Intervention de Isabelle Pasquet

Commission des affaires sociales — Réunion du 7 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 — Examen du rapport

Photo de Isabelle PasquetIsabelle Pasquet, rapporteure pour la branche famille :

En 2010, le déficit de la branche famille a atteint un niveau sans précédent, de 2,7 milliards. Dégradation imputable à la fois à la crise économique, qui a causé la perte de près de 3 milliards de recettes entre 2008 et 2010, et aux transferts de charges au titre des droits familiaux de retraite, qui ont représenté une dépense de près de 22 milliards sur cette même période.

Depuis, un certain redressement se dessine, mais il est extrêmement lent ; le déficit 2011 s'élevait encore à 2,6 milliards. En 2012, le solde de la branche ne marquera pratiquement pas d'amélioration, se stabilisant au niveau élevé de 2,5 milliards. Cette tendance diffère de celle des trois autres branches de la sécurité sociale, lesquelles enregistrent une diminution continue et significative de leur déficit depuis 2010.

C'est dans ce contexte particulièrement tendu que la branche a vu la loi de financement pour 2011 fragiliser ses recettes, avec le transfert de 0,28 point de la CSG vers la Cades, pour financer la dette sociale. Un marché de dupes avéré puisque, sur les trois taxes affectées à la Cnaf en contrepartie de cette perte de CSG, le prélèvement de la CSG au fil de l'eau sur les contrats multisupports d'assurance vie voit son rendement diminuer d'année en année, la taxe exceptionnelle sur les réserves de capitalisation des entreprises d'assurance ne rapportera plus rien à compter de 2013, seule la taxe sur les contrats d'assurance maladie dits « solidaires et responsables » (TSCA) ayant un rendement stable. Si le bilan de l'opération a été quasiment neutre en 2011, la Caf devrait enregistrer un manque à gagner de 100 millions en 2012 et de 400 millions en 2013.

Fort heureusement, l'actuel Gouvernement a pris le contrepied de cette politique en décidant d'affecter 1 milliard de recettes supplémentaires à la branche famille. Dans le cadre de la loi de finances rectificative votée cet été, celle-ci s'est vu attribuer un surcroît de recettes de 400 millions par an, provenant principalement du maintien de la hausse de deux points du prélèvement social sur les revenus du capital, qui couvre intégralement le coût de la majoration de 25 % de l'allocation de rentrée scolaire entrée en vigueur à l'occasion de la rentrée de septembre. Dans le cadre du présent projet de loi de financement, sur les 3,4 milliards de recettes supplémentaires pour la sécurité sociale, environ 600 millions reviennent à la branche famille, dont 400 millions au titre de la réforme de la taxe sur les salaires et 200 millions au titre de la réduction des niches sociales et de la hausse de la fiscalité sur les tabacs.

Ces apports constituent une véritable bouffée d'oxygène pour la branche, qui stabilisera ainsi son déficit à 2,6 milliards en 2013 au lieu des 3,3 milliards initialement prévus par la commission des comptes de la sécurité sociale.

Cette première étape dans le redressement des comptes ne règle cependant pas la question de l'avenir. Les prévisions disponibles témoignent de la difficulté d'un retour à l'équilibre financier à moyen terme, dans un contexte de progression modeste des recettes et de relatif dynamisme des dépenses. Sur la période 2013-2016, le solde de la branche continuerait à s'améliorer, mais à rythme très lent. En 2017, il afficherait encore un déficit de 1,2 milliard.

Je regrette que le Gouvernement ait maintenu le report de trois mois de la date de la revalorisation des prestations familiales, mis en oeuvre par la précédente majorité. Trois mois définitivement perdus pour les familles. La revalorisation de 1,75 % envisagée au 1er avril équivaudra, en réalité, à une hausse de 1,6 % en moyenne sur l'année, ce report de trois mois minorant d'un quart son effet en moyenne annuelle.

J'en viens aux mesures concernant les dépenses de la branche. Le projet de loi initial n'en contenait qu'une : l'expérimentation sur deux ans du versement en tiers payant du complément mode de garde (CMG) pour les familles modestes. Ce dispositif, déjà expérimenté par la Caf de l'Essonne, poursuit un double objectif : faciliter l'accès des familles dont les ressources sont inférieures au revenu garanti dans le cadre du RSA à un mode d'accueil individuel en les dispensant d'une avance de frais ; permettre aux assistants maternels en sous-activité au regard de leur agrément d'en accueillir davantage.

