont vieux comme le monde, mais on en connaît désormais les conséquences. Sans porter de jugement, je note que l'évolution n'est toutefois pas facilitée par les débats actuels sur l'homoparentalité, par exemple.

La question du harcèlement des bons élèves est un levier pour faire évoluer l'état d'esprit et les pratiques des enseignants, qui se rendent compte que la violence peut toucher n'importe quel élève, y compris leurs propres enfants.

Oui à l'enseignement de la morale laïque, aux valeurs transmises dans le contenu même des cours. On ne fera évoluer le regard des enseignants qu'en agissant sur le coeur de leur métier, qui reste, en France du moins, le transfert de connaissances - ce dialogue avec les morts cher à Alain Finkielkraut.

Le cyber-harcèlement et le happy slapping, pratique consistant à filmer une agression avec un téléphone portable et à diffuser la vidéo sur internet, ont des conséquences ravageuses. Il est vrai que le basculement de la violence est antérieur à l'arrivée des nouvelles technologies, mais celles-ci accompagnent un nouveau basculement. Désormais, le harcèlement dépasse le cadre de l'école ou de la famille. Les risques en termes de santé mentale sont considérables, le suicide d'une adolescente au Québec en témoigne. Comme au temps de La Guerre des boutons, les enfants sont redevenus un collectif sans adultes. Leur monde est tout entier dans leur téléphone portable. C'est un défi majeur.

La ruralité n'est pas à l'abri de certaines formes de violence, même s'il n'y a pas, comme dans les cités sensibles, des bandes de mômes liées aux mafias. Les néo-ruraux ne sont pas toujours bien accueillis. Pour faire évoluer les choses, sachons d'abord poser un diagnostic précis. J'ai longtemps réclamé une enquête de victimation nationale ; il en faut désormais au niveau local, pour chaque établissement. C'est le rôle notamment des équipes mobiles de sécurité. Dans le Nord, 85 diagnostics ont ainsi été réalisés, qui débouchent sur des objectifs chiffrés. Dans un établissement de Seine-Saint-Denis, 60 % des élèves jugent les punitions injustes ; ce sentiment rejaillit sur le climat scolaire. Notre objectif est de réduire de moitié ce sentiment d'injustice.

La médiation par les pairs est un programme prometteur, qu'il faudra évaluer.

Je ne reviens pas sur l'importance de la médecine du travail et de la médecine scolaire.

Oui aux équipes accueillantes et aidantes. Les recherches menées au Québec par Denis Jeffrey sur les enseignants sortant de formation montrent que ceux qui sont vraiment accueillis dans une équipe sont deux fois moins victimes de violence que les autres.

Il faut penser en termes de vivre-ensemble, d'approche globale, s'inspirer du modèle espagnol de convivencia escolar, du whole school approach britannique.

La belle enquête des professeurs Farrington et Ttofi sur le devenir de cinq cents agresseurs - garçons et filles - de la banlieue londonienne montre que quarante ans plus tard, ils sont plus souvent au chômage ou occupent des emplois mal payés, sont maltraitants dans le couple, et sont 40 % à avoir eu des problèmes de délinquance. Ces gosses sabotent leur propre avenir, leur attitude n'est pas acceptable, y compris pour eux-mêmes.

Ces jeunes sont prisonniers de leurs réflexes, de leur pattern de comportement, qui est l'agression. Dans un phénomène de distorsion cognitive, ils considèrent que c'est la personne agressée qui a tort. Les programmes de remédiation qui utilisent la théorie des dilemmes sociaux sont efficaces. Il s'agit de libérer ces enfants de leurs réflexes en leur faisant reconnaître qu'il peut exister différents points de vue, sur des sujets aussi sensibles que l'avortement par exemple. Ces programmes se traduisent par une baisse des comportements violents de 30 à 40 %. Plutôt que d'en faire des pions supplémentaires, il faudrait charger les AVS d'organiser ce type de programme. Les dix mille emplois jeunes de Lionel Jospin et Claude Allègre n'ont servi à rien dans le secondaire, mais beaucoup apporté dans le primaire, car ils étaient présents dans la classe. Il faut inventer des métiers, et, à terme, transformer les pratiques des enseignants.

La violence à l'école est une oppression quotidienne, conformiste. Les groupes qui produisent le plus de boucs émissaires sont ceux qui sont dirigés de manière autoritariste. Nous devons privilégier la bienveillance, l'adhésion plutôt que la contrainte, même si cela n'est pas toujours facile.

La question sur la morale laïque est en phase avec la demande des enseignants : ils souhaitent être respectés et dotés d'un statut, retrouver une autorité qui n'est pas naturelle mais garantie par l'institution. J'ai connu l'époque de la phrase au tableau noir, mais ce qui marche, c'est la morale en action. La recherche a montré qu'il est extrêmement efficace que la morale s'incarne dans une institution, en un responsable. En revanche, je ne suis pas partisan du vote du règlement intérieur. A quoi bon y écrire qu'il ne faut pas voler ? C'est la loi. Mieux vaut confier des responsabilités concrètes aux élèves.

Vous avez tout à fait raison de songer d'abord aux victimes. Voilà d'ailleurs vingt ans que je travaille à des enquêtes de victimation. Pourquoi les victimes seraient-elles exposées à la double peine, d'abord le harcèlement, puis sa négation par l'institution ? Celle-ci doit d'abord reconnaître les faits. On ne peut se contenter d'éloigner la victime : elle sera rattrapée par Internet. Cette démission est immorale. L'Éducation nationale progresse à cet égard. Les Assises sur le harcèlement à l'école ont été consensuelles, et le ministre souhaite intensifier les campagnes de sensibilisation. Bien sûr, mieux vaut prévenir le harcèlement mais, s'il s'installe, il faut le soigner, d'abord en écoutant les victimes et leur famille. Des procédures se mettent en place : sait-on que dans 80 % des cas, Monique Sassier, le médiateur de l'Éducation nationale et ses correspondants académiques, donnent raison aux victimes et à leurs parents ?

Il faut mutualiser les bonnes pratiques, les connaissances et les capacités. Il est toutefois difficile de traiter les séquelles les plus lourdes, la pédopsychiatrie étant sinistrée. Nous devons aussi aider les agresseurs eux-mêmes. Il ne suffit pas de les exclure, car l'exclusion conduit à la récidive. Pensons aux droits des exclus, à des interventions inter-partenariales, sur le modèle québécois. Il faut arrêter de se réfugier derrière une forme de secret professionnel mais partager l'information : c'est dans le travail d'équipe que réside la solution.

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