L'initiative est intéressante, mais il faut être conscient qu'elle exigera, en un temps où le climat social dans les Caf est très détérioré, un dialogue renforcé entre les services chargés de sa mise en oeuvre.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est ressorti de l'Assemblée nationale enrichi de deux dispositions pour la branche famille. La première prévoit le rétablissement automatique des droits aux allocations de logement à caractère familial et social (ALF et ALS), lorsqu'un dossier de surendettement a été déclaré recevable par la commission de surendettement. Un tel droit existe déjà pour les bénéficiaires de l'aide personnalisée au logement (APL) depuis la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation. Son extension, je m'en réjouis, va permettre d'éviter les expulsions de certaines familles en grande difficulté.

La seconde disposition, largement relayée par les médias ces derniers jours, est la transformation du congé de paternité en un congé de paternité et d'accueil de l'enfant, ouvert à la personne vivant avec la mère. Sont concernés par cette mesure, d'une part, les couples hétérosexuels, au sein desquels le compagnon de la mère n'est pas le père de l'enfant, d'autre part, les couples homosexuels féminins, au sein desquels l'une des deux partenaires a donné naissance à un enfant. C'est reconnaître, pour la première fois, le rôle du ou de la partenaire de la mère dans l'éducation de l'enfant. Le congé de paternité avait été conçu pour permettre une meilleure répartition des tâches éducatives au moment de la naissance et favoriser un lien entre l'enfant et la personne l'élevant. Il est donc logique que le ou la partenaire de la mère, qui va vivre quotidiennement avec l'enfant, puisse y être éligible au même titre que le père de l'enfant. Un tel élargissement est, en outre, conforme à la préconisation formulée par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde) en 2007, selon laquelle « il serait utile de substituer à la notion de congé de paternité, fondée exclusivement sur le lien de filiation, un congé d'accueil du jeune enfant ouvert au partenaire du parent, contribuant à l'éducation de l'enfant ». J'ajoute que certaines entreprises SFR, Eaux de Paris - et collectivités - les conseils généraux de Seine et Marne et de l'Essonne - ont déjà mis en place un tel congé. En revanche, je regrette le choix du Gouvernement de ne pas étendre le bénéfice de ce congé aux couples homosexuels masculins, qui crée ainsi une nouvelle rupture d'égalité en fonction du genre.

Je conclurai sur la situation des Caf, qui, à l'heure où se négocie la prochaine convention d'objectifs et de gestion entre la Cnaf et l'Etat, est extrêmement préoccupante. Les représentants syndicaux des salariés des caisses, que j'ai reçus à l'occasion d'une table ronde, ont unanimement dénoncé trois causes majeures de dégradation des conditions de travail : la politique salariale menée ces dernières années, qui s'est traduite par la réduction des effectifs et la généralisation du recours aux contrats à durée déterminée et aux heures supplémentaires ; l'augmentation de la charge de travail induite par l'évolution de la législation et la crise économique ; l'inflation des missions de gestion des processus au détriment du coeur de métier. Tous dénoncent également une réduction de l'offre de services : fermeture, dans certaines Caf, du service d'accueil des allocataires plusieurs jours par mois ; développement d'un système d'accueil sur rendez vous ; généralisation des réponses téléphoniques ; suppression des antennes locales. A quoi s'ajoute la départementalisation du réseau qui s'est achevée fin 2011 par la création de treize Caf départementales au lieu des trente caisses infradépartementales. Présentée aussi bien par la Cnaf que par l'Etat comme « une réussite technique », cette réforme a, sur le terrain, engendré de nombreuses difficultés - je pense en particulier à la Caf du Nord - et exacerbé les tensions sociales. En séance publique, je demanderai donc à la ministre de dresser, dans les prochains mois, un bilan exhaustif de l'opération de départementalisation et, plus globalement, de nous faire connaître ses intentions quant au règlement de cette situation de crise.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion